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Full text of "Histoire de la ville et de l'abbaye de Fécamp"

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l^V 


WuuoiibMVV 


4/. 


t 


HISTOIRE 


DE  LA  VILLE  ET  DE  L'ABBAYE 


DE  FECAMP 


t 


HISTOIRE 


DE  LA  VILLE  ET  DE  L'ABBAYE 


DE  FÊCAMP, 


Léo»  FALLUE  , 

■  EHME  ■>■  LA  lOCIÉTÉ    BEI  UITtQllAHia  ■■  MMMUIMS  ET  DE  L. 


ROUEN, 


IMPRIMERIE  DE  NICÉTAS  PEBliUX, 


^s-j. 


AVANT-PROPOS. 


JJuRAWT  notre  court  passage  à  Fécamp  ,  nous 
avons  ëté  frappé  de  ce  qu'il  y  a  de  grand  dans 
l'histoire  religieuse  et  politique  de  cette  ville; 
nous  avons  d'abord  recueilli  quelques  notes ,  et 
la  moisson  devenant  chaque  jour  plus  abondante, 
nous  avons  conçu  le  projet  deJes  mettre  en  ordre, 
en  les  intercalant  dans  un  cadre  historique;  dès- 
lors  nos  recherches  n'ont  plus   eu  de  bornes  : 
nous    avons    extrait   des   historiens    anglo-nor- 
mands 9  des  Chroniques  saxonnes ,  du  Gallia  chris- 
tiana ,  des  Annales  de  Tordre  de  Saint-Benoît , 
tout  ce  qui  pouvait  se  rattacher  à  notre  sujet  ; 


IJ  AVANT-PKOPOS. 

mais  y  comme  nous  tenions  principalement  aux 
pièces  inédites  ,  nous  avons  mis  à  contribution  les 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi ,  les  Archives 
départementales  de  la  Seine-Inférieure ,  et  jus- 
qu'aux dépôts  historiques  de  Florence  et  de  Rome. 
Le  premier  nous  afait  connaître  qu'il  avait  existé , 
dans  la  même  ville ,  durant  un  long  espace  du 
moyen-âge ,  une  société  de  marchands  qui  se 
chargeaient  de  faire  tenir  au  souverain  Pontife 
l'argent  provenant  des  annates  et  de  certains 
droits  prélevés  sur  les  États  catholiques  ;  à  Rome , 
nous  avons  trouvé ,  dans  les  archives  du  Vatican , 
les  minutes  de  tous  les  brefs  adressés ,  par  les 
Papes ,  aux  monastères  qui  étaient  sous  leur  dé- 
pendance directe;  et,  à  l'aide  des  obligeantes 
communications  du  savant  prélat  chargé  de  la 
conservation  supérieure  de  ce  dépôt ,  nous  avons 
acquis  la  certitude  que  l'époque  de  Clément  VI , 
ancien  abbé  de  Fécamp  ,  était  la  plus  féconde  en 

pièces  de  cette  importance  ,  pour  le  sujet  que 
nous  avions  à  traiter. 

Mais ,  hâtons-nous  de  le  dire ,  c'est  surtout  le 
dépôt  des  Archives  départementales  de  la  Seine- 
Inférieure  ,  enrichi  de  toutes  celles  du  monastère 


AVANT-PROPOS.  llj 

de  Fécamp,  qui  nous  a  fourni  le  plus  grand 
nombre  de  matériaux ,  grâce  à  l'autorisation  bien- 
veillante de  M.  le  Préfet  Dupont-Delporte ,  Pair 
de  France ,  qui  a  bien  voulu  mettre  tous  ces 
documents  historiques  à  notre  disposition. 

Nous  pouvons  donc  affirmer  qu'il  nous  est 
passé  plus  de  deux  mille  pièces  par  les  mains , 
sans  compter  les  nombreux  volumes  de  délibé- 
rations capitulaires  du  monastère  de  Fécamp. 
Au  milieu  de  ces  richesses  entassées ,  on  pense 
bien  que  nous  avons  dû  faire  un  choix ,  parce 
que  tous  les  documents  qui  en  font  partie  n'oot 
pas  la  même  importance  historique,  et  que  nous 
ne  voulions  pas  donner  à  notre  travail  une  dimen- 
sion qui  eût  outrepassé  les  bornes  que  nous  nous 
étions  imposées  :  la  reproduction  des  faits  prin- 
cipaux, en  un  seul  volume,  à  la  portée  du  plus 
grand  nombre  des  lecteurs. 

Tout  ce  qui  nous  a  paru  intéressant ,  à  la  pre- 
mière lecture ,  a  été  mis  à  part ,  classé  et  inter- 
calé dans  ce  travail.  Ennemi  de  toute  opinion 
systématique ,  nous  avons  adopté  celles  qui  nous 
ont  semblé  les  plus  vraisemblables;  l'éclectisme, 


IV  AVANT-PROPOS. 

f 

appliqué  à  l'histoire ,  constitue  la  partie  la  plus 
essentielle  de  notre  composition.  Nous  ne  savons 
si  nos  lecteurs  auraient  été  d'accord  avec  nous , 
sur  le  choix  des  matériaux;  mais  nous  sommes 
convaincu  que  celui  qui  écrit  l'histoire  doit 
obéir  à  ses  propres  impressions  ,  qu'il  n'est  pas 
libre  de  changer  ou  modifier  à  son  gré ,  et  que 
son  jugement  est  le  seul  guide  qu'il  doive  suivre 
dans  l'appréciation  des  faits  et  des  événements 
que  le  passage  des  siècles  a  souvent  rendus  fort 
obscurs  ;. autrement,  il  livrerait  une  pensée  qui 
ne  serait  pas  la  sienne ,  il  resterait  renfermé  dans 
un  ordre  d'idées  reçues ,  dans  un  cercle  vicieux , 
tout-à-fait  contraire  au  progrès  que  l'on  doit  at- 
tendre de  l'étude  du  passé,  seul  enseignement 
que  la  Providence  ait  laissé  à  l'homme  pour 
éclairer  sa  marche ,  au  milieu  des  écueils  et  des 
incertitudes  de  l'avenir. 

Peut-être  trouvera-t-on  que  nous  sommes  entré 
dans  beaucoup  trop  de  détails  de  localité,  de 
noms  propres  et  de  faits  domestiques  ;  nous  ré- 
pondrons :  que ,  si  l'histoire  générale  se  compose 
du  récit  de  batailles  gagnées  ou  perdues,  de 
sièges  de  villes ,  de  commotions  intestines  et  de 


V 


AVAKT-PROPOS.  V 

la  reproduction  de  hauts  faits  de  certains  per- 
sonnages émineiits  du  pays,  l'histoire  d'une  ville 
est  tout  entière  dans  la  \ie  publique  et  privée 
des  hommes  de  la  commune^  dans  les  événements 
heureuK  ou  malheureux  qui  les  ont  atteints ,  et 
dans  la  mise  en  scène  de  ceux  qui  ont  été  Tobjet 
d'une  distinction  quelconque ,  pour  services  ren- 
dus à  l'État  ou  à  leurs  concitoyens.  C'est  ainsi 
que  nous  comprenons  l'histoire  particulière  : 
entièrement  écrite  pour  la  localité ,  elle  doit  pré- 
senter ces  mille  petits  faits  que  l'histoire  générale 
dédaigne,  et  qui  ont  le  mérite  de  faire  connaître 
la  topographie  antique  de  la  cité  ,  son  gouver- 
nement, ses  rivalités  de  castes  et  de  familles,  et 
de  rappeler  aux  habitants  les  actes,  le  caractère , 
les  noms,  et  jusqu'aux  habitudes  de  leurs  an- 
cêtres. 

Nous  croyons ,  du  reste ,  que  chacun  est  à  peu 
près  libre  de  présenter  ce  genre  de  travail  comme 
il  le  comprend  ;  car  il  n'y  a  eu  jusqu'ici  aucune 
règle  arrêtée ,  aucun  modèle  prescrit  ;  et  l'histo- 
rien ,  qui  apprend  le  plus  de  faits  privés ,  doit 
avoir  l'avantage  sur  celui  qui  se  contente  de  faire 
de  longues  amplifications  sur  des  événements 
généraux  que  tout  le  monde  connaît. 


VI  AVANT-PROPOS. 

Nous  nous  abstiendrons  d'entrer  ici  dans  de 
plus  longs  développements  ;  nous  n'avons  même 
écrit  ce  peu  de  lignes  que  pour  obéir  à  l'usage 
constamment  suivi  de  parler  de  son  ouvrage  ; 
nous  le  livrons  avec  confiance  aux  habitants  de 

< 

Fécamp ,  qui  sont  nos  juges  naturels ,  bien  per- 
suadé d'avance  qu'en  évoquant  le  souvenir  de 
cette  abbaye,  qui  fut  l'orgueil  de  la  cité,  des 
hauts  faits  et  des  rudes  épreuves  qui  signalèrent 
la  vie  de  leurs  ancêtres,  nous  aurons  tout  lieu 
de  compter  sur  leur  sympathie ,  leur  indulgence 
et  leur  patriotisme. 


HISTOIRE 


i>f: 


FÉCAMP 


ÉPOQUE  GAULOISE 


ET     GALLO-ROMAIITE. 


JuA  ville  de  Fécamp  existait ,  sans  aucun  doute , 
dans  l'antiquité  ;  mais ,  n'étant  ni  chef-lieu  de  peu- 
plade j  ni  station  militaire ,  ne  se  trouvant  sur 
aucun  itinéraire  j  sur  aucune  de  ces  grandes  lignes 
qui  sillonnèrent  la  Gaule  du  temps  des  Romains,  les 
géographes  anciens  l'ont  passée  sous  silence ,  comme 
beaucoup  d'autres  localités  placées  dans  les  mêmes 
conditions  d'isolement  et  d'insignifiante  fortune. 

Il  y  avait ,  du  reste ,  peu  de  villes  dans  le  nord 
de  la  Gaule  avant  l'arrivée  des  Romains  j  et  beau- 


(O 

coup  de  capitales  de  peuples ,  décorées  de  ce  nom , 
n'étaient  en  réalité  que  de  modestes  villages  ' . 

La  ville  ou  bourgage  qui  a  pris ,  dans  la  suite ,  le 
nom  de  Fécamp,  était  située  sur  le  bord  de  TOcéan 
britannique  ' ,  dans  la  portion  nord-ouest  du  terri- 
toire des  Calètes  ,  aujourd'hui  pays  de  Caux. 

Cette  partie  de  la  Gaule  était  auti*efois  comprise 
dans  la  Belgique ,  séparée  du  territoire  des  Celtes 
par  la  Seine  et  la  Saône  ^ 

Une  nouvelle  division  de  la  Gaule  ayant  eu  lieu 
sous  Auguste ,  le  pays  des  Calètes  fut  retranché  de 
la  Belgique^  et  ajouté  à  la  Lyonnaise  qui  remplaçait 
la  Celtique^. 

Ptolémée  d'Alexandrie  ,  qui  écrivait  vers  la 
première  moitié  du  ii®  siècle ,  et  après  l'occupa- 
tion de  la  Gaule  par  les.  Romains ,  est  le  premier 
qui  fasse  connaître  Juliobona  (Lillebonne)  ^.  Un 
auteur  du  douzième  siècle  dit,  cependant ,  sur  la  foi 
de  îa  tradition  sans   doute  ,   que   cette  ville   était 


'  D*après  Strabon ,  liv.  4  ,  Vienne ,  qite  les  AUobroges  nommaient 
leur  capitale,  n'était  qu*un  village  du  temps  de  César. 

'  Maintenant  la  Manche. 

^  «  Gallos  à  Belgis  Matronà  et  Sequana  dhidit.  » — Gaes. ,  De  Bell, 
gall.f  lib.  1,  cap.  1. 

^    (c  Lugdune^sis  Gallia  babet  Lexovios,  Velocasses  et  Galletos.  » 
—  Pline ,  tom.  III ,  pag.  252 ,  édition  Panckouke. 

^  »  Latus  vero  septenirionalis  littorale  a  Sequana  fluvio  tenent 
«  Caletse  ,  quot*ûtti  ciVitas  JrùUobona.  » 


(3) 

l^anciea  Caletum  des  Gallo-Belges  ■  ;  cette  opinion 
peut  bien  ne  pas  manquer  de  vraisemblance ,  mais 
malheureusement  elle  n'est  appuyée  par  aucun  té- 
moignage contemporain. 

L'itinéraire  èi  Antonin  ^  espèce  de  livre  de  poste 
des  anciens,  rédigé  vers  la  fin  du  iv*  siècle ,  men^ 
tionne  ,  outre  la  capitale  des  Calètes ,  trois  autres 
villes  ou  stations  dans  la  même  contrée  :  Caracoti-- 
num  (Harfleur) ,  Lotum  (Caudebec),  et  Gravinum 
(  Grainville-la-Teinturière  )  ;  la  première  à  l'entrée 
de  la  Seine  ,  les  autres  sur  les  routes  de  Julio- 
bona  à  Rothomagus  (  Rouen  )  et  à  Gessoriacum 
(  Boulogne  ). 

Les  Calètes  et  les  autres  peuples  de  la  Belgique 
descendaient,  dit  César*,  des  races  germaniques 
qui ,  ayant  passé  le  Rhin  ,  à  diverses  époques , 
s'étaient  insensiblement  étendues  ssur  les  bords  de 
l'océan,  dont  elles  avaient  peuplé  les  rives  jusqu'à 
l'embouchure  de  la  Seine. 

C'est  de  là  que  plusieurs  bandes  aventureuses  , 

trop  pressées  par  les  flots  de  nouvelles  migrations, 

s'introduisirent  dans  l'île  de  Bretagne ,  dont  elles 

habitèrent  les  cotes  situées  en  regard  du  continent  '. 

Ces  peuples  passaient  pour  les  plus  braves  de  la 


'  Orderic  Vital. 

>  De  Bell,  galL  ,  lib.  2 ,  cap.  1 

'  C«8./I>e  Bell.  gall. ,  lib.  5. 


(4) 

Gaule  ;  car ,  étant  éloignes  de  la  province  romaine  j 
leur  courage  n'était  pas  amolli  par  le  luxe  et  le  goût 
des  plaisirs ,  attributs  ordinaires  de  l'aisance  et  de 
la  civilisation.  Ils  avaient  cependant  perdu  de  leur 
ancienne  valeur ,  depuis  qu'ils  étaient  étabKs  dans 
des  climats  moins  durs  que  ceux  du  Nord  et  de  la 
Germanie.  Néanmoins,  ils  en  imposaient  encore  tel- 
lement à  leurs  voisins  ,  que  les  Cimbres  et  les 
Teutons  ^  chassés  de  leur  pays  par  les  inondations, 
n'osèrent  attaquer  \gs  Belges  j  et  préférèrent  ten- 
ter la  fortune  du  côté  de  l'Italie  et  du  midi  de  la 
Gaule. 

Les  Gaulois ,  en  général,  avaient  un  gouverne- 
ment aristocratique;  tous  les  ans,  on  choisissait  un 
gouverneur  ou  chef,  que  le  peuple  nommait  dans  ses 
assemblées  générales. 

Les  Calètes  ,  comme  les  autres  peuples  de  la 
Gaule  ,  habitaient  préférableraent  les  vallées ,  les 
bords  de  la  mer  et  des  fleuves  ;  ils  aimaient  aussi 
le  voisinage  des  fontaines ,  l'intérieur  des  bois  où 
ils  trouvaient  de  l'abri  en  hiver ,  et  de  l'ombrage 
pour  les  protéger  contre  les  ardeurs  du  soleil. 

D'après  Strabon  ' ,  leurs  maisons  étaient  grandes, 
formées  de   claies ,    de  branches  d'arbres  entrela-  , 
cées,  de  planches,  et  couvertes  de  paille;  ils  avaient 
aussi  des  maisons  rondes ,  de  forme  elliptique  ,  dont 


•  Liv.  4. 


(5) 

l'aire  était  quelquefois  à  quatre  à  cinq  pieds  au- 
dessous  du  sol  environnant  y  pour  obtenir  un  abri 
que  le  peu  de  solidité  de  ces  constructions  devait 
leur  refuser. 

Ils:  pratiquaient  souvent ,  à  l'intérieur  du  sol  y  de 
grands  souterrains  coniques,  espèce  de  siios  dans 
lesquek  ils  renfermaient  leurs  provisions ,  et  se  re- 
tiraient pour  éviter  d'être  surpris  par  l'ennemi. 
L'orifice  étroit  de  ces  excavations  était  couvert  de 
branches  et  de  feuillages ,  ce  qui  empêchait  les 
étrangers  de  les  découvrir  ' . 

Ces  peuples  belliqueux  s'adonnaient  très  peu  à 
l'agriculture  ;  aussi  ne  se  nourrissaient-ils  que  de 
lait  et  de  viandes  de  toute  espèce ,  mais  particu- 
lièrement de  cochon  ,  tant  frais  que  salé.  Leurs 
cochons  restaient  en  pleine  campagne ,  et  l'empor- 
taient sur  ceux  des  autres  pays  par  la  taille ,  la  force 
et  la  vitesse ,  au  point  qu'ils  étaient  aussi  à  craindre 
que  les  loups  pour  les  personnes  qui  n'avaient  pas 
coutume  d'en  approcher*.  Ce  récit  de  Strabon  ne 
peut  s'entendre  y  ce  nous  semble,  que  de  cochons 
sauvages  ou  sangliers ,  dont  les  défenses  se  trouvent 
en  quantité  sur  le  sol  et  panni  les  décombres  des 
établissements  gallo-belges. 


»  Tacite ,  De  Mor.  Germ, 
*  strabon  y  liv.  4. 


•       (6) 

Tous  ces  peuples  couchaient  à  terre ,  et  prenaient 
leurs  repas  assis  sur  des  peaux  '.  Ceux  qui  habitaient 
le  bord  de  la  mer  se  livraient  à  la  pêche  en  parcou- 
rant les  flots  sur  des  arbres  creusés ,  et  ces  barques, 
formées  d'un  tronc  unique  ,  portaient  jusqu'à  trente 
hommes  *. 

La  religion  des  Calètes  était  celle  des  Gaulois  en 
général  :  a  Leur  grand  Dieu,  dit  César ,  est  Mercure , 
<c  dont  ils  multiplient  les  statues  :  ils  le  croient  l'in- 
«  venteur  des  arts ,  le  guide  des  voyageurs  dans  les 
a  chemins  et  dans  les  routes ,  le  patron  des  mar- 
ie chands.  Après  lui ,  les  divinités  les  plus  révérées 
a  sont  Apollon  ,  Mars ,  Jupiter  et  Minerve  ,  sur 
«  lesquels  ils  ont  à  peu  près  les  mêmes  idées  que  les 
«  autres  peuples.  Us  croient  qu'Apollon  a  la  vertu 
a  de  guérir,  que  Minerve  préside  aux  arts,  que 
a  Jupiter  possède  l'empire  du  ciel,  que  Mars  est 
«  l'arbitre  de  la  guerre.  La  plupart  du  temps ,  ils  font 
ce  vœu  de  consacrera  Mars  les  dépouilles  de  l'ennemi, 
«  et,  après  la  victoire ,  ils  lui  sacrifient  le  bétail 
a  dont  ils  se  sont  rendus  maîtres  ;  le  reste  est  déposé 
«dans  un  lieu  propre  à  cette  destination,  et  Ton 
«  voit,  dans  plusieurs  villes,  de  ces  monceaux  entassés 
«  dans  des  lieux  consacrés^.  Il  arrive  rarement ,  qu'au 


'  Diodore  de  Sicile ,  Hy.  5  ,  ch.  28. 

>  Plin.,  tom.  X ,  pag.  153. 

^  Caes. ,  De  BelL  gall, ,  liy.  6.  «  Harum  rerum  extructos  tumulos 
«  locis  consecratia  conapirari  licet.  « 


(7) 

«  mépris  de  la  religion ,  quelqu'un  cache  le  butin  qu'il 
ce  a  fait  j  ou  ose  détourner  un  objet  quelconque  de 
«  ce  qui  a  été  mis  en  dépôt  ;  les  châtiments  les  plus 
«  cruels  sont  attachés  à  un  pareil  crime.  » 

Les  Druides  9  ou  prêtres  gaulois  ^  étaient  y  avec  les 
chevaliers ,  la  classe  qui  jouissait  de  la  plus  haute 
considération  ;  ils  habitaient  les  bois  y  se  retiraient 
dans  des  grottes  taillées  sur  la  pente  des  monts , 
ou  dans  des  enceiutes  entourées  d'une  levée  de 
terre.  Les  arbres  furent  les  premiers  temples  des 
Gaulois;  et  nous  avons  vu  les  campagnes ,  long-temps 
fidèles  à  la  simplicité  de  Tancien  culte ,  consacrer 
leur  plus  bel  arbre  à  la  divinité'.  Les  lieux  qu'ils 
recherchaient  davantage  étaient  les  fontaines,  aux- 
quelles ils  attribuaient  des  vertus  topiques  et  des 
cures  merveilleuses  ;  enfin  y  les  phénomènes  de  la 
nature  et  jusqu'aux  roches  escarpées  dont  l'aspect 
bizarre  frappait  leur  imagination  y  tout  était  devenu 
l'objet  de  leur  culte  et  de  leurs  adorations.  Les  au- 
tels des  Druides  étaient  de  grandes  pierres  mises  à 
plat  sur  trois  autres  qui  leur  servaient  de  support  ; 
c'était  sur  ces  autels  que  les  prêtres  ouvraient  le  dos 
d'un  homme  dévoué  à  la  mort,  et  tiraient  des  prédic- 
tions de  )a  manière  dont  la  victime  se  débattait  ^  ; 


*  PUn.,  tom.  VIII ,  pa(i^29: 

*  Strabon  ^  liv.  4. 


(8) 

•  cérémonies  barbares  que  les  conquérants  ne  tar- 
dèrent  pas  à  faire  disparaître. 

Tel  était  l'état  des  choses  sous  le  rapport  moral  j 
physique  et  religieux  sur  le  territoire  de  Fécamp , 
An  46  avant  lorsque  parurent  les  premières  légions  romaines.  De 
nombreuses  cabanes  ça  et  là  dans  la  vallée  et  dans 
les  bois  voisins  ;  partout  des  excavations  souter- 
raines,  des  parcs  pour  les  troupeaux,  fermés  avec 
des  palissades  et  des  branches  entrelacées;  des  prêtres 
dans  certains  lieux  retirés ,  et  la  foule  religieuse  se 
portant  aux  sacrifices ,  aux  pierres  ,  aux  fontaines 
et  aux  arbres  consacrés  ;  une  agglomération  d'habi- 
tants'[un  peu  plus  compacte  du  côté  de  la  mer  que 
partout  ailleurs;  car,  avons-nous  dit,  les  Gaulois 
riverains  de  l'océan  s'occupaient  beaucoup  de  la 
pêche ,  et  les  nombreux  tas  de  coquilles  de  moules 
et  d'huîtres  qu'on  trouve  sur  le  sol  de  leurs  habi- 
tations ,  prouvent  que  cette  nourriture  leur  offrait  de 
graijides  et  précieuses  ressources. 

Bien  peu  de  traces  de  ces  établissements  sont 
arrivées  jusqu'à  nous;  cependant ,  tout  n'a  pas  entiè- 
rement disparu  ,  et  Ton  peut  considérer,  comme 
appartenant  à  cette  époque ,  des  travaux  en  terrasse 
dans  les  bois ,  des  aires  d'habitations ,  des  excavations 
coniques  taillées  dans  l'intérieur  du  sol,  certaines 
pierres  remarquables  isolées ,  des  carrières  ou  grottes 
druidiques  qui  passent  pour  reflfermer  des  trésors , 
par'  tradition,  sans    doute,   des  riches   dépouilles 


(9) 

de  Tennemî ,  que  les  prêtres  gaulois  renfermaient 
dans  leurs  cellules ,  et  en  général  tous  les  lieux  où 
il  est  question  de  revenants  et  d'effrayantes  appari- 
tions,  pieux  mensonges  imaginés  par  les  premiers 
chrétiens  pour  en  éloigner  les  peuples  qu'une  su- 
perstitieuse croyance  ramenait  toujours  aux  erreurs 
de  l'ancien  culte. 

Le  fond  d'O/YVo/,  situé  dans  la  vallée  de  Fécamp, 
près  CoUeville,  renferme  des  grottes  sur  lesquelles 
on  raconte  plusieurs  histoires  de  ce  genre  :  on  y 
allait  autrefois  en  procession  y  à  certaine  époque  de 
l'année ,  et  la  bannière  du  saint  se  trouvait  toujours 
retenue  par  la  main  invisible  du  démon  familier  dont 
on  voulait  conjurer  la  puissance;  l'eau  bénite  dont  ou 
inondait  la  grotte ,  et  les  pratiques  religieuses  n'ayant 
aucun  pouvoir  sur  l'ennemi  y  on  prit  le  parti  très 
sage  de  le  renfermer  dans  son  antre ,  au  moyen  de 
barreaux  en  fer  et  d'un  mur  fort  épais. 

Il  existe ,  sur  le  versant  de  la  côte  de  la  Vierge  ^ 
une  énorme  excavation  nommée  ie  Trou  à  la  mon^ 
noie  y  dans  lequel  une  tradition ,  appuyée  par  une 
vieille  légende ,  prétend  qu'il  y  a  d'anciens  trésors 
enfouis.  Un  manuscrit  ^  qu'on  nous  a  communiqué  ^ 
raconte  des  fouilles  faites  en  ce  lieft,  par  plusieurs 
habitants  du  pays. 

Le  fond  des  Vcaxx ,  situé  vers  Yport  ^  doit  aussi 
renfermer  des  canons  remplis  d'or  et  d'argent.  On 
connaît  les  légendes  mystérieuses  qui  environnent 


(   lo) 

l'hennitagede  Yattechrist^  les  apparitions  de  nains 
à  saint  Martin ,  les  prodiges  du  géant  Gargantua  , 
cet  être  surnaturel  des  Gaulois,  qui  visitait  souvent 
les  habitants  de  Veulettes ,  et  leur  a  légué  son 
tombeau. 

hes  noms  de  Fenesi^ille  y  Finnemerville  ^  Herme- 
ville  ^  Hermeval ^  Theunlle^  Faudrevîlle ,  SLunoncent 
des  lieux  consacrés  à  Vénus  et  à  Mars ,  à  V Hermès 
ou  Mercure  des  Celtes ,  au  dieu  suprême  des  Ger- 
mains :  Teutj  fVodau.  Celui  de  Pierrefitte  indique 
des  roches  monumentales  appropriées  au  culte  drui- 
dique. On  a  encore  vu  ,  de  mémoire  d'homme  y 
dans  le  village  qui  porte  ce  nom  ^  deux  dolmen , 
dont  l'un  sert  maintenant  de  marche  au  calvaire 
d'Étretat. 

Les  mots  de  penn  (pics),  cenn  (sommets),  tor 
(élevé),  rf/mn  (hauteur) ,  /wag*  (plaine) ,  c?«r(eau), 
ar  (sur) ,  moir  (mer) ,  ail  (haut) ,  qui  entrent 
dans  la  composition  de  certains  noms  modernes , 
tirent  tous  leur  origine  de  la  langue  gallique  primi- 
tive. 

L'arrivée  des  Romains  eut  du  retentissement  dans 
toute  la  Gaule  ;  des  peuples  guerriers  et  libres  sup- 
portent difficilement  l'idée  de  la  servitude  ;  aussi 
se  liguèrent-ils  aussitôt  contre  l'ennemi  commun. 
La  Gaule-Belgique  pouvait  mettre  sur  pied  trois  cent 
mille  combattants ,  et  les  Calètes  fournirent  plusieurs 
fois  à  la  confédération  dix  mille  guerriers  ,  pris  seu- 


(  "  ) 

lement  parmi  les  liommes  capables  de  porter  les 
armes  '. 

On  pense  bien  que  Fëcamp  j  comme  les  autres 
points  du  littoral  qui  étaient  fort  peuplés  ,  dut 
prendre  la  plus  grande  part  à  ce  patriotique  arme* 
ment ,  qui  ne  lé  céda  qu'à  la  tactique  et  à  la  disci- 
pline des  armées  romaines. 

A  cette  époque  y  le  nord  de  la  Gaule  commen- 
çait à  soitir  de  Tétat  de  barbarie  des  premiers  âges. 
Marseille^  colonie  phocéenne ,  avait  apporté  avec 
elle  tous  les  arts  de  la  Grèce  y  et  en  avait  fait  res- 
sentir l'influence  à  ses  voisins  *  ;  de  degré  en  degré,  la 
civilisation  et  l'industrie  arrivaient  vers  le  nord.  Les 
CalèleSj  qui  connaissaient  déjà  l'art  de  filer  la  laine 
et  d'en  faire  des  tissus,  avaient  échangé  leurs  vête- 
ments de  peaux  pour  des  saies  y  espèces  de  tuniques, 
imitant  assez  bien  nos  blouses  actuelles.  Le  sagum 
était  à  raies  et  à  carreaux  ras,  en  été,  et  avec  son 
poil  en  hiver  ^.  Ils  portaient  des  pantalons  de  la 
même  -étoffe,  et  de  forts  souliers  en  forme  de  brode- 
quins. L'agriculture  n'était  pas  restée  en  arrière  du 
mouvement  général;  ces  peuples  avaient  inventé , 
dit  Pline  ^,  la  méthode  d'engraisser  la  terre  avec  la 


'  De  Bell,  galL,  lib.  2. 

»  Strabon  ,  liv.  4. 

^  Diodore  de  Sicile ,  liv.  5 ,  chap.  30. 

4  Plin. ,  tom.  \y  pag.  366. 


(  «a  ) 

terre  elle-même ,  en  se  servant  de  marne  qu'ils  allaient 
chercher,  au  moyen  de  puits,  à  des  distances  très  pro- 
fondes dans  la  terre.  Aussi  ne  doit-on  pas  être 
étonne  de  trouver,  dans  le  pays  de  Caux,  d'ancienne» 
marnières  remontant  à  l'époque  gauloise  ;  beaucoup 
ont  été  rebouchées,  d'autres  se  sont  affaissées  en 
laissant  des  fosses  profondes  à  la  surface  du  sol. 

Le  pays  des  Calètes  et  les  environs  de  Fécamp 
cultivaient  déjà  le  lin;  ce  que  blâmait  beaucoup  le 
même  auteur,  en  disant  :  «  Pardonnons  aux  Egyp- 
«  tiens  de  cultiver  le  lin  pour  faire  des  voiles  et  in- 
«  troduire  dans  leur  pays  les  produits  de  l'Inde  et  de 
«  l'Arabie;  mais  les  Gaules,  quel  avantage  peu vent- 
«  elles  s'en  promettre  ?  entourées  d'un  côté  par  des 
(c  montagnes  qui  ferment  l'accès  du  rivage,  de  l'autre, 
<c  par  un  océan  qui  finit  le  monde.  Cependant ,  les 
a  Calètes  cultivent  le  lin  '.  » 

Le  chef  d'escadre  des  Romains  était  loin  de  pré- 
voir la  splendeur  maritime  du  Havre,  l'avenir  de 
tous  les  ports  de  la  Grande-Bretagne  et  de  la  Hol- 
lande, encore  plus  avancés  vers  le  nord.  Il  ne  pensait 
pas  que  les  jours  de  la  Rome  éternelle  étaient 
comptés,  que  les  temps,  n'étaient  pas  éloignés  où  elle 
serait  réduite  à  la  plus  grande  nullité  politique ,  et 
à  vivre ,  au  jour  le  jour ,  des  subsides  de  cette  Gaule 


'  Tom.  Xm,  lib.  19 ,  pag.  156. 


(  ï3) 

barbare  dont  la  fortune  lui  paraissait  si  digne  de 
pitie. 

La  nourriture  des  Gaulois  devint  aussi  plus  re- 
frherchée  :  c'est  eux  qui  ont  inventé  la  cervoise  ou 
bière  faite  avec  du  grain ,  et  qui  se  sont  servis ,  les 
premiers  y  de  l'écume  de  cette  boisson^  en  guise  de 
levain ,  €e  qui  faisait  que  chez  eux  le  pain  était  plus 
léger  qu'ailleurs  ^.  Les  Calètes  et  leurs  voisins  avaient 
aussi  trouvé  le  moyen  de  faire  le  beurre ,  mets  ex- 
quis chez  les  barbares  ^  dit  Pline ,  et  un  de  ceux  qui 
distinguent  les  riches  d'avec  la  foule. 

Le  langage  même  s'était  perfectionné ,  et  les  chefs 
àe  peuplade  qui  avaient  connaissance  des  monnaies 
étrangères  eurent  la  fantaisie  d'en  faire  exécuter  par 
des  artistes  grecs,  représentant,  d'un  côté,  leurs 
effigies,  comme  dans  les  monnaies  grecques,  et,  de 
l'autre,  des  biges  et  des  quadriges  imitant  les  mé- 
daillesromainesdu  temps  de  la  république.  Quelques- 
unes  de  ces  médailles  possèdent  des  légendes  gau- 
loises, rendues  en  lettres  grecques.  Nous  en  avons 
vu  en  or  et  en  bronze ,  trouvées  dans  les  environs 
de  Fécamp ,  auxquelles  on  doit  assigner  une  époque 
assez  voisine  de  la  conquête;  car ,  antérieurement,  les 
Belges  se  servaient  d'anneaux  en  cuivre  pour  mon- 
naie, et,  après  la  conquête,  les  Gaulois  soumis  aux 


■  Tom.  X!,  pag.  234. 


(  i4) 

Romains  n'avaient  plus  de  chefs  qui  eussent  droit 
de  battre  monnaie  à  leurs  effigies.. 

César ,  ayant  perdu  sa  flotte  au  retour  de  sa  pre- 
mière expédition  dans  l'île  des  Bretons ,  place  so» 
armée  en  quartiers  d'hiver  dans  les  ports  de  la  Gaule- 
Belgique ,  et  ordonne  à  ses  soldats  de  construire  de 
nouveaux  navires;  il  part  ensuite  pour  l'Italie.  La 
nouvelle  flotte  ayant  été  réunie,  dès  le  printemps 
suivant  9  à  l'entrée  de  la  Seine  %  il  est  probable  qu'il  y 
eut  beaucoup  de  navires  contruits  dans  le  pays  des 
Calètes  et  à  Fécamp  même,  le  port  le  plus  voisin  de 
l'embouchure  du  fleuve.  César  nous  apprend,  ensuite, 
qu'étant  de  retour  dans  la  Gaule-Belgique,  il  visita  les 
lieux  x»ù  ses  troupes  avaient  passé  l'hiver,  en  félici- 
tant ses  soldats  sur  leur  travail  *.  Nous  n'avons,  dans 
l'histoire,  aucun  fait  qui  prouve,  d'une  manière  plus 
authentique,  que  ce  général  ait  visité  Fécamp  et  les 
autres pofts  de  la  côte;  mais  celui-ci  paraît  concluant; 
il  est  même  probable  que  ce  fut  à  l'occasion  de  ce 
grand  armement ,  et  pour  quelques  services  rendus 
par  les  Calètes^  que  leur  capitale  reçut,  peu  après ^ 
le  nom  de  Juliobowa. 

On  pense  bien  que  Rétablissement  des  Romains 
dans  Iç  pays,  dut  changer  laJace  des  choses  et  donner 


•  Strahon  ,  liv.  4. 

>  Caes. ,  De  Bell.  gall. ,  !ib.  5. 


(  >5) 

une  nouvelle  physionomie  à  ces  contrées  presque 

barbares. 

Tout  en  respectant  les  croyances  y  les  usages  des 
peuples  qu'ils  voulaient  accoutumer  au  joug,  les 
Romains  commençaient  par  leur  insinuer  leurs  goûts 
sous  les  formes  les  plus  séduisantes  :  leurs  jeux ,  leurs 
divertissements,  étaient  incessamment  produits  de* 
vaut  la  foule ,  qui ,  d'abord  arrêtée  par  un  motif  de 
curiosité ,  finissait  par  y  prendre  part  et  s'y  attacher 
avec  fureur.  Les  peuples  une  fois  ébranlés ,  la  con- 
fiance s'établissait ,  on  construisait  des  places  publi- 
quesy  des  habitations  commodes  ^  des  portiques  pour 
se  mettre  à  couvert ,  des  temples  et  des  théâtres  ;  on 
offrait  aux  vaincus  des  balnéaires  et  toutes  les  com- 
modités de  la  vie  ,  comme  un  effet  de  la  civilisation , 
tandis  qu'on  avait  pour  but  de  les  amollir  par  le 
goût  du  bien-être  et  des  frivolités  ' .  C'est  à  cette 
politique  que  la  capitale  des  Calètes ,  JuliobonUy  dut 
tous  ses  établissements  publics,  et  le  théâtre  dont 
on  vient  de  découvrir  les  restes;  théâtre  immense, 
en  plein  air,  oii  tout  une  nation  pouvait  prendre 
place ,  et  oublier  sa  servitude. 

Le  commerce  vint  aussi  à  l'aide  des  Romains  aus- 
sitôt qu'ils  eurent  subjugué  la  Bretagne  :  des  cargai* 
sons  de  blé  ,  de  bétail,  d'or,  d'argent,  de  plomb ,  de 


*  Tacite  ,  Vie  d'Jgricola. 


(  i6) 

chiens  de  chasse ,  et  d'esclaves  même ,  arrivaient  de 
ce  pays  dans  les  ports  du  pays  de  Caux  y  d'où  on  les 
transportait  pa  Italie ,  par  la  Seine  ^  le  Douas  j  la 
Saône  et  le  Rhône  ^.  On  y  joignait  les  denrées  du 
pays ,  comme  le  lin ,  les  cuirs ,  la  laine  des  troupeaux  j 
le  cochon  salé;  et  l'on  recevait ,  en  échange ,  par  la 
même  voie  ^  tous  les  produits  d'une  civilisation  plus 
avancée. 

Le  progrès  même  fut  tel ,  que  l'étude  des  langues 
étrangères  devint  à  la  mode  ;  les  contrats  se  rédi- 
gèrent en  grec  9  et  les  communautés  des  villes ,  dont 
l'industrie  augmentait  les  populations ,  entretinrent 
des  professeurs  d'éloquence  et  des  médecins. 

De  la  capitale  des  Calètes ,  les  connaissances  ne 
tardèrent  pas  à  se  propager  dans  toutes  les  vallées  ou 
il  y  avait  agglomération  d'habitants;  l'impulsion 
donnée  9  tous  se  mettent  à  l'œuvre  :  le  Romain , 
devenu  colon  y  se  construit  des  établissements  agri- 
coles à  la  manière  de  son  pays;  le  Gaulois  aisé,  de- 
venu imitateur  y  change  sa  cabane  en  bois  pour  une 
maison  solide;  il  y  ajoute  des  bergeries  pour  ses 
troupeaux  y  qui,  jusque  là^  étaient  demeurés  errants 
autour  de  son  habitation  y  ou  renfermés  dans  des  en- 
ceintes palissadées.  l^a  ville  et  la  vallée  de  Fécamp 
présentent  beaucoup  de  traces  de  ces  établissements. 
Nous  croyons  ne  pas  sortir  de  notre  sujet  eu  citant 

■  Strabon,  liv.  4. 


(  •?) 

les  lieux  oit  nous  avons  trouvé  quelques-uns  de  ces 
éloquents  témoins  de  notre  histoire. 

£n  creusant  la  terre  j  pour  élever  une  maison 
dans  le  quartier  de  la  Vicomte ,  on  a  découvert , 
à  lo  pieds  de  profondeur ,  des  murailles  épaisses, 
reliées  de  briques  romaines ,  des  fragments  de  vases 
en  poterie  rouge  et  grise  y  et  des  ceintres  de  portes 
encore  debout. 

Dans  une  propriété  de  M.  Ebran ,  on  a  rencontré , 
parmi  les  décombres ,  un  vase  en  terre  grisâtre  ^  à 
panse  arrondie  et  à  long  cou ,  comme  les  lacryma- 
toires  antiques. 

Nous  avons  recueilli  une  meule  romaine  en  pou- 
dingue y  divers  instruments  en  cuivre  provenant  des 
jardins  de  la  côte  de  Rénéville,  des  médailles  impé- 
riales et  des  tuileaux  antiques  y  trouvés  sous  les  fon- 
dations des  anciennes  maisons  du  bail. 

Enfin  y  toute  la  vallée  de  Fécamp  a  eu  ses  villa 
pendant  l'époque  gallo-romaine  ;  on  en  remarque  de 
nombreux  vestiges  dans  le  fond  d'Orival  et  dans  les 
lieux  voisins  y  où  l'on  nous  a  fait  voir  un  reste  de 
four,  trouvé  rempli  de  tuiles  à  rebords  qui  n'avaient 
pas  subi  l'action  du  feu ,  comme  si  des  événements 
subits  avaient  empêché  les  ouvriers  de  dolmer  suite 
à  leur  travail. 

De  belles  urnes ,  en  verre,  ont  été  récemment 
découvertes  à  Toussaint,  dans  la  propriété  de  M.  de 
Franqueville.  Ajoutons  que  les  villages  de  Boudeville, 


(  i8) 

Ganzeville,  Criquebœuf  et  Yport,  très  rapprochés 
de  Fécamp,  renferment,  sur  leurs  territoires,  de 
nombreuses  traces  d'habitations  antiques. 

Pendant  que  ces  étabUssements  se  consoUdaient, 
les  Romains  entretenaient  une  flotte  dans  la  Seine  '. 
Il  y  avait  garnison  romaine  à  Rouen ,  dans  la  capi- 
tale des  Calètes,  et  dans  tous  les  ports  du  même  pays. 

Les  conquérants ,  ayant  ensuite  besoin  de  grandes 
voies  pour  communiquer  sur  tous  les  points  de  leur 
vaste  empire,  il  en  fut  tracé  une  de  Rothomagus 
(Rouen)  à  Caracotinum  (Harfleur) ,  en  passant  par 
Juliobona ,  et  une  autre ,  marquée  sur  l'itinéraire 
d'Antonin,  allant  de  la  capitale  des  Calètes  à  Gesso- 
riacum  (Boulogne) ,  passant  par  Gra\finum ,  la  ville 
d'Eu,  Saint-Marc-la-Cauchie ,  Abbeville  et  Etrée- 
Cauchie.  De  Lillebonne  à  Grainville,  on  en  retrouve 
les  traces  à  la  Trinité-du-Mont^  à  Faucille ,  Norman-- 
ville ^  Beuzeville4a-Guérard  et  à  Grainville  même, 
près  du  Catelier,  qui  devait  être  le  point  mihtaire  de 
la  station.  Cette  route  avait  des  embranchements 
sur  toutes  les  grandes  vallées  de  Tocéan.  Celle  d'E- 
trétat  s'appelle  encore  le  chemin  de  Rome^  et  a 
donné  son  nom  à  cette  petite  localité  :  aStrata  vian. 
Ce  chemin  se  divisait,  aux  environs  de  Goderville,  en 
deux  embranchements,  dont  le  plus  septentrional 
tendait  vers  Fécamp.  Les  chartes  du  xii*  siècle  font 


»  Notifia  Dign.  imp. 


(  '9) 

mention  de  la  chaussée  allant  de  cette  ville  à  Lille- 
bonne  '.  Les  vallées  de  Saint-Pierre ,  des  Dalles  et  de 
Yeulettes  possédaient  aussi  leurs  chemins  de  com- 
munication avec  la  grande  voie  romaine. 

Il  existait  y  en  outre,  une  autre  ligne  venant  de 
Caracotinum  à  Fécamp  en  longeant  le  littoral ,  dont 
elle  s'approchait  ou  s'éloignait  selon  les  besoins  que 
Ton  avait  de  communiquer  avec  les  grandes  vallées. 

A  la  faveur  de  ce  réseau  de  voies  commodes  qui 
remplaçaient  les  sentiers  et  les  routes  cavées  des 
Gaulois,  les  Romains  s'étaient  procuré  des  moyens 
prompts  de  se  porter  sur  toutes  les  parties  du  ter- 
ritoire soumis  à  leurs  armes. 

La  paix,  qui  durait  depuis  deux  cents  ans  environ 
dans  les  Gaules,  au  rapport  de  Tacite,  fut  d'abord 
troublée  par  les  guerres  civiles ,  et ,  plus  tard ,  par  les 
invasions  successives  des  peuplades  germaniques ,  qui 
franchissaient  le  Rhin  et  faisaient  des  excursions  dans 
la  Gaule-Belgique.  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper 
de  ces  dernières  ;  les  ennemis  qui  portèrent  le  plus 
grand  préjudice  à  nos  pays  septentrionaux  furent  les 
Saxons  qui ,  venant  du  fond  de  l'Allemagne ,  s'étaient 
fixés  dans  la  Zélande  et  la  Hollande,  d'où  ils  partaient 
sur  de  petites  flottilles ,  pour  ravager  nos  cotes.  Ils 
avaient  l'habitude  de  stationner  dans  les  rivières, 
dans  des  îles  et  à  l'embouchure  des  vallées  ;  là,  plaçant 

■  Neustria  pia.  —  L'abbé  Bellay. 


leurs  >bateaux  à  sec,  ils  s'introduisaient  dans  Tinte- 
rieur  du  pays-,  et  mettaient  tout  à  feu  et  à  sang. 

Pour  s'opposera  ces  invasions  devenues  fréquentes, 
les  Romains  réunirent  leurs  navires  de  la  Seine* 
à  ceux  des  autres  ports  de  la  Belgique ,  et  formèrent 
à  Boulogne  une  flotte ,  dont  ils  donnèrent  le  com- 
mandement à  Asclépiodote  ji^réieX,  du  prétoire  ;  déjà 
CarausiuSy  Gaulois  de  naissance,  avait  commandé 
une  pareille  expédition;  et,  comme  elle  n'avait  pas 
porté  plus  de  remède  au  mal  que  ne  le  fera  le  nouvel 
armement,  on  accusa  ce  général  d'avoir  traité  pour 
de  l'argent  avec  l'ennemi  qu'il  aurait  pu  détruira. 

Le  mal  s'aggravant  de  jour  en  jour,  et  les  légions 
romaines  étant  employées  sur  le  Rhin ,  les  pirates 
se  présentèrent  en  force  dans  la  Seine;  la  ville  de 
Juliobona  fut  détruite  de  fond  en  comble,  ainsi 
qu'une  partie  des  monuments  publics  et  privés  qui 
existaient  sur  le  littoral.  De  là ,  s'avançant  jusqu'à 
Rouen ,  ils  renversèrent  la  première  église  cathédrale 
construite  par  saint  Nicaise ,  et  causèrent  tant  de  dé- 
sordres et  de  vexations,  que  le  siège  épiscopal  fut 
vacant  durant  plusieurs  années,  jusqu'à  l'arrivée  de 
saint  Mellon  ^. 

La  torche  incendiaire  paraît  être  le  moyen  de 
destruction  dont  se  servaient  ces  barbares ,  car  toutes 


'  Eumen ,  Panegyricus ,  Constant. 
»  Gall.  ck.  :  «  Eccles,  rotk.  » 


(  =»•  ) 

les  maisons  gallo-romaines  ont  été  évidemment  dé- 
truites par  le  feu ,  si  l'on  en  juge  par  les  amas  de 
charbons  et  4es  objets  brûlés  de  toute  nature  qui 
existent  sur  leurs  débris. 

L'empereur  Julien,  pour  châtier  ces  pirates,  prend 
le  parti  de  les.  attaquer  dans  le  lieu  même  qui  leur 
servait  de  repaire  ;  il  se  dirige ,  à  cet  effet ,  dans 
les  environs  de  l'Escatit,  et  envoie  en  même  temps 
Séi^ère  pour  commander  les  troupes  le  long  de  la 
rive  maritime,  depuis  la  Seine  jusqu'à  Boulogne \ 
Ces  cotes  avaient  pris  le  nom  de  rive  saxonique, 
»  ripus  scLXonicum  »  ,  à  cause  des  irruptions  conti- 
nuelles de  ces  peuples^.  On  réédifia  en  toute  hâte 
le  château  de  Juliobona.  Les  débris  des  monuments 
qui  avaient  été  détruits  :  chapiteaux  de  colonnes ,  bas- 
reUefsy  pierres  sépulcrales,  statues  mutilées,  tout 
fut  jeté  pêle-mêle  pour  servir  de  fondation  à  la  nou- 
velle muraille  militaire.  Le  théâtre  lui-même  devint 
une  espèce  de  citadelle,  au  moyeu  de  légers  travaux 
et  de  la  fermeture  de  ses  issues,  que  nous  avons 
trouvées  closes  avec  d'énormes  blocs  en  pierre 
brute*  On  construisit ,  sur  l'emplacement  de  l'or- 
chestre ,  un  balnéaire  ;  on  y  creusa  un  puits  profond , 
pour  les  besoins  des  hommes  chargés  de  défendre 
cette  forteresse  improvisée. 

*  Amuiian.  Marccll. ,  liv.  27  ,  ch.  7. 

*  No  t.  Dign.  imp. 


(  ^^  ) 

A  défaut  de  troupes  suffisantes ,  les  Gaulois  furient 
organisés  en  milice  chargée  de  la  garde  des  côtés; 
des  tours  en  terre  furent  élevées  pour  protéger  les 
gorges  et  servir  de  corps-de-garde  à  leurs  défenseurs; 
on  fit  de  nombreux  camps  retranchés  sur  les  caps  es- 
carpés qui  s'avançaient  dans  la  mer,  dominaient  les 
fleuves  et  les  vallées.  On  les  entoura  de  fossés  et  de 
remparts  gazonnés,  munis  de  palissades  '. 

Tous  ces  travaux,  établissons  la  direction  de  quel- 
ques soldats  romains,  avaient  pour  but  d'empêcher 
les  pirates  de  pénétrer  dans  l'intérieur  du  pays,  et 
d'offrir  un  abri  sûr  aux  populations  qui  s'y  reti- 
raient en  présence  de  l'ennemi ,  avec  leurs  animaux 
domestiques  et  ce  qu'elles  possédaient  de  plus  pré- 
cieux. Le  terrain  ayant  imposé  ses  formes  capri- 
cieuses à  la  plupart  de  ces  camps,  il  a  été  impossible 
de  se  conformer  aux  règles  de  la  castramétation 
prescrites  par  Higin  et  Fégèce;  aussi  doit-on  consi- 
dérer les  travaux  militaires  exécutés  sur  la  rive  saxo- 
nique  comme  des  camps  de  nécessité. 

Ces  fortifications  furent  multipliées  sur  le  littoral 
de  l'Océan,  qui  a  pris  depuis  le  nom  de  côtes  de  la 
Manche,  et  sur  les  bords  des  rivières  et  des  fleuves 
qui  se  jettent  dans  (iétte  mer  ;  on  les  remarque  à  San- 
douville,  Fécamp,  Veulettes,  Veules"  ,  Limes ,  près 


*  Beda  ,  Hist.  Eccl,  angl. 

^  W  est  curieux  de  penser  que  les  noms  de  f^enies  et  f^eulettes 


(a3) 

Dieppe^  Boulogne  et  autres  lieux.  Ou  pourra  juger  de 
la  population  du  territoire  de  Fécamp ,  par  Timpor- 
tance  des  retranchements  qui  y  furent  alors  exécutés. 
D^abord,  pour  garder  la  gauche  de  la  vallée ,  on 
couronna  d'un  rempart  le  mamelon  qui  forme  la 
pointe  de  la  côte  de  Béneville  ;  on  exécuta  le  même 
travai]  à  l'extrémité  de  la  côte  opposée ,  nommée 
le  cap  Fagnet.  Pour  isoler  ce  cap,  les  Gallo-Romains 
élevèrent  un  rempart  en  terre ,  allant  du  bord  de  la 
falaise  à  la  crête  de  la  côte  qui  domine  la  vallée  ;  de 
\kj  pour  ôter  tout  accès  à  l'ennemi ,  ils  firent  courir, 
dans  la  déclivité  de  la  montagne,  un  retranchement 
prolongé  jusqu'à  l'endroit  où  elle  devient  abrupte  '. 
Ce  camp  était  la  contre-partie  de  celui  de  Yeulettes  , 
connu  sous  le  nom  de  Catelier. 

Après  avoir  couvert  l'entrée  du  port ,  on  chercha 
dans  la  vallée  une  montagne  susceptible  de  recevoir 
un  camp-refuge  ^.  Justement,  le  plateau  qui  forme 
un  angle  entre  les  vallées  de  Yalmont  et  de  Ganze- 
ville ,  se  trouva  réunir  toutes  les  conditions  désira- 


(  VetuXus ,  selon  d'anciennes  chartes  )  Tiennent  de  ces  camps  , 
«  cetera  castra  »  ,  et  celui  de  Limes ,  de  mot  latin  a  limes  »  ,  forte- 
resse sar  les  frontières. 

■  Noos  Terrons  plas  tard  ce  camp  occupé  et  fortifié  par  la  ligue. 

>  Je  donne  cette  opinion  comme  un  fait  constant,  que  j'ai  cherché 
à  établir  dans  mon  mémoire  sur  les  monuments  militaires  an- 
tiques situés  sur  les  bords  de  la  Seine  et  de  la  rÎTe  saxonique , 
inséré  dans  le  9e  volume  des  Mémoires  de  la  Société  des  antiquaires 
de  Normandie. 


(a4) 

bles.  Les  cotes  en  sont  escarpées  sur  toutes  les  faces , 
et  peuvent  être  facilement  défendues  au  moyen  d'un 
parapet;  le  quatrième  côté,  seul,  tient  à  la  cam- 
pagne par  un  espace  fort  étroit.  Comme  c'était  le 
seul  point  accessible  du  camp,  on  le  munit  d'un  rem- 
part de  trente  pieds  de  hauteur,  garni  de  palissades, 
au  pied  duquel  régnait  un  fossé  dans  toute  sa  lon- 
gueur. Ce  camp  curieux,  nommé  Canada j  peut-être 
de  «  castra  Danorum  »  ,  camp  des  Danois ,  ou  du 
temps  des  Danois,  car  les  auteurs  du  moyen-âge 
n'ont  entrevu  que  ces  peuples  dans  toutes  les  hordes 
envahissantes  qui  avaient  ravagé  nos  côtes  ;  ce  camp 
curieux ,  disons-nous ,  présente  encore ,  dans  son  en- 
ceinte, les  tracés  du  prétoire,  des  lieux  d'approvision- 
nement, et  du  corps-de-garde  d'entrée.  Le  centre, 
coupé  de  fossés,  au  milieu  desquels  existaient  des 
mares,  recevait,  sans  doute,  dans  ses  enceintes  ga- 
zonnées,  de  la  cavalerie  et  des  animaux  domestiques. 
Le  Canada,  cette  page  la  plus  ancienne  de  l'his^ 
toire  de  Fécamp,  faisait  modestement  partie,  avant 
la  révolution  y  de  la  ferme  de  l'Épinai,  appartenant 
aux  moines  de  l'abbaye. 

Hâtons-nous  de  dire  que  tous  ces  préparatifs  de 
défense  furent  inutiles;  les  Germains  faisant  irrup- 
tion de  toutes  parts  dans  la  Gaule ,  l'empire  romain 
n'y  fut  bientôt  plus  représenté  que  par  quelques 
soldats  mercenaires  ou  étrangers  renfermés  dans 
leurs  palissades  et  disséminés  sur  tous  les  points  du 


(a5) 

sol.  Les  Belges  virent  rentrer  dans  leurs  ports  les 
dernières  légions  qui  évacuaient  la  Grande-Bretagne 
pour  essayer  de  défendre  les  passages  du  Rhin.  Les 
Calètes  et  les  riverains  d'outre-Seine ,  abandonnés  à 
leurs  propres  forces,  voyant  la  destruction  géné- 
rale qui  planait  sur  leurs  cités,  où  nuls  monuments 
publics  et  privés  n'étaient  restés  debout ,  prennent 
le  parti  de  traiter  avec  les  Saxons  et  de  leur  aban- 
donner des  terres  considérables.  L'histoire  a  quali- 
fié ce  traité  de  ligue,  ou  république  armoricaine  *. 
La   majeure    partie  de  ces  pirates    se    fixèrent 
dans  la  Basse-Normandie;   nous  en  retrouvons  la 
trace  dans  les  noms  de  Saxons  de  Bayeux  (Sennes- 
Bessins  )  long-temps  reproduits  dans  nos  historiens 
ecclésiastiques  des  premiers  siècles^,  dans  plusieurs 
actes  authentiques  jusqu'à  l'époque  de  la  conquête  de 
l'Angleterre.  La  ville  de  Caen  et  beaucoup  d'autres  lo- 
calités doivent  leur  existence  à  des  colonies  saxonnes. 
Dans  le  pays  de  Caux,  nous  avons  Sassetotj  Senne' 
ville ,  Sanvic ,  «  vicus  ou  villa  Saxonum  >»  ;  Etainheus, 
^heus^  habitation,  astainri  de  pierre,  qui  ont  la 
même  origine.  Les  mots  Harfleur  (Harfleot),  Hon- 


■  «  Propria  quadam  respublica  constituta.  »  Zozim. ,  lib.  6.  — Ar- 
moriques^  en  langue  gallique ,  habitants  des  bords  de  la  mer  i^^ary» 
sur  y  a  mor  »  ou  «  motr  »  mer. 

*  a  Sed  ille  {FarofAus)  dolose  per  noctem  super  Saxones  Bajo- 
«  cassinos  inmens ,  maximam  exinde  partem  interfecit.  »  —  Greg. 
Tur. ,  iib.  5. 


(a6) 

fleur  (Honnefleu) ,  «  Ham  » ,  habitation ,  village ,  pro- 
viennent de  l'idiome  du  même  peuple.  Ce  dernier  se 
trouve  dans  Oistreham^  village  à  l'ouest  de  l'em- 
bouchure de  l'Orne,  dans  Heidram  (Heider-ham)^ 
village  entouré  de  plaines  stériles.  Heur  et  hoc  étaient 
les  noms  donnés  aux  petits  caps  qui  s'avancent  dansr 
la  mer. 

Soit  défaut  de  chefs  intelligents  et  forts,  soit  l'ar- 
rivée de  nouveaux  conquérants,  l'invasion  saxonne 
dans  le  pays  de  Caux  ne  tarda  pas  à  s'effacer  et  à 
se  fondre  parmi  la  population  indigène;  Chlotwig, 
ou  Clovis,  à  la  tête  des  bandes  germaniques,  ayant 
tout  conquis  :  pouvoir,  territoire  et  nationalité. 

Pendant  que  toutes  ces  choses  se  passaient,  que 
la  civilisation  romaine  fuyait  devant  la  barbarie 
d'outre-Rhin ,  le  christianisme  s'introduisait  paisible- 
ment dans  les  Gaules  ;  Rome ,  vaincue  par  le  glaive 
du  Frank ,  devait  à  son  tour  vaincre  le  Frank  pat  la 
persuasion.  La  nouvelle  croyance,  forte  de  la  pro- 
tection qu'elle  accorde  au  faible,  de  l'égalité  qu'elle 
prêche  à  l'esclave ,  des  récompenses  qu'elle  promet 
a  qui  sait  souffrir,  avait  jeté  de  profondes  racines 
dans  l'ancienne  société,  car  le  désordre  des  temps 
avait  créé  beaucoup  d'esclaves ,  de  souffrants  et 
de  faibles.  Après  l'arrivée  de  saint  Denis  et  de 
saint  Taurin  dans  les  Gaules,  une  foule  de  pré- 
dicateurs se  répandirent  sur  tous  les  points  où  il  y 
avait  des  misères  à  consoler.  Leur  vie  austère ,  leur 


V  ^7  ; 

sagesse ,  et  les  grands  exemples  qu'ils  donnaient  à  la 
multitude,  contribuèrent ,  sans  doute,  au  triomphe 
de  la  nouvelle  doctrine.  Le  romain  Bozo  fiit  envoyé 
avec  ses  compagnons  dans  le  pays  des  Calètes ,  qu'il 
trouva  livré  à  toutes  les  superstitions  du  paga- 
nisme. Ces  pieux  missionnaires  ayant  fait  une  abon- 
dante moisson  de  néophites,  résolurent  de  rester 
dans  la  province  pour  diriger  leur  jeunelroupeau  qui 
s'augmentait  de  jour  en  jour.  Bozo  jeta  les  yeux  sur 
la  vallée  de  Fécamp,  qu'il  trouva  belle,  riche  de 
gras  pâturages ,  d'eaux  limpides  et  de  bois  giboyeux. 
Après  quelques  années  de  séjour  dans  le  pays,  il  s'y 
maria  à  une  jeune  gauloise,  nommée  Merca^  qu'il 
avait  convertie  ' . 

£n  arrivant  dans  un  pays  en  ruines  et  presque 
abandonné,  le  nouvel  apôtre  fut  obligé  de  construire 
quelques  maisons  dans  un  lieu  nommé  Bolera;  cet 
établissement ,  situé  à  une  lieue  de  la  mer  ^ ,  fut  le 
premier  que  revit  la  vallée  de  Fécamp. 

Bozo ,  comme  tous  les  missionnaires  de  l'époque , 
eut  à  lutter  contre  l'habitude  invétérée  où  étaient 
les  païens  d'adresser  leurs  hommages,  leurs  prières 
mêmes ,  aux  arbres  et  aux  fontaines ,  reste  de  véné- 
ration appartenant ,  avons-nous  vu ,  à  la  religion 
druidique.  En  effet ,  l'antiquité  croyait  qu'une  divi- 


■  Lib.  Fond.  fisc. 

'  Cartulaire  de  Fécamp. 


(a8) 

nité  tonique  présidait  aux  fontaines ,  et  donnait  à 
leurs  eaux  les  vertus  curatives  qu'on  ne  pouvait  ob- 
tenir de  la  science  des  médecins.  Avec  une  pai'eille 
croyance  9  il  était  difficile  d'en  éloigner  les  hommes 
accablés  de  souffrances  ;  c'était  déjà  cruel  que  de 
chercher  à  détruire  leurs  illusions.  Bozo  ,  mission- 
naire adroit,  s'empara  de  ce  zèle  religieux,  en  fai- 
sant renfermer  un  tronc  d'arbre  consacré  sous  un» 
tumulus  ou  espèce  d'autel ,  qu'il  plaça  sous  l'invo- 
cation de  la  Sainte-Trinité.  Cet  oratoire  fut  recou- 
vert de  planches  et  de  branches  d'arbres  coupées 
dans  la  forêt;  telle  fut  Forigine  du  célèbre  monas- 
tère de  Fécamp.  Comme  ce  lieu  était  voisin  de  la 
fontaine  miraculeuse ,  placée  plus  tard  sons  le  patro^^ 
nage  du  précieux  Sang  ,  il  partagea  avec  elle  le  res- 
pect et  les  adorations  de  la  foule. 

Chlotwig  s'étant  emparé  du  nord  de  la  Gaule,, 
la  ligue  armoricaine  est  dissoute ,  les  garnisons  ro- 
maines capitulent ,  se  rendent  et  remettent  les  placesr 
que  l'empire  possédait  encore  vers  la  mer  ^  Ainsi, 
la  vallée  de  Fécamp  se  trouva  définitivement  soumise 
aux  conquérants. 

Les  terrains  abandonnés ,  faute  de  bras  pour  le» 
cultiver,  furent  distribués  aux  chefs  de  l'armée  vic- 
torieuse ;  les  villa  gallo-romaines ,  détruites  par  les" 


*  Procop. ,  lib.  1  :  «  />e  Bell.  Goth.  » 


(»9) 

Saxons  ^  ne  se  relevèrent  plus  ;  on  se  servit  de  leurs 
décombres  pour  bâtir  de  nouvelles  demeures;  on 
glana  sur  les  ruines,  et  les  fresques  en  lambeaux,  les 
modillons  rompus ,  les  vases  brisés ,  les  tuiles ,  les 
briques,  les  débris  de  murailles,  tout,  gisant  sur  de 
superbes  mosaïques  ^ ,  fut  recouvert  de  terre  ;  et  des 
arbres  séculaires  ont  élevé  leurs  cimes  sur  les  toits 
antiques,  sur  les  nobles  débris  de  quatre  siècles  de 
civilisation. 

Les  chefs  franks  qui  eurent  des  terres,  les  reçu- 
rent, d'abord,  à  titre  de  bénéfice  viager,  ce  qui  les 
obligeait  au  service  militaire;  les  Franks  d'un  ordre 
inférieur  obtinrent  des  manoirs  ou  viUa^  qui  rele- 
vaient de  ceuxdeleui*s  chefs;  acheminement  à  cette 
féodalité  que  nous  verrons  s'organiser  et  s'étendre 
dans  les  siècles  suivants. 

Ici ,  pour  éclaircir  l'histoire  politique  de  Fécamp , 
nous  aurons  besoin  de  recourir  aux  chroniques  mona- 
cales, aux  traditions  populaires.  Je  sais  que  le  merveil- 
leux dont  elles  sont  farcies  les  a  souvent  fait  rejeter  au 
rang  des  fables ,  par  un  grand  nombre  de  critiques. 


'  Celle  qae  l'on  vient  de  découvrir  dans  la  forêt  de  Brotonne, 
peut  donner  une  idée  des  villa  de  Tëpoque  ,  et  de  Part  chez  les 
Gallo-Romains.  Le  centre  représente  Apollon  jouant  de  la  lyre.  Il 
est  entouré  de  huit  médaillons  :  ceux  des  angles  encadrent  des 
bustes  couronnés  d'épis ,  et  ceux  des  côtés ,  des  lions  lancés  au 
pas  de  course;  le  tout  est  ceint  de  cordons  en  torsades,  et  d'une 
grecque  de  la  pins  grande  élégance. 


(3o) 

Sans  doute  il  y  a  beaucoup  d'histoires  apocriphes 
dans  ces  temps  reculés ,  où  rien  n'était  écrit , 
où  l'on  était  obligé ,  pour  consigner  quelques  faits , 
d'avoir  recours  aux  souvenirs  toujours  embellis  par 
l'imaginatiou  ;  mais  il  y  avait  un  fond  de  vérité  dans 
tous  ces  récits,  pour  tout  ce  qui  était  des  descrip- 
tions locales,  des  événements  et  des  hommes  héros 
de  ces  faits  merveilleux.  En  rejetant  tout  impitoya- 
blement, comment  connaîtrions-nous  le  passé,  sur- 
tout dans  les  petites  localités ,  dont  l'existence  n'est 
qu'un  point  imperceptible  dans  l'histoire  générale? 
Nous  n'aurions,  à  coup  sûr,  aucunes  données.  Voilà 
où  nous  mènerait  un  pédant  et  dédaigneux  scepti- 
cisme ,  s'il  nous  était  défendu  de  puiser  avec  discer- 
nement dans  les  sources  ouvertes  au  jugement  et  à 
la  critique  des  érudits. 

Suivant  la  chronique  de  l'abbaye  de  Fécamp,  le 
territoire  de  cette  ville,  encore  au  berceau,  fut 
donné  à  un  comte  de  race  tudesque ,  nommé  Ans- 
kise  ou  Anségise  ;  cet  étranger ,  qui  était  gouverneur 
du  pays  de  Caux ,  faisait  ordinairement  sa  résidence 
à  Fécamp,  ce  qui  porte  à  croire  que  cette  ville,  toute 
gallo-franke,  avait  succédé  à  la  suprématie  de  Julio- 
bona ,  la  romaine  ' . 

Vers  le  même  temps  régnait  une  grande  ferveur 


«  Neustria  pia  ;  lib.  Fondât,  fisc. 


(3,  ) 

religieuse  dans  les  Gaules.  Âpres  avoir  déttoiit  tous 
les  moauments  destinés  au  culte  j  les  Franks  y  con- 
vertis, faisant  quelquefois  trêve  à  la  vie  barbare, 
surtout  dans  leur  vieillesse ,  ou  aux  époques  de  ma- 
ladies ,  crurent  qu'ils  ne  pouvaient  mieux  faire ,  pour 
obtenir  le  pardon  de  leurs  fautes,  que  de  construire 
de  nouvelles  églises  et  doter  des  qionastères.  La 
société  romaine  était  dispersée ,  et  avait  emporté  avec 
elle  le  dépôt  précieux  de  toutes  les  connaissances 
humaines.  Le  Frank  dominait  partout  parla  force; 
le  Romain,  comme  l'appelait  son  vainqueur,  domi- 
nait par  l'intelligence  et  le  savoir,  et,  lorsqu'il  n'y  eut 
plus  rien  à  conquérir,  qu'on  n'eut  besoin  que  de  sou- 
mission et  d'organisation  sociale ,  le  gouvernement 
devint  pour  ainsi  dire  théocratique.  Les  peuples  ha- 
rassés ,  n'espérant  plus  qu'en  Dieu ,  s'étaient  jetés 
dans  les  bras  de  leurs  évêques,  et  ceux-ci  dirent 
aux  rois  franks  :  </  Accordez-nous  protection ,  et  nous 
vous  garantissons  la  fidélité  des  peuples ,  car  notre 
religion  promet  aide  à  toutes  les  puissances  de  la 
terre.  »  L'accord  ayant  été  fait ,  les  hommes  de 
science  ,  naguère  dispersés  ,  se  réunirent  ;  de 
grands  établissements  se  formèrent ,  et  les  couvents 
devinrent  une  pépinière  d'hommes  de  talent  et 
d'indépendance. 

Une  abbaye,  comme  l'a  fortjudicieusement  remar- 
qué l'abbé  Fleuri ,  était  l'ancien  domaine  d'un  Gallo- 
Romain  puissant  ;  l'architecture  de  l'édifice  était  sur 


(32) 

le  modèle  d'une  ancienne  i^illa  ;  l'abbé  était  le  maître, 
les  moines  ses  affranchis  ,  qui  cultivaient  les  arts  et 
les  sciences.  A  l'abri  des  murailles  silencieuses  des 
cloîtres,  ces  hommes,  que  dévorait  la  soif  de  l'étude, 
pouvaient,  entre  eux,  tout  penser  et  tout  dire, 
continuer  l'art  grec  et  romain  ;  traiter  de  hautes 
questions  de  n^rale  et  de  philosophie  ;  nous  trans- 
mettre les  découvertes ,  les  sciences ,  les  arts ,  la 
littérature  des  anciens,  trésors  précieux  qui  auraient 
disparu  dans  la  société  barbare. 

«  La  cour  théocratique ,  dit  Chateaubriand  ' , 
«  donnait  le  mouvement  à  la  société  universelle  :  de 
(c  même  que  les  fidèles  étaient  partout,  l'Eglise  était 
<c  en  tous  lieux.  Sa  hiérarchie,  qui  commençait  à 
a  l'évêqfie  et  remontait  au  souverain  pontife  ,  des- 
«  cendait  au  dernier  clerc  de  la  paroisse,  à  travers 
«  le  prêtre,  le  diacre,  le  sous-diacre,  le  curé  et  le 
«  vicaire.  En  dehors  du  clergé  séculier,  était  le  clergé 
(c  régulier;  milice  immense  qui,  par  ses  consti- 
«  tutions,  embrassait  tous  les  accidents  et  tous  les 
«  besoins  de  la  société  laïque  ;  il  y  avait  des  ecclé- 
(c  siastiques  et  des  moines  pour  toutes  les  espèces 

<c  d'enseignements  et  de  souffrances Des  commu- 

(c  nautés  de  femmes  remplissaient,  envers  les  femmes, 
«les  mêmes  devoirs;   puis  venait  la  solitude  des 


'  Études  historiques  f  tom.  III,  p.  270. 


(  33) 

«  cloîtres  pour  les  grandes  études  et  les  grandes  pas* 
ce  sions.  On  conçoit  qu'un  système  religieux ,  ainsi 
a  lié  à  riiumanité ,  devait  être  Tordre  social  même.  » 

Clilother  (Clotaire)  çt  sa  mère  Chlotilde,  Hildebert, 
sont  cités  au  nombre  des  princes  de  la  première  race 
qui  se  distinguèrent  le  plus  dans  ce  genre  de  muni- 
ficence toute  royale.  On  leur  doit,  dans  la  Neustrie , 
les  monastères  de  Saint  -  Ouen  de  Rouen  ,  des 
AnAdis ,  de  Pentalle ,  Saint- Es^roult ,  Saint--  Vigor 
et  Saint-Marcouf. 

Les  seigneurs  franks  suivirent,  de  toutes  parts, 
l'exemple  du  chef,  et  Anségise,  ayant  découvert ,  en 
chassant  dans  les  bois  de  Fécamp,  l'humble  oratoire 
élevé  parBozOy  prit  la  résolution  de  le  remplacer 
par  un  édifice  plus  digne  du  culte  auquel  il  était 
destiné.  Jusqu'ici ,  rien  de  plus  naturel  ;  mais  les 
légendes  racontent  que  ce  lieu  lui  fut  indiqué  par  un 
cerf  blanc,  poursuivi  par  ses  chiens,  lequel  s'arrêta 
près  de  cette  chapelle,  fit  face  aux  chasseurs,  sans 
que  ceux-ci,  ni  leut*s  chiens,  pussent  s'en  approcher. 
Elles  ajoutent  qu'Anségise,  surpris  de  cette  nou- 
veauté, mit  pied  à  terre  pour  étudier  les  mouve- 
ments du  cerf,  et  que.  cet  animal  ayant  fait  à  petits 
pas  un  cercle  autour  du  lieu  où  il  s'était  arrêté, 
comme  pour  tracer  les  fondements  d'un  édifice,  dis- 
parut aussitôt  à  tous  les  yeux  ^ 
—       ■      "  -  —- ^  -      ■  ■ 


"     (34) 

Ce  qui  resta  de  tout  ceci  j  fut  le  projet  d'Ansë- 
gise ,  projet  que  la  mort  l'empêcha  de  mettre  à 
exécution.  Il  eut  à  peine  le  temps  de  faire  faire  à  la 
chapelle  quelques  travaux,  qui  n'en  retardèrent  que 
momentanément  la  destruction;  aussi  les  historiens 
de  l'abbaye  disent  -  Us  que  ce  lieu  fut  bientôt  re- 
couvert de  ronces,  d'épines,  et  devint  le  repaire 
des  animaux  de  la  forêt. 

Cet  état  de  choses  dura  assez  long-temps ,  et  tous 
les  hommages  étaient  revenus  à  la  fontaine  consa- 
crée; on  avait  même  perdu  jusqu'au  souvenir  de 
l'oratoire  et  de  la  vénération  dont  il  avait  été  l'objet. 

Nous  ignorons  quels  furent  les  successeurs  immé- 
diats d'Anségise ,  dans  le  gouvernement  du  pays  de 
Caux  ;  tant  qu'ils  ne  s'occupèrent  pas  de  pieuses 
fondations,  l'histoire  ecclésiastique  rest£^  muette  à 
leur  égard;  ainsi  se  passa  la  fin  du  vi*  siècle. 

Vers  l'an  620,  naquit  à  Fécamp ,  d'une  famille 
illustre  parmi  les  Franks,  un  comte  du  nom  de  Wàr 
nenck.  C'était  sans  doute  un  descendant  d'Anségise , 
puisqu'il  possédait  les  grands  biens  de  ce  dernier  j 
stir  le  territoire  de  Fécamp,  et  un  château  fort,  situé 
probablement  sur  le  terrain  occupé,  plus  tard,  par 
celui  des  ducs  normands.  Wanenck,  homme  de 
guerre,  comme  tous  les  individus  de  race  teâto- 
nique ,  fut  obligé  de  prendre  part  à  plusieurs  expé- 
ditions où  il  se  distingua ,  et  parvint  aux  premiers 
emplois  miUtaires.  Ce  fut  à  son  retour  dans  le  pays 


;(35) 

des  Calètes  ^  qu  il  fit  la  rencontre  d'Audeonus  (Ouen), 
et  de  Yandregesilus  (Yandrille);  Tun,  gallo-romain 
de  naissance;  l'autre,  descendant ,  par  la  princesse 
Dode,  d'un  aïeul  de  Karle-Martd.  Tous  deux 
avaient  été  élevés  à  la  cour  de  Dagobert  et  de 
Ghlotwig  II  j  qui  accueillaient  avec  empressement 
tous  les  honmies  de  mérite,  sans  distinction  de  race. 
Oueo  y  Yandrille ,  Wanenck ,  hommes  supérieurs  y 
ne  tardèrent  pas  à  se  comprendre  et  à  se  lier, 
dans  le  but  commun  de  l'affranchissement  moral 
des  peuples.  Le  premier,  évéque  de  Rouen,  fai- 
sait tous  ses  efforts  pour  répandre,  et  affermir  le 
christianisme  d^ins  son  diocèse ,  en  favorisant  la 
création  des  monastères;  le  second,  qui  en  avait 
déjà  établi  plusieurs  en  Neustrie ,  continuait  sa  mis- 
sion dans  le  pays  des  Calètes  ^  où  il  désirait  fonder  de 
nouveaux  établissements  ;  la  rencontre  de  Wanenck , 
seigneur  frank,  possesseur  de  grandes  terres ,  devait 
être  d'un  favorable  augure  pour  la  réussite  de  ses 
projets  ;  aussi  ne  tarda-t-il  pas  à  en  recueillir  les  fruits. 
Ërkinoald ,  maire  du  palais ,  venait  de  donner  à 
Yandrille  sa  terre  de  Fontenelle,  voisine  de  la  Seine; 
Wanenck  y-  ajouta  d'autres  propriétés  ,  de  l'argent 
et  des  hommes,  pour  y  construire  les  bâtiments  d'un 
monastère;  et,  soit  ferveur  religieuse,  soit  dégoût 
du  monde ,  il  témoigna  bientôt  le  désir  de  se  faire 
religieux  lui-même ,  à  Fontenelle  ;  mais ,  cédant  aax 
conseils  de  ses  amis,  il  ne  persista  pas  dans  son 


(36) 

projet,  se  maria,  au  contraire;  eut  un  fils  nommé 
Désire^  qu'il  consacra  tout  jeune  à  Dieu,  dans  ce 
monastère,  pour  assurer  aux  cénobites  les  grands 
biens  qu'il  leur  avait  donnés. 

Malgré  ses  préoccupations  religieuses ,  Wanenck, 
personnage  éminent ,  l'un  des  fidèles  du  prince ,  est 
tenu,  envers  son  souverain,  à  des  devoirs  qu'il  ne 
néglige  pas;  ses  voyages  sont  fréquents ,  et  il  devient 
un  des  conseillers  intimes  de  la  veuve  de  Chlother  11^ 
la  saxonne  Batliilde ,  qui  gouvernait  la  Neustrie  pen- 
dant la  minorité  de  son  fils,  Chlother  III.  Il  est  chéri 
du  jeune  roi,  et  c'est  à  ses  sages  conseils  que  sont 
dûs  les  actes  les  plus  marquants  de  son  règne. 

Le  prince ,  ne  pouvant  récompenser  avec  trop 
d'éclat  les  services  de  son  conseiller  ,  lui  donna  le 
gouvernement  du  pays  des  Calètes,  mpagus  cale^ 
tensis  » ,  qui  était  une  des  premières  charges  de  la 
couronne.  En  ce  temps-là ,  le  royaume  de  Neustrie 
«  Noester-rike  yij  occupé  par  les  Franks  occiden- 
taux, était  à  peine  la  sixième  partie  de  4a  France 
actuelle ,  et  l'on  pense  bien  que  le  pays  de  Caux,  for- 
mait une  portion  considérable  de  ce  petit  royaume; 
c'était  d'ailleurs  la  seule  province  où  il  y  eût  une 
rive  maritime,  des  ports,  un  fleuve  et  des  forets; 
aussi  les  rois  franks  se  plaisaient-ils  à  la  visiter. 
Us  y  possédaient  plusieurs  habitations,  appelées 
palais  selon  le  langage  des  cours,  et  qui  n'étaient 
en  réalité,  que  de  modestes  maisons,   des  fermes 


(3?) 

même ,  qae  des  serviteors  de  la  couronne  faisaient 
Taloir  pour  le  compte  du  prince.  Ces  fermes ,  et  les 
abbayes  naissantes,  servaient  de  gîte  à  nos  rois, 
dont  la  vie  aventureuse  n'était  alors  qu'un  long  et 
perpétuel  voyage. 

Le  goût  de  la  chasse  et  de  la.  pêche  contribuait 
beaucoup  à  attirer  les  fils  de  Merowig  dans  le  pays 
de  Gaux;.  aussi  n'en  n'avaient-ils  ^mais  confié  le 
gouvernement  qu'à  leurs  plus  intimes  favoris. 

Les  peuples  de  la  Gaule-Belgique  étaient  alors 
eictrémement  barbares,. farouches ,  grossiers  et  adon- 
nés à  toutes  les  superstitions  du  paganisme.  Saint 
Valeri,  cet  autre  missionnn^ire  romain,  disciple  de 
Cotomban ,  trouve  ceux  des  bords  de  la  Sonune 
adorant  de  vieux  troues  d'arbres  qu'ils  couvrent 
d'images  de  leurs  dieux.  Le  saint,  ayant  renversé 
ces  idoles,  se  soustrait  avec  peine  à  la  vengeance  des 
habitants  des  campagnes.  Toutes  les  vallées  du  pays 
des.Csdètes  étant  infectées  des  mêmes  superstitions  , 
Wanencfc',  pour  réformer  ce  mal ,  se  sert  des  prédi- 
cations de  Yandregesilus ,  qui  vient  à  Fécamp  et 
dans  tes  environs.  Partout  la  foule  des  uéophites  se 
presse  sur  ses  pas, 

A  cette  époque ,  tous  les  restes  des  maisons  gallo- 
romaines  et  des  temples,  disparurent  du  sol  ^  comme 
entachés  de  paganisme,  et  Wanenck,  pour  embellir 
sa  résidence ,  devenue  la  capitale  du  pays  de  Caux , 
agrandit  la  demeure  de  ses  pères,  et  construisit. 


(  38  ) 

clans  la  ville  de  Fécamp,  pliÈrsieurs  édifices  et;  maisons 
particulières  pour  y  loger  les  gens  de  sa  suite  et  des 
Franks  de  second  ordre,  qde  la  présence  du  chef  de 
la  province  attirait  en  ce  lieu. 

Bien  qu'ayant  contribué  à  la  confection  de  toutes 
les  maisons  religieuses  qui  s'élevaient  dans  le  pays 
des  Calètes,  ;Wanenck  eut  encore  la  fantaisie  dé 
créer,  à  lui  seul,  un  établissement  durable  dans  le 
lieu  qu'il  habitait.  On  dit  qu'une  vision  de  sainte 
Eulalie ,  à  laquelle  il  portait  une  dévotion  toute  par- 
ticulière, lui  avait  inspiré  ce  désir  '.  Quoicpi'il  en 
soit,  il  fit  part  de  cette  idée  à  saint  Ouen  et  à  sarnt 
Vaudrille,  qui  l'approuvèrent  beaucoup^  et  Tteiiga- 
gèrent  à  se  présenter  devant  le  roï  pour  obtenu*  la 
permission  de  construire  un  monastère  à  Fécamp;  et^ 
pour  qu'aucune  indécision  ne  vienne  ralentir  son 
zèle  ,  ces  deux  saints  lui  proposent  de  l'accompagner 
jusqu'à  la  cour,  où  ils  sont  parfaitement  accueillis 
par  le  roi  et  la  reine ,  qui  les  comblent  de  présents , 
et  leur  accordent  là  permission  qu'ils  étaient  'ventïs 
solliciter. 

Chlother  étant  alors  dans  son  palais  j  ou*  femie 
d'Arlaune  (Brotonne),  Wanenck  ne  tarda  pasrà 
rentrer  à  Fécamp;  et,  comme  il  s'occupait  de  choisir 
le  lieu  où  devait  être  construit  son  monastère  y  une 


BolUmdus ,  chap.  a. 


(39) 

nouvelle  vision  de  samte  EulaUe  lui  indiqua  l'endroit 
où  avait  existé  l'oratoire  d'Anségise  ' . 

.  Nous  devons  faire  rranarquer  ici ,  comme  nous  le 
démontrerons  plus  tard ,  que  la  légende  du  précieux 
Sang  n'existait  pas  alors ,  car,  à  coup  sûr,  au  bout 
d'un  siècle  seulement,  la  tradition  n'en  aurait  pas 
été  tellement  perdue ,  que  Wanenck  l'ignorât  et  ne 
s'empressât  pas  de  choisir  un  lieu  consacré  par  une 
relique  â  pieuse  et  si  sainte. 

.  Sur  ces  entrefaites ,  le  gouverneur  du  pays  de 
Caux  fut  atteint  d'une  maladie  si  grave,  qu'elle  le 
conduisit  aux  portes  du  tombeau.  Ouen  et  Van- 
drille  se  rendirent  à  Fécamp,  pour  lui  donner  les 
secours  et  les  consolations  qu'exigeait  sa  position  '. 
CUother ,  Jui-méme,  s'empressa  de  venir  le  voir  avec 
quelques  fid^es  de  sa  suite,  et  le  trouva  presque 
entièrement  rétabli.  Le  roi  chassa  dans  les  bois  de 
Fécamp ,  visita  le  lieu  destiné  à  recevoir  les  fonda- 
tions de  l'édifice  projeté,  en  vérifia  les  plans,  et  dit 
à  Wanènck,  en  le  quittant  :  «  Persévérez  dans  votre 
projet  ^ ,  prenez  des  champs  de  mon  domaine  royal, 
«campi  fisci  regalis»;  ajoutez-y  des  vôtres,  et  bâ- 
tissez le  temple  que  vous  voulez  élever  au  sôuyei^ain 
Sauveur  de  toutes  choses.  » 


!  'M  ■> 


'  Lib.  Fond.  fisc. 

'  jéeta  samcU  Audoeni. 

^  LTb.  Fond,  flsean. ,  cap.  6. 


(  4o  ) 

Il  est  probable  que  Fétymologie  du  nom  de  ¥é^ 
camp  se  trouve  dans  ces^  mots  dejîscusy  campus  '  ; 
car  cette  ville,  que  nous  avons  ainsi  nommée,  par  an- 
ticipation y  ne  s'appelait  encore  que  la  Grande  VaUée, 
(c  GrandifalowGrainifah^  à  Vé^ocpie  gallo-^romaine, 
et  avant  Fétablis$ement  du  monastère  ^. 

Wanenck  s'étant  mis  à  l'œuvre,  sa  maisoiï  s^ëleva 
comme  par  enchantement,  et  tout  se  trouva  bientôt 
prêt  pour  en  faire  la  dédicace.  Le  roi  Chlother  III 
se  rendit  de  nouveau  à  Fécamp ,  en  665 ,  accom- 
pagné de  son  maire  du  palais  ,  Ebroïn  ,  de  l'arche- 
vêque Ouen  ,  de  l'abbé  de  Fontenetle  ^  et  la  céré- 
monie eut  lieu  avec  de  grandes  pompes ,  en  pré- 
sence de  ces  redoutables  Franks  presque  civilisés , 
d'une  infinité  de  petit  peuple,  d'abbés  et  de  liti- 
gieux. L'accord  le  plus  parfait  paraissait  régner  dans 
cette  réunion  de  grands  personnages  ,  où  toutes,  les 
races  se  trouvaient  représentées.  ;  i  ;  - .  .  ! 


r  I  •  N 


.  '  S>.  Philibert  reçoit ,  pour  construire  le  monastère  de.Jumî^es  i 
«  Silyam  magnam  ex  fisco  et  pastus  de  fisco  jdominico,  i*  Ex  rita 

sanctœ  Éathildis ,  ap.  And.  Duch. 

« 

*  Linsignifiance  des  noms  donnés  à  cette  époque  est  incroyable. 
Us  tiraient  presque  toujours  leur  origine ,  ou  de  la  configuration  da 
terrain ,  ou  de  la  situation  des  localités  ;  ainsi  tous  les  noms  de 
Fontenetle  viennent  d'une  petite  source  voisine.  Celui  de  Dudair , 
d*uu  lieu  élevé  auprès  de  Teau  ;  Gaudebec ,  ^c  calidum  beccum  »  , 
d*une  étuve  romaine  détruite;  Cani,  d'un  gué  où  Ton  passait  la 
rivière;  Dieppe ,  signifie  (^aZ/ei?  j9/io/b/i(26.  La  va11éedePaluer(ouda 
.Marais)  ne  porte  pas  encore  d'autre  nom  que  la  grande  vaiiéê. 


(4I  ) 

Chlother  filv  à  la  nouvdie  abbaye,  de  riches  do- 
nations^ consÎBtant  en  vag^  précieux  d'or  et  d'ar- 
gent, et  Youlut  qu'<Hi  y  réunit  de  sainteà  filles 
consacrées  au  Seigneur ,  sous  la  direction  de  Hil- 
demarche ,  religieuse  de  Bordeaux. 

Sindart,  moine  de  Fontenelle,  eùî  mission  de 
transmettre  à  cette  pieuse  abbesse  les  ordres  du  roi 
firank.  Elle  se  rendit  aussitôt  auprès  de  saint  Ouen, 
qui  lui  donna  les  instructions  nécessaires  pour  la 
direction  de  sa  communauté  ,  déjà  peuplée  de  trois 
cent  soixante-six  .religieuses. 

Un  pareil  accroissement  demandant  une  .su]> 
vetllance  ^^éçiale  ,  Waaenck  plaça  1  administraâon 
supérieure  de  son  monastère  sous  \^  direction,  de 
saîoit/VandriUe^^qui  y  faisait  de  fréquents  voyages. 
Il  finit  ensuite  pair  lui  donner  le  monaatère  lui-même^ 
qui  4^yint  .£ânsi  dépendant  de  celui  de  Fontenelle. 
•:  La  cour  franke  avait  à  peine  quitté  Fécamp^ 
qu'une;,  révolution  de  palais  ne  tarda  pas  à  éclater. 
TEhvçAàji  loué  d'une  part  pour  les  mpnastèves  qu'il 
a  con^tiîuitfs ,  exécré  de  l'autre  pour  les  crim.osrdoûjt 
i^'est  r0ndU' coupable ,  Ebroln  s'empare  de  l'esprit 
^faiblç  de  CMother,  pour-igoMvernèr' en  soi>  nom* 
La  reine  Bathilde  est  çibligée  de  se  retirer  dans, (le 
mona$tère  de  ^Schelles  ^  et  tous  tes  yraii^  /servitieuirs 
du  roi  sont  exilés  ou  éloignés  de  sa  persoi^i^e. 
Wanenck  n'éprouva  personnellement  aucun  regret 
de  l'isolement  dans  lequel  il  se  trouvait  ;  car,  depuis 


(4a) 

qu'il  s'était  retiré  àJPécàmp ,  il  avait  été  plus  occupé 
de  constructions,  dç  devoirs  reli^ux^  que  d'in- 
trigiues  de  cour  ;  bien  supérieur  à  la  basse  civili* 
satîpn.  du..».6ple9  ce  jquji  se  passait  était  bien,  de 
nature  à  le  faire  persévéra  dans  ses  goûts  de  retraite 
la  plus,  absolue. 

En  effet ,  nos  rois  voyageurs ,  nos  rois  guerriers 
et  dévots^  de  la  première  race ,  ne  tardent  pas  à  se 
ressentir  de  leur  origine  barbare.  Toujours  au  ber- 
ceau de  la  civilisation ,  leur  vie  n'est  qu'une  suite  de 
faiblesses ,  de  luttes  ,  d'assassinats ,  que  le  christia-" 
nisme  ne  peut  encore  maîtriser;  la  puissance  des 
maires  du  palais  s'élève  à  côté  de  la  puissance  royale  y 
et  finit  par  l'absorber  tout  erftière.  Ce  fut  pendant 
ces  [épreuves,  qu'un  jour,  les  habitaMs  de  Fécamp 
virententrer  dans  leurs  murs  un  vieillard  aux  ch^veiix 
blancs,  aux  habits  déchirés  et  couverts  de  boue, 
ayant  lé^  lèvres  et  le  nez  coupés,  fixé  plutôt  que 
port^  sur  un  cheval,  suivi  de  quelques  cavalieni 
qui:  semblaient  prendre  à  tâche  dé  Kinsultc* ,  -  €t 
i^bpposaht  que  ses  souffrances  et  ta  résigtfatibni 
aux  'Mauvais  traitëmettts  qu'on  lui  faisait  subff; 
urif  prêtre  seul  et  sileilciçux ,  aux  vêtements  en  dé- 
Sbrdre,  suivait  à  pied  te  ïugubre  cortège,  et  sem* 
Màit  jireùdre  part  à  toutes  les  soàfïrances  de  la  vie* 
tinie. 

Ce  vieillard,  ainsi  maltraité,    était   Leodegarius 


(43) 

(Léger),  ^lE^que  d'Autun  %  coupable  de  fidélité  t 
son  roi  Thëoderik  ,  dont  il  avait  pris  le  parti ,  lors 
de  la  lutte  de  ce  dernier  avec  Ebroîn. 

Ce  maire  du  palais  s'étant  réconcilié  avec  Théo- 
deriky  n'ouUia  pas  Léger ,  qiii  lui  avait  été  contraire; 
l'ayant  fait  saisir  et  torthrer  par  ses  bourreaux ,  il 
renvoya.àFécamp.y  afin  que  Wanenck  le  retint  dans 
une  étroite  prison  : 

ce  Recevez:  Leodegarius  ,  lui  écrivait  le  tyran ,  cet 
homme  que  vous  avez  vu  autrefois  si  superbe  ,  et 
inettez4^  sogs  bonne  garde,  car  dans  peu  il  recevra 
ce  qu'il  a  justement  mérité^,  p 

On  est  tout  surpris  de.  sayoir  qu'Ebroîn  était 
l'ami  intime  de  saint  Ouen,  et  de  voir  Wanenck  se 
prêtant  à  ses  désiirs  pour  torturer  un  saint  ;  mai^ 
cela  prouve  tout  au  plus  qu'EbroIn  jugeait  mal  le 
gouverneur  dupays  de  Cau^L,  ou  que,  dan^  sa  soli- 
tude, ce  dernier  ne  connaissait  pas  l'injustice  dont 
(Ml  se  rendfiit  coupable  envers  son  prisonnier.  PeutT 
êtte  encoref  laf  vie  d'Ebroïn  nous  .est-elle, .^grivée, 
écrite  avec  un  peu  de  partialité,  sous  l'influence  di^ 
parti  vaincu  ^  i^oissé  par  sa  politique. 

On  dit  qJM0  saint  L^ger  rfistii  quelqge  temps  da;Qs 
les  prisons  de  Fécamp,  qu'il  y  recevait  les.  soins  et 
les  consolations  de  ce  prêtre ,  nommé  Yinoberf ,  qui 


■  Le  moine  d'Anton ,  chap.  13. —  Ursin.,  chap.  13. 
*  Jeta  sancti  Leod.^  cap.  8.,  9»  10»  U  »  12. . 


(44) 

l'avait  accompagné;  on  dit  qu'il  y  reçut  la  visite 
d*Eraetiaire ,  abbé  de  S.-Symphorien  d'Autun ,  et 
que ,  par  l'entremise  de  ce  dernier ,  et  par  l'assurance 
qu'il  donna  que  Léger  était  innocent ,  Wanenck  tira 
le  ^aint  de  l'éti^oit  cachot  où  il  était  j*enfermé ,  Fad- 
mit  dans  son  château ,  et  l'introduisit  ensuite  dans 
l'abbaye;  on  dit  encore,  car  oh  ne  pouvait  écrire,  à 
celte  époque,  sans  consigner  du  merveilleux,  que 
Léger  guérit  parfaitement  et  recouvra  l'usage  de  la 
parole'. 

Hildemarque  le  reçut  avec  les  pliis  grands  hon- 
neurs ,  comme  un  évêqué  piersécuté  ;  Leodegarrùs  se 
livra  à  la  prédication,  et  les  habitants  de  Fécamp, 
lés  ^peuples  de  la  contrée  j' accouraient  à  sa  voix, 
étonnés  de  l'entendre  parler  avec  tant  de  facilité 
après  l'indigne  traitement  dont  il  avait  été  l'objet. 

Comme  tout  cet  éclat  et  ces  bons  'procédés 
h'entraient  pas  dans  les  vues  d'Ebroïn ,  Léger  fut 
enlevé,  de  nuit,  par  les  satellites  du  tyran,  et  con- 
duit dans  un  bois,  auprès  d'Arras ,  où  il  eut  la  tête 
tranchée;  ' '  '  ' 

La  prison  qui  reçut  sainlt  Léger  à  Fécàmp  devint 
tïn  lieu  conisâcré  et  voué  au  respect  des  chrétiens; 
et  nous  verrons  plus  tard  lësliabitànts  de  cette  vitte 
placer,  soUs  son  patronage,  une  église  qu'ils  élève- 
ront sur  le  lieu  le  plus  rapproché  de  sa  prison. 


•ém-r- 


'  Acta  sancti  Leod.,  cap.  S,  9, 10,  11 ,  12. 


(45) 

Sainte  Ilildemarche ,  la  première  abbesse  de  Fé- 
camp,  momrut  eu  675.  U  est  fâcheux  qu'on  ne 
connaisse  pas  le  nom  de  celles  qui  lui  ont  succédé  ; 
l'histoire  locale  ne  peut  que  perdre  beaucoup  de 
cette  malheureuse  lacune  '. 

Waneuck ,  ayant  tout*à-fait  abandonné  la  cour  ^ 
passe  le  reste  de  ses  jours  dans  la  méditation^  et 
donne  tous  ses  biens  à  l'abbaye  de  Fécamp  ;  lui-même 
quitte  son  château  pour  se  ranger  parmi  les  servi- 
teurs de  la  communauté  ^  en  se  soumettant  à  la  règle, 
comme  les  serfs  qui  s'y  livraient  aux  ouvrages  les 
plus  vils;  enfin,  il  mourut  en  686^  et  fut  inhumé 
dans  le  monastère  avec  les  plus  grands  honneurs. 

Au  milieu  de  la  confusion  qui  règne  dans  Thistoire 
de  ces  temps  reculés,  on  est  heureux  de  rencontrer, 
dans  la  vie  de  saint  Vandrilie,  la  preuve  que  la  ville 
naissante  de  Fécamp  avait  alors  une  certaine  impor-  * 
tance,  possédait  un  château  fort  avec  des  maisons 
d'habitation,  des  prisons;  qu'elle  était  devenue  le 
séjour  ordinaire  des  gouverneurs  du  pays  de  Caux, 
et  recevait  souvent  lu  visite  des  fils  de  Merowig. 

Wanenck  ayant  fait  don  du  monastère  de  Fécamp 
à  celui  de  saint  Yandrille,  ce  premier  se  trouva  ainsi 
placé  sous  la  direction  des  religieux  de  Fontenelle. 
Cet  airangement  fut  supportable  tant  que  les  pieux 
abbés  Lambert,  Hilbert ,  Bain^  Bénigne  ,  Hugues  et 

.'  Gétii.  ek. ,  tom.  U  :  «  Mimas,  fisean,  » 


(  46  ) 

Landon  eurent  le  gouvernement  dé  cette  abbaye,  et 
la  rendirent  florissante  par  l'éclat  de  leurs  vertus. 

Karle  ou  Charles-Martel ,  maire  du  palais ,  pré- 
voyant la  chute  des  rois  de  la  première  race ,  et  les 
chances  que  sa  famille  avait  de  monter  sur  le  trône 
des  Franks ,  s'empressa  de  réunir  autour  de  lui  de 
nombreux  compagnons,  gens  de  cœur  et  des  rça- 
source.  Comme,  à  cette  époque,  on  n'achetait 
ces  dévouements  qu'avec  les  propriétés  du  fisc ,  qui 
étaient  données  temporairement,  à  titre  de  bénéfice 
militaire ,  Karle-Martel ,  ayant  épuisé  tout  le  fonds 
du  domaine  royal,  jeta  les  yeux  sur  les  biens  des 
communautés,  et,  pour  a'ea  emparer  plus  sûrement, 
les  abbayes  furent  donnéesypour  la  première  fois,  à 
des  Franks,  tous  chefs  de  guerre  qui  lui  étaient  dé- 
voués. Teutsinde,  successeur  de  Landon,  abbé  de 
Fontenelle,  fut  du  nombre  de  ces  derniers,  et  prit 
possession  du  monastère  avec  une  troupe  de  soldats 
qui  remplacèrent  les  moines.  Teutsinde  était  un 
homme  qui  ne  s'occupait  que  de  chasse,  et  emplissait 
l'abbaye  de  chiens  et  de  chevaux.  Il  en  dissipe 
en  peu  de  temps  tous  les  revenus ,  et  dépouille  Fon- 
tenelle des  trois  quarts  de  ses  propriétés  ,  qu'il  aliène 
en  faveur  de  ses  parents  et  d'hommes  de  la  cour;  il 
donne  au  seul  comte  Rhother  vingt-neuf  métairies , 
avec  leurs  dépendances  ' . 


'  GalL  ch,,  tom.  U  :  «  Fontan.  Mon.  » 


(47) 

"Gui,  digne  successeur  de  Teutsinde^  suit  ses 
traces;  vient  ensuite  Raingefroy,  déposé  pour  ses 
déprédations  en  'j^^. 

On  voit  en  quelles  mains  étaient  tombées  les  reli- 
gieuses de  Fécamp  y  et  on  pense  bien  que  leurs  pos- 
sessions ne  furent  pas  plus  épargnées  que  celles  de 
Fontaielle,  auxquelles. elles  étaient  annexées. 

L'usurpation  de  Karle-Martel  étant  consommée , 
son  fils  Peppin-le-Bref  lui  succède  en  qualité  de  duc 
des  Franks,,et  s'empare  du  pouvoir  suprême.  Chil- 
derick  est  rasé  et  renfermé  dans  le  monastère  de 
Saint-Bertin.  Son  fils  Tliéoderik  est  envoyé  à  la 
garde  de  Vicolaik,  abbé  titulaire  de  Fontenelle  et 
de  Fécamp.  Les  mystères  de  ces  deux  cloîtres  con- 
naissent seuls  la'  vie  et  la  fin  de  ce  dernier  descen- 
dant de  Mérowig. 


FÉCAMP 

sous    LA    DYNASTIE    KARLOVINGIEirNE. 

Pendant  qi^e  toutes  ces  choses  se  passaient,  et 
pour  s'assurer  tout-à-fait  la  soumission  du  clergé  de 
Normandie,  Peppin  fait  nommer  son  frère  Rémi , 
archevêque  de  Rouen  ;  il  se  rend  ensuite  dans  le  pays 
des  Calètes,  visite  les  monastères  de  Junnéges,  de 


(48) 

Fécamp  et  Fontenelle  y  prie  sur  le  tombeau  de  saint 
Vandrille,  fait  des  largesses  à  l'abbaye  de  ce  i^om, 
pour  construire  la  basilique  de  Saint-Pierre ,  et  ob- 
tient en  écliange ,  de  Fabbé  Yicolaik^  de  nouvelles 
terres  en  faveur  de  ses  fidèles. 

Enfin,  ce  prince  meurt  en  768;  il  avait  témoigné 
le  désir  d'être  enterré  à  Saint-Denis,  la  face  contre 
terre,  en  expiation  des  torts  ^yue  lui  et  son  père 
avaient  faits  au  clergé.  Voilà  ^oute  la  satisfaction 
qu'obtinrent  Fécamp  et  Saint-Vandrille ,  en  échange 
des  beaux  domaines  dont  ils  avaient  été  dépossédés. 

On  ne  voit  pas  que  le  règne  de  Karle-le-Grand 
(Charlemagne)  ait  eu  quelque  influence  sur  les  des- 
tinées de  Fécamp.  Cependant,  cette  ville  dut  recevoir 
de  son  temps  un  certain  accroissement,  s'il  l'on  en 
juge  par  les  médailles  de  ce  prince  qui  ont  été  trou- 
vées sur  plusieurs  points  de  la  ville.  Karlepasse  trente- 
trois  ans  de  sa  vie  à  lutter  contre  les  Saxons ,  qu'il  veut 
convertir,  et  qui  préfèrent,  après  de  nombreuses 
défaites,  se  retirer,  avec  leurs  familles  et  leurs  dieux, 
dans  les  glaces  du  Nord.  C'est  de  ce  point  que  nous 
les  voyons  braver  le  grand  empereur  et  lancer  des 
expéditions  qui  viennent  attaquer  les  côtes  occiden- 
tales de  ses  vastes  états ,  préludant  à  la  rude  ven- 
geance qu'ils  tireront  un  jour  de  ceux  qui  ont  voulu 
leur  imposer  leurs  lois  et  leurs  croyances. 

Une  flotte  de  Normands  passe  devant  Fécamp 
en  808 ,  traverse  la  Manche  et  se  dirige  sur  les  cotes 


(49) 

de  r Aquitaine  *.  Karle-le-Grand  prend  alors  la  réso- 
lution de  fortifier  tous  les  ports  de  TOcéan  ;  il  visite , 
à  cet  effets  ceux  de  la  Manche,  depuis  Boulogne 
jusqu'à  la  Seine*,  organise  les  riverains  en  milice, 
oblige  les  chefs  franks  de  se  mettre  à  leur  tête  pour 
faire  face  à  l'ennemi  ;  il  place  des  vaisseaux  armés 
à  Tembouchure  des  grands  fleuves  et  des  rivières 
navigables  ^  ;  les  côtes  se  couvrent  de  corps-de-garde 
et  de  petits  forts,  dont  on  n'a  pas  encore  reconnu 
les  vestiges. 

Non  content  de  ces  dispositions,  Karle  nomme 
plusieurs  èomtes  qui  sont  chargés  de  les  mettre  à 
exécution.  Il  y  a  un  comte  des  rives  de  la  Manche  , 
un  comte  de  la  rive  britannique;  toutes  les  mesures 
militaires  sont  dans  les  attributions  de  ces  hauts  fonc- 
tionnaires de  l'empire  ^.  Voulant  ensuite  connaître 
tout  ce  qui  se  passait,  et  ne  pouvant  tout  voir  parlui- 
mcme,  il  nomme  d'autres  fontionnaires  appelés  missi 
dominiciy  qui  sont  chargés  de  l'inspection  supérieure 
des  différentes  parties  de  l'administration.  Des 
évêques ,  toujours  considérés  comme  les  hommes  les 
plus  capables  de  l'époque ,  sont  ordinairement  placés 
à  la  tête  de  ces  missions  ;  et ,  qu'on  n'en  soit  pas 


<  Vita  Lud.  PU. 

•  Honach.  Sangal ,  lib.  n,  cap.  2. 

^  Egin. ,  in  Jnn.  et  in  Fit.  Caro,  mag. 

«  Egin. ,  ibid. 

4 


l    30    ) 

surpris  j  car  les  ëvêques  étaient  souvent  obligés  de 
ceindre  Fépée  pour  défendre  leurs  possessions  et  les 
droits  des  peuples  confiés  à  leur  garde.  Les  missi 
dominici  faisaient  leurs  tournées  quand  ils  en  rece- 
vaient l'ordre  du  souverain ,  et  lui  adressaient  direc- 
tement leurs  rapports. 

L'archevêque  de  Rouen  Magénard  fut  le  nUssus 
dominicus  de  Charlemagne  j  et  c'est  en  cette  qualité 
qu'il  visita  plusieurs  fois  les  côtes  de  Fécamp  et  les 
autres  points  maritimes  du  pays  de  Caux. 

Lodewig-  (Louis)  le-Débonnaire ,  ayant  succédé  à 
Karle-le-Crand,  son  père,  s'occupa  beaucoup  de  la 
réforme  de  l'église.  Il  mit  à  la  tête  du  monastère  de 
Fontenelle  Eginard,  qui  s'étudia  ,  par  sa  bonne 
administration  y  à  réparer  les  maux  causés  par  les 
abbés  y  très  peu  réguliers,  ses  prédécesseurs. 

Les  pirates  croisant  toujours  en  vue  des  côtes, 
l'archevêque  de  Rouen ,  Hilbert ,  fît  une  nouvelle 
tournée  de  missus  dominicus  sur  les  rives  mari- 
times de  son  diocèse  '.  Dans  la  même  année,  An- 
ségise  fut  appelé  au  gouvernement  de  Fontenelle , 
et,  par  son  testament,  portant  la  date  de  83i ,  il 
distribua  ses  biens  aux  monastères  ;  presque  tous 
ceux  de  la  province  sont  cités  dans  cette  pièce  : 
l'omission  de  Fontenelle  et  de  Fécamp  prouve  que, 


»  Ex  Cap.  reg.  Franc. ,  tom.  I ,  coll.  641. 


(5,  ) 

de  son  vivant ,  ces  maisons,  qu'il  dirigeait ,  avaient 
ëté  l'objet  de  sa  sollicitude  et  de  ses  pieuses  libéra- 
lités. 

Lodewig-le-Débonnaire ,  qui  avait  été  constam- 
ment en  guerre  avec  ses  fils  ,  mourut  en  84o.  Karle- 
le- Chauve  lui  succéda;   il   serait  trop  long  de  rap- 
porter les  difficultés  dont  la  mort  de  Lodewig  fut 
la  cause  ou   le  prétexte  ,  difficultés  provenant  du 
désir  de  prééminence  et  des  intérêts  des  différentes 
races  germaniques,  que  l'érection  de  l'empire  avait 
de  nouveau  versées  sur  la  Gaule ,  et  que  l'on  a  attri- 
buées  à  tort  à  la  division  des  états  de  Charlemagne 
entre   ses   petits-fils.  Toujours   est-il  que  toute  la 
population  militaire  ,  neustrienne ,   franke ,    bour- 
guignone  était  sous  les  armes,  et,   qu'en  84 1  ^  ce 
grand  duel  entre  peuples   se  vida  dans  les  champs 
de  Fontenai ,  près  d'Auxerre ,  où  l'élite  de  la  race 
germanique ,  acharnée   à  sa  perte  ,  fut  presque  en* 
tièrement  anéantie ,  aux  yeux  des  Gallo-Romains , 
qui  n'étaient  peut-être  pas  fâchés  de  voir  leurs  vain- 
queurs se  détruisant  les  uns  les  autres ,  en  présence 
de  trois  rois  attentifs  à  regarder  de  quel  côté  tour- 
nerait la  fortune. 

A  la  suite  de  ces  commotions  et  «^  la  prière  de 
l'archevêque  Rikulphe  ,  Karle-le-Chauve ,  l'un  des 
heureux  de  Fontenai ,  confirma  par  une  charte  tous 
les  biens  de  la  cathédrale  de  Rouen.  Parmi  les  pro- 
priétés citées  dans  cet  acte,  on  trouve  \es  fontaines 


(5«) 

situées  sur  la  rivière  de  Fécamp  ;  «  Fontanas  super 
flui>ium  Fiscannum^.n  Ces  fontaines  ne  peuvent 
être  que  celles  de  l'Épinai ,  revenues  au  monastère 
de  Fécamp ,  après  la   conquête  des  Normands. 

Malgré  les  fréquentes  missions  des  employés  du 
roi  y  il  parait  que  les  côtes  étaient  dans  un  faible 
état  de  défense ,  et  que  les  agitations  du  pays  n'avaient 
pas  permis  de  suivre  les  plans  de  Charlemagne;  car, 
un  mois  après  la  bataille  de  Fonteuai,  à  la  suite 
d'une  nuit  commencée  dans  le  plus  grand  calme , 
il  n'y  eut  pas  un  habitant  cle  Fécamp  qui ,  eu  se 
réveillant ,  ne  trouvât  à  sa  porte  un  pirate  danois, 
la  torche  et  le  poignard  à  la  main  *. 

Une  flottille  de  barques  normandes  était  entrée 
furtivement  dans  le  port.  Tout  dans  la  ville  est  mis 
à  feu  et  à  sang;  ceux  qui  parviennent  à  se  sauver 
abandonnent  à  l'ennemi  ce  qu'ils  ont  de  plus  pré- 
cieux; quelques  religieuses  se  jettent  dans  les  bois, 
emportant  des  reliques  de  saints ,  qu'elles  regar- 
dent comme  leur  sauvegarde  la  plus  sûre.  Celles 
pour  qui  toute  retraite  est  impossible ,  ou  qu'un 
excès  d'amour  pour  le  saint  lieu  retient  à  leur  poste, 
se  disposent  à  faire  bonne  contenance.  L'abbesse, 
transportée  d'une  pieuse  exaltation,  raffermit  leur 
courage  et  les  prépare  à  mourir  en  dignes  servantes 


'  Apad  Sammart. 

•  Lib.  Fondai,  fisc,  ^  Roman  de  Bou. 


(53) 

d^  Jésus-Christ.  Le  danger  devenant  de  plus  en  plus 
imminent  y  ces  saintes  filles,  tourmentées  par  l'idée 
des  outrages  qui  les  attendent,  prennent  toutes  le 
parti  de  se  couper  le  nez  et  les  lèvres  ;  ce  qu'elles 
exécutent  avec  un  courage  sans  pareil.  Ainsi  mutilées, 
elles  deviennent  plutôt  un  objet  d'horreur  que  de 
convoitise. 

Une  pareille  résolution  porta  ses  fruits;  car  les  Da- 
nois ,  trompés  dans  leurs  espérances ,  et  irrités  de  les 
trouver  en  cet  état,  les  massacrèrent  impitoyablement 
devant  les  autels  qu'elles  embrassaient,  et,  tout  cou- 
verts de  sang,  ces  hommes  sans  pitié  se  répan- 
dirent comme  un  torrent  jusque  dans-  les  lieux  tes 
plus  secrets  du  monastère  ,  oii  ils  donnèrent  cours 
à  leur  fureur  de  pillage  et  de  destruction  :  vases 
d'or  et  d'argent ,  ornements  d'église ,  pierres  pré- 
cieuses, linges,  meubles,  vêtements  de  femmes, 
tout  fut  mis  en  tas ,  partagé  par  ces  pillards  ,  et 
transporté  à  bord  des  chalans  ou  bateaux  de  charge 
qui  suivaient  leurs  pirogues.  Ils  auraient  emporté 
le  monastère  lui-même ,  s'ils  avaient  pu  l'enlever 
comme  un  reliquaire  de  saint.  Ils  se  contentèrent 
de  l'incendier  et  de  le  renverser  de  fond  en  comble. 
Ainsi ,  de  tant  de  beaux  çdifices  qui  devaient  être  des 
monuments  étemels  de  la  piété  de  Wanenck ,  il  ne 
resta  que  de  grandes  et  tristes  ruines  ;  encore  ne 
tardèrent-elles  pas  à  être  ensevelies  sous  les  ronces 
et  les  herbes  de  la  forêt. 


(  54) 

Quant  aux  religieuses  qui  parvinrent  à  prendre 
la  fuite ,  quelques-unes  se  rendirent  en  Picardie  , 
et  déposèrent  à  Ham  le  corps  de  saint  Yanenck , 
qu'elles  avaient  soustrait  au  pillage  de  la  commu- 
nauté'. Le  peu  d'habitants  de  Féc,amp  qui  échap- 
pèrent à  la  mort ,  n'osèrent  plus  revenir  sur  le  lieu 
oïl  ils  avaient  été  si  maltraités,  tant  la  crainte  d'une 
nouvelle  surprise  effrayait  les  esprits.  Tous  les  ri- 
verains s'étaient  généralement  retirés  vers  Tnitériéur, 
de  sorte  que  les  bords  de  la  mer  et  des.  fleuves 
n'étaient  plus  occupés  que  par  quelques  rares  ha- 
bitants 9  toujours  sur  le  qui-vive ,  et  prêts  à  fuir  au 
premier  signal. 

Les  flottes  des  pirates  se  présentèrent  de.  nouveau 
devant  le  port  de  Fécamp  ,  avant  d'entrer  en  Seine, 
pendant  les  années  843  ,  845  «  85o  et  862.  Dans 
cette  dernière  invasion,  le  monastère  de  Fontenelle, 
qui  s'était  toujours  racheté  à  prix  d'argent,  fui  tota- 
lement incendié.  Le  comte  Wulfrand,  gouverneur 
de  Fécamp  et  du  pays  de  Caux,  réunit. à  la  hâte 
quelques  troupes  pour  les  opposer  aux  Normands; 
mais  leurs  efforts  furent  inutiles  ,  et  les  barques  de 
l'ennemi,  transp(H*tant  les  dépouilles  de  nôspèi}e9^|paisr 
salent  aussi  librement  que  si  elles  fussent  sorties  ide 
leurs  ports ,  chargées  de  biens  légitimement  acquis* 


'  Manuscrit  de  Ham. 


(  55) 

11  semble  qu'on  veuille  encore  une  fois  redoubler 
d'énergie  et  d'activité,  car  les  envoyés  du  roi  re- 
çoivent l'ordre  de  recommencer  leurs  tournées,  et 
de  visiter  les  lieux  détruits  par  les  Normands^ 
afin  de  les  feare  réparer  '.  Paul,  archevêque  de 
Rouen  ,  et  l'évêque  Hilmerade ,  accompagnés  des 
laïques  Herlouin  et  Hungaire,  suivent  les  bords  de 
la  Seine,  visitent  Jumièges,  la  vallée  où  avait  été 
Fécamp,  son  château  fort  et  «on  abbaye ,  parcourent 
les  côtes  du  pays  de  Caux ,  du  Yexin ,  et  se  rendent 
ensuite  dans  le  Talou ,  le  Pontieu ,  le  Yimeu  et  le 
pays  d'Amiens. 

£n  même  temps,  par  son  édit  de  Pistres,  Karle 
engage  les  habitants  de  la  rive  maritime ,  qui  avaient 
pris  la  fîiite,  à  rentrer  dans  leur  pays,  et,  comme 
encouragement ,  les  exempte  de  payer  aucun  cens  à 
l'état.  Les  seigneurs franks ,  de  leur  côté,  sont  obli- 
gés d'élever  de  pietites  forteresses  tifirmitates  »  sur 
leiir^  terres;  éeux  qui  négligeraient  de  remplir  ce 
devoir,  seiront  déférés  à  son  tribunal  par  ses  comtes 
et  ses  envoyés.  Enfin ,  pour  faire  face  à  toutes  les 
éventualités ,  à  l'obligation  même  d'acheter  la  paix 
des  Normands,  s'ils  se  présentaient  de  nouveau,  il 
prélève  un  impôt  sur  tous»  les  grands  du  royaume. 
Chaque  éomte  et  abbé  doit  fournir  douze  deniers , 


■  Zx  Çap.  reg.  Franc,  ^  tom.  I.  —  GaU,  chr.  :  «  EceLràth,  » 


(  5r>) 

les  évêques  et  les  prêtres  sont  assujettis  à  une  taxe, 
à  raison  de  leurs  dignités. 

La  réapparition  subite  des  pirates,  qui  s'introdui- 
sirent  dans  le  cœur  du  pays,  et  un  changement  de 
politique,  vinrent  rendre  tous  ces  préparatifs  inu- 
tiles. Karle-le-Simple,  ayant  besoin  d'alliés  contre 
le  nouveau  parti  français ,  qui  tendait  à  déposséder 
les  fils  de  Charlemagne ,  accusés  de  tenir  de  trop 
près  aux  intérêts  germaniques,  prit  la  résolution  de 
s'accommoder  avec  les  INorihands ,  qu'il  regardait 
comme  de  puissants  auxiliaires;  et,  par  son  traité 
de  Saint-Clair-sur-Epte,  en  912,  il  abandonna  à 
leur  chef  Rolf  ou  Rollon ,  à  titre  de  fief  relevant  de 
sa  couronne,  et  à  condition  qu'il  se  ferait  chrétien, 
la  partie  du  royaume  des  Franks-Neustriens,  connue, 
depuis  cette  époque,  sous  le  nom  de  Normandie. 
Ainsi,  voilà  encore  une  fois  la  capitale  et  tout  le  pays 
des  Calètes  livrés  aux  barbares ,  et  le  monde  romain 
errant  et  dispersé,  après  avoir  inutilement  éclairé 
des  maîtres  faibles  et  turbulents,  qui  ne  surent  seule- 
ment pas  le  défendre  au  moment  du  danger. 

Tous  les  historiens  des  Normands,  leurs  Saga  et 
les  anciennes  traditions,  nous  les  représentent  comme 
des  liommes  de  mer  très  courageux,  braves  jusqu'à 
la  témérité ,  et  .d'une  imagination  vive  et  colorée.  Le 
culte  anodin,  transporté  de  l'Asie  au  milieu  d'eux, 
se  prêtait  merveilleusement  à  exalter  leurs  idées  aven- 
tureuses et  guerrières ,  et ,  comme  il  les  mettait  sans 


(5?) 

cesse  en  rapport  avec  des  esprits  aériens  j  les  appari-^ 
lions  de  fées,  de  géants  et  de  nains,  devaient  vivement 
occuper  des  hommes  que  rien  ne  venait  distraire 
dans  leurs  rochers,  au  milieu  des  lacs  et  des  mon- 
tagnes. Nous  verrons  l'influence  de  ce  caractère  se 
conserver  long-temps  où  ils  séjourneront ,  et  le  chris- 
tianisme aura  peine  à  faire  disparaître  entièrement 
certains  restes  de  croyances  à  des  faits  surnaturels 
qu'H  proscrit. 

Les  Scandinaves  croyaient  à  une  autre  vie ,  mais , 
chez  eux,  il  y  avait  plusieurs  dégrés  de  béatitude; 
ceux  qui  )>érissaieQt  dans  le  combat ,  étaient  les  mieux 
partagés,  et  avaient  seuls  le  privilège  d'être  admis 
dans  le  paradis  d'Odin  :  voilà  ce  qui  les  rendait  si 
entreprenants  à  la  guerre  et  si  insouciants  de  la  vie.* 

La  même  religion  prescrivait  aussi  de  brûler  les^ 
morts,  de  déposer  leurs  cendres  dans  la  terre,  ou  de 
les  jeter  dans  la  mer;  ce  qui  prouve  que  la  mytho- 
\ogie  paeinne  était  parvenue  dans  leui*8  rochers.  Car 
Odin,  cheK  eux,  n'était  autre  que  le  Jupiter  des 
autres  nations. 

Nous  avons  été  obligé  d'entrer  dans  ces  détails, 
pensant  qu'il  est  utile  de  connaître  les  hommes  tels 
qu'ils  sont,  pour  juger  jusqu'à  quel  point  l'amalgame 
de  races ,  d'habitudes  différentes ,  change  l'esprit  des 
aations  et  les  conduit  souvent ,  par  des  voies  incon- 
nues, à  de  grandes  et  belles  destinées. 


f   0 


(M) 

FÉCAMP 

sous  LES  JDUCS  DE  ITORMANBIE. 

De  91 3  à  i2o4- 


ROLF  ET  WILHIALM  I 

(eOLLON  et  GUILLAUME  LONGUE- ^PEe). 


.  C'en  était  fait  de  la  civilisation,  si  l'esprit  conser- 
vateur des  cloîtres  n'était  encore  venu  se  jeter  au 
milieU:  des  barbares ,  pour  arrêter  le  mouvement  de 
destruction  qui  entraînait  tout  dans  l'abîme.  Comme 
Rémi,  qui  avait  sauvé  la  Gaule  de  la  fureur  des 
bandas  de  ^Çhlotwig,  Frankon  ,  l'archevêque  de 
Rouen,  se  dévoue  pour  son  troupeau;  il  trouve 
l^çureusement,  dans  l'Attila  normand,  un  esprit  assez 
élevé  pour  comprendre  qu'un  chef  de  pirates  a 
moins  d'avantage  ;  à  détruire  un  pays  riche  qu'à 
L'administrer  avec  sf^gesse  ,  et  que  le  christianisme, 
di^3  la  voi;e  duquel  il  est  entré,  n'admet  pas  de 
gouvernement  sans  ordre  et  sans  justice. 

Pour  donner  un  aliment  à  l'impatience ,  à  la 
cupidité  de  ses  hommes ,  qui  le  pressaient  de  toute 
part,  Rolf  leur  désigna,  à  la  hâte  et  verbalement. 


(59) 

dit  Guillaume  de  Jumiéges,  des  terres  sur  le  toi  de 
la  Normandie.  Ce  partage  ne  fut  pas  aussi  dffîcile 
qu'on  pourrait  le  supposer ,  puisque  les  grandes  pos- 
sessions, les  fîefs  des  seigneurs  franks ,  qu'on  allait 
dépouiller,  formaient  déjà  des  divisions  territoriales 
toutes  faites.  Ces  domaines,  il  est  vrai,  n'étaient 
pas  cultivés  depuis  long-temps  ;  mais  les  bois  exis- 
taient toujours  avec  leurs  limites  naturelles ,  et  les 
démarcations  des  propriétés  n'avaient  pas  été  tota- 
lement efTacées  du  sol.  Aussi  Rolf ,  sans  quitter  sa 
capitale,  eut  la  possibilité  de  faire  un  premier  par- 
tage à  ses  hommes  ,  qui  devinrent  ,  selon  leurs 
rangs,  la  souche  des  grandes  familles  normandes 
dont  le  nom  s'est  perpétué  jusqu'à  nos  jours. 

Ce  chef,  comme  on  le  pense  bien ,  se  .fit  une 
lange  part  dans  ta  distribution.  Fécamp  ,  en  éa  qua- 
lité de  ville  maritime  et  principale  du  pays  deiCaux, 
sou  territoire,  ses  bois ,  ses  prairies  ,  tout  fit  partie 
du. lot  du  prince,  sauf  quelques  portions  de  terre, 
^.petits  nianoirs  concédés  à. ses  fidèles '.    ,. 

Ainsi ,  le  chef  de  mer  Baillol  eut  plusieurs  fermes 
dans  la  vallée  de  Féca^ip. 

Ëstpld ,  son  compagnon ,  posséda  les  d^rres  de 
Valmont ,  des  I^oges ,  et  de  beaucoup  d'autres  lieux 
du  pays  de  Caux ,  et  devint  la  souche  de  la  puis- 
sante famille  ffEstoutevilIe.'       ' 


\\ ■  ■■.■'!■         ■  ■  ■  ■     "  '         T 


Cartulaire  de  FécanIpJ     ' 


(6o) 

Baldwin  eut  un  manoir  situé  dans  le  Burgus  j  ou 
fort  romain  ' ,  qui  a  depuis  porté  le  nom  de  Bourgs 
Baudouin. 

L'aïeul  de  Gerald  de  Tancarville,  se  nommant 
peut-être  Tankar,  eut  une  portion  de  bois  sur  le 
territoire  de  Fécamp  *. 

Ganze ville  devint  le  partage  d'Odon,  fils  de  God- 
frid. , 

Kighel,  parent  de  Rolf ^  eut  une  terre  près  de 
Fécamp  et  quelques  maisons  dans  la  ville.  Le  Bec- 
aux-Cauchois  tomba  dans  le  lot  du  pirate  Tursting. 

Le  chef  norwégien  Ansgoth  devint  propriétaire 
de  la  terre  de  Baunay. 

Rodbert  eut  le  manoir  d'Ecrette ville,  etGaulfrid, 
celui  de  Cuverville. 

Serlon  posséda  les  Hogues ,  et  Wilhialm ,  Saint- 
Martin. 

Un  autre  Wilhialm ,  surnommé  Dent-Dure,  «rf^/fj 
duras»  j  eut  des  propriétés  dans  la  vallée  de  Cany ,  et 
ce  surnom  en  est  resté  à  la  rivière  voisine,  qu'on 
aippelle  encore  la  Duredent. 

Les  petites  colonies  saxonnes  de  Sassetot  et  de 
SenneviUe ,  échurent  aussi  à  des  ciiefs  normands  : 


■  Les  petits  forts  construits  sar  la  fin  de  Tempire ,  s*appelaient 
des  burgi ,  selon  Végèce.  DIoclétien  couvre  les  frontières  de  i*éni- 
pire  de  castdla  et  de  burgi.  —  Zozim. ,  in  Dioclet,  Vit, 

*  Gartolaires  de  Fécamp  et  de  Saint-Georges. 


(6i  ) 

Wilhialm,  surnommé  Mauconduit,  ^male  conduc" 
tus  »,  eut  Sassetot,  qui  ajouta  à  son  nom  celui  de  son 
nouveau  possesseur^  le  pirate  Godfrid^  ûls  d'Odon, 
s'empara  du  Mesnil  de  Senneville. 

D'autres  chefs  secondaires  eurent  des  parts  plus 
faibles  :  Berliard,  fils  deSalvanon,  Godhcr,  Viger, 
Ours,  Andgher,  Rodbert,  Asselin,  Hilbert,  Waltier, 
Turmoth,  Umfrild,  devinrent  tous  propriétaires  de 
terres  et  de  maisons  dans  Fécamp  et  les  environs. 

Le  reste  des  pirates  se  classa  selon  son  rang,  ses 
goûts  et  ses  capacités;  les  uns  continuèrent  la  pro- 
fession des  armes  et  s'enfermèrent  dans  des  châteaux; 
d  autres  devinrent  cultivateurs  et  se  répandirent  dans 
l'intérieur  des  terres  ;  la  majeure  partie,  ne  pouvant 
abandonner  la  carrière  aventureuse  de  la  mer,  habita 
les  côtes ,  les  bords  de  la  Seine ,  et ,  se  joignant  aux 
Saxon$  précédemment  fixés  sur  nos  rives,  forma  les 
populations  maritimes  des  Dalles,  de  Saint-Pierre- 
en-Port,  de  Fécamp,  d'Yport,  d'Etrétat,  de  Har- 
fleur  et  de  Quillebœuf. 

Tel  fut .  à  peu  près ,  l'arrangement  qui  eut  lieu  aux 
environs  de  Fécamp;  on  pense  bien  que  les  Gallo- 
Romains  dispersés,  se  réunissant  de  nouveau,  après  le 
traité  de  cession ,  furent  bien  surpris ,  eux  policés  et 
formés  aux  belles  traditions  de  l'empire,  de  voir  tous 
ces  hommes  de  mer,  tous  ces  grands  seigneurs  en 
casaques,  aux  noms  barbares  et  souvent  tirés  de  la 
difformité  de  leurs  personnes,  s'établir  au  milieu 


(6a) 

d'eux  y  y  construire  des  forteresses  pour  s'y  maihte- 
nir ,  et  leur  imposer  le  joug  d'une  lourde  servitude. 
Alors  y  comme  toujours,  la  force  brutale  dut,  à  la 
longue,  céder  à  l'adresse  et  aux  lumières,  et  les 
Normands  ne  tardèrent  pas  à  s'apercevoir  qu'ils 
étaient  devenus  les  serviteurs  de  leurs  esclaves.  Le 
clxristianisme  vint  encore  une  fois  en  aide  à  la  civi- 
lisation ;  il  n'était  occupé  qu'à  renouer  les  fils  so- 
ciaux'que  la  barbarie  rompait  sans  cesse. 

927.  Rolf ,  comme  tous  les  hommes  qui  veulent  fonder 
une  dynastie ,  prévoyant  les  embûches  qui  lui  se- 
raient tendues  du  côté  de  la  France ,  résolut ,  après 
quelques  années  de  gouvernement,  d'abdiquer  le 
pouvoir  et  de  faire  réconnaître  son  fils  Wilhialm 
Longue-Épée  ,  en  qualité  de  duc  des  Normands. 
Transition  toujours  assez  difficile  dans  un  état  nou- 
vellement  constitué. 

Ce  dernier,  pour  consolider  la  politique  de  son 
père ,  met  des  garnisons  dans  les  forteresses  qui  se 
trouvent  sur  les  frontières ,  et ,  sentant  la  nécessité 
d'établir,  près  de  la  mer ,  une  place  forte  ,  dans 
le  lieu  le  plus  rapproché  de  sa  capitale  ,  soit  pour 
s'y  retirer  au  besoin,  soit  pour  y  entretenir  avec 
le  Danemarck  des  communications  qui  devenaient 

928.  chaque  jour  plus  actives,  il  jette  les  yeux  sur  Fécamp', 


*  Lib.  Fond,  fiscan  ,  cap.  10. 


(63) 

se  rend  dans  cette  localité ,   et  donne  l'ordre  d'y 
élever  une  forteresse  ;  il  en  choisit  lui-même  l'em- 
placement à  l'endroit  où  Wanenck  et  les  gouverneurs 
franks  du  pays  de  Caux  avaient  précédemment  leur 
demeure;    il  fait  élever   d abord   un    bâtiment  de 
forme  rectangulaire,  ayant  une  muraille  de  six  à 
huit  pieds  d'épaisseur,   soutenue  à  l'extérieur  par 
des  contreforts  en  solide  maçonnerie.  Aux  extrémités 
du  bâtiment ,  Wilhialm  place  deux  tours  carrées  : 
c'est  le  donjon  de  sa  forteresse ,  c'est  le  lieu  qu'il  se 
propose  d'habiter  ;  ensuite  il  fait  faire  une  nouvelle 
muraille ,  partant  des  deux  tours  de  ce  donjon ,  et 
renfermant  un  terrain  assez    vaste  pour  servir  de 
place  d'armes.  Cette  seconde  enceinte  est  flanquée 
de  fortes  tours,  pour  recevoir  les  hommes  de  la  gar- 
nison ,  et  l'on  communique  de  l'une  à  l'autre  par  des 
galeries,  ou  chemins  de  ronde ,  pratiqués  dans  l'épais- 
seur des  murailles,  qui  devaient  être  crénelées.  I^ 
tout  est  entouré   de  douves  profondes ,  qui  rece- 
vaient l'eau  du  canal  de  Ganzeville,  nommé  la  Foûte. 
\jSi  partie  de  cette  forteresse  ,  exposée  au  sud , 
est  encore  debout.  On  reconnaît  à  l'extérieur  le  don- 
jon de  Wilhialm ,  les  tours  mystérieuses  qu'il  habi- 
tait dans  ses  fréquents  voyages  à  Fécamp  ;  enfin , 
les  ti*aces  de  plusieurs  fenêtres  ceintrées ,  que  l'on 
remiarque  encore  ;   les  murailles  en  pierres  brutes 
portant  le  cachet  de  l'époque  ,  nous  font  considérer 
ce   qui  reste    de    ce  monument    comme   une   des 


(64) 

reliques  les  plus  précieuses  du  moyen-âge;  car  il 
est  probable  que  ce  fut  la  première  forteresse 
élevée  clans  la  Normandie  par  les  descendants  de 
RoUon ,  lequel    n'avait    eu  le   temps,  lui-même, 

m 

que  de  remettre  en  état  celles  qui  avaient  été  dé- 
truites dans  les  excursions  des  pirates  qui  l'avaient 
précédé. 

Pendant  que  Ton  construisait  cette  forteresse  avec 
toute  lactivité  que  stimulait  la  présence  de  Wilhialm 
les  ouvriers  trouvèrent,  à  peu  de  distance,  dans  le 
bois,  un  énorme  amas  de  pierres  taillées,  recouvertes 
de  ronces  et  d'herbes  sauvages.  Comme  il  leur  était 
plus  commode  d'utiliser  ces  pierres  que  d'en  aller 
chercher  au  loin ,  ils  s'en  servaient  pour  avancer 
leur  construction ,  lorsqu'ils  apprirent  qu'elles  pro- 
venaient d'un  monastère  célèbre ,  détruit  par 
les  Normands.  On  fit  part  de  cette  découverte  à 
Wilhialm,  qui  se  porta  sur  les  lieux,  examina 
tout  avec  intérêt,  et  défendit  aussitôt  d'employer  ces 
matériaux  ,  se  promettant  de  faire  rebâtir  une  nou- 
velle église  clans  F  enceinte  de  la  forteresse^.  Ces 
derniers  mots  sont  assez  remarquables ,  puisqu'ib 
prouvent  ce  que  nous  venons  de  dire ,  sur  le  déve- 
loppement primitif  du  château  de  Fécamp ,  opinion 
corroborée  par  le  témoignage  de  Baldrik ,  arche- 
vêque de  Dol ,  qui  qualifie  cette  forteresse  de  très 
noble.  Castrum  nobilissimum ,  et  qu'il  trouva  dé- 

>  Lib.  Fond.  fisc. 


(65) 

fendue  par  un  enceinte  de  fortes  murailles  '  ,  vers 
1 1  lo  ,  au  commencement  du  règne  de  Henri  I ,  et 
bien  avant  que  ce  prince  eût  fait  élever  ou  agrandir 
la  plupart  des  forteresses  de  la  Normandie. 

Wilhialm  Longue-Épée  n'oubliait  pas ,  au  milieu 
de  tant  de  prospérités  et  de  grandeurs ,  que  son 
élévation  portait  ombrage  aux  anciens  compagnons 
de  son  père  ,  qui  avaient  bien  voulu  le  reconnaître 
comme  chef  de  guerre ,  mais  qui  trouvaient  que  la 
haute  position  qu'il  avait  acquise  les  mettait  dans 
un  rang  bien  inférieur  au  sien  ,  et  ne  leur  laissait 
d'autre  alternative  que  de  vivre  soumis ,  ou  de  re- 
tourner d'où  ils  étaient  venus. 

Bien  informé  de  leurs  projets  de  révolte ,  dès  le 
temps  cil  il  avait  fait  fortifier  le  port  de  Fécamp, 
Wilhialm  prit  le  parti  de  mettre  dans  cette  place  un 
gouverneur  et  une  garnison  sûrs ,  et  de  leur  confier 
sa  femme  Sprota^  afin  d'être  à  portée  de  l'embar- 
quer pour  le  Damiemark  y  en  cas  de  revers  ;  il 
s'avança  ensuite  contre  les  révoltés,  et  les  battit 
complètement  dans  les  environs  de  Rouen.  Au  re- 
tour de  son  expédition ,  le  danois  Foukar,  gouver- 
neur du  château  de  Fécamp ,  lui  envoya  un  messager 
pour  lui  annoncer  que  sa  femme  Sprota ,  qui  portait 
dans  son  sein  l'espoir  et  la  fortune  de  la  dynastie 
normande ,  venait   de  mettre    au  monde   un   fils. 


*  «  ManitUsimis  ambitum  menibus.  »  —  Neustria  Pia ,  Litt.  Bald. 


(66) 

Wilhialm  Longue-Epée,  au  comble  de  la  joie,  se 
rendit  sur  les  lieux,  pénétra  dans  la  tour  où  reposait 
son  enfant,  le  combla  de  caresses ,  et  l'envoya  en  toute 
hâte  à  Bayeux ,  afin  qu'il  fût  baptisé  de  la  main  de 
Pévêque  Henri  et  qu'il  reçût  le  nom  de  Rikhard  '. 

Après  cette  cérémonie ,  on  le  renvoya  à  Fécamp , 
où  il  fut  nourri,  et  passa  les  huit  premières  années 
de  sa  vie. 

Je  cite  ici  la  version  de  Guillaume  de  Jumiéges  ; 
d'autres  prétendent  que  l'évêque  de  Bayetix  se  rendit 
lui-même  à  Fécamp,  et  c'est  l'opinion  la  plus  pro- 
bable ,  et  adoptée  par  les  auteurs  du  Gallia  chris- 
tiana^.  < 

On  pense  bien  que  Wilhialm,  après  avoir  af- 
fermi son  autorité  ducale ,  faisait  de  fréquents  voyages 
à  Fécamp  qui  possédait  des  objets  si  chers  à  son 
cœur;  cette  ville  devint,  sous  tous  les  rapports, 
l'objet  de  sa  sollicitude.  Les  affaires  de  l'État  lui 
donnant  ensuite  un  peu  de  loisir,  il  s'occupa  de 
bâtir  des  monastères,  et  de  relever  avec  un  luxe 
incroyable  les  antiques  églises  de  la  Normandie. 

On  est  vraiment  tout  surpris  de  voir  combien  il  a 
fallu  de  zèle  et  d'adresse  pour  amener  si  subitement 
les  peuples  du  Nord  au  christianisme ,  surtout  quand 
on  réfléchit  aux  brillantes  chimères  de  la  religion 


»  WilL  Gemet, ,  lib.  3 ,  cap.  12. 
»  Tom.  n  ;  Ehroic,  episc.  Hugo ,  1 . 


(67  ) 

d'Odin,  qu'ils  aimaient  jusqu'au  fanatisme.  Comment 
a-t-on  pu  faire  comprendre  le  christianisme  si  simple 
à  des  hommes  qui  ne  rêvaient  que  merveilles,  sciences 
occultes^  sortilèges  et  magie  ?  C'est  ici  qu'on  reconnaît 
le  tact  et  la  persévérance  des  moines ,  qui,  sachant 
plier  leurs  croyances  au  génie  des  peuples  barbares , 
faisaient  intervenir  les  prodiges ,  sous  le  nom  de  mi- 
racles, pour  leur  prouver  que  le  dieu  des  chrétiens 
n'était  pas  moins  puissant  que  leurs  dieux. 

La  ferveur  de  Wilhialm  étant  à  son  comble,  il  ^ 
donna  des  ordres  pour  qu'on  réédifiât  l'église  de 
l'ancien  monastère  de  Fécamp  :  les  ouvriers  se 
mettent  à  l'œuvre  ;  on  recherche  le  lieu  où  avait  existé 
l'autel  de  cette  église,  pour  y  placer  celui  de  la  nou- 
velle; tous  les  habftants  de  la  ville  prennent  part 
à  ce  travail,  sous  les  yeux  de  leur  prince.  Les  mu- 
railles étaient  élevées,  tout  l'édifice  était  préparé 
pour  recevoir  le  toit,  et  il  ne  s'agissait  que  de  le 
confectionner ,  opération  assez  difficile  pour  le  temps  ; 
on  se  disposait  à  faire  la  recherche  de  grands  arbres 
dans  la  forêt,  lorsqu'une  haute  marée  amena  dans 
le  port  de  Fécamp  des  poutres  et  des  sommiers 
enlevés  de  l'île  de  Saint-lVIarcouf '.  Ce  bois,  tout 
travaillé,  pouvant  être  employé  à  la  charpente  de 
l'église  de  Fécamp  ,  on  regarda   sa  venue  comme 


'  Lib.  Fond,  fiscan. ,  cap.  U. 


.         (  68  ) 

un  fait  prodigieux,  comme  un  miracle  enfin,  el 
c'est  ainsi  qu'on  présenta  cet  événement  à  Wilhiafan , 
en  lui  disant  que  la  charpente  de  l'église  était  ar- 
rivée toute  faite  ;  ce  prince,  au  comUe  de  ta  joie ,  n'en 
apporta  que  plus  de  zèle  pour  terminer  son  travail. 

Pendant  que  toutes  ces  choses  se  passaient,  les 
religieuses  de  Fécamp ,  réunies  sur  les  bords  de 
la  Somme,  y  avaient  toujours  vécu  dans  la  plus 
grande  régularité  ,  et  les  traditions  du  cloître 
s'étaient  perpétuées  au  milieu  d'elles.  Les  anciennes 
sœurs  n'existaient  plus  ,  il  est  vrai ,  mais  elles 
avaient  formé  des  novices ,  qui  continuaient  le  mo- 
nastère de  Fécamp,  dans  Tespérance  de  revoir  un 
jour  cette  terre  promise. 

Elles  n'eurent  pas  plutôt  appris  que  Wilhiaîra 
Longue-Epée  rétablissait  leur  monastère,  qu'elles 
s'empressèrent  de  députer  vers  lui,  pour  lui  demander 
d'y  être  introduites.  x\yant  obtenu  son  consen- 
tement, elles  rentrèrent  dans  le  nouvel  établisse- 
ment avec  les  archives ,  les  reliques ,  et  généralement 
tout  ce  qui  avait  appartenu  à  l'ancienne  commu- 
nauté. 

Ce  n'était  pas  peu  de  chose  que  de  recouvrer  de 
pareils  trésors,  car,  dit  Orderic  Vital,  au  milieu  des 
tempêtes  causées  par  l'arrivée  des  Normands ,  les 
écrits  des  anciens  périrent  dans  les  incendies  qui 
dévorèrent  les  églises  et  les  habitations.  Quelque 
insatiable  qu'ait  été  la  soif  d'étude  delà  jeunesse ,  elle 


(69) 

a'a  pu  recouvrer  ces  ouvrages  ;  quelques-uns ,  qui 
furent  sauvés  ,  périrent  par  l'insouciance  de  leurs 
successeurs'. 

Le  monastère  terminé,  les  religieuses,  introduites. , 
restait  à  faire  la  dédicace  de  l'église;  cette  céré^ 
monie  se  Élisait  alors  avec  la  plus  grande  solennité^ 
en  présence  du  prince  y  des  évêques  et  des  prin- 
cipaux seigneurs  de  la  province.  Il  y  eut  une  as- 
semblée préparatoire  à  Fécamp  j  pour  savoir  sous  le 
nom  de  quel  saint  elle  serait  dédiée;  et,  chacun 
ayant  émis  une  opinion,  on  était  loin  de  s'entendre, 
lorsqu'un  personnage  inconnu,  portant  une  longue 
barbe  blanche ,  entre  dans  le  sanctuaire ,  fait  sa  prière , 
dépose  quelque  chose  sur  l'autel,  monte  sur  une 
pierre,  s'élève  et  disparaît.  Ce  personnage  ne  fut  pas 
plutôt  sorti ,  qu'on  s'empressa  de  considérer  l'objet 
qu'il  avait  déposé  sur  l'autel;  c'était  un  couteau  sur 
lequel  étaient  gravés  ces  mots  :  «  In  nomine  sanctœ 
et  indisfiduœ  Trirdlatis  ;  Au  nom  de  la  sainte  et  in- 
divisible Trinité  ' .  »  On  ne  douta  plus  que  le  person- 
nage mystérieux  ne  fût  un  ange  chargé  d  une  mission 
du  ciel.  On  fit  part  de  cette  nouvelle  à  Wilhialm , 
qui  ordonna  de  dédier  l'église  en  l'honneur  de  la 
sainte  Trinité. 

On  reconnut  que  le  couteau  avait  laissé  une  trace 


*  Ord.  Fital. ,  tom.  III ,  Hy.  6. 

•  Lib.  Fond,  fiscan. ,  cap.  12. 


(70) 

sur  la  pierre  d*autel  où  il  avait  été  déposé.  Cette 
pierre  et  celle  sur  laquelle  l'ange,  en  s'élevant , 
avait  imprimé  la  marque  de  son  pied,  furent  soi- 
gneusement recueillies.  Ou  les  conserve  encore  dans 
l'église  de  Fécamp ,  où  le  prestige  des  traditions  les 
a  sauvées  de  l'oubli ,  en  les  rendant  l'objet  d'une 
respectueuse  curiosité. 

Le  jeune  Rikhard  I  était  élevé  au  milieu  de  ces 
travaux  et  de  ces  prodiges. 

Deux  ans  après  cette  dédicace ,  le  duc  Wilhialm 
Longue-Epée,  toujours  pressé  par  le  même  zèle, 
prit  une  résolution  qui  contraria  singulièrement  le 
clergé  de  Normandie  ;  il  eut  la  fantaisie  de  se  faire 
religieux  dans  le  monastère  de  Jumiéges ,  qu'il  venait 
de  relever  de  ses  ruines.  Les  abbés  et  les  gens 
d  église ,  dont  la  politique  était  plutôt  d'avoir  un  duc 
dévot,  qu'un  duc  moine  et  sans  pouvoir,  s'aper- 
çurent qu'ils  étaient  allés  trop  loin ,  et  engagèrent 
vivement  le  prince  à  renoncer  à  ce  projet ,  pré- 
textant que  son  fils  Rikhard  était  encore  trop  jeune 
pour  lui  succéder.  Malgré  leurs  remontrances , 
Wilhialm  ,  dont  la  résolution  était  bien  arrêtée  , 
envoya  chercher  son  fils  à  Fécamp ,  le  présenta  à 
tous  ses  anciens  compagnons ,  qui  le  reconnurent  en 
qualité  de  duc  des  Normands. 

Depuis  trente  ans  que^  les  Norwégiens  étaient  éta- 
blis dans  les  provinces  maritimes  de  la  Neustrie ,  il 
ne  s'était  passé  qu'une  génération ,  et  cependant  les 


(7«  ) 

plus  jeunes  avaient  oublié  la  langue  de  leur  pays  ; 
ceux  de  Fécamp,  comme  les  indigènes^  ne  parlaient 
que  le  dialecte  roman.  Wilhialm ,  reconnaissant  la 
nécessité  de  mettre  le  jeune  Rikhard  en  état  de  ré- 
pondre en  public  à  ses  fidèles ,  ainsi  qu'aux  étran- 
gers qui  arrivaient  journellement  en  Normandie  , 
l'envoya  passer  quelque  temps  à  Bayeux,  oii  les 
hommes  de  l'invasion  étaient  plus  pressés  que  par- 
tout ailleurs. 

Vers  la  même  époque,  le  duc  des  Normands  ayant 
été  assassiné ,  par  trahison  y  dans  une  île  de  la  Somme , 
on  ramena  à  la  hâte  Rikhard  à  Rouen ,  où  il  assista 
aux  funérailles  de  son  père.  Le  roi  des  Franks ,  Lo- 
dewik ,  surnommé  d'Outremer  y  se  rendit  aussi  dans 
cette  ville ,  pour  y  nouer  quelques  intrigues  ,  et 
commença  par  s'emparer  du  jeune  prince,  qu'il 
enleva  ,  sous  prétexte  de  lui  faire  donner  l'éducation 
de  sa  cour. 


FECAMP 
sous  Rikhard  ou  Richard  I. 

Pendant  le  séjour  de  Lodev^ig  à  Rouen ,  un  sei- 
gneur normand ,  du  nom  de  Turmoth ,  qui  possé- 
dait une  terre  aux  environs  de  Fécamp  (  Turmot" 
villa  j  Trémauville  ) ,  peu  pénétré  des    vérités  du 


(  7»  ) 

christianisme  9  ou  ayant  à  se  plaindre  de  l'esprit  des 
moines  qui  dirigeaiient  seuls  le  conseil  du  prince , 
à  l'exclusion  des  hommes  de  sa  race ,  prit  la  réso- 
lution d'ëtablir  en  "Normandie  la  religion  des  Scan- 
dinaves. Il  arma  quelques  partisans ,  fît  i^épandre  sa 
doctrine ,  et  se  disposait  à  la  soutenir  par  les  armes, 
lorsqu'il  fut  arrêté  dans  ses  projets  par  Lodewig 
d'Outremer,  qui,  satisfait  de  trouver  l'occasioa  de 
s'essayer  contre  des  Normands ,  dispersa  les  partisans 
de  Turmoth  ,  et  dépouilla  ce  chef  de  ses  propriétés, 
qui  revinrent  de  droit  au  fisc  ducal. 

Cette  petite  expédition  ayant  exalté  les  espéi:ances 
du  roi  des  Franks  ,  ce  prince  crut  que  le  moment 
était  arrivé  de  chasser  les  étrangers  de  la  Norman- 
die ;  il  fît  approcher,  à  cet  effet,  son  armée ,  qui  s'em- 
para de  Rouen  et  d'une  partie  des  forteresses  du 
'  pays  de  Caux.  La  place  de  Fécamp  devint  le  refuge 
des  Normands  fidèles ,  et  ce  fut  de  ce  port  que  par- 
tirent, les  messagers  qui  allèrent  en  Norwège  deman- 
der des  secours ,  et  réclamer  l'intervention   du   roi 
Harold,  qui  ne  tarda  pas  à  paraître  avec  une  flotte 
de  soixante  voiles ,  montée  par  des  hommes  de  son 
pays.  Il  y  eut  une  rencontre  entre  ces  étrangers  et 
l'armée  des  Franks  ;   cette  dernière   fut  culbutée , 
Lodewig  fait    momentanément  prisonnier ,  et  Ri- 
khard  I  revint  à  Fécamp ,  que  sa  mère  Sprota  venait 
de  quitter,  pour  épouser  un  propriétaire  de  grandes 
terres  et  de  mouUns ,  dans  la  vallée  de  la  Risle. 


(  73) 

Les  premières  aimées  du  règne  de  ce  prince 
furent  assez  agitées  par  les  factions  et  les  querelles 
que  lui  suscitèrent  l'empereur  Otho  ,  le  roi  des 
Fraoks  et  ses  grands  vassaux. 

Thibault ,  comte  de .  Chartres ,  à  la  tête  de  ses 
chevaliers,  s'avança  jusqu'à  Rouen ,  dont  il  ravagea 
les  environs.  Rikhard,  irrité  de  cette  agression  non 
provoquée,  expédia  de  Fécamp  de  nouveaux  mes- 
sagers dans  le  Nord  ,  pour  demander  du  secours 
aux  Danois,  qui  arrivèrent  aussitôt,  et  mirent  tout 
à  feu  et  à  sang  dans  les  terres  du  comte  de  Chartres. 

Un  moment  de  calme  ayant  succédé  à  ces  agi- 
tations, Rikhard,  pour  se  placer  entre  la  Normandie 
et  ses  alliés  de  Norwège,  s'établit  de  nouveau  avec 
sa  cour  dans  la  forteresse  de  Fécamp.  Après  quel- 
ques mois  de  séjour  dans  cette  ville ,  ce  prince , 
qui  avait  fait  bâtir  l'église  cathédrale  de  Rouen  et 
le  cloître  de  l'abbaye  de  Saint-Ouen ,  illustres  témoi- 
gnages de  son  zèle  et  de  sa  puissance  ,  ayant  trouvé 
par  trop  modestes  l'église  et  le  monastère  de  Fé- 
camp ,  prit  le  parti  d'élever  d'autres  édifices  plus  en 
rapport  avec  leur  destination.  Mais,  avant  de  donner 
suite  à  son  projet ,  il  voulut  connaître  en  détail  les 
ressources  du  monastère  '  ,  et  demanda  qu'on  lui 
représentât  toutes  les  chartes,  pièces, légendes,  con- 


'  Cartulaire  cité  dans  le  Trésor  de  Fécamp. 


(74) 

cernant  l'abbaye  et  les  biens  fonds  qui  lui  avaient 
été  donnés  par  son  père  et  ses  barons. 

Harroger,  son  aumônier,  eut,  à  ce  sujet,  une 
conférence  avec  Rotbert  ,  l'ancien  chapelain  de 
Wilhialm  Longue-Épée ,  et  Aykard ,  trésorier  de 
Tabbaye.  Toutes  les  pièces  furent  réunies ,  lues  en  la 
présence  du  prince;  et,  comme  pour  exciter  en  lui 
l'amour  du  merveilleux ,  si  naturel  à  la  dynastie 
normande ,  il  se  trouva ,  parmi  ces  écrits ,  la  nar- 
ration d'une  histoire  inconnue  jusqu'alors,  et  n'ayant 
jamais  figuré  dans  les  actes  de  l'abbaye  :  c'était  la 
légende  du  précieux  Sang. 

Il  n'est  pas  difficile  de  reconnaître  la  source  d'où 
émanait  cette  pièce,  et  quelle  main  l'avait  intro- 
duite parmi  les  archives  de  la  communauté.  Nous 
en  donnerons  ici  l'analyse  succincte;  car  la  croyance 
au  précieux  Sang ,  encore  dans  toute  sa  force  ,  n'a 
pas  peu  contribué  à  la  grandeur  et  à  l'illustration 
du  monastère  de  Fécamp. 

<x  Jésus-Christ  ayant  expiré  sur  la  croix,  son  corps 
a  fut  recueilli  par  Joseph  d'Arimathie  et  Nicodême. 
a  Ce  dernier  remarquant  beaucoup  de  sang  figé 
a  autour  des  plaies  de  Jésus ,  le  recueillit ,  Tenferma 
«  dans  son  gant,  et  le  conserva  avec  le  plus  grand 
a  soin.  Etant  sur  le  point  de  mourir,  et  n'ayant  pas 
a  d'héritiers  auxquels  il  pût  confier  cette  précieuse 
a  relique,  il  la  reinitàson  peveu  Isaac,  qui  l'entoura 


(75) 

a  de  toute  la  vénération  et  de  tout  le  respect  que 
«  méritait  un  pareil  trésor. 

.«  Dieu  permit  que  le  zèle  dlsaac  fût  récompensé 
a  de  biens  temporels.  Sa  fortune  s'accrut  à  un  tel 
«  point,  que  sa  femme  en  fut  elle-même  étonnée;  et, 
«  un  jour  qu'elle  allait  le  trouver  pour  lui  demander 
«  la  cause  d'un  tel  accroissement  de  bien-être ,  elle 
tt  le  trouva  en  adoration  secrète  devant  sa  précieuse 
a  relique. 

ce  Croyant  que  son  mari  avait  recours  à  quelques 
«  pratiques  superstitieuses ,  elle  le  dénonça  à  la 
ce  synagogue  des  Juifs ,  comme  se  livrant  à  l'idolâtrie; 
«  mais  il  fut  renvoyé  absous  par  les  docteurs  de  la 
a  Loi,  qui  reconnurent  qu'il  n'avait  pas  dérogé  à  la 
«  religion  de  ses  pères. 

a  La  prospérité  d'Isaac  lui  faisant  journellement 
«  beaucoup  d'ennemis ,  en  dehors  de  sa  famille  ,  il 
«  résolut  de  quitter  Jérusalem  et  de  se  retirer  à 
(c  Sidon  ,  qui  était  sur  le  bord  de  la  mer  ;  il  em- 
«  porta  avec  lui  le  précieux  Sang ,  qui  était  l'objet 
((  constant  de  ses  adorations. 

a  Ayant  eu ,  sur  ces  entrefaites ,  une  révélation 
a  que  Yespasien  et  Titus ,  à  la  tête  des  armées  ro- 
«  maines,  devaient  venir  ravager  le  pays  qu'il  habitait, 
<c  craignant  pour  le  trésor  dont  il  était  possesseur,  il 
«  avisa  aux  moyens  de  le  soustraire  aux  profanations 
«  des  soldats.  Il  le  renferma,  à  cet  effet,  dans  deux 
«  capsules  en  plomb ,  l'introduisit  secrètement  dans 


(76) 

«  un  tronc  de  figuier,  qui  se  trouvait  sur  le  bord  de 
«  la  mer,  et  Dieu  permit  que  l'écorce  du  fignier  se 
«  rejoignît  sur  l'ouverture  qu'il  avait  pratiquée  dans 
<f  le  tronc. 

(c  Isaac  continuait  ses  adorations  secrètes  près  du 
«  figuier  miraculeux^  lorsqu'il  s'aperçut  que  la  mer, 
tf  minant  la  terre  au  pied  de  ce  tronc ,  en  avait  déjà 
«  découvert  les  racines.  Préoccupé  de  ce  qu'il  devait 
«  faire  pour  sauver  le  précieux  sang ,  et  ne  sachant  à 
a  quel  parti  s'arrêter,  il  crut  voir  un  avertissement 
«  du  ciel  dans  les  envahissements  des  eaux,  et  un 
«  effet  de  la  Providence,  qui  voulait  disposer,  selon 
«  ses  vues,  d'une  si  précieuse  relique;  il  la  confia 
«  donc  aux  flots  de  la  mer,  qui  l'entraînèrent  à  l'ex- 
cc  trémité  des  Gaules,  à  l'entrée  de  la  vallée  de 
«  Fécamp ,  d'où  une  marée  extraordinaire  la  trans- 
«  porta  dans  l'intérieur ,  auprès  d'une  fontaine  qui  a 
«  pris  le  nom  du  précieux  Sang. 

«  La  mer  s'étant  ensuite  retirée ,  le  tronc  demeura 
«  en  ce  lieu,  et  resta  couvert  de  vase,  de  broussailles 
«  et  d'herbes  sauvages,  jusqu'à  ce  qu'il  fût  miracu- 
«  leusement  retrouvé  par  la  révélation  d'un  ange,  et 
«  par  un  cerf  blanc  qui  marqua,  en  marchant  circu- 
«  lairement  sur  la  terre ,  l'endroit  où  l'on  devait  élever 
«  une  chapelle  en  l'honneur  de  la  très  sainte  Trinité.» 

La  même  légende  attribue  la  construction  de  cet 
oratoire  au  duc  Anségise.  C'est  sans  doute  à  son  zèle 
pour  l'introduction  du  christianisme  dans  la  vallée 


V  77  ; 

(le  Fécamp,  que  la  découverte  du  précieux  sang  se 
trouve  rattachée  à  la  mémoire  de  ce  gouverneur 
du  pays  de  Caux. 

Le  duc  Rikhard,  émerveillé  à  la  lecture  de  cette 
pièce,  rapportée  en  entier  dans  un  ancien  cartulaire 
de  Fécamp,  appela  des  ouvriers  de  tous  côtés  et  or- 
donna de  faire  la  recherche  de  la  précieuse  relique. 
On  fouilla  sous  Tautel,  et  on  y  trouva,  comme  on 
devait  bien  s'y  attendre ,  le  tronc  de  figuier  contenant 
les  deux  capsules  en  plomb ,  dans  lesquelles  l'inesti- 
mable trésor  était  renfermé  ;  le  duc  se  fit  présenter 
des  devis,  des  plans  qu'il  approuva,  et  commanda 
d'élever  un  temple  convenable  à  la  sainte  Trinité,  à 
l'endroit  même  où  existait  la  petite  église  que  son 
père  avait  fait  construire.  Tous  les  matériaux  étant 
réunis ,  il  ouvrit  lui-même  la  terre,  posa  la  première 
pierre  du  nouvel  édifice ,  et ,  comme  tout  devait  être 
extraordinaire  dans  ce  travail,  cette  pierre  se  trouva 
être  un  fragment  de  celle  sur  laquelle  Tange  avait 
laissé  l'impression  de  son  pied.  Rikhard ,  dans 
les  moments  qu'il  dérobait  aux  affaires,  était  con- 
stammenl^  au  milieu  des  ouvriers,  excitant  leur  zèle 
et  ne  dédaignant  pas  de  prendre  lui-même  quelque- 
fois part  à  leur  travail.  Le  précieux  sang  fut  secrè- 
tement placé  dans  l'intérieur  d'un  pilier  qui  était 
proche  du  maitre  autel,  dédié  alors  au  saint  Sauveur. 

Les  travaux  terminés  et  tout  étant  prêt  pour  la 
nouvelle  consécration  que  devait  faire  l'archevêque 


(78) 

Rotbert ,  frère  utérin  du  duc  Rikhard  ;  les  évêques, 
les  grands  possesseurs  de  fiefs  et  beaucoup  de 
peuples,  furent  réunis  pour  assister  à  cette  fête  ;  les 
voûtes  de  l'église  retentissaient  à  peine  des  premiers 
chants  religieux ,  qu'on  entendit  de  tous  côtés  crier 
miracle!  Comme  c'était  une  chose  assez  commune 
dans  ce  temps-là,  on  n'en  fut  que  médiocrement 
surpris,  et,  par  la  raison  qu'on  y  avait  beaucoup 
de  foi ,  tous  les  assistants  voulurent  avoir  des  détails  ; 
un  prêtre,  nommé  Isaac,  célébrant  la  messe  dans 
une  église  distante  d'une  lieue  environ  de  Fécamp, 
990  envoyait  dire  au  duc  que  les  espèces  du  pain  et  du 
vin  s'étaient  changées,  pendant  la  consécration,  en 
véritable  chair  et  sang  de  Jésus-Christ.  ' 

Le  duc,  les  évêques,  la  foule  du  peuple,  n'eurent 
rien  de  plus  empressé  que  de  se  rendre  sur  les  lieux, 
et  le  miracle  ayant  été  reconnu  authentique,  ils  ap- 
portèrent, en  grande  pompe,  à  la  ville,  les  saints 
mystères  renfermés  dans  un  calice ,  et  les  placèrent 
sous  l'autel  de  la  sainte  Trinité.  Il  semble  que  cet 
événement  surnaturel  soit  le  complément  de  celui 
du  précieux  Sang,  venu  tout  exprès  de  ^Jérusalem 
pour  fournir  une  relique  au  monastère^de  Fécamp. 
Peut-être  la  foi  de  Rikhard  n'avait-elle  pas  paru 
assez  vive ,  sa  conviction  assez  profonde,  et  jugea-t-on 
à  propos  de  faire  intervenir  un  nouveau  prodige, 


'  Pisean.  Chron. ,  cap.  14. 


(79) 

pour  lever  tous  ses  doutes  et  les  irrésolutions  de  son 
jugement. 

Ici  y  pour  tout  homme  qui  n'est  pas  dominé  par 
la  pensée  philosophique,  et  qui  accorde  quelque 
chose  au  temps ,  aux  lieux  et  à  la  politique,  il  com- 
prendra que,  désormais,  les  ducs  de  Normandie  sont 
acquis  au  christianisme ,  à  l'ordre  établi  par  la  vieille 
société;  et  si  les  merveilles  et  les  prodiges  ont  eu 
quelque  influence ,  c'est  qu'il  fallait  de  ces  moyens 
extraordinaires  pour  arriver  au  but.  Fécamp  a  donc 
eu  le  glorieux  avantage  de  contribuer  à  ce  résultat, 
et  d'interrompre  les  relations  des  hommes  de  la 
conquête  avec  leur  pays,  sa  religion  et  ses  usages. 
Peut-être ,  s'il  en  eût  été  autrement ,  l'invasion 
continuant  et  se  répandant  sur  toute  la  France, 
serait-elle  parvenue,  en  renversant  les  autels,  à  pro- 
pager son  culte  et  sa  barbare  civilisation  ;  car  on 
sait  que  le  paganisme  et  l'esclavage  marchaient 
toujours  de  compagnie. 

Si  ce  dernier  miracle  fut  utile  au  monastère  de 
Fécamp,  il  ne  profita  pas,  à  coup  sûr,  aux  reli- 
gieuses,  car  l'importance  de  reliques  d'un  si  grand 
prix,  fit  juger  à  propos  d'y  établir  une  communauté 
d'hommes.  Les  religieuses  furent  transférées  à  Mon- 
tivilliers,  que  Rikliard  venait  de  réédifîer;  on  leur 
donna  pour  prétexte  qu'à  Fécamp  elles  étaient  trop 
exposées  à  la  brutalité  des  pirates. 

Des  chanoines,  qui  probablement  convoitaient  ce 


(8o) 

monastère  y  et  qui  avaient  contribue  à  ce  chaqge- 
menty  y  furent  immédiatement  introduits ,  et  Rikhard, 
pour  assurer  l'avenir  et  l'indépendance  de  la  com- 
munauté^ s'empressa  de  lui  donner  plusieurs  grandes 
propriétés.  En  voici  le  relevé,  d'après  la  charte  qui 
fut  alors  rédigée.  C'est  peut-être  le  plus  ancien 
monument  historique  que  nous  ayons  sur  les  loca- 
lités qui  y  sont  citées. 

Nous  trouvons  en  tête  les  églises  et  le  village 
de  Monde  ville ,  situés  près  de  Caen. 

Argences  ,  dans  le  même  pays ,  avec  ses  terres  , 
ses  bois  ,  ses  moulins  et  ses  vignobles. 

Le  port  de  mer  d'Etigues  {Stigias) ,  jusqu'à  Léré- 

gant. 

Le  Mesnil ,  Gerville  ,  Vinnemerville ,  Conteville, 
Limpiville  ,  avec  son  église  et  la  forêt  de  Benerval. 

L'église  de  Manneville  avec  sa  terre  et  trois  hôtes, 
l'église  de  Paluel ,  les  mesnils  de  Joinville  et  de  Bré- 
teville,  Ingou ville,  Saint- Valleri ,  avec  leurs  églises, 
enfin  l'église  d'Élétot ,  avec  sa  terre  et  deux  hôtes. 

Les  Normands  de  la  cour  de  RilAard,  prenant 
exemple  sur  le  maître,  s'empressèrent  d'ajouter 
quelque  chose   aux  possessions   du  monastère  de 

Fécamp. 

Un  de  ses  fidèles ,  le  comte  Rodolphe ,  donna  l'é- 
glise de  Villemesnil. 

Odon ,  fils  de  l'évêque  Gislebert ,  offrit  le  mesnil 
de  Ste-Mélanie  et  l'église  de  Bolle ville. 


(8i  ) 

Un  autre  Normand,  du  même  nom,  et  fils  de 
Godfrid  j  donna  l'église  de  Senneville  avec  une  ferme. 

Ansgoth  figure  au  nombre  des  bienfaiteurs  du 
monastère  pour  la  terre  de  Baunay  y  des  moulins  et 
tout  ce  qu'il  possédait  à  Butestot  et  à  Brametot. 

Raoul  donna  l'église  d'Ourville,  et  Godfrid  son 
manoir  d'Àmblie  m  rilla  amblida  o  y  deux  moulins  et 
deux  acres  de  prairies. 

Des  Normandes  même  s'empressèrent  de  seconder 
ce  mouvement  pieux  :  Laure  j  femme  de  Rainold , 
surnommé  Yuadardus^  fît  hommage  à  l'abbaye  de 
ce  qu'elle  possédait  à  Airam  ;  et  Emelma ,  femme  de 
Hugues  9  donna  sa  terre  de  Butes  ' . 

A  cette  époque ,  une  troupe  de  jongleurs  existait 
déjà  dans  la  ville  de  Fécamp  ;  ces  jongleurs  injocula- 
toreSTHy  d<?rniers  représentants  de  la  musique  et  des 
jeux  scéniques  des  Romains  y  étaient  une  réunion  de 
baladins  et  de  mimes  qui  commençaient  à  s'attacher 
aux  églises,  à  suivre  les  processions,  et  à  exalter, 
par  leurs  instruments  et  leurs  tours  de  force. ,  l'esprit 
et  le  cœur  du  peuple ,  qu'ils  disposaient  ainsi,  suivant 
l'opinion  de  l'époque,  à  la  joie  et  à  la  prière.  Les 
recherches  les  plus  laborieuses  n'avaient  pu  faire 
découvrir  la  trace  de  ces  jongleurs  avant  le  règne 
de  l'empereur  Henri  II ,  qui  mourut  en  i  o56.  Une 
charte  provenant  de  Fécamp  établit,  jusqu'à  l'ëvi- 

'  Fiscan.  Cartui. 


(8a) 

denœ,  qu'ils  étaient,  dans  cette  ville ,  contemporains 
(Je  son  abbaye  ' . 

Leur  troupe  était  divisée  en  deux  classes  d'acteurs; 
Tune,  qui  réunissait  le  chant  aux  instruments  de 
musique,  fut  le  point  de  départ  des  joueurs  de 
mystères,  des  frères  de  la  passion,  et  par  suite  de 
notre  comédie  actuelle. 

Ceux  de  la  seconde  classe ,  qui  se  livraient  aux 
gesticulations,  aux  tours  de  force,  finirent  tellement 
par  tomber  dans  le  burlesque ,  que  Philippe-Auguste 
les  chassa  de  sa  cour.  Ils  sont  maintenant  connus 
sous  le  nom  de  bateleurs  et  danseurs  de  corde. 

Il  est  curieux,  pour  Thistoire  de  l'art,  de  se  rendre 
compte  des  instruments  de  musique  dont  se  servaient 
alors  les  jongleurs  de  Fécamp.  La  charte  qui  en  fait 
mention  ,  après  avoir  prononcé  le  nom  de  sympho- 
nies, de  diapason,  cite  les  tambours,  les  psaltérions, 
l'orgue ,  les  instruments  à  cordes  et  les  cythares. 
D'autres  jongleurs  dansaient ,  ou  portaient  des  vases 
remplis  de  parfums,  dans  les  cérémonies. 

On  voit  que,  dès  le  commencement  du  X*  siècle, 
on  connaissait  le  moyen  de  faire  entendre  plusieurs 
sons  simultanés  :  en  effet,  le  fameux  chapiteau  de 
Saint*Georges*de-Boscherville ,  exécuté  peu  de  temps 
après ,  lious  présente  une  réunion  de  huit  à  dix  musi* 
ciens,  jouant  chaôUn  d'tlii  instrument  différent,  pour 

■  I  II     III     I     I  -  »■■■.>-.      agJlt-      -  ,  ,^^    ,,  .  ^  ■!    ■     I     III     ■_■    I 

'  Pièces  justificatives,  n®  l. 


(83) 

* 

accompagner  la  danse  et  les  tours  de  force  d'une 
jongleresse  (car  les  femmes  étaient  aussi  admises 
dans  ces  congrégations).  L'un  tient  à  son  bras  une 
grande  viole;  une  autre,  sur  les  genoux,  une  espèce 
de  vielle;  il  y  en  a  qui  jouent  de  la  cythare;  un 
d'eux  porte  à  la  bouche  une  flûte  de  Pan;  enfin ,  le 
dernier  touche  un  jeu  de  cloches.  En  observant  les 
gestes  et  la  manière  dont  on  les  a  placés ,  on  ne  saurait 
douter  qu'ils  sont  censés  jouer  tous  à  la  fois  et  avec 
ensemble. 

Le  clergé  de  Fécamp ,  pour  régulariser  l'existence 
de  ces  artistes  de  deux  sexes ,  les  réunit  en  confrérie 
placée  sous  le  patronage  de  saint  Martin,  dont  le 
siège  fut,  par  la  suite,  dans  la  chapelle  des  Lépreux 
de  cette  ville.  Pour  êtreyb/2g"/6?ar,ilfallaitêtrereconnu 
bon  chrétien,  bien  que  de  vie  joyeuse  et  lubrique; 
on  participait  alors  à  certaines  immunités  et  bé- 
néfices de  l'église,  provenant  de  messes,  jeûnes, 
aumônes  et  prières.  Lorsque  l'un  des  confrères  venait 
à  décéder,  gn  en  prévenait  immédiatement  l'abbé, 
qui  prononçait ,  au  milieu  de  son  chapitre,  l'absolu- 
tion du  défunt,  auquel  les  honneurs  funèbres  étaient 
rendus  comme  à  un  religieux. 

La  confrérie  s'assemblait  solennellement  deux  fois 
par  an,  et  chacun  des  frères  était  obligé  de  verser 
cinq  deniers,  qu'on  partageait  entre  les  moines,  les 
pauvres  et  Iç  trésor  de  l'église. 

L'existence  des  jongleurs  fut  confirmée  par  plu- 


(  84  ) 

sieurs  chartes  émanant  des  premiers  abbés  de  Fé- 
camp;  et,  sous  Badulplie,  nous  voyons,  à  leur  tête  , 
Henri  de  Gravenchon ,  portant  le  titre  de  maître  ou 
recteur  delà  confrérie;  telle  fut  probablement  l'ori- 
gine de  la  célèbre  musique  de  Fécamp. 

Tout  prospérait  alors  dans  ce  monastèï'e  ;  les 
moines  s'y  livraient,  à  la  prière  et  à  tous  les  exer- 
cices religieux  qui  leur  étaient  imposés  par  la  règle  ; 
mais ,  trop  opulents  pour  supporter  une  longue  con- 
trainte, leur  ferveur  ne  tarda  pas  à  se  ralentir,  et 
ils  finirent  par  mener  une  vie  si  déréglée,  qu'elle  ne 
tenait  en  rien  de  leur  profession.  «  Dans  ce  temps-là, 
<c  dit  Orderic  Vital,  il  régnait  une  grande  dissolution 
«  dans  les  mœurs  du  clergé  de  Normandie,  à  tel 
«  point  que ,  non-seulement  les  prêtres  ,  mais  encore 
<c  les  prélats,  usaient  librement  du  lit  des  concubines, 
«  et  faisaient  parade  de  la  nombreuse  famille  qu'ils 
«  en  obtenaient.  Un  tel  usage  s'étendit  beaucoup 
«  du  temps  des  néopbytes,  qui  furent  baptisés  avec 
«  Rollon,  et  qui,  plus  instruits  dans  les  armes  que 
«  dans  les  lettres,  envahirent  violemment  cette 
«  contrée.  Ensuite,  des  prêtres  d'origine  danoise 
«  occupaient  les  paroisses,  et,  toujours  aimés,  dé- 
a  fendaient  leurs  fiefs  laïques  par  un  service  tout 
a  militaire.  » 

Les  religieux  de  Saint- Wandrille  ne  donnaient 
pas  un  meilleur  exemple  de  régularité.  Gérard  ,  leur 
abbé ,  faisant  tous  ses  efforts  pour  les  ramener  dans 


(  85) 

une  meilleure  voie,  et  donnant  lui-même  l'exemple 
des  plus  éclatantes  vertus,  fut  lâchement  assassiné 
par  un  moine  de  ce  monastère  '. 

Rikhard ,  pour  remédier  à  tous  ces  désordres  j 
écrivit  à  saint  Majole^  supérieur  de  Cluny,  en  le 
priant  de  lui  envoyer  des  religieux  bénédictins ,  et 
de  prendre  la  direction  du  monastère  de  Fécamp. 
Majole  f  se  rendant  aux  pressantes  sollicitations 
du  prince,  vint  sur  les  lieux ,  protesta  du  désir 
qu'il  avait  d'être  agréable  au  duc  des  I^ormands, 
et  lui  demanda,  pour  prix  de  sa  coopération ,  le  droit 
de  coutume  ou  de  panage  dans  toute  l'étendue  de 
son  duché;  nouvelle  preuve  de  la  suprématie  de 
Fécamp  sur  toutes  les  maisons  religieuses  de  la  Nor- 
mandie. Le  prince,  ayant  consulté  ses  barons ,  qui 
n'avaient  pas  été  jusqu'à  ce  moment  sans  faire  de 
grands. sacrifices  à  Téglise,  tous  trouvèrent  que  la 
demande  était  exagérée  et  que  le  supérieur  de  Cluny 
était  par  trop  exigeant.  La  conférence  fut  rompue, 
et  tout  resta  provisoirement  dans  le  même  état. 

Rikhard  étant  à  Bayeux,  où  résidait  le  comte 
Raoul  sou  frère,  (ut  attaqué  d'une  maladie  subite 
qui  annonçait  sa  fin  prochaine  ;  il  se  fit  transporter 
aussitôt  à  Fécamp,  où  il  désirait  mourir  et  être  en- 
Isvec.  Ayant  ordonné  qu'on  lui  préparât  un  cer- 
cueil en  pierre ,  il  le  faisait,  plusieurs  fois  par  jour. 


'  Gall.  Christ,^  Monast.  Fontan. 


(86) 

remplir  de  froment  pour  les  pauvres,  et  ajoutait  de 
Targent  qu'on  leur  distribuait  en  mi^me  temps. 

Enfin ,  voyant  que  sa  fin  était  proche ,  le  pié\it 
Normand  se  transpoila  à  Tëglise  de  la  Sainte-Tri- 
nité, pieds  nus,  vêtu  d'un  ciliée,  appuyé  sur'iin 
bâton,  et  là,  tout  baigné  de  larmes ,  prosterné  dë^ftnt 
l'autel  sur  lequel  il  avait  miâ  de  riches  présents ,  il 
pria  Dieu  avec  ferveur  et  reçut  le  saint  viatique. 

Son  frère ,  qui  l'accompagnait ,  lui  ayant  demaiidé 
où  il  voulait  être  inhumé  :  <x  Que  ce  corps  que  j^ai 
souillé  de  tant  de  péchés,  dit-il,  ne  soit  pas  edséveli 
dans  l'intérieur  de  cette  église ,  mais  qu'il  soit  mis 
à  la  porte ,  sous  les  égoûts  de  son  toit.» 

Rentré  dans  la  tour  de  sa  forteresse  ,  il  vécut 
encore  quelques  semaines  ;  mais ,  voyant  qu'il  he 
pouvait  espérer  revenir  à  la  santé  ,  il  fit  appeler  j  de 
toutes  parts ,  les  grands  de  la  province  et  les  anlciens 
compagnons  qu'il  avait  commandés,  et  leur  fit  pro- 
mettre fidélité  au  jeune  Rikliard ,  qu'il  leur  présenta 
comme  son  successeur.  «  Je  vous  recomtiiàtide, 
ajouta-t-il ,  l'église  de  la  Sainte-Trinité;  renvoyez  les 
chanoines  qui  l'occupent,  et  donnez  la  garde  de  ce 
saint  lieu  aux  moines  bénédictins ,  vrais  imitateurs 
des  apôtres»,  ajoute,  peut-être  avec  un  peu  dé  pré- 
vention ,  l'historien  de  cet  ordre'  ,  qui  nous  fait 
connaître  cette  particularité. 

"  Trésor  de  Pécamp.  Ms. 


(87) 

Les  seîgpeurs  normands  reconnurent  Rikhard  H 
pour  leur  prince.  La  foule  du  peuple,  pressée  aux 
portes  et  dans  les  cours  de  la  forteresse  y  applaudit 
à  la  décision  des  grands ,  et  Rikliard  s'éteignit  paisi- 
lillement  j  au  bruit  des  pleurs  et  des  acclamations  qui 
assuraient  la  domination  de  sa  race. 

Ce  prince ,  au  rapport  de  Guillaume  de  Jumiéges, 
était  d'une  taille  élevée  ,  d'une  belle  figiu^,  et  sain 
de  corps;  il  avait  la  barbe  longue  et  la  tête  ornée 
de  cheveux  blancs.  On  l'inhuma ,  selon  son  désir  j 
à  la  porte  latérale  de  l'église ,  du  coté  du  midi'. 


FÉCAMP 


sous  Rikhard  IL 


L'illustration  de  Fécamp  devait  encore  s'étendre 
sous  le  successeur  de  Rikhard  I.  Rikhard  II,  son  fils, 
deni^urait  alterna tiveroent  dans  cette  ville  et  p  Rouen, 
lo^que  les  entreprises  militaires  qui  signalèrent  la 
première  période  de  son  règne  le  lui  permettaient. 
Il  commença  par  réprimer,  aux  environs  de  Fécamp , 
une  révolte  de  paysans ,.  dont  le  motif  n'est  pas  sans 
iptérét  pour  l'histoire.  En  effet ,  nous  avons  vu  les 
hommes  de  science ,  les  artistes  ,  les  ouvriers  habiles  ^ 


»  ■  «  « 


*  Trésor  de  Fécamp.  Mt. 


(88) 

obtenir  des  refuges  et  des  chartes  consacrant  leurs 
privilèges;  mais  cet  ordre  de  choses  n'existait  que 
dans  les  villes ,  et  les  habitants  des  campagnes  étaient 
journellement  aux  prises  avec  les  châtelains  normands, 
qui  ne  cessaient  de  les  opprimer  ;  les  Cauchois,  fati** 
gués  de  leurs  exigences^  prirent  le  parti  de  s'en 
affranchir  par  la  force ,  et  tinrent  des  assemblées 
où  Tinsunection  fut  résolue.  Comme  ils  n'étaient 
ni  armés  ni  aguerris,  ils  ne  tardèrent  pas  à  être 
victimes  de  leur  hasardeuse  résolution.  Des  hommes 
vêtus  de  fer  marchèrent  à  leur  rencontre ,  les  disper- 
sèrent, en  tuèrent  et  prirent  un  grand  nombre,  et 
cette  civilisation,  moitié  religieuse  ,  moitié  barbare, 
n'eut  d'autre  punition  à  infliger  à  ses  prisonniers, 
que  de  leur  couper  les  pieds  et  les  mains ,  et  de  les 
renvoyer  à  leurs  compagnons ,  qui ,  les  voyant  en 
cet  état ,  firent  leur  soumission ,  et  retournèrent  à 
leurs  charrues  ,  ajoute  froidement  un  écrivain  ecclé- 
siastique de  cette  époque. 

Ce  fut  après  cette  expédition  que  RikhaA  II 
envoya  des  secours  au  roi  de  France  Rolbert ,  ^i 
était  en  guerre  avec  ses  grands  vassaux.  La  cour  de 
Fécamp,  fixant  encore  une  fois  les  destinées  du 
royaume  des  Franks,  fit  rentrer  les  révoltés  dans  leur 
devoir,  arrêta  les  projets  de  l'empereur ,  tant  le  nom 
normand  en  imposait  alors  à  tous  les  peuples. 

Rikhard,  voulant  définitivement  introduire  d'au- 
tres religieux  dans  le  monastère  de  Fécamp ,  com- 


(89) 

mença  par  agrandir  les  bâtiments  à  Tusage  des 
moines,  embellit  ensuite  l'église ,  et  fit  passer  le 
canal  de  la  Voûte  dans  les  cours  et  les  jardins.  Quand 
tous  ces  travaux  furent  terminés ,  il  jeta  les  yeux 
sur  Tabbé  Guillaume  de  Dijon ,  pour  opérer  la  ré- 
forme qu'il  projetait.  Guillaume  était  une  espèce  de 
missionnaire  de  Cluny,  envoyé  par  saint  Majole 
dans  les  monastères  de  l'Allemagne  et  de  l'Italie , 
pour  y  établir  la  règle  de  Saint-Benoit  ;  il  se  trouvait 
alors  à  la  tête  du  monastère  de  Dijon. 

Une  députation  lui  fut  adressée,  de  la  part  du  duc 
des  Normands ,  pour  le  prier  de  se  rendre  de  suite  à 
Fécamp.  On»  pense  bien  qu'à  cette  époque ,  ce  n'était 
pas  petite  entreprise  que  de  parcourir  un  si  long 
espace;  et,  de  Fécamp  à  Dijon ,  les  communications 
étaient  rares  et  difficiles.  On  se  rappellera  ce  sujet, 
cet  autre  abbé  de  Cluny^  qui,  invité  par  le  comte 
de  Paris  à  amener  des  religieux  à  Saint-Maur-les- 
Fossés  y  s'excusa  de  faire  un  si  long  voyage  dans  un' 
pays  étranger  et  inconnu.  L'abbé  Guillaume  fut 
doue  extrêmement  surpris  du  message  et  de  l'objet 
qu'il  avait  à  traiter. 

En  effet,  il  y  avait  à  peu  près  soixante  ans  que 
les  Noi'wégiens  de  Normandie  s'étaient  convertis  au 
christianisme  ;  mais ,  depuis  peu  d'années  seulement , 
ils  rétablissaient  les  monastères  qu'ils  avaient  ren- 
versés ;  pendant  ce  temps-là  même ,  diverses  expé- 
ditions ,  venues  comme  auxiliaires  sur  nos  cotes , 


(90) 

s^étaient  signalées  par  le  pillage  et  la  destruction.. Le 
bruit  en  avait  retenti  au  loin,  «et  à  Dijon  oo-va'était 
pas  au  fait  des  'changements  qui  étaient  survenus. 

C'était  donc  une  mauvaise  recommandation  qu<g  de 
-se  présenter  à  Guillaume  au  nom  du  prince  das 
Normands  ^  aussi  le  fit-il  bien  sentir  à  ses  envoyés. 
Mais ,  quand  ceux-ci  l'eurent  assuré  que  tout  était 
changé;  qu'au  lieu.de  détruire  des  églises ,  on  en 
construisait  tous  les  jours  de  plus  belles  et  de,  plus 
commodes  que  les  précédentes ,  Guillaume  n'allégua 
plus  que  la  longue  distance  qui  le  séparait  de  Fécamp, 
le  manque  de  chevaux,  de  bêtes  de  somme ,  et  de 
moyens  pour  défrayer  ses  frères  pendant  la  route*. 

Les  envoyés,  de  retour  à  Fécamp,  rendirent 
compte,  au  duc,  du  résultat  de  leur  mission; 
Rikhard  les  fit  partir  de  nouveau  avec  des  chevaux, 
des  chariots ,  et  tout  ce  qui  était  nécessaire.  Ne  pou- 
vant plus  résister  aux  désirs  du  prince,  qui  mettait 
tant  d'instances  et  de  procédés  dans  sa  conduite , 
Guillaume  se  mit  en  route  avec  un  certain  nombre 
de  moines,  parmi  lesquels  on  distinguait  Théodénk 
et  Jean  d'Alie,  et  se  rendit  à  Fécamp ,  où  tout^.la 
congrégation  fut  reçue.,  dit  un  ancien  anpaliçte, 
comme  des  anges  envoyés  du  ciel;  les  Q^ianoineis 
fureift  obligés,  de  déguerpir.  Ainsi  se  trcj^uv^  .însitallé 
Guillaume  de  Dijon  ,..  le  premier  de$  abbé^  :de 
Fécamp. 

Des  gens  qui  voulaient ,  sans  .doute ,. faire  la  cour 


(9»  ) 

aux  nouveaux  venus  ^  racontèrent  à  Rikhard  Il^que, 
la  nuit  précédente,  une  troupe  d'aigles  s'était  abattue 
sur  le  faîte  de  TégUse ,  où  ils  avaient  passé  plusieurs 
heures ,  signe ,  indiqué  par  le  ciel ,  de  la  supériorité 
des  hcHumes  qui  avaient  été  introduits  dans  le  mo- 
nastère ' . 

GtJlLLÀUMB  DE  DiJOîT,  I«'  Abbé. 

Saint  Majole ,  en  guidant  Rikhard  dans  son  choix  ^ 
avait  réellement  fait  preuve  de  discernement.  L'abbé 
de  Dijon ,  italien  de  naissance,  homme  lettré  et  d'un 
génie  supérieur ,  était  la  première  capacité  qui  en- 
trât en  Normandie  depuis  la  conquête;  il  ne  lui 
manquait  que  des  disciples ,  des  hommes  susceptibles 
de  comprendre  sa  doctrine,  des  esprits  élevés  pour 
la  mettre  en  pratique  et  la  propager. 

Il  trouva  tout  en  Normandie,  sur  cette  terre  qui 
n'avait  besoin  que  de  semence  pour  produire  les  plus 
abondantes  récoltes.  Rikhard  eut  le  mérite  de  com- 
prendre la  bonne  acquisition  qu'il  venait  de  faire; 
dès  ce  moment  ,  Guillaume  devient  l'ame  de  ses 
conseils,  et  c'est  peut-être  à  la  politique  de  cet  abbé 
qu'on  devra  les  prodiges  qui  mettront  le  comble  à 
l'illustration  et  à  la  fortune  des  princes  normands. 

■  0      1'  I  ■    1   ■  ■      I    I       I   II  II  I     I    I  I    i  I     ^m^mm^mmmmm 

•  Trésor;  ChiH>n.  M". 


('9*  ) 

  cette  époque  y  les  princes  de  race  anglo-saxonne> 
qui  étaient  parvenus  à  s'emparer  du  trône  d'Angle- 
terre,  se  trouvaient  en  butte  aux  incursions  sans, 
cesse  renaissantes  des  Danois,  qui  voulaient  les  chasser 
à  leur  tour.  Etelrède,  qui  régnait  alors ,  après  avoir 
acheté  plusieurs  fois  leur  départ,  chercha  un  appui 
dans  le  duc  de  Normandie.  II  lui  denlanda ,  à  cet 
effet,  sa  sœur  Emma  en  mariage,  et  l'obtint. 

Il  semblerait  queRikhard  voyait,  avec  un  certain 
dépit,  les  invasions  danoises,  dont  les  chefs  étaient 
sans  cesse  prêts  à  s'emparer  du  trône  d'Angleterre» 
Position  élevée  qui  devait  plutôt  appartenir  au  duc 
de  Normandie,  qu'au  chef,  peu  connu ,  d'une  petite 
tribu  de  Norwégiens.  D'un  autre  côté  ,  il  n'était  pas 
fâché  de  voir  la  puissance  d'Etelrède  incessamment 
chancelante,  espérant  toujours  qu'une  occasion  favo- 
rable donnerait  l'essor  à  son  ambition.  Aussi  se  de- 
mande-t-on  si  ce  ne  fut  pas  plutôt  comme  son  agent 
qu'il  envoya,  de  Fécamp  en  Angleterre ,  la  normande 
Emma,  que  pour  y  remplir  les  devoirs  d'épouse  et  de 
mère.  C'est  ce  que  les  événements  laissent  soupçon- 
ner ,  surtout  si  l'on  ne  perd  pas  de  vue  que  l'abbé  de 
Focamp,  l'italien  Guillaume  de  Dijon,  dirigeait  alors 
le  conseil  du  chef  des  Normands. 

En  effet ,  il  paraîtra  toujours  étonnant  qu'aussitôt 
Tarrivce  d'Emma  en  Angleterre ,  le  malheureux  Etel- 
rède  soit  attaqué  de  toutes  parts  par  les  Danois ,  et 
qu'un  Normand ,  de  la  suite  de  la  reine ,  Uvre  aux 


(  9^  ) 

étrangers  la  place  d'Ëxeter,  qu'il  avait  mission  de  dé- 
fendre. Etelrède  n'eut-il  pas  quelque  soupçon  de 
celte  connivence  ,  quand  il  arma  contre  le  duc  de 
Normandie  et  fit  une  descente  dans  le  Cotentin  ;  et 
n'acquiert-elle  pas  un  haut  degré  d'évidence ,  lors- 
que nous  voyons  Rikhard  demander  un  renfort  aux 
Danois  d'Angleterre  pour  les  opposer  à  son  bèau-frère, 
le  comte  de  Chartres  y  qui  voulait  retenir  la  dot  de 
Mathilde?  Mais  n'anticipons  pas  sur  les  événements; 
arrêtons-nous  à  la  mise  en  scène  de  tous  ces  person- 
nages, que  nous  ne  tarderons  pas  à  retrouver  à  la  cour 
de  Fécamp. 

Rikhard  II,  s'attachant  déplus  en  plus  à  Guillaume 
de  Dijon  ,  lui  confia  la  direction  supérieure  des  mo- 
nastères de  S:iint-Ourn ,  Jumiéges,  Fontenelle  et  du 
Mont-Sainl-Michel  ;  ainsi,  voilà  notre  abbaye  donnant 
l'impulsion  à  tous  ces  grands  foyers  de  civilisation 
répandus  sur  le  sol  de  la  Normandie,  et  formant  pour 
l'avenir  des  hommes  d'étude  et  de  savoir.  Rikhard , 
prévoyant  que  cette  suprématie  pourrait  attirer ,  par 
la  suite,  à  Fécamp,  la  jalousie  des  évéques  et  des 
autres  monastères ,  eut  l'idée  de  l'affranchir  de  toute 
juridiction  épiscopale;  il  convoqua,  à  cet  effet,  dans 
son  palais  de  Fécamp,  Rotbert,  son  frère,  archevêque 
de  Rouen ,  les  autres  évêques  et  les  principaux  sei- 
gneurs de  la  Normandie ,  et  leur  fit  signer  une  charte 
par  laquelle  ils  reconnaissaient  le  monastère  exempt 
de  toute  sujétion  et  droit  épiscopal. 


(94) 

Le  roi  des  Franks  ,  Rotbert ,  étant  venu  à  Fécamp 
sur  ces  entrefaites,  Rikhard  le  pria  de  signer  la  charte 
ci-dessus  et  de  là  revêtir  de  son  approbation  ;  ce  roi 
commença  par  faire  don ,  lui-même  ,  à  l'abbaye ,  du 
prieuré  de  Villers-Saint-Paul,  situé  dans  ses  propres 
états  %  et  confirma  plusieurs  concessions  de  Kikhard 
et  de  ses  prédécesseurs.  Nous  trouvons,  en  Ire  autres, 
la  troisième  partie  des  hôtes  ou  colons  de  Fécamp , 
avec  les  terres  qur  leur  appartenaient. 

On  ne  doit  pas  être  surpris  de  cette  dernière  do- 
nation; c'était  seulement,  selon  le  langage  de  la  féo- 
dalité, le  tiers  des  habitants  de  Fécamp,  qui,  au  lieu 
de  rester  vassaux  du  prince,  le  devenaient  de  l'abbaye; 
et  leur  condition  n'avait  pas  empiré,  car,  dans  ces 
temps  oïl  le  capuchon  du  moine  avait  plus  de  pou- 
voir que  le  heaume  du  chevalier,  on  y  regardait  à 
deux  fois  pour  molester  des  gens  qui  vivaient  sous  la 
protection  de  l'église.  Par  la  même  charte,  Fécamp 
devient  possesseur  de  l'église  de  Saint-Paterne  de 
Rouen ,  adossée  au  mur  de  la  ville  et  bornée  par  la 
voie  publique  sur  les  trois  autres  côtés,  ainsi  que 
dû  droit  de  haute  et  moyenne  justice  dans  toutes 
les  terres  dépendantes  de  l'abbaye. 

Les  habitudes  religieuses  de  Rikhard  n'avaient 
pas  à  souffrir  des  soins  qu'il  donnait  au  gouvernement 
de  la  Normandie,  car,  tous  les  ans,  le  jour  de  Pâques, 

*  Extrait  da  Cartulaire>  prêté  à  don  MabiUon. 


(95) 

avant  de  s'approcher  de  l'autei  avec  son  épouse 
ludtthy  ses  enfants  et  toute  sa  cour,  il  se  faisait  pré- 
céder de  coriieilles  remplies  d'étoffes  précieuses ,  de 
vases,  d'encensoirs  9  de  candélabres  et  autres  objets 
qu'il  offrait  à  Dieu  et  à  ses  saints  <.  Le  même  jour, 
après  la  messe ,  avant  de  retourner  à  son  palais  pour 
dîner  avec  le^  grands  de  sa  suite,  il  allait,  avec  ses 
deux  fils,  Rikhard  et  .Rotbert,  au  réfectoire  des  re- 
ligieux, et  là,  prenant  de  ses  propres  mains  les 
mets  qui  arrivaient  de  la  cuisine,  il  plaçait  le  premier 
plat  devant  Tabbé,  et  les  autres  devant  les  frères,  qui, 
en  échange  de  tant  d'humilité,  lui  dounaient  le  titre 
de  Bon ,  de  Pieux ,  et  le  proclamaient  le  Père  des 
moines. 

Nous  avons  vu  que  Rikhard  avait  fait  faire  un  titre 
d'exemption  pour  l'abbaye  de  Fécamp;  restait  encore 
à  le  faire  approuver  par  le  saint  siège.  Soit  que  ce  fût 
la  véritable  cause  d'un  voyage  à  Rome ,  ou  plutôt  le 
désir  de  s'entendre  avec  le  pape ,  surtout  alors  que 
les  excommunications  et  les  interdits  allaient  fondre 
sur  l'Angleterre,  Rikhard  envoya  Guillaume  de  Dijon 
auprès  du  souverain  pontife  Benoît  VIII,  que  cet 
abbé  avait  autrefois  particulièrement  connu  en  Italie. 

Où  pense  bien  que  le  pape  fut  agréablement  surpris 
d'-eatendre  les  récits  de  Guillaume ,  et  de  recevoir 
Taote  de  soumis8ton.de  Rikhard,  qui  mettait  sous  sa 

'  Will.  Pict.,  nta  fVUL  conq. 


(96) 

dépendance  directe  le  premier  et  le  plus  illustre  mo- 
nastère de  la  Normandie  ;  il  accorda  avec  joie  tout 
ce  qui  lui  était  demandé ,  adressa  des  félicitations  à 
Rikliard  sur  sa  piété ,  et  Tabbc  Guillaume  revint  à 
Fécamp,  ayant  obtenu ,  pour  lui  et  ses  successeurs , 
Tusage  de  la  mitre,  qui  n'était  encore  portée  que  par 
les  évéques.  Quant  aux  articles  secrets  du  traité 
passé  entre  le  pape  et  Rikhard,  on  peut  les  deviner; 
mais  ils  n'ont  jamais  été  officiellement  connus. 

Au  retour  de  l'abbé  de  Fécamp ,  le  royaume  d'An- 
gleterre était  en  combustion.  Etelrède,  qui  avait 
ordonné  des  espèces  de  Vêpres  siciliennes  sur  les  Da- 
nois qui  habitaient  ce  pays  ,  devint  en  horreur  à  ses 
sujets  et  aux  étrangers.  Le  roi  Canut  étant  descendu 
avec  une  troupe  de  Danois  pour  venger  la  mort  de 
ceux  de  sa  nation ,  poursuivit  Etcli'ède ,  qu'il  renverea 
du  trône.  La  normande  Emma  quitta  furtivement 
l'Angleterre,  et  aborda  à  Fécamp  avec  ses  fils  Alfred, 
Edouard  et  sa  fille  Godiove  ^  Etelrède,  qui  s'était 
sauvé  dans  l'île  de  Wiglit,  s'y  maintint  en  attendant 
des  nouvelles  de  la  Normandie;  et,  lorsqu'il  sut  que 
son  beau-frère  consentait  à  le  recevoir ,  il  se  déter- 
mina à  se  rendre  auprès  de  lui  avec  Edmond ,  fils  de 
sa  première  femme ,  qui  l'accompagnait  dans  sa  fuite. 

Ainsi ,  voilà  la  cour  de  Fécamp  devenant  le  refuge 
des  rois  détrônés,  et  cette  vieille  forteresse ,  dont 


'  Fisc.  Chron.  Ma. 


(97) 

nous  Toyons  encore  les  murs  démantelés,  prêtant  son 
abri  à  de  royales  infortimes.  Les  destinées  d'un  grand 
peuple  devaient  s'accomplir  au  milieu  de  tous  ces 
exilés. 

£telrède  avait  à  peine  passé  une  année  à  Fécamp, 
qu'il  reçut  des  messages  de  quelques  seigneurs  an- 
glais,  qui,  fatigués  du  joug  def^Angers,  désiraient 
rétablir  la  dynastie  saxonne  sur  le  trône.  Ces  envoyés 
iîirent  parfaitement  accueillis  par  le  duc  Rikhard,  qui 
n'avait  rien  tant  à  .cœur  que  de  voir  les  descendants 
d'Emma  rentrer  dans  la  possession  du  trône  paternel , 
premier  pas  vers  la  domination  normande.  Un  conseil 
fut  tenu  en  famille;  on  fit  un  appel  à  tous  les  parti- 
sans d'Ëtelrède;  les  bannières  normandes  et  anglo- 
saxonnes,  qui  devaient  un  jour  s'entre-choquer ,  se 
déployèrent  pour  la  même  cause.  Etelrède  débarqua 
en  Angleterre  avec  son  fils  Edmond,  marcha  contre 
le  roi  Canut,  le  défit  et  l'obligea  de  repasser  en 
Dannemark. 

Ce  roi,  renversé  du  trône,  ne  fut  pas  plutôt  arrivé 
dans  le  nord,  qu'il  assembla  de  nouvelles  bandes  d'a- 
venturîers  pour  attaquer  son  compétiteur.  Etelrède, 
voyant  l'orage  qui  grondait  contre  lui,  fit  un  appel  à 
Bikhard,  qui  lui  envoya  des  Normands  de  bonne  vo- 
lonté ,  ayant  à  leur  tête  les  princes  Alfred  et  Edouard. 
La  lutte  recommençant,  plus  acharnée  que  jamais , 
Edmond  fils  d'Etelrède  fut  assassiné  ;  Etelrède ,  kii- 
même ,  mourut  enfermé  dans  le  château  de  Londres, 

7 


(98) 

et  la  cour  de  Fécamp  apprit  ce  désastre  par  Tar^ 
rivée  d'Emma  et  de  ses  trois  enfants  ^  qui  vinrent  de 
nouveau  demander  l'hospitalité  au  duc  de  Nor« 
mandie. 

Le  but  de  Rikhard  était  loin  d'être  atteint  y  mai» 
un  arrangement  nouveau  vint  ^encore  une  fois  tout 
concilier.  Canut, ^ilrPraignait  toujours  une  attaque 
du  côté  de  la  Normandie ,  épousa ,  avec  le  consen- 
tement de  Rikhard,  la  veuve  d'Etelrède,  en  pro- 
mettant le  trône  d'Angleterre  aux  enfants  qui  naî- 
traient de  cette  union  ,  au  préjudice  de  Hérold  son 
fils ,  qu'il  avait  eu  de  sa  première  femme.  Il  est  im- 
possible de  se  méprendre  sur  l'idée  dominante  qui 
conduisait  une  pareille  intrigue  et  engageait  Emma 
à  épouser  l'assassin  de  son  mari  et  l'usurpateur  du 
trône  de  sa  famille.  Alfred  et  Edouard  étaient  encore 
une  fois  sacrifiés  à  la  politique. 

Théoderik ,  prieur  de  Fécamp ,  est  appelé  à  gou- 
verner l'abbaye  de  Jumiéges  ;  on  conservait ,  dans 
la  bibliothèque  de  ce  monastère ,  un  manuscrit  pré- 
cieux contenant  plusieurs  formules. rédigées  par  cet. 
abbé  pour  admettre  les  néophites  de  tout  âge  dans 
les  ordres  religieux. 

Une  année  après  cette  promotion,  Rikhard.  Q. 
donna  l'abbaye  de  Rernay  à  celle  de  Fécamp,  Il 
ne  tarda  pas  à  y  ajouter  celle  de  Montivilliers ,  dont 
les  rehgieuses  avaient  été  expulsées  pour  faire  place 
à  des  clercs  laïcs  ou  chanoines ,  à  peu   près   aussi 


(99) 

réguliers  que  ceux,  de  Fécamp.  Ce  fut  pour  y  réta- 
blir la  discipline  que  Bikhard  11  la  remit  à  l'abbé 
Guillaume,  qui  y  introduisit  des  religieux  de  son  ordre. 

Le  duc  des  Normands ,  trouvant  la  sépulture  de 
son  père  par  trop  humble,  fit  édifier,  au-dessus, 
un  oratoire  qu'il  joignit  à  l'église.  Ce  travail  donna 
lieu  à  la  division  de  l'ancienne  chf^elle  de  Saint- 
Taurin,  et  à  la  partie  la  plus  reculée,  dans  laquelle 
on  a  placé  les  fonts  baptismaux.  C'est  là  que ,  se  dé- 
robant à  tous  les  regards  ,  le  duc  de  Normandie  se 
retirait  souvent  pour  prier  Dieu ,  à  toute  heure  du 
jour  et  de  la  nuit.  Ses  excursions  nocturnes  ont  même 
donné  lieu  à  une  anecdote  que  je  ne  peux  me  dispen- 
ser de  raconter,  comme  étude  de  mœurs,  d'époque 
et  de  localité. 

Le  pieux  duc  avait  l'habitude  de  quitter,  la  nuit, 
sa  forteresse  pour  se  rendre  seul  à  l'église  qui  en 
était  tout  près.  Une  nuit ,  y  étant  allé  beaucoup 
avant  l'heure  de  matines  ,  il  trouva  la  porte  fermée  ; 
l'ayant  secouée  avec  force ,  il  parvint  à  l'ouvrir  et 
à  se  placer  à  l'écart  pour  prier.  Le  sacristain ,  qui 
avait  été  éveillé  au  bruit ,  s'étant  levé  précipitamment, 
parcourut  l'église  et  trouva ,  dans  un  coin ,  un  homme 
mal  vêtu  ,  qu'il  prit  ni  plus  ni  moins  que  pour  un 
voleur  ;  il  lui  sauta  au  collet ,  le  frappa  rudement , 
et  le  jeta  hors  de  l'église ,  sans  lui  dire  un  seul  mot. 

Rikhard  rentra  dans  son  palais  sans  être  vu ,  et , 
au  point  du  jour ,  il  se  rendit  au  chapitre  ,  se  plaignit 


(  ïoo  ) 

à  Tabbé  du  traitement  indigné  qu'il  avait  reçu ,  et 
demanda  que  le  sacristain  lui  fût  livre  pour  en  faire 
justice. 

L'abbë,  ne  pouvant  résister  à  la  volonté  du 
prince,  lui  remit  son  religieux,  qui  fut  envoyé  à 
Argences  pou^  être  jugé.  Le  jour  où  Ton  devait 
prononcer  sur  le  sort  de  ce  moine  étant  arrivé, 
Rikhard  se  rendit  à  Argences,  et ,  au  lieu  de  demander 
la  punition  de  l'accusé  ,  il  prit  lui-même  sa  défense  j 
en  disant  :  «  Le  sacristain  m'a  bien  frappé,  il  est  vrai , 
mais  c'est  un  bon  religieux  ,  grand  observateur  de 
la  règle,  car  il  n'a  pas  ouvert  la  bouche  en  me.jetant 
à  la  porte  du  monastère,  et,  au  lieu  de  le  punir, 
je  joins  à  l'office  de  sacristain  le  bourg  d'Argences , 
qui  produit  de  bon  vin'.» 

Quelques  auteurs,  Dumoustier  et  Vincent  de 
Baumais,  ont  prétendu,  je  ne  sais  sur  quelle  autorité, 
qu'Etelrède ,  pendant  son  séjour  à  Fécamp ,  avait  été 
le  héros  de  cette  historiette;  mais  la  tradition  du 
cloître  a  rejeté  bien  loin  cette  assertion,  non  appli- 
•cable  aux  habitudes  peu  religieuses  de  ce  roi  ,  et  en 
ont  laissé  tout  l'honneur  au  duc  de  Normandie. 

Enfin ,  Bikhard  essuya ,  dans  la  même  année ,  une 
perte  à  laquelle  il  se  montra  fort  sensible,  celle  de 
«on  troisième  fils  Guillaume,  qu'il  avait  consacré 
à  Dieu  dans  le  monastère  de  Fécamp  ;  il  le  fit  inhu-    | 

—  -     -     -  —  '■'  ■  Bill  ■     ■  ■      ■  ■  ■■^■^^—1^^^—^         ,    —    ^g^^m^ 

m» 

*  Fisc.  CarK 


i 


(   loi   ) 

mer  auprès  de  son  père  Rikhard  P'.  Il  avait  déjà 
perdu,  à  Fécamp,  depuis  plusieurs  années  ^  une  fille 
qui  avait  été  fiancée,  fort  jeune^  à  Alphonse,  roi 
de  Navarre. 

Rikhard  sentant  arriver  les  infirmités,  et  voyant 
que  sa  santé  s'affaiblissait  de  jour  en  jour,  réunit,, 
dans  sa  forteresse  de  Fécamp ,  ses  trois  fils  :  Ri- 
khard m ,  Rotbert  et  l'évêque  Mauger ,  les  évêques 
d'Evreux  et  de  Bayeux ,  Nighel ,  vicomte  de  Fécamp, 
et  son  chancelier  Hugues  ;  là ,  en  présence  de  ces 
personnages,  il  fît  donation  à  Tabbaye  de  grands^ 
biens  dont  voici  le  détail  : 

L'abbaye  de  Saint*Gervais  de  Rouen. 

Le  village  de  Troarn. 

La  forêt  de  Fécamp,  depuis  les  Plantis  (n fastes 
plantation  jusqu'à  la  mer;  les  revenus  de  l'octroi 
du  bourg  de  Fécamp ,  et  plusieurs  prairies  situées^ 
dans  la  vallée. 

La  forêt  appelée  ce  Extendala  » ,  et ,  auprès  du  vil- 
lage de  Bouteilles ,  deux  hôtes ,  et  le  tiers  de  la 
pêche  de  la  rivière  d'Arqués,  deux  salines,  des  terres 
en  labour  et  des  prairies. 

A  Harfleur,  il  donna  sept  hdtes  et  soixante  me- 
sures de  sel ,  la  dîme  des  salines  d'Oudales  oc  Hulvc" 
dalan,  quatre  acres  de  prairies ,  vingt-quatre  acres 
de  terre  en  labour ,  et  une  partie  de  la  forêt. 

*  Fisc,  Cart.  ^  Cette  ferme  se  nomme  encore  Us  Plantis^ 


(   ^on  ) 

Il  ajouta  y eules ,  avec  son  église ,  cinq  moulins  y 
l'église  de  Blosseville  et  soixante  acres  de  terre. 

La  moitié  du  revenu  de  l'église  d'Houdetot ,  toute 
la  terre  et  le  bois  tenus  par  Germond. 

Douze  arpents  de  vigne  dans  la  commune  de 
Longueville ,  les  mesnils  de  Ste-Colombe  et  de  Fou- 
taine-Bérenger. 

a  Huldebodeifilla  »  en  entier. 

Les  églises  Saint-Etîenne-de-Portjoie ,  de  Saint- 
Saturnin  ,  de  Neuville ,  de  Pauville ,  et  la  terre  tenue 
par  Roger  dans  cette  dernière  commune. 

Un  trait  de  pêche  et  quatre  étangs  sur  le  fleuve 
nommé  Anthura,  près  d'Hasdans. 

Un  trait  de  pêche  sur  la  Risle,  auprès  de  Pont- 
Audemer  «  Pons  Haldemari.  » 

Auprès  de  la  ville  de  Rouen ,  dans  le  lieu  nommé 
la  Fosse ,  sept  acres  de  prairies  et  deux  acres  du  pré 
nommé  «  Pipinus.  j> 

L'église  de  Pissi ,  avec  deux  hôtes. 

L'église  de  Barentin  avec  deux  hôtes ,  un  moulin, 
et  le  cours  d'eau  depuis  le  lieu  nommé  «c  Gordxy-Po- 
liaco  » ,  jusqu'au  hêtre  de  la  Comtesse. 

L'église  d'Ecréteville  avec  un  hôte;  sur  la 'Seine , 
les  villages  d'Aizier  et  de  Sainte- Croix,  et  tout  ce  que 
tenait  à  ferme  Strostincus. 

Herchinville-sur-Mer. 

Les  églises  de  Butes,  Ulmedis,  Magintrudis  et  de 
Sainte-Marie-du-Désert . 


(  .o3  ) 

Le  mesniid'Almenèchesavec  son  église,  Argences, 
son  marché ,  sa  foret,  en  échange  d'un  manoir  situé 
dans  la  ville  de  Rouen ,  sur  le  port  de  Saint-Clé- 
ment. 

Bikhard  termina  enfin  par  la  dîme  de  tout  son 
argent  monnayé  et  des  revenus  de  sa  chancel- 
lerie. 

Cette  charte  est  signé  par  les  grands  personnages 
que  le  duc  de  Normandie  avait  fait  réunir  dans  son 
palais,  et  doit  porter  la  date  de  10269  ^^^  nous  trou- 
vons des  époques  différentes  sur  les  diverses  copies 
du  cartulaire  que  nous  avons  consultées. 

Enfin,,  le  112,  août  de  la  même  année,  la  ville  de 
Fécamp  fut  de  nouveau  témoin  d'un  événement  bien 
douloureux  :  la  perte  de  son  prince,  sous  le  gouver- 
nement duquel  elle  avait  acquis  ua  haut  ifégré  de 
prospérité.  Rikhard,  voyant  que  sa  dernière  heure 
était  proche ,  convoqua  auprès  de  lui  l'archevêque 
Rotbert  et  tous  les  princes  normands ,  fît  appeler  son 
fîls  Rikhard  et  le  mit  à  la  tête  de  son  duché.  <c  Sitôt 
tf  que  la  nouvelle  de  sa  maladie  fut  répandue  dans 
a  la  ville,  tous  les  habitants  furent  saisis  d'une 
a  douleur  intolérable  ;  les  moines  et  les  clercs  se 
a  lamentaient  tristement  sur  le  point  de  devenir  or- 
cc  phelins  d'un  père  si  chéri;  des  bandes  de  pauvres, 
a  qui  étaient  ordinairement  attirés  dans  la  ville  par 
a  les  aumônes  de  Rikhard ,  remplirent  les  rues  et  se 
«  livrèrent  à  la  désolation.  Il  expira  et  fut  inhumé , 


(  io4  ) 

tf  selcm  sa  volonté ,  dans  la  chapelle  qu^il  avait  élevée, 
tf  au-dessus  des  restes  de  son  père  '.  » 


FECAMP 


sous  LE  DUC  ROTBERT. 


II  ne  se  passa  à  Fécamp  ancun  fait  remarquable 
sous  Rikhard  HI,  fils  et  successeur  de  Rikhard  P', 
ce  prince  étant  mort  empoisonné ,  après  avoir  gou- 
verné à  peine  une  année  la  Normandie;  il  laissait  un 
fils  nommé  Nicolas,  qui  fut  contraint,  par  son  oncle 
Rotbert ,  de  se  faire  religieux  dans  le  monastère  de 
Fécamp^ 

Le  gouvernement  de  Rotbert  est  marqué  par 
divers  événements  que  réclame  l'histoire  de  Fécamp. 
Il  y  eut  d'abord  une  ligue  contre  lui ,  formée  dans  sa 
propre  famille;  ce  qui  ferait  croire  que  son  usurpation 
n'était  pas  généralement  approuvée.  L'archevêque 
de  Rouen,  Hugues  évêque  de  Bayeux,  Guillaume 
de  Bellême,  et  Alain  duc  de  Bretagne ,  tous  ses 
parents,  avaient  soulevé  contre  lui  une  partie  de  la 
Normandie.  L'archevêque  de  Rouen ,  poursuivi  à  ou- 
trance par  Rotbert,  fut  obligé  de  se  retirer  auprès  du 

■  mu.  Gemet.,  lib.  fr,  cap.  17. 


(  'o5) 

roi  des  Frânks,  et,  en  quittant  son  diocèse,  il  frappa 
d'anathèmé  la  Normandie ,  ce  qui  entraînait  l'inter- 
diction de  toute  cérémonie  religieuse  dans  le  duché; 
les  moines  de  Fécamp ,  et  les  églises  de  leur  dépen- 
dance, n'en  continuèrent  pas  moins  l'office  divin. 
C'est  le  premier  acte  d'indépendance  par  lequel  ils 
se  déclarèrent  en  dehors  de  la  juridiction  ecclésias- 
tique ordinaire  ' .  Pendant  ce  temps  j  les  peuples , 
privés  de  secours  religieux ,  arrivaient  en  foule  à 
Fécamp;  heureusement  que  cette  interdiction  fut 
bientôt  levée ,  par  suite  des  victoires  remportées  par 
Rotbert  sur  ses  ennemis^  qui  ne  tardèrent  pas  à  se 
réconcilier  avec  lui. 

Il  tourna  ensuite  ses  armes  victorieuses  du  coté 
de  la  Bretagne;  ayant  ravagé  les  frontières  de  ce 
pays,  qu'il  trouva  sans  défense,  il  revint  à  Rouen,  où 
d'autres  projets  devaient  être  médités  et  entrepris. 

Depuis  long-temps  on  voyait  à  sa  cour,  et  pres- 
que toujours  à  Fécamp ,  les  deux  fils  d'Etelrède , 
Alfred  et  Edouard.  Leur  mère ,  Emma,  était  morte 
sur  le  trône  d'Angleterre ,  et  Canut,  leur  beau-père, 
ne  s'empressait  pas  de  les  initier  au  gouvernement 
de  son  royaume ,  tomme  il  en  avait  pris  l'engage- 
ment. En  effet ,  Canut  avait  promis  le  trône  aux 
enfants  d'Emma,  et  bien  entendu  que  ceux  qu'il 

>  Gall.  Ch. ,  fisc.  Monast.  et  fisc.  Cart. 


(  »o6) 

aurait  d'elle  devaient  avoir  la  préférence  sur  ceux 
d'Etelrède.  Hardi-Canut,  le  seul  qu'il  avait  eu  de  la 
princesse  normande ,  était  déjà  pourvu  du  trône  de 
Dannemark;  restait  alors,  pour  celui  d'Angleterre, 
Alfred  et  Edouard ,  qui ,  à  la  vérité ,  avaient  pour 
compétiteur  Hérold ,  fils  de  Canut  et  d'une  concu- 
bine norwégienne.  C'était  justement  ce  fils  que  la 
politique  de  Rotbert  voulait  éloigner,  car  ce  prince, 
en  consolidant  la  monarchie  anglo-danoise,  eût  mis 
un  terme  aux  prétentions  de  la  dynastie  normande 
sur  le  gouvernement  de  l'Angleterre. 

Le  roi  Canut  n'ayant  pas  répondu  favorablement 
aux  réclamations  qui  lui  étaient  adressées^  Rotbert, 
animé  d'une  violente  colère ,  convoqua  ses  barons , 
ordonna  de  réunir  un  grand  nombre  de  nefs  dans 
le  port  de  Fécamp;  cette  flotte,  montée  en  majeure 
partie  par  les  mariniers  de  cette  ville  et  de  la  côte 
voisine ,  quitta  le  port ,  remplie  d'enthousiasme  et 
d'espérance  ;  il  s'agissait  de  rendre  un  trône  aux 
jeunes  princes,  qui  avaient  été  élevés  sous  les  yeux 
de  ces  hommes ,  et  que  l'exil  et  le  malheur  rendaient 
pour  eux  si  intéressants. 

Toutes  les  classes  prirent  une  part  égale  au  succès 
de  cette  expédition;  les  chevaliers,  les  hommes  de 
mer  contribuèrent  de  leurs  personnes  ;  les  religieux 
de  leurs  biens  et  de  leurs  prières.  Enfin ,/  tout  étant 
prêt  pour  le  départ,  Rotbert  monta  à  bord  de  ses 
navires ,  fit  déployer  les  voiles ,  et  se  dirigea  vers 


(  I07  ) 

rAngieterre.  Ainsi  fîit  commencée ,  par  ce  prince , 
une  entreprise  qui  ne  devait  réussir  que  sous  le  règne 
de  son  successeur.  Un  événement  imprévu  vint  dé- 
ranger ses  combinaisons ,  ses  rêves  de  gloire  et  de 
fortune.  Sa  flotte ,  assaillie  par  une  furieuse  tempête , 
fut  jetée  du  côté  de  Jersey ,  et  ceux  qui  faisaient 
partie  de  l'expédition  ne  parvinrent  à  toucher  la  terre 
qu'à  travers  les  plus  grands  dangers. 

Pendant  ce  temps-là ,  le  duc  des  Bretons  ayant 
recommencé  ses  courses  sur  les  frontières  de  la 
Normandie  j  Botbert  profita  de  la  circonstance  qui 
l'avait  amené  dans  le  voisinage  des  côtes  de  Bre- 
tagne j  pour  attaquer  son  ennemi  j  qu'il  battit  com- 
plètement. Il  revint  ensuite  à  Fécamp  avec  une 
partie  de  sa  flotte  j  bien  décidé  à  recommencer  sa 
lutte  contre  le  roi  d'Angleterre.  Canut  lui  en  épar- 
gna la  peine  ^  en  lui  envoyant  des  messagers  pour 
l'assurer  qu'il  était  toujours  dans  l'intention  d'ap- 
peler au  trône  les  enfants  d'Etelrède ,  comme  il  en 
avait  pris  l'engagement. 

L'abbé  Guillaume,  après  avoir  peuplé  de  ses 
élèves  tous  les  monastères  de  la  Normandie,  se 
sentant  courbé  sous  le  poids  des  années  et  des  infir- 
mités, prit  le  parti  d'abdiquer  le  gouvernement  de 
son  monastère ,  pour  visiter  les  établissements  qu'il 
avait  fondés  dans  le  midi  de  la  France.  Le  duc  Bot- 
bert, ne  pouvant  vaincre  sa  résolution,  exigea  du 
moins  qu'il  se  désignât  un   successeur.    Ce  choix 


(  to8) 

tombasur  Jean  d'Alie,  son  second  prieur  claustral  ^ 
qu'il  avait  atifené  avec  lui  de  Dijon. 

Jean  d'Alie,  second  Abbé. 

Ce  nouvel  abbé  était  un^  religieux  fort  instruit 
dans  les  sciences  divines  et  politiques ,  plus  à  même 
que  tout  autre  de  maintenir  la  discipline  monacale 
et  de  propager  la  doctrine  du  maître.  Il  possédait, 
en  outre ,  de  très  grandes  con  naissances  en  méde- 
cine; ce  qui  mettait  en  évidence  et  donnait  un 
certain  crédit  aux  hommes  de  l'époque.  Rotbert , 
satisfait  de  ce  choix ,  transporta  sur  Jean  d'Alie  toute 
la  confiance  qu'il  avait  en  son  prédécesseur;  il  le 
fit  sacrer  par  Hugues  ^  évêque  d'Avranches ,  ne 
voulant  pas  avoir  recours  à  l'archevêque  de  Rouen , 
qui  aurait  pu  regarder  cet  acte  comme  un  droit, 
ou  une  preuve  de  suprématie  sur  le  inonastère  de 
Fécamp. 

.  L'abbé  Guillaume ,  après  avoir  fait  la  visite  qu'il 
projetait  9  ne  tarda  pas  à  revenir  à  Fécàmp  j  où  il 
expira  presqu'aussitot ,  à  l'âge  de  70  ans  ;  il  fiit 
inhumé  devant  l'autel  de  Saint-Taurin ,  à  présent  de 
Saint-Benoît,  et  transporté ,  en  1681  ,  dans  un  mau- 
solée placé,  contre  le  mur  de  Sainte-Marie-Madeleine. 

Nous  n'avons  pas  besoin  de  répéter  ici  ce  que 
nous  avons  dit  de  cet  illustre  abbé ,  le  conseiller 
intime  de  nos  premiers  ducs,  celui  qui  dirigea  la 


(  I09)  r 

politique  normaade  pendant  quarante-un  ans  de  sa 
vie.  Sa  réputation  était  tellement  répandue ,  qu'il 
arrivait  à  Fëcamp  de  grands  personnages  pour  le 
consulter  ou  vivre  sous  la  règle  qu'il  avait  établie. 

On  cite,  entr'aulres ,  l'évêque  Osmond,  dont  on 
voyait  encore  la  sépulture  dans  le  chapitre,  avant  la 
révolution  ;  deux  ecclésiastiques  de  la  cour  de 
France,  Lecolinus  et  Berugerius  :  le  premier  acquit 
une  telle  réputation  de  science ,  qu'il  devint  abbé 
dans  un  monastère  de  son  pays  ;  le  second  mourut 
moine  à  Fécamp. 

On  nomme  encore  beaucoup  de  personnages 
illustres  d'Angleterre ,  à  la  tête  desquels  était  Clé- 
mentius,  issu  du  sang  royal;  comme  sa  naissance  lui 
attirait  beaucoup  de  visites  des  hommes  les  plus  dis- 
tingués (ie  sa  patrie,  et  qu'il  entendait  trop  parler  du 
monde  qu'il  voulait  oublier ,  il  se  réfugia ,  par  le  conseil 
de  l'abbé  Guillaume,  dans  le  monastère  de  Dijon. 

Parmi  les  grandes  choses  attribuées  à  cet  abbé,  on 
pense  bien  qu'il  doit  se  trouver,  quelques  miracles. 
Nous  en  rapporterons  deux  seulement ,  dont  nous 
ne  parlerons  qu'avec  la  plus  grande  réserve;  car, 
dans  l'ordre  des  événements  surnaturels,  il  est  diffi- 
cile de  se  rendre  compte  du  passé  par  le  présent. 
Nous  ignorons  quelles  étaient  alors  les  vues  de  la 
Providence ,  le  besoin  d'intervention  de  la  puissance 
divine  dans  les  choses  de  ce  monde;  et  le  désir  de 
tout  expliquer,  nous  ferait  tomber  dans  un  scepti- 


(   iio  ) 

cistne  qui  est  loin  de  notre  pensée;  il  nous  en  coû- 
terait trop  de  ne  pas  croire  aux  lumières  et  à  la 
bonne  foi  de  tant  de  grands  hommes  dont  les  noms 
sont  arrivés  jusqu'à  nous,  entourés  du  respeèt  et  de 
l'admiration  des  siècles. 

On  rapporte  qu'un  serviteur  de  l'abbaye  de  Dijon, 
ayant  été  étranglé  au  gibet ,  fut  ressuscité  par  les 
prières  de  Guillaume.  Il  est  à  croire  que  ce  bon  abbé 
n'était  pas  parfaitement  convaincu  de  la  culpabilité 
de  son  serviteur. 

Un  autre  miracle  eut  lieu  à  Fécamp ,  deux  ans 
après  la  mort  de  Guillaume  de  Dijon  :  un  adolescent 
fort  infirme  s'endormit  en  priant  auprès  de  son 
tombeau  ;  à  son  réveil ,  il  était  guéri. 

Dans  la  même  année,  Rotbert,  roi  des  Franks , 
étant  mort,  sa  femme  Constance  voulut  assurer  la 
couronne  à  son  second  fils,  au  détriment  de  Henri, 
qui  était  l'aîné.  Celui-ci,  voyant  qu'il  avait  à  lutter 
contre  un  fort  parti,  en  appela  à  la  loyauté  et  à  l'ar- 
bifrage  du  duc  de  Normandie.  Les  habitants  de  Fé- 
camp le  virent  arriver  dans  leurs  murs,  accompagné 
de  douze  chevaliers  ;  il  se  rendit  à  la  cour  ' ,  et  en  re- 
partit bientôt  avec  le  duc  Rotbert ,  qui  l'accompagna 
jusqu'à  Gisors  ,  et  un  secours  de  Normands  qui  le 
mirent  à  même  de  remonter  sur  le  trône  de  ses  pères. 


'  fFill.  Gemet. ,  lib.  6 ,  cap.  7. 


(  I'»  ) 

A.  la  suite  decetteexpëdîtioQyCoacertéedaDs  le  mo- 
nastère deFécamp,  la  Normandie  s'accrut  du  Yexin 
français. 

L'abbé  Jean  d'Alie,  gouvernant  sa  communauté  en 
digne  successeur  de  Guillaume,  sa  renommée  ne 
tarda  pas  à  s'étendre  dans  toute  la  province.  Les 
religieux  du  Mont-Saint-Michel  lui  demandèrent  un 
abbé  ;  il  leur  envoya  le  neveu  de  son  prédécesseur , 
le  moine  Suppo ,  qui  apporta  avec  lui  une  quantité 
de  précieux  manuscrits  venant  d'Italie ,  et  forma  une 
bibliothèque  considérable  dans  son  nouveau  mo- 
nastère. 

Ije  comte  de  Saint-Paul ,  qui  venait  de  fonder  la 
communauté  de  Blangy^  fit  la  même  demande  à  l'abbé 
Jean ,  en  lui  remettant  la  direction  supérieure  de 
cette  maison  y  qui  a  dépendu  pendant  long-temps  du 
monastère  de  Fécamp. 

A  cette  époque ,  un  scrupule  religieux  s'emparait 
du  duc  Rotbert.  Ontrouve^  dans  les  archives  deMon- 
tivilliers  ,  des  lettres  dans  lesquelles  il  dit  :  qu'il  voit 
avec  peine  l'état  d'abjection  et  d'abandon  dans  lequel 
se  trouve  le  saint  lieu  donné  à  Saint-Philibert,  par 
Yaratton. 

Nous  avons  vu  que  des  chanoines  s'étaient  in- 
stallés dans  ce  monastère,  et,  comme  ces  nouveaux 
religieux  étaient  presque  tous  des  Danois  peu  soumis 
à  la  discipline  ecclésiastique ,  leur  vie  n'avait  géné- 
ralement rien  de  bien  édifiant.  Soit  désir  de  rétablir 


(lia) 

l'ancien  ordre  de  choses,  selon  le  vœu  du  fondateur 
qui  y  avait  placé  les  religieuses  de  Fécamp ,  soit  pour 
se  rendre  aux  pressantes  sollicitations  de  Béatrix  j$a 
tante,  fille  naturelle  de  Rikhard  I*%  laquelle  désirait 
être  abbesse  de  Montivilliers ,  Rotbert  retira  ce  mo- 
nastère de  la  dépendance  de  celui  de  Fécamp,  et 
donna  y  en  échange ,  à  ce  dernier ,  Tabbàye  de  Saint- 
Taurin  d'Evreux.  L'acte  de  cette  donation  fut  sou- 
scrit à  Fécamp  en  Tan  io35.  On  dit  que  Tabbé  Jean 
ne  fut  pas  satisfait  de  cet  arrangement ,  et  qu'il  ne 
se  rendit  qu'avec  peine  aux  désirs  du  duc  de  Nor- 
mandie. 

Les  monastères  de  Bernay,  de  Saint-Taurin  et  de 
Sainte-Berthe-de-Blangy,  se  trouvèrent  ainsi  sous  la 
dépendance  de  celui  de  Fécamp,  et  cette  triple 
possession  est  rappelée ,  dit-on ,  par  les  trois  mitres 
qui  figurent  dans  les  armes  de  ce  dernier  monastère. 

L'année  io35  est  féconde  en  événements  qui  se 
pressent  et  se  succèdent.  D'abord,  Gilbert,  moine  de 
Fécamp,  fut  appelé  au  gouvernement  de  l'abbaye  de 
Couches  ;  c'était,  dit  Ordéric  Vital,  un  homme  (Tune 
grande  sagesse  et  (tune grande  honnêteté.  Ensuite, 
Rotbert  contraignit  son  cousin  Hugues  III,  évêque 
de  Bayeux,  de  rendre,  moyennant  une  indemnité, 
les  biens  d'Argences ,  qu'il  avait  usurpés  sur  l'abbaye 
de  Fécamp.  Il  paraît  qu'à  raison  de  sa  qualité  de 
parent  des  ducs  de  Normandie ,  Té vêque  de  Bayeux 
se  croyait  tout  permis,  car,   dans  la  même  année. 


(  "3) 

il  restitua  aussi  quelques  biens  au  monastère  de 
Préaux,  mais  il  ne  s'en  dessaisit  qu'au  moyen  d'une 
forte  somme  d'argent. 

Vers  la  même  époque,  Rotbert  fit  part  à  ses  con- 
seillers d'un  projet  qu'il  nourrissait  depuis  long- 
temps, et  dans  lequel  les  idées  du  siècle,  et  peut- 
être  les  reproches  de  sa  conscience,  tendaient  à  l'af- 
fermir. Tous  les  jours  prosterné  devant  les  autels 
de  l'abbaye,  il  demandait  à  Dieu  et  à  ses  saints  l'in- 
spiration et  le  secours  divin  pour  entreprendre  un 
voyage  à  la  Terre  sainte  '.  Quand  sa  résolution  fut 
définitive,  il  convoqua  à  Fécamp  l'archevêque  de 
Rouen,  les  abbés  et  les  grands  de  la  province,  et 
leur  fit  part  du  projet  qu'il  avait  irrévocablement 
arrêté.  Tous  lui  ayant  représenté  qu'il  était  im- 
prudent à  lui  de  quitter  son  pays  qu'il  exposait  aux 
malheurs  de  la  guerre  civile ,  s'il  venait  à  succomber 
dans  le  voyage,  n'ayant  pas  d'héritier  pour  prendre 
les  rênes  du  gouvernement,  Rotbert  les  tira  d'in- 
quiétude ,  en  leur  présentant  Guillaume  son  fils  pour 
lui  succéder. 

Depuis  quelques  années  on  voyait,  dans  le  palais 
de  Fécamp ,  un  enfant  extraordinaire  ,  élevé  avec  le 
plus  grand  soin ,  dont  la  naissance ,  connue  d'ua  très 
petit  nombre  d'affidés,  était  un  mystère  pour  la  Nor- 
mandie. C'était  un  fils  de  Rotbert,  qu'il  avait  eu  de 


I  Gall,  ch. ,  tome  U  ;  Appendix ,  col.  327. 

8 


(  ii4  ) 

la  fille  d'un  bourgeois  de  Falaise ,  et  qui  avait  été 
transporté  à  Fécamp  aussitôt  sa  naissance.  Les 
prélats,  enchantés  de  la  bonne  mine  de  cet  enfant, 
le  reconnurent  tous  pour  le  successeur  de  Rotbert, 
et  il  y  eut  de  grandes  réjouissances  à  l'occasion  de 
cette  cérémonie. 

Pendant  cette  réunion,  de  nouvelles  donations 
furent  faites  aux  églises  de  la  province  :  Rotbert 
offrit  la  terre  de  Toutain ville  au  monastère  de  Préaux; 
Hunfrid ,  père  de  Roger  de  Beaumont ,  qui  avait  fait 
construire  l'église  de  ce  village,  ajouta  à  cet  acte  de 
libéralité  douze  livres  d'or,  deux  manteaux  et  deux 
cavales  d'un  grand  prix.  Ces  objets  furent  réunis  à 
Fécamp  sous  les  yeux  de  Rotbert ,  qui  délégua  son 
fils  Guillaume ,  pour  déposer  sur  l'autel  de  Préaux 
l'acte  de  donation  de  Toutainville  ^ .  Ce  jeune  prince 
était  accompagné  de  son  gouverneur,  de  Raoul 
fils  de  Gerald ,  et  de  Rikhard  de  Lillebonne. 

Nous  croyons  devoir  rapporter  une  circonstance 
assez  curieuse  de  cette  cérémonie  ; 

Ilumfrid ,  ayant  réuni  à  Préaux  plusieurs  grands 
personnages  ,  lelir  donna  un  soufflet,  en  mémoire 
de  l'acte  dont  il  était  question.  Richard ,  de  Lille- 
bonne  ,  échanson  de  Rotbert ,  en  ayant  reçu  un 
plus  fort  qtie  les  autres ,  en  demanda  la  raison  à 
Humfrid  ,  celui-ci  lui  répondit  :  «  parce  que  tu  es  le 


»  Gall.  ch. ,  toin.  II  ;  Instr.  Ecc.  Lexo. ,  col.  201 


(  "5) 

plus  jeune  7  que  tu  me  survivras,  et  qu'il  est  bon 
que  tu  gardes  la  mémoire  de  ce  qui  vient  de  se 
passer.  » 

De  retour  de  ce  voyage,  Raoul,  par  une  charte 
dans  laquelle  il  prend  le  titre  de  chambellan  de  Tan- 
carville,  donne ,  pour  son  salut  et  celui  de  Marsilie 
son  épouse,  à  l'abbaye  de  Fécamp,  3o  sols  à  perce- 
voir sur  les  propriétés  de  quelques-uns  de  ses  hom- 
mes de  Fécamp  '  ;  il  y  ajoute  un  autre  revenu  qu'il 
possédait  féodalement  dans  l'église  de  la  Sainte- 
Trinité. 

Rotbert ,  prêt  à  partir  pour  la  Terre-Sainte ,  ap- 
pela ,  pour  le  remplacer ,  Alain ,  comte  de  Bretagne, 
qui  se  rendit  avec  sa  femme  Judith  à  Fécamp.  Ce  fut 
dans  cette  ville  qu'il  fit  constamment  sa  résidence  , 
et  s'occupa  des  affaires  de  la  province  et  de  l'édu- 
cation de  son  noble  pupile. 

Nous  ne  rappellerons  pas  l'éclat  du  pèlerinage 
de  Rotbert.  Son  voyage  fut  de  courte  durée  comme 
sa  vie,  dont  le  terme  eut  lieu  à  Nicée,  en  io35. 
Cette  nouvelle  étant  parvenue  à  Fécamp,  Guillaume- 
le-Bâtard ,  âgé  de  huit  ans  environ ,  fut  immédiate- 
ment proclamé  duc  de  Normandie. 


<  Excerpta  Cart.  Fisc.  Mss.  de  la  Bibliothèque  du  Roi  ;  cartons 
de  Fécamp. 


(  "6  ) 


FECAMP 

sous    GUILLAUME-LE-CONQUÉRANT. 

Les  commencements  du  pouvoir  de  Guillaume 
furent  peut-être  les  plus  agités  de  tous  ceux  de  la 
dynastie  normande.  Beaucoup  de  grands  seigneurs 
refusèrent  d'obéir  à  un  bâtard.  Quelques-uns  même 
de  sa  propre  famille,  se  regardèrent  comme  plus 
aptes  que  lui  à  succéder  à  Rotbert.  Mais  générale- 
ment toutes  ces  guerres  de  partis  opposes,  qui 
finissaient  par  le  pillage  et  l'assassinai ,  se  passaient 
dans  la  Basse-Normandie. 

Alam  fut  enfin  obligé  de  quitter  Fécamp  pour  se 
mettre  à  la  tête  des  partisans  de  Guillaume.  Après 
quelques  succès  toujours  disputés  avec  acliarnement, 
ce  prince  mourut  empoisonné ,  et  ne  revit  la  ville 
qu'il  venait  de  quitter  que  pour  y  trouver  un  cer- 
cueil. Sa  femme  Judith  fut  accusée  d'avoir  pris  part 
à  cet  assassinat ,  et  son  épitaphe ,  conservée  sur  sa 
tombe ,  dans  le  monastère  de  Fécamp  ^,  nous  apprend 


'  Et  quse  dante  Deo  sed  judice  justificante , 
Primo  jus  subiit  sed  modo  jura  régit, 
nia  solo  hic  sociata  mariti,  ut  jura  saluta 
Juditha  judicio  justificata  jaoet. 


(  "7) 

qu'elle  se  justifia  de  cette  accusation,  par  l'épreuve 

du  fer  chaud  fort  en  usage  à  cette  époque. 

Peu  de  temps  avant  la  mort  d'Alain ,  ce  Nicolas , 

fils  de  Rikhard  III ,  que  nous  avons  vu  embrasser 

l'état  monastique  à  Fédamp  ,  quitta  ce  monastère  et 

devint  abbé  de  Saint-Ouen  de  Rouen ,  léger  dédom- 
magement de  la  haute  position  qu'il  avait  perdue 

sans  retour '. 

Ici  nous  sommes  naturellement  amené  aux  affaires 
d'Angleterre  y  interrompues  par  toutes  les  dissensions 
qui  désolaient  la  Normandie.  Nous  avons  laissé  à 
Fécamp  les  deux  princes  anglo-normands ,  Edouard 
et  Alfred,  vivant  à  la  cour  de  Guillaume  et  passant 
leur  temps,  dans  la  compagnie  du  jeune  duc,  à  visiter 
les  hommes  instruits  qui  peuplaient  les  cloîtres. 
Edouard  faisait  de  fréquents  voyages  à  Saint- Wan- 
drille,  où  un  moine  nommé  Robert,  élève  deThéo- 
dérik  et  de  Guillaume  de  Dijon ,  s'était  tout-à-fait 
emparé  de  sa  confiance  et  était  devenu  l'ame  de  ses 
conseils. 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  Canut  vint  à  mourir; 
c'était  le  moment ,  pour  les  enfants  d'Emma ,  de 
faire  valoir  leurs  prétentions;  mais  ils  furent  de- 
vancés parles  comtes  d'Angleterre,  à  la  tête  desquels 
se  trouvaient  le  fameux  Godwin  et  ses  partisans,  qui 
élevèrent  au   trône    llérold  ,   fils  aîné   d'Etelrède.. 

'  Gall  christ. ,  tom:  II  ;  Aud.  Monas. 


(  "8) 

Dans  cet  arrangement ,  Hardi  Garnît  restait  posses- 
seur du  trône  de  Danemarck  et  de  quelques  comtés 
au  nord  de  la  Tamise '. 

Cette  résolution  renversait  d'un  seul  coup  les 
projets  des  ducs  normands,  et  la  main  qui  tenait  le 
sceptre  du  duché  n'était  pas  encore  d'âge  à  reprendre 
les  plans  qui  avaient  préoccupé  ses  ancêtres.  Edouard 
et  Alfred  en  jugèrent  ainsi,  et,  voyant  qu'ils  n'avaient 
aucun  secours  à  espérer  pendant  l'orageuse  minorité 
de  Guillaume,  ils  formèrent  le  projet  de  tenter  la 
fortune,  en  débarquant  sur  les  côtes  d'Angleteri-e , 
et  de  rappeler  le  souvenir  de  la  dynastie  saxonne 
aux  peuples  fatigués  du  joug  des  Danois. 

Alfred  s'aventura  le  premier  dans  cette  carrière 
si  grosse  de  périls  et  de  naufrages  ,  et  réunit  à 
Fécamp  quarante  navires.  Tout  le  monde  faisait 
des  vœux  pour  cette  expédition ,  qui  devait  cependant 
être  si  funeste  à  son  auteur.  A  peine  débarqué  sur 
les  côtes  d'Angleterre ,  ce  jeune  prince ,  si  brave  et 
si  plein  de  résolution  ,  tomba  entre  les  mains  des 
gens  du  comte  Godwin ,  qui ,  ayant  lui-même  ,  pour 
sa  famille ,  des  prétentions  au  trône ,  voyait  avec  dé- 
plaisir l'arrivée  d'un  prétendant  agréable  à  la  nation. 
Le  malheureux  prince,  après  avoir  été  témoin  du 
massacre  de  ses  partisans ,  eut  les  yeux  crevés  ,  et 


'  Saxon.  Chron. 


(  "9  ) 

fut  enfermé  daiis  le  monastère  d^Eli,  où  il  mourut 
de  chagrin  et  de  désespoir. 

Cette  nouvelle  y  étant  arrivée  en  Normandie,  y 
causa  une  consternation  générale  parmi  le  peuple , 
et  surtout  dans  les  cloîtres  de  Fécainp  et  de  Saint- 
Wandrille.  T^  prince  Edouard  y  inconsolable  et 
résigné  j  renonça  à  des  projets  paraissant  alors  im- 
possibles, et  qui  devaient  néanmoins  s'accomplir  par 
une  voie  moins  hérissée  de  difficultés  et  de  périls  ;  en 
effet ,  Hérold  ne  tarda  pas  à  mourir ,  et  Hardi-Canut 
fut  immédiatement  investi  de  la  double  couronne  de 
Danemarck  et  d'Angleterre.  Ce  prince  commença 
par  venger  le  meurtre  d'Alfred ,  et  appela  auprès  de 
lui  Edouard ,  qui  partit  de  Fécamp  pour  toujours , 
ayant  été  proclamé  lui-même  roi  d'Angleterre ,  après 
la  mort  de  Hardi- Canut  qui  n'occupa  le  trône 
que  deux  ans.  Edouard,  pour  affermir  sa  puis- 
sance, épousa  Egithe,  fille  de  ce  même  cpmte 
Godwin  qui  avait  fait  assassiner  son  frère  Alfred. 
On  voit  les  ménagements  que  conseillait  la  politique. 
Tel  fut  le  premier  anneau  de  la  chaîne  qui  devait 
confondre  dans  les  mêmes  destinées  l'Angleterre  et 
la  Normandie. 

On  pense  bien  que  ce  résultat ,  si  heureusement 
obtenu,  dut  causer  une  grande  joie  dans  les  monas- 
tères de  Normandie ,  qui  avaient  toujours  soutenu 
le  parti  d'Edouard.  Aussi  le  moine  Robert ,  élève  de 
Théodérik  de  Fécamp ,  et  conseiller  intime  du  jeune 


(  ï^c»  ) 

roi,  fut-il  appelé  immédiatement  à  la  leté  des  églises 
de  Londres  et  de  Cantorbéri;  car,  dans  ce  temps, 
on  ne  pouvait  avoir  une  haute  position  civile ,  si 
elle  n'était  étayée  par  une  dignité  ecclésiastique 
analogue.  Une  foule  de  moines  de  Fécamp,  de 
Saint-Waûdrille,  et  des  principaux  monastères  de 
Normandie,  passèrent  en  Angleterre,  où  ils  furent 
placés  à  la  tête  des  communautés.  Les  religieux  de 
Fécamp  reçurent,  en  outre,  du  roi  Edouard,  la  terre 
de  Staninges ,  comme  souvenir  du  bon  accueil  qu'il 
avait  reçu  parmi  eux. 

A  la  même  époque ,  Radulphe  de  Beaumont,  moine 
de  Fécamp  sous  Guillaume  de  Dijon  et  Jean  d'Alie , 
fut  nomme  huitième  abbé  du  Mont-Saint-Michel. 
Un  autre  moine  de  Fécamp,  ancien  juif  converti, 
venait  d'être  attiré  dans  le 'monastère  de  Saint- 
Arnould  de  Metz,  par  Warin,  abbé  de  cette  com- 
munauté ^.  L'abbé  Jean,  fâché  de  ce  qu'un  de  ses 
religieux  s'était  soustrait  à  sa  discipline  sans  l'avoir 
consulté,  en  écrivit  à  Warin;  celui-ci,  qui  recon- 
naissait  tout  le  mérite  du  religieux  de  Fécamp,  ré- 
pondit qu'il  ne  faisait  qu'user  de  représailles,  puisque 
Fécamp  possédait  un  certain  moine,  nommé' Ber- 
nard, qui  avait  quitté  l'abbaye  de  Saint-Arnould 
sans  sa  permission.  Il  est  à  croire  que  cette  récla- 
mation n'eut  pas  d'autres  suites. 

'  Vetera  Analecta  ,  apud  Mabill  ,  p.  454. 


(  1^'  ) 

Cependant,  Guillaume  atteignait  sa  vingtième  an- 
née, et,  depuis  quelque  temps,  il  était  parvenu  à 
rétablir  Tordre  dans  la  Normandie.  Ses  divers  succès 
ayant  fait  juger  à  quel  prince  on  aurait  affaire ,  plu- 
sieurs chefs  normands  s'empressèrent  de  se  rendre 
à  Fécamp  pour  lui  faire  leur  soumission.  Dans  le  nom- 
bre ,  on  distinguait  Guillaume ,  comte  de  Talou,  petit- 
fils  de  Rikhard  11,  qui,  pendant  les  désordres  qui 
venaient  d'avoir  lieu  et  auxquels  il  n'était  pas  étran- 
ger, s'était  emparé  de  plusieurs  propriétés  apparte- 
nant aux  moines  de  Fécamp. 

Soit  repentir,  comme  il  le  dit  positivement  et  avec 
beaucoup  d'humilité,  soit  plutôt  désir  d'être  agréable 
aux  religieux  dont  le  chef  avait  une  grande  influence 
sur  l'esprit  de  Guillaume,  le  comte  de  Talou  fît 
rédiger ,  dans  le  château  de  Fécamp ,  en  présence 
de  Jean  d'Alie,  un  acte  par  lequel  il  restituait  ce 
que  le  vicomte  Rainold  avait  autrefois  donné  à 
l'abbaye,  consistant  en  une  grande  terre,  avec  ses 
écuyers ,  ses  hôtes ,  ses  prés ,  ses  moulins ,  ses  salines  , 
ses  forêts  et  tous  ses  produits.  Il  (Reposa  lui-même 
cet  acte  sur  l'autel  du  Saint-Sauveur  ,  et  reprit  le 
chemin  de  ses  domaines  ^ 

Les  succès  de  Guillaume  ayant  hâté  chez  lui  l'é- 
poque où  l'ambition  rend  clairvoyant  et  fait  souvent 


*  Thésaurus  novus,  tom.  I,  col.  166-168. 


(  '^^  ) 

pénétrer  les  secrets  de  ^âve^ir,  il  voyait  que  son 
cousin  Edouard ,  marié  depuis  six  ans ,  n'avait  pas 
encore  d'enfants ,  qu'il  pourrait  bien  être  privé  d'hé- 
ritiers ,  et  que,  dans  ce  cas,  la  royauté  d'Angleterre 
était  un  fleuron  qui  pouvait  fort  bien  s'allier  à  la 
couronne  d'un  duc  de  Normandie.  Il  eut,  à  ce  sujet, 
plusieurs  conférences  à  Fécamp  avec  l'abbé  Jean 
d'Alie;  on  reconnut  qu'il  serait  à  propos  d'envoyer 
quelqu'un  auprès  du  pape ,  pensant  que  l'assenti- 
ment du  chef  de  l'église  et  les  engagements  qu'on 
prendrait  avec  lui ,  pourraient,  pour  l'avenir,  aplanir 
bien  des  difficultés.  L'abbé  Jean  s'offrit  pour  conti- 
nuer la  mission  commencée  par  Guillaume  de  Dijon'. 

On  sait  que  cet  abbé  arriva  heureusement  à  Rome, 
qu'il  y  resta  plus  d'un  an ,  et  que ,  pendant  ce  temps , 
il  eut  plusieurs  conférences  avec  le  pape.  En  reve- 
nant ,  il  fut  pris  par  les  Italiens ,  qui  le  retinrent 
en  prison  pendant  plus  d'une  année ,  pour  se  ven- 
ger des  Normands ,  qui  commençaient  à  ravager  la 
Fouille,  qu'ils  finirent  par  envahir  et  soumettre  à 
leur  autorité. 

Les  nouvelles  que  Guillaume  avait  reçues  de 
Rome  étaient  sans  doute  de  nature  à  le  satisfaire , 
car  nous  le  voyons ,  presqu'aussitôt ,  entreprendre  un 
voyage  poUtique  en    Angleterre  ;  il  s'embarqua  à 


»  Johan.  y  Vit.  Ch.  mss.  Fisc. 


(  '^3) 

Fécamp,  et,  sous  prétexte  de  faire  une  visite  à  son 
cousin  Edouard,  il  parcourut  tout  son  royaume , 
en  étudia  les  mœurs,  se  fit  connaître  aux  grands 
du  pays ,  gagna  les  uns  par  son  affabilité ,  d'autres 
par  ses  présents,  et  tous  par  l'espoir  de  récompenses , 
si  la  fortune  ne  lui  était  pas  contraire*. 

Lé  comte  Godwin  fut  le  seul  qui  parut  contrarié 
du  voyage  de  Guillaume.  En  effet ,  nous  avons  vu 
que  ce  puissant  Anglo-Saxon,  grand  sénéchal  du 
royaume ,  avait  aussi ,  pour  sa  famille ,  des  vues  sur 
le  trône  de  l'Angleterre.  Ayant  épousé  une  sœur 
du  roi  Canut ,  de  laquelle  il  avait  eu  Harold ,  il 
pensait  que  la  couronne  appartenait  plutôt  à  ce  fils 
qu'aux  ducs  de  Normandie. 

Aussitôt  après  le  départ  de  Guillaume ,  Godwin 
commença  par  intriguer ,  ramena  à  lui  les  seigneurs 
anglo-saxons ,  que  le  duc  de  Normandie  avait  mis 
dans  ses  intérêts  ;  il  leur  dépeignait  l'abaissement 
de  la  nation ,  le  crédit  dont  jouissaient  déjà  les  Nor- 
mands ,  qui  occupaient  les  meilleures  places  de  l'An- 
gleterre à  la  cour,  dans  l'église  et  à  la  tête  des  armées. 
L'archevêque  Robert  fut  le  point  de  mire  de  ses 
récriminations.  Ce  prêtre  étranger  s'était  emparé 
de  la  souveraine  puissance ,  et  l'exerçait  tout  au  profit 
de  ses  compatriotes ,  qui ,  chaque  jour ,  imposaient 


*  Chr.  mss.  Fisc.  —John  Lingard,  Hist.  ef  EngUmd. 


(  ï=»4  ) 

au  pays  leurs  lois,  leurs  mœurs,  et  jusqu'au  scandale 
de  leur  vie.  Tous  ces  propos ,  habilement  répandus , 
excitèrent  partout  le  mécontentement  de  la  multi- 
tude, Godwin  et  son  fils  Harold  se  mirent  à  la  tête 
d'un  mouvement ,  et  exigèrent  du  roi ,  pour  pre- 
mière condition  de  paix ,  le  renvoi  des  Normands, 
et  la  confiscation  de  leurs  biens.  Ainsi,  le  monastère 
de  Fécamp  se  trouva  dépouillé  de  sa  terre  de  Sta- 
ninges. 

Guillaume ,  qui  était  loin  de  prévoir  un  pareil  re- 
virement de  politique  ,  fut  donc  bien  surpris  de  voir 
arriver  à  Fécamp  plusieurs  navires  transportant 
l'archevêque  de  Cantorbéry  '  avec  les  moines  et  tous 
les  personnages  qui ,  depuis  plusieurs  années ,  avaient 
été  se  fixer  en  Angleterre,  encouragés  par  le  bon 
accueil  du  roi  Edouard. 

Le  duc  de  Normandie  fut  obligé  de  dissimuler, 
pour  le  moment,  tout  ce  qu'il  ressentait  de  dépit 
d'une  telle  révolution.  L'archevêque  Robert  fut  reçu 
avec  les  plus  grands  honneurs,  et  on  lui  procura  W 
moyens  de  se  rendre  à  Rome  pour  réclamer  la  pro- 
tection du  pape ,  et  les  foudres  de  l'église  contre  les 
Saxons  qui  avaient  méconnu  l'autorité  de  leur  pre- 
mier pasteur. 

Pendant  que  ces  choses  se  passaient ,  l'abbé  Jean 
venait  de  recouvrer  sa  liberté.  En  traversant  le  midi 

*  Saxon.  Chron. ,  pag.  233  ,  et  seq.  —  Fiscan.  Ch.  ms. 


(  125  ) 

de  la  France,  il  fut  retenu  à  Lyon  par  l'évêque 
Héliaard,  qui  le  chargea  de  faire  des  règlements  pour 
quelques  monastères  ,  dont  il  lui  confia  la  direction. 
On  voit  combien  la  communauté  de  Fécamp  jetait 
d'éclat  par  toute  la  France.  Enfin,  Jean  d'Alie,  se 
retrouvant  à  Fécamp  avec  les  expulsés  d'Angleterre, 
pria  Robert  de  faire  l'ordination  de  plusieurs  prêtres, 
parmi  lesquels  était  Alboldus,  qui  devint  archidiacre 
de  l'abbaye.  L'archevêque  de  Cantorbéry  fit ,  en 
même  temps,  la  dédicace  des  églises  de  Saint-Be- 
noît et  de  Saint- Valéry  de  Fécamp,  en  présence  de 
Guillaume  et  de  toute  sa  cour. 

Peu  de  temps  après  le  départ  de  Robert  pour 
Rome,  Hugues ,  évêque  de  Lisieux ,  vint  à  Fécamp, 
et  y  reçut,  dans  les  ordres,  Tetfride ,  en  qualité  de 
clerc  ;  Jean  Le  Roux ,  en  qualité  de  sous-diacre  ; 
et  comme  moines  ,  Robert  de  Barentin  et  le  fameux 
Odon  ' ,  frère  utérin  de  Guillaume-le-Bâtard ,  que 
nous  verrons  évêque  de  Bayeux,  et  l'un  des  pre- 
miers hommes  de  guerre  qui  se  distingueront  dans 
l'expédition  de  l'Angleterre.  C'est  devant  l'autel  de 
Fécamp  que  cet  homme  extraordinaire  prononça 
ses  premiers  vœux  de  pauvreté,  d'humilité  et  de 
chasteté  ;  lui  qui  fut  un  des  plus  grands  fléaux  de 
l'Angleterre ,  et  posséda  d'immenses  domaines  qu'il 


'  Call.  ch.  Fisc.  Monas  ;  in  yit.  Johan. 


(  126) 

défendait  sans   cesse   à  la   tête   d'hommes  armés , 
commettant  partout  les  plus  grandes  exactions» 

L'année  suivante,  io53,  l'abbé  Jean  assista  à 
l'ouverture  du  tombeau  de  saint  Denis ,  dont  les 
restes  furent  recueillis  et  distribués  à  diverses  églises. 
Il  était  à  peine  de  retour  à  la  tête  de  sa  commu- 
nauté ,  qu'une  peste  violente  éclata  à  Fécamp ,  et 
se  propagea  sur  tous  les  bords  de  la  mer.  La  capi- 
tale de  la  Normandie  ne  tarda  pas  elle-même  à  être 
atteinte  de  ce  fléau.  Après  avoir  essayé  de  tous  les 
remèdes  qui  furent  impuissants  ,  on  eut  recours  aux 
reliques  :  celles  de  saint  Wulfran  furent  tirées  de 
Saint-Wandrille  ,  et  portées  processionnellement 
dans  Fécamp  '  ,  et  sur  tous  les  points  où  le  fléau 
exerçait  ses  ravages.  Il  ne  s'arrêta  qu'après  avoir 
enlevé  la  moitié  de  la  population  de  tous  les  pays 
qu'il  avait  visités. 

Il  paraît  qu'une  réaction  favorable  s'était  déjà 
opérée  dans  l'esprit  des  anglo-saxons ,  et  que  l'opi- 
nion qui  avait  été  si  défavorable  aux  Normands 
était  assoupie ,  car  nous  voyons  l'abbé  Jean  passer 
en  Angleterre,  pour  recouvrer  les  biens  confisqués 
par  Godwin  et  ses  partisans.  Ce  fut  probablement  le 
prétexte  apparent  de  son  voyage ,  dont  les  motifs 
secrets  étaient  plutôt  d'offrir  un  secours  au  roi 
d'Angleterre ,  en  cas  qu'il  fût  de  nouveau  attaqué 


'  Gall.  ch.  ,  Mon.  Font. 


(   >^7  ) 

par  les  Anglo-Saxons ,  toujours  indisposés  contre  le 
parti  normand. 

Jean  fut  parfaitement  accueilli  à  la  cour ,  et  reçut 
du  roi  plusieurs  propriétés ,  qui  furent  ajoutées  à 
celle  de  Staninges.  Nous  citerons ,  entr'autres ,  les 
domaines  de  Berie  et  d'Hast ings  ,  qui  renfermaient 
plusieurs  manoirs ,  des  terres  en  labour ,  des  bois 
et  des  prairies  '. 

Après  avoir  vaincu  le  roi  de  France  à  Morlemer, 
Guillaume  s'aperçut  que  son  parent  Mauger,  l'ar- 
chevêque de  Rouen  ,  intriguait  contre  ses  intérêts  ; 
profitant  adroitement  du  scandale  que  donnait  la 
conduite  privée  de  ce  prélat ,  il  fit  assembler  un 
synode  provincial ,  qui  prononça  sa  déposition;  et 
Maurille ,  religieux  de  Fécamç,  fut  promu  à  cette 
haute  dignité  ecclésiastique.  Maurille  était  un  homme 
d'une  haute  vertu ,  qui  a  gouverné  son  église  avec 
éclat ,  et  Guillaume  put  compter  sur  l'influence  qu'il 
exercerait  dans  une  position  si  éminente.  A  la  suite 
de  ce  concile ,  dont  l'abbé  Jean  fut  l'ame  et  le  conseil , 
Guillaume ,  évêque  d'E\Teux ,  vint  à  Fécamp ,  où  il 
fit  une  ordination  de  prêtres ,  le  samedi  de  Pâques , 
et  le  corps  de  saint  Taurin  fut  apporté  à  Fécamp , 
d'après  les  ordres  de  l'abbé  Jean ,  et  reçu  en  grande 
cérémonie  dans  l'enceinte  du  monastère. 


<  a.  De  rébus  illis  quas  tempore  régis  Ëdwardi  in  Hastings  habue- 
runt....  concedo.  »  Cart.  WilL  conq,  ;  Cart..,  Fisc,  domesday  bock. 


(   ia8  ) 

Enfin,  après  quatre  années  de  guerres  succes- 
sives et  malheureuses  pour  le  roi  de  France  ',  ce 
prince  envoya  à  la  cour  de  Fécamp  plusieurs  ambas- 
sadeurs chargés  de  traiter  de  la  paix  avec  le  duc  des 
Normands  ;  ce  furent  Foulques ,  évêque  d'Amiens , 
et  Letzelin,  évêque  de  Paris  ^  Les  deux  partis  étant 
tombés  d'accord  ,  tout  fut  terminé  par  des  fêtes  et 
des  cérémonies  religieuses.  L'évêque  de  Paris  célé- 
bra la  messe  le  jour  de  Pâques,  et  fît  plusieurs  ordi- 
nations de  prêtres.  A  la  suite  de  ces  cérémonies, 
Durand  ,  religieux  de  Fécamp ,  fut  placé  à  la  tête 
du  monastère  de  Troarn ,  en  qualité  de  premier  abbé, 
et  y  introduisit  les  règlements  en  vigueur  dans  celui 
qu'il  Venait  de  quitter. 

Nous  ne  voyons ,  depuis  cette  époque  jusqu'en 
1064?  que  la  promotion  de  Gilbert,  moine  de  Fé- 
camp ,  à  la  tête  du  monastère  de  Fontenelle ,  et  la 
mort  de  Marguerite  ,  fille  unique  de  Herbert ,  comte 
du  Maine  ,  inhumée  dans  l'égUse  de  notre  abbaye. 
Nous  remarquons  aussi  que  ce  fut  pendant  cette  pé- 
riode que  l'habitude  de  sonner  la  retraite,  ou  couvre- 
feu  ,  fut  établie  à  Fécamp ,  comme  dans  toutes  les 
autres  villes  de  Normandie.  Cet  usage  émanant  visi- 
blement des  cloîtres ,  plut  aux  idées  d'ordre  et  de 
despotisme  de  Guillaume ,  qui  l'introduisit  dans  le 
gouvernement  civil.  Ainsi,  pour  la  première  fois ,  on 

•  Gall.  christ. ,  Fisc.  Monas. 


(  ï^9  ) 

vit  tout  une  province,  obéissant  comme  un  seul 
homme  ,  se  lever  et  se  coucher  au  son  de  la  cloche, 
comme  dans  un  couvent. 

Dans  le  même  temps,  deux  religieux  de  Fécamp , 
Pierre  et  Dieudonné  ' ,  étant  sortis  du  monastère 
avec  la  permission  de  l'abbé  Jean,  passèrent  la  Seine, 
et  arrivèrent  sur  le  sol  de  Bonneville,  où  ils  s'éta- 
blirent en^  véritables  anachorètes  ;  ayant  trouvé  dans 
ce  lieu  une  église  abandonnée ,  que  l'antiquité  avait 
dédiée  à  saint  Martin ,  ils  formèrent  le  projet  de  la 
relever  de  ses  ruines ,  et^  avec  la  permission  du  comte 
de  Bonneville  et  de  Hugues ,  é véque  de  Lisieux ,  ils 
parvinrent  à  la  rétablir  et  à  la  faire  consacrer.  Le 
jour  de  cette  dédicace  étant  arrêté,  le  duc  Guillaume 
se  rendit  sur  les  lieux ,  avec  sa  femme  et  son  fils 
Robert ,  en  compa^ie  de  l'évêque  de  Lisieux ,  de 
Durand,  abbé  de  Troarn  ,  de  Roger  de  Montgom- 
meri ,  de  Roger  de  Beaumont ,  et  de  Herluin  de 
Conteville.  Tous  ces  personnages  assistèrent  à  cette 
consécration.  Le  duc  donna  à  rétablissement  de  Bon- 
ne  ville ,  qui  restait  sous  la  dépendance  de  Tabbaye  de 
Fécamp ,  un  domaine  de  Tévêché  de  Lisieux ,  situé 
sur  le  bord  de  la  Touques ,  lequel  était  tenu  à  ferme 
par  Robert  et  Eroch.  Le  comte  de  Bonneville  y 
ajouta  Téglise  de  Saint-Just  et  un  moulin  situé  dans 
la  même  contrée. 

»  CartuL  Fisc, 


(  i3o) 

Les  acquisitions  succédèrent  aux  actes  de  libéra- 
lité :  Guillaume  de  Colombiers  ,  fils  de  Godefroi , 
vendit  à  la  Sainte-Trinité  ,  à  Saint-Martin  et  au 
moine  Pierre  ,  la  dîme  de  la  terre  de  Godefroy , 
fils  de  Raimfroi ,  située  à  Langrune  y  et  la  dîme  de 
celle  de  Gonnor  et  d'Albérade ,  pour  laquelle  Pierre 
et  Dieudonné  donnèrent  lo  livres  lo  sols,  et  un 
cheval  du  prix  de  cent  sols. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail   des  biens 
vendus  et  échangés  par  Godefroi  Delamarre ,   dans 
la  commune  de  Barville  ;  par  Roger  de  Beaumont  ; 
par  Qenselin ,  qui  donna ,  moyennant  certaines  re- 
devances, le  fief  d'Albuet ,  pour  le  salut   de  son 
ame  et  de  Tame  de  son  épouse.  Nous  nous  conten- 
terons de  faire  remarquer  comme  les  grands  biens 
et  les  riches  propriétés  arrivaient  de  toutes  parts  au 
monastère  de  Fécamp. 
if,G6.         Nous  voici  maintenant  parvenus  à  Tannée  1066, 
année  mémorable,  dont  le  commencement  Délais- 
sait pas  soupçonner  les  merveilles  qui  devaient  eu 
couronner   la  fin.   Guillaume  réunit   le  clergé  de 
Normandie  pour  consacrer  l'abbaye  de  la  Sainte- 
Trinité  de  Caen ,  qui  venait  d'être  terminée.  L'abbé 
Jean  figurait  à  cette  cérémonie ,  et  ce  fut  immédia- 
tement après  qu'il  entrepi'it  un  voyage ,  qu'à  cette 
époque  ,  les  ecclésiastiques  haut  placés  étaient  dans 
l'obligation  de  faire  ;  il  partit  pour  Jérusalem  ,  et 
perdit  ainsi  la  haute  position  et  le  grand  rôle  qu'il 


(  '3i  ) 

était  appelé  à  jouer  clans  le  gouvernement  civil. 
L'archevêque  de  Rouen,  Maurille,  cet  ancien  moine 
de  Fécarop ,  prit  naturellement  sa  place  dans  le 
grand  drame  qui  allait  s'ouvrir. 

Des  messagers  d'Angleterre  arrivèrent  presqu'aus- 
sitôt  à  Fécamp',  et  annoncèrent  en  même  temps, 
et  la  mort  du  roi  Edouard  et  l'usurpation  de  son 
trône  par  Harold  ,  fils  du  comte  Godwin.  Cette 
nouvelle  fut  immédiatement  portée  à  Guillaume , 
qui  était  à  Quevilly. 

Le.  duc  de  Normandie,  mécontent  de  ce  qu'il 
venait  d'apprendre,  dépêcha  à  Harold  un  moine 
de  Fécamp,  pour  lui  rappeler  qu'Edouard  l'avait 
reconnu  ,  lui  Guillaume,  comme  son  successeur; 
et  pour  le  sommer  de  lui  rendre  la  couronne  que 
tout  autre  ne  pouvait  posséder  qu'à  titre  d'usur- 
pateur. 

Harold  ayant  rejeté  bien  loin  les  propositions  de 
Guillaume  ,  un  vassal  du  roi  des  Franks ,  le  chef 
d'une  simple  pi*ovince  constituée  depuis  peu  et  remise 
à  peine  des  graves  dissensions  qui  l'avaient  si  souvent 
agitée,  résolut  de  faire  la  conquête  du  puissant 
royaume  d'Angleterre.  Dès  que  la  résolution  de 
Guillaume  fut  connue,  toutes  les  classes  s'empres- 
sèrent de  Id  seconder,  en  faisant  construire  et  équiper 
des  vaisseaux  pour  la  flotte  normande.    Les  monas- 

*  Chron.  nis.  Fisc. 


(  i30 

^Iwes  ne  Turent  pas  les  derniers  à  fournir  leur 'ce>n tin* 
gent.  Nicolas,  ce  moine  ,  fils  de  Rikhard  III ,  -que 
nous  avons  'Vu  prendre  possession  de  Tabbaye  de 
Saint-Ouen,  en  qualité  d'abbé,  fit^quiper,  àRoùea 
et  à  Fécamp,  quarante  vaisseaux.  llenn,ide  Fécamp, 
en  fournit  un  et  vingt  soldats.  Le 'contingent  ^e 
l'abbaye,  qui  dut  être  asse^  considérable,  €ke  nous 
est  pas  connu.  On  vit  se  réunir^  dans  tous  les  ports^ 
des  hommes  armés  de  toutes  pièces ,  qui  se  parta- 
geaient déjà  en  espérance  les  biens  des  vaincus ,  et 
ne  prévoyaient  même  pas  la  possibilité  d'un  revers  ; 
les  bannières  des  Nîghel,  des  Estod,  des  Malet, 
des  Tursting ,  des  Bailliol ,  flottaient  sur  les  nefs 
de  Fécamp,  à  bord  desquelles  beaucoup  de  moines 
-de  l'abbaye  se  confondaient  avec  5es  équipages, 
pour  prrendre  part  aux  hasards  de  l'expédition. 

<îuillaume ,  après  s'être  occupé  des  plus  petits 
détails  de  l'armement,  ^e  rendit  de  Fécamp  à  Bon- 
ne ville,  et  de  là  sur  la  Dive,  où  il  donna  le  signal 
du  départ.  Les  navires  de  la  Basse-Normandie, 
réunis ,  passèrent  devant  Fécamp ,  Saint-Valery  et 
Dieppe,  et  rallièrent  ceux  des  différents  ports  du 
pays  de  Caux.  Enfin ,  toute  la  flotte  partit  de  l'em- 
bouchure de  la  Somme ,  et  amva  heureusement  en 
vue  des  côtes  d'Angleterre.  L'armée ,  ayant  opéré 
son  débarquement,  se  disposa  à  combattre  les  Anglo- 
Saxons  qui  s'avançaient  à  sa  rencontre. 

Avant  d'en  venir  aux  mains,  Guillaume  jugea  à 


(  i33  ) 

propos  d'envoyer  uq  messager  à  son  adversaire  pour 
l'engager  à  se  soumettre  et  à  épargner  le  sang  de 
tant  de  braves  disposés  à  le  répandre  pour  leur  cause; 
Ce  fut  encore  dom  Hugues,  moine  de  Fécamp,  qu'il 
chargea  de  ces  conférences.  Le  messager  s'avança 
à  la  vue  des  deux  armées  qui  frémissaient  d'impa- 
tience de  connaître  le  résultat  de  sa  mission. 

Dom  Hugues  fit  plusieurs  voyages  du  camp  de 
Çuillaume  à  celui  de  Harold  ,  et ,  malgré  l'habileté 
du  négociateur 9  tout  se  passa  en  longues  et  inutiles 
conférences  y  comme  il  arrive  toujours  lorsqu'un 
parti  ne  peut  offrir  au  parti  contraire  qu'abaisse- 
ment et  servitude.  On  n'avait  pas  encore  inventé 
ces  tranlsactions  honteuses  qui  déconsidèrent  les  na- 
tions,  énervent  le  moral  des  peuples  y  en  faisant  des- 
cendre les  hautes  questions  d'existence  politique  au 
niveau  des  opérations  les  plus  vulgaires. 

Enfin  le  signal  du  combat  fut  donné;  une  épou- 
vantable mêlée,  dont  l'issue  paraissait  incertaine , 
s'engagea  parmi  les  combattants  ;  des  moines  retirés 
à  l'écart  sur  une  haute  montagne,  et  attentifs  aux 
pitogrès.  des  deux  aFmées ,  ne  cessaient  de  prier  et 
de  donner  des  conseils  aux  Normands',  qui  finirent 
par  obtenir  une  supériorité  marquée  sur  leurs  enne- 
mis. Harold  fut  tué  sur  le  champ  de  bataille ,  et  son 
armée  mise  dans  une  complète  déroute. 

*  N  Quorum  officiumeratpugnare  prccibus  etconsiliis.  »  Ord.  vUy 


(  '34) 

On  s'aperçut  alors ,  après  les  premièi^s  émotions  de 
la  victoire,  d'une  circonstance  fort  remarquable  pour 
le  monastère  de  Fécamp  j  c'est  que  la  destinée  d'un 
grand  peuple  venait  de  s'accomplir  sur  le  champ 
d'Hastings  y  qui  avait  été  donné  depuis  peu  de  temps 
à  ce  monastère,  par  le  roi  Edouard,  Ce  ft^t  sur  cette 
terre  que  Guillaume,  le  duc  des  Normands ,  au  milieu 
des  acclamations  des  gens  d'église  et  des  guerriers 
qui  l'entouraient,  fut  {A*oclamé  roi  d'Angleterre, 
en  attendant  les  cérémonies  qui  devaient  avoir  lieu 
dans  la  métropole  de  Londres ,  pour  imprimer  un 
caractère  sacré  au  titi'e  éminent  et  no^veau  qu'il 
venait  de  conquérir. 

FÉCAMP 

I 

Sous    LE    GOUVERNEMENT   DES    DUCS    NORMANDS, 
DEVENUS    ROIS   d' ANGLETERRE. 

I 
f 

Il  ne  suffisait  pas  à  Guillaume  d'avoir  conquis  un 
trône ,  au  prix  du  sang  de  tant  de  braves  restés  sur 
le  champ  de  bataille  ;  il  fallait  encore  penser  à  cette 
milice  avide  et  turbulente  que  l'amour  du  butin 
avait  fait  quitter  ses  tterres  pour  courir,  avec  soa 
chef,  les  chances  aventureuses  de  la  fortune.  Tous 
les  Normands  et  les  étrangers  qui  l'avaient  suivi 
eurent  des  possessions  en  Angleterre  ;  tous  les  ridies 
A»glo-Saxons ,  à  peu  d'exceptions  près ,  furent  im- 
pitoyablement dépouillés  de  leurs  domaines. 


(  i35) 

Ainsi  j  Bailliol ,  de  Fécamp ,  fut  doté  de  plusieurs 
grands  fiefs ,  et  ses  descendants  parvinrent  à  se 
créer  une  royauté  dans  le  nord  de  l'Angleterre. 

Le  chef  normand  Milon  Crepin,  de  la  baronnie  du 
Bec,  fut  élevé  au  rang  de  seigneur  de  Wallingford. 

Giffarty  de  Fécamp,  eut  les  terres  de  Sudrie, 
Stoninghs  /  Roteland  et  Lincoles. 

Nighel,  de  Fécamp,  eut  celle  de  Statford. 

Tursting,  fils  de  Rolf  de  Ganzeville,  eut  des  do- 
tations considérables  dans  plusieurs  comtés. 

Manassés  Bizet,  de  Fécamp,  reçut  un  domaine 
dans  Sommerset  ;  Gérard  des  Loges,  dans  Glocester  ; 
et  Rémi,  de  Fécamp ,  qui  avait  fourni,  comme  nous 
l'avons  vu ,  un  navire  et  vingt  soldats ,  eut  l'évêché 
de  Dorchester. 

L'élection  de  ce  Rémi ,  qui  n'était ,  sans  doute , 
qu'un  clerc  séculier  ou  peut-être  un  simple  maître 
de  barques ,  parut  très  peu  canonique  à  la  cour  de 
Rome  ;  le  nouvel  évêque  fut  cité  devant  le  saint  siège , 
à  l'instigation  des  prélats  d'Angleterre.  La  volonté 
de  Guillaume  sut  aplanir  toutes  les  difficultés. 

Enfin ,  beaucoup  d'autres  personnages  de  naissance 
obscure ,  des  environs  de  Fécamp,  reçurent  de  grandes 
terres  qui  les  rendirent  plus  riches  et  plus  opulents 
que  les  seigneurs  dont  ils  relevaient  en  Normandie. 

Vint  ensuite  le  tour  du  monastère  de  Fécamp ,  qui 
rentra  dans  ses  propriétés  dont  les  partisans  de  Uarold 
s'étaient  emparés  pour  la  seconde  fois.    Cotait  un 


(  '36) 

avantage  assez  grand  pour  la  communauté ,  mai^ 
la  reconnaissance  du  roi  d'Angleterre  ne  pouvait 
rester  dans  ces  limites.  Plusieurs  familles  de  la  race 
vaincue  furent  dépossédées  et  chassées  de  leurs  do- 
maines, qui  devinrent  la  propriété  des  moines  de 
Fécamp.  L'anglo-saxon  Herald  perdit  33  hides  de 
terre  qu'il  possédait  à  Arondel,  dans  Staoinges. 

Rotbert  fut  obligé  d'abandonner  quatre  manoirs 
de  sa  terre  de  Hastings,  et,  enfin ,  la  comtesse  saxonne 
Goda  fut  dépouillée  des  propriétés  qu  elle  possédait 
dans  Bérie. 

On  dressa ,  quelque  temps  après  ^  un  état  de  ces 
biens  y  consistant  en  manoirs ,  bois,  terres ,  prairies 
et  redevances ,  situés  dans  Sudsex ,  Ghestelinges  j 
Rasmelie,  Hastings ,  Staninges  et  Bérie'.  Us  sont 
rappelés  dans  une  charte  de  donation ,  revêtue  de  la 
croix  de  Guillaume,  comme  c'était  l'usage  alors* 
Cette  pièce,  des  plus  curieuses,  existe  en  original 
au  dépôt  des  archives  de  la  Seine-Inférieure. 

Guillaume  avak  bien  généreusement  pourvu  à 
toutes  les  nécessités  de  ses  compagnons  d'armes  ; 
mais,  en  fait  d'organisation  sociale,  tout  était  à  créer 
en  Angleterre  ;  les  seigneurs  anglo-saxons ,  peu  ci- 
vilisés, passaient  leur  temps  dans  l'oisiveté  et  la 
débauche.  Les  ordres  religieux  n'avaient  pas  plus 
résisté  à  la  contagion  du  siècle.  Le  clergé  anglais» 

*  Chart.  Will.  Conq. ,  Cart,  fisc.  ;  domesday  boofc. 


(  ï37) 

dit  Orderic  Vital ,  a  a  avait  aucune  connaissance  des 
«  lettres;  les  moines  étaient  ignorants ,  grossiers  j 
«  et  s'abandonnaient  à  la  paresse  et  aux  plaisirs  de 
«  la  table.  »  Il  était  donc  nécessaire  de  tout  renou- 
veler; aussi  voyon»-nous  les  monastères  de  Nor- 
mandie fournir  des  religieux  qui  furent  tous  placés 
à  la  tête  des  évéchés  et  des  communautés  qui  se 
reformèrent  sur  tous  les  points  de  l'Angleterre.  Hu- 
bert, prieur  de  Fécarop,  qui  s'était  embarqué  avec 
trente  religieux ,  fut  nommé  abbé  de  Ramesie ,  et 
devint ,  par  suite ,  évéque  de  Thedford  ■• 

On  connaît  la  fameuse  lettre  de  Guillaume  à  Jean 
d'Âlie  y  par  laquelle  il  lui  demande  Vital ,  ancien 
moine  de  Fécamp ,  devenu  abbé  de  Bernay ,  pour 
le  transférer  à  l'abbaye  de  Westminster  y  à  laquelle 
ce  prince  portait  une  vénération  particulière ,  à  cause 
du  roi  Edouard  et  de  la  reine  Egitlie  y  qui  y  avaient 
été  inhumés.  Il  prie  en  même  temps  l'abbé  Jean  de 
permettre  qu'Oçbern ,  frère  de  Vital ,  remplace  ce 
dernier  à  la  tête  du  monastère  de  Bernay^. 

Les  i*eligieux  du  Mont-Saint-Michel ,  la  plupait 
élèves  de  l'abbé  Suppo ,  neveu  de  Guillaume  de 
Dijon  y  ne  restèrent  pas  en  arrière  du  mouvement  qui 
en|fainait  tout  y  hommes  et  idées  y  vers  l'Angleterre. 
Six  navires  furent  équipés  et  mis  en  mer,  portant 


'  trésor  de  Fécamp.  Mss. 
'  jinalect. ,  460. 


(  i38  ) 

des  cargaisons  de  moines.  Tous  obtinrent  des  béné- 
fices ecclésiastiques ,  et  quatre  furent  placés  à  la 
tête  de  riches  communautés.  Roaldus ,  qui  avait 
fait  profession  de  la  vie  monastique  à  Fécamp ,  gou- 
verna le  monastère  d'Heli.  Scollandus,  celui  de 
Canlorbéry ,  Serlon ,  celui  de  Glocester ,  et  (ruillaume 
d'Agorne,  celui  de  Saint-Pierre-de-CorneiHe-. 

Soit  que  le  clergé  de  Normandie  fût  appelé  en  An- 
gleterre ,  ou  s'y  rendît  volontairement  pour  obtenir 
des  bénéfices ,  «  des  ecclésiastiques  qui  passaient  pour 
((  sages,  dit  toujours  notre  vieil  historien  normand, 
c(  suivaient  constamment  la  cour  pour  en  obtenir  ce 
a  qu'ils  désiraient ,  et ,  par  divers  modes  de  bassesses^ 
M  se  faisaient  flatteurs  au  grand  détriment  delà  reli- 
«  gion.  De  même  que  les  princes ,  payant  une  solde 
«  aux  gens  de  leur  milice,  ainsi  quelques  prêtres  rece^ 
«  vaient  des  laïques ,  pour  prix  de  leurs  adulations , 
«  desévêchés,  des  abbayes,  des  archidiaconats,  des 
«  doyennés  et  des  charges  d'église.  » 

Sans  nous  arrêter  aux  motifs  secrets  qui  guidèrent 
les  démarches  des  hommes  de  l'époque ,  il  est  positif 
que  le  clergé  normand ,  placé  à  la  tête  de  toutes  les 
communautés  religieuses  de  l'Angleterre,  prenait  en 
même  temps  part  aux  plus  hautes  décisions  ^ui 
concernaient  le  gouvernement  de  l'Etat  ^  car  Guil- 
laume lui-même  n'entreprenait  rien  sans  consulter 
ses  évêques  et  ses  abbés  *.    Si  l'on  réfléchit  mainte- 


*  Voir  la  leUre  de  Guillaume,  à  tous  ses  sujets  du  diocèse  de 


(  '39  ) 

naiit  que  ce  clei*gé  avait  été  formé  par  celui  de 
Fécampy  qui  gouvernait  depuis  long-temps  une  partie 
des  évêchésy  des  maisons  religieuses  et  des  églises 
de  la  province,  on  conviendra  que  ce  dernier  peut 
revendiquer  avec  orgueil  une  grande  part  dans  la 
prospérité  et  l'avancement  moral  de  l'Angleterre. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  davantage  à  cette 
idée ,  que  notre  qualité  d'historien  y  l'amour  de 
notre  sujet,  doit  nous  faire  aborder  avec  la  plus 
grande  réserve  j  pour  ne  pas  être  taxé  d'exagération  ; 
nous  nous  contenterons  de  l'indiquer  et  de  la  livrer 
au  jugement  et  à  la  sagacité  de  nos  lecteurs. 

La  Normandie ,  conune  on  doit  bien  s'y  attendre , 
était  en  émoi  des  conquêtes  de  son  duc  ;  tant  de 
hauts  faits  étaient  devenus  le  sujet  de  tous  les  récits  ; 
des  chroniqueurs  enthousiastes ,  des  trouvères  de 
cour  y  l'orgueil  national  même  ,  tout  concourut  en- 
core à  les  exalter.  On  était  glorieux  jusque  dans 
les  plus  petits  villages,  qui,  presque  tous,  avaient 
fourni  leur  seigneur ,  un  homme ,  ou  leur  bannière 
à  la  conquête.  Un  grand  royaume  était  subjugué; 
un  roi  puissant,  renversé  du  trône^  avait  cédé  la  place 
au  duc  victorieux  des  Normands  ;  tous  étaient  fiers 
du  nom  de  Guillaume ,  et  si  la  fusion  des  deux  races 


Lincoln  ,  pour  leur  notifier  qu*il  ayait  jugé  à  propos  de  corriger  et 
rectifier ,  de  concert  avec  les  évéques  et  les  abbés  de  son  royaume , 
les  anciennes  lois  des  Anglais.,  (Mabil.,  Ana.  ^  tom.  1 ,  pag.  210 
et  220.  ) 


(  '40  ) 

n*eût  été  faite  depuis  long-temps  j  ce  grand  évéhe^ 
ment  l'aurait  définitivement  accomplie;  les  maux 
anciens  étaient  réparés,  et  les  humiliations  avaient 
disparu  sous  des  torrents  de  gloire. 
1067.  Après  avoir  mis  ordre  aux  affaires  de  son  royaume, 
Guillaume  revint  en  Normandie  au  mots  de  marsi 
1067.  Toutes  les  populations  se  portèrent  à  sa  ren- 
contre. «(Jamais,  dit  un  ancien  annaliste  %  Titus, 
«  entrant  à  Rome ,  ne  fut  accueilli  avec  plus  de- 
«  joie  que  n'en  montra  la  Normandie  à  Farrivée- 
«  du  roi  Guilhiume.  Malgré  le  carême,  le  clergé 
«  suspendit  les  jeûnes  et  les  abstinences,  pour  fêter 
a  dignement  ce  retour;  Partout  le  roi  faisait  des 
a  présents  d'autant  fhisr  précieux  qu'ils  étaient  pris 
a  sur  le  trésor  anglais,  et  tellement  abondants  en 
«  or  et  en  argent  qu'on  aurait  eu  peine  à  en*  recueillir- 
c(  autant  dans  les  trois  Gaules.  » 

Guillaume  ayant  traversé  toute  Ik  Basse-Normanv 
die ,  vint  à  la  fin  du  carême  k  fécamp  ;  il  fut  reçu 
à  l'abbaye  avec  toute  sa  cour  et  les  otages  saxons 
qu'il  avait  ramenés  de  l'Angleterre.  Parmi  ces  der- 
niers, on  remarquait  l'archevêque  Stigernd:,  primat 
des  évêques  de  toute  la  Bretagne,  Adelin*,  parent 
du  roi  Edouard ,  les  trois  comtes  Edwin  ,  Morcar , 
Guallè ve ,  et  beaucoup  d'autres  Saxons  d'une  haute 


«  Will.  Pict. 


(  '4i  ) 

noblesse  y  dôat  il  craiguait,   après   son  départ^   la 
puissance  et  l'inifidélité. 

Il  célëbra/la  fête  de  Pâques  à  Fécamp.  Le  <;omte 
Raoul  y  beau-père  du  roi  des  Franks,  un  grand 
nombre  de  nobles  de  France  ,  tout  le  peuple  des 
environs^  s'y  -étaient  réunis  pour  assister  à  ces  céré- 
monies y  qui  tirèrent  un  grand  éclat  de  la  présence 
de  tous  ces  grands  personnages ,  des  pompes  reli- 
gieuses, delà  musique ,  et  de  l'art  des  jongleurs  qui 
fut  mis  à  contribution  dans  une  circonstance  aussi 
solennelle.  Gufllaume ,  humblement  placé  dans  le 
chœur-des  moines,  au  milieu  d'une  foule  d'évéques 
et  d'abbés,  fit  étaler  aux  yeux  de  tous  des  vêtements 
couverts  et  chamarrés  d'or ,  ainsi  que  des  vases  du 
même  métal ,  dont  le  nombre  était  incroyable.  Dans 
un  grand  repas  donné  aux  Franks ,  ou  ne  but  que 
dans  ces  vases  ou  dans  des  cornes  de  bœuf  garnies 
aux  deux  extrémités  d'ornements  en  or  et  eu  argent  ; 
tous  les  assistants  étaient  émerveillés  de  ces  richesses , 
de  l'air  et  de  la  tournure  des  jeunes  Anglo-Saxons  : 
on  remarquait  la  fraîcheur  de  leur  teint,  leurs  épais- 
ses et  longues  moustaches,  qui  les  distinguaient  des 
Normands,  dont  la  barbe  était  rasée',  et  les  étran- 
gers ,  en  quittant  Fécamp ,  sous  l'impression  de  ce 
qu'ils  avaient  admiré ,  répandirent  partout  la  nou- 
velle de  tant  de  merveilles  et  de  magnificence. 

■     '        ■   I     * ■    '     j    I      ■     ■ 

■  Mathieu  Pârîs. 


(  i4^  ) 

Dans  la  même  année  mourut  rarchevéque  de 
Rouen,  Morille;  cet  ancien  moine  de  Fécamp  avait 
administré  les  affaires  religieuses  pendant  la  conquête 
et  présidé  à  l'envoi  des  ecclésiastiques  nonnands , 
qui  passèrent  en  Angleterre.  Il  eut  pour  successeur 
Jean ,  évêque  d'Avranches ,  fils  de  la  même  Sprota  ,* 
que  nous  avons  vue  à  Fécamp ,  donner  le  jour  à 
Richard  I ,  et  se  remarier  après  la  mort  de  Guillaume- 
Longue-Épée. 

Toutes  les  richesses  de  l'Angleterre  passées  aux 
mains  du  clergé  et  des  seigneurs  normands ,  per- 
mirent à  ces  dernière  de  construire  un  grand  nombre 
de  châteaux  et  d'édifices  religieux.  Aussi  Roger 
de  Montgommeri  obtint-il  de  l'abbaye  de  Fécamp 
la  permission  de  relever  de  ses  ruines  le  monastère 
d'Almenèches,  détruit  par  les  Normands ,  et  il  plaça, 
à  la  tête  de  cette  maison ,  Adelise ,  qui  en  fut  la 
première  abbesse. 

Le  comte  Baldouin,  attaché  à  la  cour  du  roi 
d'Angleterre ,  fit  élever  une  chapelle  dans  son  ma- 
noir, situé  sur  la  côte  de  Fécamp;  elle  a  été  érigée 
depuis  en  prieuré,  sous  le  lîom  de  Notre-Dame  du 
Bourg- Baudouin. 

Le  nouveau  clergé  d'Angleterre  surpassait  encore 
beaucoup  en  opulence  celui  de  Normandie.  Nous 
en  citerons  un  exemple ,  qui  n'est  pas  étranger  à 
notre  sujet.  On  se  rappelle  que  Rémi,  de  Fécamp, 
avait  été  nnmmA  évêque  de  Dorchester.    Indigné  de 


(  '43  ) 

ce  que  le  roi  Tavait  placé  clans  une  si  petite  localité , 
tandis  qu'il  avait  la  ville  de  Lincoln  dans  son  dio-* 
cèse ,  il  acheUi  "êÊÊ  terres  sur  la  croupe  du  mont 
voisin  de  cette  dernière  ville,  et  fit  bâtir  une  église 
cathédrale  à  ses  dépens ,  malgré  l'opposition  de 
l'évêque  d'Yorck ,  qui  revendiquait  Lincoln  comme 
appartenant  à  son  diocèse  ' . 

Peu  de  temps  après,  le  monastère  de  Fécamp  1075. 
reçut  encore  Guillaume  avec  toute  sa  cour  ;  mais  il 
n'était  plus  question ,  cette  fois ,  d'y  étaler,  à  tous  les 
yeux,  les  fruits  de  la  conquête:  une  cérémonie  pins 
grave  et  plus  touchante  pour  le  cœur  du  roi  devait 
y  être  célébrée  ;  Guillaume  y  offrit  à  Dieu  sa  lîlie 
Cécile,  qui  fut  admise  dans  les  ordres  religieux, 
par  le  ministère  de  Jean,  archevêque  de  Rouen. 
C'est  elle  qui  devint  la  seconde  abbessc  de  la  Tri- 
nité de  Caen,  où  elle  succéda  à  sa  mère,  fonda- 
trice de  ce  monastère. 

Pendant  tout  le  mouvement  de  la  conquête , 
pendant  toutes  les  fêtes  qui  avaient  eu  lieu  à  Fé- 
camp, l'abbé  Jean  d'Alie  était  à  Jérusalem;  de  là, 
sans  doute,  l'ascendant  que  prit,  dans  les  conseils 
de  Guillaume,  un  ancien  religieux  de  l'abbaye  du 
Bec,  le  vénérable  et  savant  Lanfranc,qui  devint 
d'abord  abbé  de  Saint-Etienne  de  Caen  ,  et  ensuite 
archevêque  de  Cantorbéry.    L'abbé  Jean  d'Alie  es- 

,»■  ■  ■  ■      . 

*  Analectes,  Dom  Mabillon. 


(  i44) 

suya  nylle  traverses  pendant  son  pèlerinage;  fait 
prisonnier  par  les  infidèles  et  reteiiu  dans  une  dure 
captivité ,  pendant  plusieurs  SLunétê^  il  ne  revint  à 
Fécamp  qu'en  1070 ,  et  y  mourut  neuf  ans  après 
son  retour.  Ses  restes  furent  déposés  dans  la  cha- 
pelle de  saint  Jean-Baptiste. 

Guillaume  DE  Ros ,  troisième  Abbé. 

L'abbé  Jean  d'Alie  fut  remplacé  par  Guillaume 
de  Ros,  qui  avait  été  successivement  chantre,  doyen 
et  archidiacre  de  Bayeux,  du  temps  de  Tévêque 
Odou.  C'était  un  religieux  dont  Ordéric  Vital  fait 
le  plus  grand  éloge  sous  le  rapport  de  la  piété  et  de 
la  probité,  a  Comme  le  nard  mystique,  il  parfuma, 
«  dit-il,  la  maison  du  Seigneur,  par  la  charité,  la 
(c  libéralité  et  toutes  sortes  de  mérites.  »  Beaucoup 

m 

d'hommes  illustres  qui  lui  étaient  personnellement 
attachés,  vinrent  se  fixer  dans  son  monastère  pour 
ne  pas  se  séparer  de  lui.  Il  avait  un  tel  air  de  sagesse 
et  de  modestie,  que  les  moines  le  comparaient 
souvent  à  une  jeune  fille ,  dont  ils  lui  donnaient  le 
nom. 

Le  roi  Guillaume ,  voyageant  dans  la  Basse-No^i- 
mandie,  où  il  s'occupait  d'administration,  était  ac- 
compagné de  son  parent  l'abbé  Nicolas  et  de  l'ar- 
chevêque Jean.  La  fête  de  Saint-Ouen  étant  sur  le 
point  d'arriver,  et  l'abbé  se  trouvant  retenu  près  du 


(  >45} 

roi ,  Tarchevêque  alla  seul  à  Rouen  j  avec  la  permis- 
sion de  Guillaume ,  pour  présider  aux  cérémonies  qui 
avaient  lieu  tous  les  ans  à  pareille  époque.  Les  moines 
de  Saint-Ouen ,  fâchés  de  voir  l'archevêque  s'intro- 
duire dans  leur  monastère,  pour  y  faire  Tofiice  à  la 
place  de  leur  prieur,  suppléant  naturel  de  l'abhé , 
se  mutinèrent.  Us  interrompirent  les  cérémonies 
religieuses,  firent  un  grand  tumulte  dans  l'église, 
sonnèrent  les  cloches  pour  appeler  le  peuple  à  leur 
secours  contre  les  gens  de  l'archevêque ,  et  finirent 
par  emprisonner  Jean ,  qui  ne  fut  délivré  que  par 
l'intervention  du  vicomte  et  des  agents  royaux  '. 

Guillaume,  ayant  eu  connaissance  de  cet  acte  de 
violence,  fit  punir  les  religieux  les  plus  mutins. 
Quatre  furent  relégués  dans  diverses  abbayes  :  Wrne^ 
mare  fut  envoyé  à  Fécamp,  Benoît  à  Fontenelle,  et 
Radulphe  à  Jumiéges. 

Ce  tumulte  et  ses  suites  paraissaient  tout-à-fait 
oubliés ,  lorsque  l'archevêque  de  Rouen ,  faisant 
une  tournée  dans  son  diocèse,  vint  séjourner  à  Fé- 
camp,  oh,  à  raison  de  sa  dignité ,  il  fut  reçu  dans 
le  monastère  avec  les  gens  de  sa  maison.  On  ne  tarda 
pas  à  s'apercevoir  que  la  vieille  rancune  d'Wrnemare 
contre  l'archevêque  n'avait  pas  favorablement  dis- 
posé les  esprits  en  faveur  de  ce  dernier ,  et  qu'elle  ne 
cherchait  qu'une  occasion  favorable  pour  éclater  ; 


'  jdnn,  Bemedie^  ^  lir.  64  »  p.  69. 

lO 


(  '46  ) 

elle  ne  se  fit  pas  Tong-temps  attendre.  Les  domes- 
tiques du  prélat,  assez  exigeants  à  ce  qu'il  paraît, 
prétendirent  que  l'abbaye  de  Fécamp  était  obligée 
de  recevoir,  à  Pâques,  l'archevêque  de  Rouen,  et  de 
le  défrayer ,  ainsi  que  sa  suite  ;  et  la  suite  de  l'arche- 
vêque était  singulièrement  exigeante  et  disposée  à 
jouir  de  la  plénitude  de  ce  droit.  Les  serfs  de  l'ab- 
baye ,  irrités  de  pareilles  prétentions ,  s'y  opposèrent 
de  tout  leur  pouvoir;  du  raisonnement  on  en  vint 
aux  menaces,  et  des  menaces  aux  voies  de  fait.  En- 
fin ,  le  scandale  qui  avait  eu  lieu  à  Bouen  ,  se 
renouvela  dans  le  monastère  de  Fécamp ,  et  les  habi- 
tants de  la  ville  furent  obligés  d'intervenir  pour  réta- 
blir l'ordre,  qui  était  on  ne  peut  plus  compromis.  11 
paraît  que  le  roi  Guillaume  ne  donna  pas^  tout-à-fait 
tort  aux  moines  de  Fécamp ,  car  aucuqs  ne  furent 
punis,  et  il  exigea,  au  contraire,  de  l'archevêque,  une 
déclaration  par  laquelle  il  reconnaissait  le  monas- 
tère exempt  de  sa  dépendance  ' .  Celte  pièce  fut  signée 
par  Guillaume,  par  Robert,  comte  d'Eu,  par  l*abbé 
de  Fécamp,  Herbert  son  prieur,  et  par  Robert, 
archidiacre  d'Evreux. 

C'était,  à  ce  qu'il  paraît,  l'époque  des  coi^testa- 
tions,  et  la  communauté  ne  tarda  pas  à  en  avoir  une 
assez  vive  avec  Gilbert  d'Auffai,  seigneur  deGanze- 
ville.  Comme  le  roi  d'Angleterre  intervenait  jusque 


■  Cart,  Fisc.  —  Défense  de  rexemption  de  Fécamp. 


r 


(  x47) 

dans  les  plus  petits  difTërends  qui  concernaient  le 
monastère  de  Fëcamp ,  il  ordonna  une  transaction 
par  laquelle  Gilbert  d'Auffai  remettait  à  l'abbé  Guil- 
laume tous  ses  droits  sur  l'abbaye  et  la  forêt  de  la 
Sainte-Trinité ,  appelée  Entre-deux-Eaiix ,  et  située 
sur  le  promontoire  qui  existe  entre  les  rivières  de 
Ganzeville  et  de  Yalmont;  il  ajoutait  ses  droits  sur 
une  portion  de  terre  en  friche,  de  la  même  forêt, 
et  Téglise  de  Toussaint. 

Dans  Ganzeville,  où  l'abbaye  de  Fécamp  possédait 
déjà  l'église  et  la  dîme ,  Gilbert  donnait  deux  acres 
de  terre ,  la  dîme  de  ses  moulins,  celle  du  fromage 
et  du  bétail  provenant  de  ces  établissements. 

De  son  côté,  l'abbé  de  Fécamp  remettait  en 
échange  à  Gilbert  d'AufTai  :  lo  livres  tournois,  les 
droits  de  pacage  pour  les  hommes  de  sa  terre ,  et 
du  bois  de  chaufTage  en  quantité  suffisante ,  quand 
lui  et  sa  femme  viendraient  à  Ganzeville;  en  pré- 
v^Qiant,  toutefois,  l'abbé  ou  son  prieur  qui  feraient 
délivrer  ce  bois  par  le  garde  de  leurs  forêts. 

Ces  donations  furent  faites  par  l'abbé  de  Fécamp , 
à  condition  que  Gilbert  les  tiendrait  féodalement 
de  ladite  abbaye  ,  et  qu'il  serait  astreint  à  un  service 
envers  l'église  de  la  Sainte-Trinité  toutes  les  fois 
qu'il  en  serait  requis  par  la  communauté.  On  voit 
comme,  par  une  simple  transaction,  on  devenait 
l'homme  des  abbayes ,  et  comme  elles  trouvaient  au 
besoin  des  défenseurs. 


(  i48) 

Les  principaux  signataires  de  celte  transaction 
Sont  Lambert  de  Saint-Saëns, Guillaume  Dent-Dure , 
Guillaume  Mauconduit ,  Robert  Malet ,  Bernard 
Neumarché ,  Richard  de  Torcey ,  Yves  Campion  , 
Bernard  de  Belnai  (  Baunai  )  ,  Ernouf  de  Villaines  , 
et  Guillaume  de  Tournebu.  Le  roi  Guillaume  ^  se 
trouvant  alors  à  Fécamp,  fit  faire  une  charte  par 
laquelle  il  confirmait  à  l'abbaye  tous  les  biens  qu'elle 
possédait  en  Angleterre,  venant  de  lui  et  de  ses  pré- 
décesseurs. 

La  ville  et  le  monastère  de  Fécamp  restèrent  pai- 
sibles tant  que  dura  le  règne  de  Guillaume-le- 
Conquérant.  On  sait  que  le  vainqueur  de  l'Angle- 
terre mourut  le  9  septembre  1087,  à  Rouen,  dans 
le  prieuré  de  Saint-Gervais ,  qui  appartenait  aux 
moines  de  Fécamp.  Il  voulut  qu'ils  reçussent  sa  dé- 
pouille mortelle  et  son  dernier  soupir  ;  ce  fut  la  der- 
nière marque  d'affection  qu'il  donna  à  ces  religieux, 
qui  transportèrent  son  corps ,  par  la  Seine  et  l'Orne, 
jusqu'à  Caen,  où  on  l'inhuma  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Etienne.  L'abbé  Guillaume  de  Ros  était  présent  à 
cette  cérémonie. 


(  *49) 

FÉCAMP 

sous  GUILLAUME-LE-ROUS:  ,   ROBERT   CoURTE-HeUZE 

•*  ET  Henri  I. 

À  la  mort  de  Guillaume ,  il  y  eut  partage  de  ses 
états  entre  ses  deux  fils  aînés  :  Guillaume-le-Roux 
fiit  roi  d'Angleterre ,  Robert  Courte-Heuze  duc  de 
Normandie  y  et  Henri,  le  plus  jeune,  eut  une  forte 
somme  d'argent,  prélevée  sur  le  trésor  royal. 

La  séparation  de  la  Normandie  et  de  l'Angleterre 
contraria  beaucoup  les  seigneurs  anglo-normands  ^ 
qui  avaient  des  propriétés  dans  les  deux  pays  ;  il  leur 
était  pénible  ^l'avoir  deux  maîtres ,  nouvel  ordre  de 
choses  auquel  ils  n'étaient  pas  accoutumés  ;  aussi 
voyons-nous  une  suite  de  guerres ,  tendantes  à  réunir 
le  tout  sous  l'autorité  de  Guillaume  ou  de  Robert. 
La  vide  de  Rouen ,  qui:  s'était  assez  imprudemment 
déclarée  pour  le  roi  d'Angleterre,  fut  sévèrement 
châtiée  par  le  parti  contraire ,  et  les  bourgeois  ap- 
prirent à  leurs  dépens  ce  qu'il  en  coûte  de  se  mêler 
des  querelles  des  rois. 

Malgré  cet  échec,  Guillaume-le-Roux  s'empara  de     ,^8Si 
plusieurs  places  qui  lui  furent  Hvrées  pac  l'infidélité 
des  hommes  du  duc  de  Normandie  ;  /elles  qui  se 
rendirent  d'abord  furent   Fécamp  '   et    le  château 

■  ff'Vl.   Gemet.  ,  lib.  8 ,  cap.  3, 


(   «So  ) 

(VEii ,  ce  qui  ferait  croire  que  les  religieux  n'étaient 
pas  fâchés  d'appartenir  au  nS  d'Angleterre.   L'abbé 
de  Ros  se  trouvait  alors  à  la  cour  de  Guillaume-le- 
Roux.    Afin  de  rentrer  dans  la  place  de  Fécamp,^ 
dont  il  connaissait  l'importance,   Robert  fit  tout 
ce  qui  était  en  son  pouvoir  pour  se  concilier  l'esprit 
des  religieux.  Il  leur  restitua  plusieurs  terres  enle- 
vées par  des  particuliers  et  par  Guillaume-le-Con- 
quérant  lui-même ,  dans  un  mouvement  de  mau^vaise 
humeur  contre  les  moines;  circonstance  que  nous 
aurions  eu  peine  à  croire,  si  elle  ne  nous  était  révélée 
par  la  charte  authentique  de  Robert.   Il  paraît  que , 
malgré  leur  grande  influence ,  les  religieux  étaient 
souvent  ^xposés  à  perdre   quelques   biens,  quand 
on  voulait  les  punir  de  leur  indocilité ,   ou  bien 
quand ,  les  ressources  étant  épuisées ,  on  avait  de 
grandes  entreprises  à  fi^ire ,  des  dévouements  à  récom- 
penser ;  témoin  la  restitution  que  fait  Robert  X>  de 
propriétés  enlevées  aux  moines  de  Fécamp  pour  les 
donner  aux  hommes  de  sa  milice.    Ces  princes  en 
étaient  quittes  pour  restituer  ces  biens,    dans  un 
temps  plus  prospère,  en  confessant  l'énormité  de 
leurs  fautes,  qu'ils  rejetaient  sur  les  erreurs  de  leur 
jeunesse  et.les  perfides  insinuations  de  leurs  con- 
seillers ^ .       X 


-'  «  Quia  persuadentibus  mihi  quibusdam  consiliariis  nostris  non 
eque  Ecclesiam  Dei  providentibus  transtuli  ad  militiam  nostram 


(   «Si   ) 

Pendant  que  Robert  Courte-Heiize  rendait  d'un 
côté  ,  de  Tautre  il  dépouillait ,.  sans  façon ,  l'église 
métropolitaine  de  son  duché ,  et  cette  incoaséquence, 
naturelle  au  caractère  de  ce  prince,  lui  attira  une 
affaire  qui  aurait  pu  devenir  sérieuse,  sans  Tinter- 
vention  obligée  des  moines  de  Fécamp.  Robert,  ne 
pouvant  résister  seul  au  roi  d'Angleterre ,  appela  le 
roi  de  France  Philippe  à  son  secours,  et,  pour  l'in- 
demniser de  ses  frais  d'armement,  lui  donna ,  n'ayant 
aucune  terre  en  propre ,  un  manoir  du  nom  de 
Gisors  ,  appartenant  à  Sainte-Marie*  de  Rouen  '. 
Robert  se  rappelait  que  l'archevêque  lui  avait  été 
contraire,  et  trouvait  ainsi  le  moyen  de  l'en  punir. 

Le  prélat,,  indigné  de  cette  action ,  jeta  l'interdit 
sur  toutes  les  églises  de  Normandie.  On  sait  la  puis- 
sance qu'avait  alors  un  pareil  acte  sur  l'esprit  des 
peuples ,  qui ,  privés  de  sacrements  et  de  cérémonies 
religieuses,  se  trouvaient  en  même  temps  déliés  de 
l'obéissance  due  au  souverain. 

Cet  interdit  fut  adressé  aux  moines  de  Fécamp ,      1089. 
qui  refusèrent  de  s'y  conformer;  l'archevêque,  irrité 
de  cette  résistance,  frappa  d'anathème  le  monastère. 
L'abbé  Guillaume  de  Ros ,  instruit  de  ce  qui  se  pas- 


quasdam  possessiones  moiiasterii  Sauctae  Trinitatiis reddo 

in  TiUa  quœ  dicitur  Cathumo  terram  quamdam  quœ  appellatiir 
Vuasa. . .  »  —  Cart.  Fisc, 

*  Cart,  Fisc, 


't 


(   «Sa  ) 


sait  j  revint  précipitamineat  d'Angleterre ,  eut  plu* 
sieurs  conférences  avec  Tarcbevêque,  et,  n'ayant  pu 
rien  obtenir  du  prélat  irrité,  en  appela  au  saint 
siège.  Le  pape  Urbain,  fort  surpris  que  l'archevêque 
se  fiit  permis  de  violer  les  statuts  des  papes  ses  pré- 
décesseurs, et  eût  été  assez  présomptueux  (  style  de 
«a  bulle  ) ,  pour  attenter  aux  droits  du  saint  siège , 
envoya  deux  légats  à  Fécamp  pour  prendre  con- 
naissance de  cette  affaire  ;  le  palUum  fut  oté  à  l'ar- 
chevêque de  Rouen,  pendant  assez  long-temps,  et 
ne  lui  fut  rendu  qu'après  un  voyage  que  Guillaume 
fut  obligé  de  faire  à  Rome ,  et  aux  pressantes  solli- 
citations du  duc  Robert,  qui  se  repentait ,  sans  doute, 
d'avoir  donné  lieu  à  toutes  ces  tracasseries. 
109C.  La  majeure  partie  des  places  maritimes  de  la  Nor- 

mandie étant  toujours  occupées  par  le  roi  d'Angle- 
terre, Robert,  dégoûté  de  cet  état  de  choses,  qu'il 
avait  provoqué  lui-même  ',  abandonna  son  duché 
pour  aller  à  la  croisade,  accompagné  d'un  grand 
nombre  de  seigneurs  normands,  parmi  lesquels  on 
remarquait  Guillaume  de  Fécamp ,  Bailleul  de  Fé- 
camp ,  CroUard  de  Criquebcuf ,  et  Martel  d'Anger- 
ville.  Guillaume  de  Wart,  pour  être  du  voyage, 
engagea  sa  terre  de  Houldetot  à  l'abbé  Guillaume  , 
pour  trois  marcs  d'argent*.    Pendant  l'absçnce  de 


«  Florent  Wigorn ,  Ckron,,  ad  ann.  1091. 
'  Précis  des  chartes  de  Fécamp  ;  Arch.  dép. 


(  "3) 

Robert,  son  frère ,  le  roi  d'Angleterre,  se  trouva  in- 
vesti ,  de  droit ,  du  gouvernement  de  la  Normandie. 

On  sait  que  les  premiers  croisés  retirèrent  plus 
de  gloire  que  d'avantages  réels  de  leur  long  et  pénible 
voyage  à  la  Terre  sainte  ;  ceux  de  Fécamp ,  comme 
les  autres  j  revinrent  avec  la  lèpre ,  ce  fléau  du 
moyen-âge,  qui  séparait  du  monde,  comme  des  pesti- 
férés ,  les  hommes  qui  en  étaient  atteints.  L'abbé 
Guillaume  s'empressa  de  construire  et  doter ,  pour 
ces  malheureux  pèlerins ,  une  léproserie ,  dont  les 
biens  ont  été  affectés  plus  tard  à  l'hôpital  de  Fécamp. 

Ainsi ,  de  tant  d'errances  fondées  sur  le  voyage 
des  croisés ,  de  tant  d'or  dépensé  pour  en  assurer 
le  succès,  l'Europe  ne  recueillit  qu'une  cruelle 
maladie  et  quelques  caisses  de  reliques.  Saint-Ouen, 
Chartres ,  Saint-Denis  et  une  partie  des  églises  de 
France  enrichirent  leurs  trésors  de  ces  pieuses  dé- 
pouilles. Fécamp  reçut  un  os  du  bras  de  saint  Biaise, 
des  vertèbres  des  saints  Innocents ,  du  bois  de  la 
vraie  Croix  et  du  lait  de  la  sainte  Vierge. 

Un  ccHicile  général  ayant  été  réuni  à  Clermont , 
Tancafrd ,  prieur  de  Fécamp,  y  fut  député  pour  repré- 
sente]^ son  abbaye.  Â  son  retour,  il  fut  nommé  abbé 
de  Jumléges  par  l'influence  de  GuilIaume-le-Roux  , 
qui,  disposant  arbitrairement  des  dignités  ecclé- 
siastiques en  faveur  de  ses  créatures ,  avait  déjà 
donné  l'évêché  de  Lincoln  à  son  chapelain  Robert 
Blouet ,  et  celui  de  Bath  à  Jean  son  médecin.  Orderic 


(  i54) 

Vital  dit  que  Tancard  était  féroce  comme  un  lion 
et  d'une  sévérité  qui  n'était  tempérée  par  aucune 
humanité.  Les  moines  se  révoltèrent  contre  ses 
mauvais  procédés,  et  il  fut  obligé  de  quitter  igno* 
minieusement  l'abbaye, 
iioi.  La  première  année  du  siècle  suivant  vit  mourir 

Guillaume-le-Boux.  La  succession  du  trône  d'An- 
gleterre fut  l'occasion  et  le  prétexte  de  nouvelles 
guerres  entre  le  duc  Robert,  revenu  àe  Palestine  j 
et  son  frère  Henri ,  qui  s^était  déjà  fait  reconnaître  roi 
d'Angleterre.  Tout  fut  de  nouveau  mis  à  feu  et  à  sang 
sur  le  sol  de  la  Normandie;  on  ne  voyait  que  pillage, 
incendies  et  meurtres  provoqués  par  les  seigneurs, 
qui  prenaient  parti  pour  l'un  ou  l'autre  des  frères. 
Il  paraît  que  le  monastère  de  Fécamp,  placé  dans 
une  forteresse  sûre,  n'eut  rien  à  essuyer  de  ces 
commotions  intestines ,  puisque  nous  voyons  Guil* 
laume  de  Ros  passer,  en  i  io3,  en  Angleterre  pour 
y  soutenir  les  intérêts  de  son  monastère,  au  sujet 
de  la  terre  de  Staninges,  contre  Philippe  de  Bray, 
qui  prétendait  avoir  des  droits  sur  ce  domanne  ; 
peut-être  le  véritable  but  de  ce  voyage  étajit-fi^fkhitot 
de  faire  sa  cour  et  d'offrir  ses  services  au  noâveâu  roi. 
1106.  La  faiblesse  de  Robert  le  rendant  inhabile  au 

gouvernement  de  son  duché,  on  désira  généralement, 
en  Normandie  ,  rentrer  sous  le  sceptre  du  roi  d'An- 
gleterre. Henri  I,  connaissant  la  disposition  des 
esprits,    débarqua  à  Barfleur;  et,  secondé  parla 


(  i55) 

majeure  partie  des  seigneurs  nonnands ,  s'empara 
de  Bayeux  y  de  Caen ,  et  gagna  la  bataille  de  Tin- 
chebray ,  dans  laquelle  les  partisans  de  Robert  furent 
battus,  et  lui-même  fait  prisonnier.  Pour  donner 
autorité  à  son  usurpation ,  Henri  fit  décider  du  sort 
de  son  frère  par  les  évêques  ,  les  abbés  et  les  barons 
de  Normandie ,  qui  prononcèrent  sa  déchéance  et 
arrêtèrent  qu'il  serait  renfermé  dans  un  château  de 
l'Angleterre ,  où  il  resta  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours. 
L'abbé  Guillaume  assistait  à  ce  congrès ,  sur  la  déli- 
bération duquel  il  eut  la  plus  haute  influence. 

Aux  tempêtes  politiques  succédèrent  des  querelles 
domestiques  entre  le  monastère  de  Fécamp  et  ceux 
qui  étaient  dans  sa  dépendance.  Les  moines  de  Saint- 
Taurin  d'Evreux  tentèrent  de  secouer  le  joug  de 
Fécamp  j  au  sujet  de  la  nomination  d'un  nouvel 
abbé ,  qu'ils  voulurent  choisir  eux-mêmes  parmi  les 
religieux  de  leur  communauté;  l'abbé  Guillaume 
ayant  adressé  à  cet  égard  une  requête  à  Henri  I, 
ce  roi ,  après  des  contestations  qui  durèrent  deux 
ans  y  pendant  lesquels  le  monastère  de  Saint-Taurin 
resta  sans  abbé ,  donna  gain  de  cause  aux  moines  de 
Fécamp ,  et  confirma ,  par  une  charte ,  à  leur  commu- 
nauté y  la  possession  du  monastère  de  Saint-Taurin. 
Cet  acte  est  du  commencement  de  l'année   1107'. 


»  Cart.  Fisc, 


(  «56  ) 

L'abbé  Guillaume  ayant  f-  it  construire  la  nef  de 
Téglise  de  Saint-Fromond ,  fit  consacrer  rédifice 
par  Jean,  évéque  de  Frascati,  qui  passait  par  Fécamp 
pour  se  rendre  en  Angleterre*.  L'archevêque  de 
Rouen  et  quatre  autres  prélats  de  Normandie  assis-* 
tèreat  à  cette  cérémonie. 

Peu  de  temps  après ,  Tabbé  Guillaume  fut  appelé 
au  synode  tenu  à  Lisieux ,  et ,  à  son  retour ,  il  mourut 
à  Fécamp ,  dans  le  courant  de  l'année  i  loS-. 

Tous  les  historiejis  ecclésiastiques  se  sont  accordés 
sur  les  louanges  qu'ils  ont  données  au  mérite,  aux 
hautes  connaissances  et  à  la  vertu  de  l'abbé  Guillaume, 
issu  du  village  de  Ros,  près  Bayeux,  dont  il  portait 
le  nom.  C'est  à  ce  vénérable  abbé  que  Yves  de 
Chartres  adressa  sa  dix^neuvième  et  sa  quatre-vingt- 
neuvième  épître.  Sa  conversation  était  si  agréable, 
dit  Balderic ,  évêque  de  Dol  •,  sa  société  si  douce 
et  sa  chaiité  si  grande ,  que  plusieurs  religieux  de 
divers  monastères  vinrent  à  Fécamp  se  ranger  sous 
sa  discipline.  Le  nombre  des  moines  se  monta  à 
plus  de  quatre  cents  pendant  son  administration, 
ce  qui  le  contraignit  de  refaire  presque  en  entier 
l'église  construite  par  Richard.  Il  ne  conserva  que 
les  deux  chapelles  romanes  aux  ceintres  surbaissés , 


'  On  voit  que  Fécamp  était  le  port  d'embarquement  des  voyageurs 
qui  allaient  de  France  en  Angleterre. 

2  Neustria  pia;  Ecoles,  fisc. 


(  «57) 

que  nous  voyons  à  gauche  du  maitre^autel.  L'église 
fut  élevée  dans  toutes  ses  parties  j  le  chœur  alongé 
d'une  arche ,  et  le  jubé  reporté  à  l'endroit  où  il 
était  avant  la  révolution.  L'abbé  Guillaume  fit  faire 
une  chapelle  de  la  Vierge  à  la  place  du  maître-autel , 
qui  fut  transporté  où  nous  le  voyons  maintenant , 
car  on  sait  que  les  églises  romanes  n'ayant  pas  de 
bas-côtés  ,  le  maître-autel  se  trouvait  naturellement 
placé  où  sont  les  chapelles  actuelles  dédiées  à  la 
Vierge. 

Cette  église  est  remarquable  comme  ouvrage  du 
commencement  du  douzième  siècle  ;  ce  n'est  plus 
l'architecture  romane  pure  avec  ses  arceaux  en  plein 
ceintre,  ses  chapiteaux  à  volutes  et  à  rubans  entre- 
lacés. C'est  un  style  de  transition  j  tenant  de  deux 
époques  différentes.  C'est  l'ogive  avec  les  ornements 
bysantins  ,  les  rouleaux,  les  zig-zag,  les  cartouches 
et  les  modillons.  Les  artistes  se  sont  même  inspirés 
des  idées  du  jour,  en  représentant  sous  la  toiture 
des  têtes  à  longues  moustaches  qui  ne  peuvent  être 
qu'une  réminiscence  des  figures  saxonnes  qui  avaient 
vivement  frappé  les  esprits  des  Normands  ;  peut-être 
avait-on  voulu  représenter  les  Saxons  de  la  suite  dé 
Guillaume ,  quand  il  vint  à  Fécamp  après  la  conquête 
de  l'Angleterre. 

L'abbé  Guillaume  de  Ros  fut  inhumé  devant 
l'autel  de  la  chapelle  de  la  Vierge ,  qu'il  venait  de 
faire  exécuter.    Hildebert ,   archevêque  du  Mans , 


(  t58  ) 

composa  son   épitaphe.    Nous   la   donnerons   telle 
<iu'elle  fut  écrite ,  en  lettres  d'or,  sur  son  tombeau  : 

Pauperibus  locuples ,  et  sacri  nominis  abbas 

Willelinus  ,  solo  corpore  ,  cultor  humi , 
Liber  ab  uEgipto  rediens  ,  déserta  relinquit 

Jamque  Hierosolimath  victor ,  ovansque  tenet 
€um  vitiis  odium  ,  cum  moribus  ,  ille  perennem 

Pactus  amicitiam  firmus  u troque  fuit. 
Luce  gravi  nimium  quae  sexta  preibat  aprilem 

Redditus  est  patriae  spiritus  ,  ossa  solo  ' . 

Roger  d'Argewces,  quatrième  Abbé. 

1108.  Boger  d'Argences  remplaça  Guillaume  de  Ros, 

dont  il  avait  été  disciple;  il  n'était  encore  que  diacre 
lors  de  son  élection.  Il  fut  fait  prêtre  avec  cent  vingt 
autres,  le  jour  de  saint  Thomas  ,  et  on  le  sacra,  le 
lendemain  ,  abbé  de  Fécamp. 

Guillaume  de  Tancarville  donna,  en  1114)  à 
l'abbaye  de  Saint-Georges-de-Boscherville,  la  dîme 
des  bois  de  Fécamp ,  échus  à  ses  ancêtres  après  la 
conquête  de  la  Normandie^.  Le  territoire  de  Fécamp 
paraissait  entièrement  destiné  à  faire  partie  des  biens 
de  l'église. 

On  a  peine  à  se  rendre  compte  de  la  tranquillité 


'  Trésor  de  l'église  de  Fécamp.  Ms. 

'  «  Decimam  totius  redditus  forestae  Fiscanni.  »  Cart.  S.  Geor. 


(  '59  ) 

des  cloîtres ,  quand  tout  était  eu  émoi  autour  de 
leurs  enceintes  silencieuses.  Certes^  le  gouvernement 
du  roi  d'Angleterre  et  l'enlèvement  de  Robert ,  au- 
raient pu  rendre  la  paix  à  la  Normandie,  si  le  fils 
de  ce  duc,  Guillaume  Cliton,  qui  voulait  succéder 
à  son  père ,  n'eût  formé  quelques  entreprises  secon- 
dées par  Hugues  de  Gournay,  Eustache  dcBreteuil , 
Etienne,  comte  d'Aumale ,   qui  se  liguèrent  pour 
rétablir  le  fils  de  leur  ancien  duc.   Hugues  deCour- 
nay  parcourut,  en  tout  sens,  le  pays  de  Caux,  et  vint 
plusieurs  fois  jusqu'aux  portes   de  Fécamp.    Les 
vassaux  de  l'abbaye  eurent  seuls  à  souffrir  de  ces 
excursions  ,  qui  n'avaient  d'autre  résultat  que  de 
témoigner  la  haine  de  quelques  seigneurs  pour  le  roi 
d'Angleterre ,  et  l'attachement  qu'ils  portaient  à  la 
légitimité  de  Guillaume  Cliton.    Le  papeCalixte, 
afQigé  des  maux  qui  désolaient  la  Normandie  ,  vint 
à  Rouen ,  et  rétablit  momentanément  la  paix  entre 
les  deux  partis.    Il  eut  plusieurs  conférences  avec 
l'abbé  Roger ,  et  confirma  de  nouveau  l'abbaye  de 
Fécamp  dans  la  possession  de  ses  biens.  Tous  ces 
actes  qui  se  succèdent  prouvent  que  les  moines  étaient 
toujours  inquiétés  par  les  héritiers  des  donataires,  et 
qu'ils  voulaient  être  en  mesure  d'opposer  des  pièces 
authentiques  à  des  prétentions  toujours  renaissantes. 
Ce  fut  à  peu  près  à  cette  époque  que  Balderick , 
évêque  de  Dol,  après  avoir  parcouru  l'Angleterre 
et  la  France,  visité  tous  les  monastères,  vint  à  Fé- 


(  i6o) 

camp  y  attiré  par  la  bonae  réputation  et  l'éloge  de 
cette  maison,  qui  était  dans  toutes  les  bouches  des 
pèlerins. 

L'arrivée  de  cet  évêque  étant  connue  dans  le 
cloître ,  l'abbé  Roger  alla  à  sa  rencontre  pour  le  rece- 
voir et  lui  faire  les  honneurs  du  monastère;  Baldcrick 
fut  accueilli  avec  toute  la  distinction  due  à  un  homme 
de  son  rang  et  de  son  mérite ,  et  avec  la  politesse , 
les  égards  qui  prouvent  que  les  bonnes  manières, 
à  l'usage  des  hommes  bien  élevés,  ne  sont  ni  d'hier, 
ni  le  produit  exclusif  de  notre  civilisation.  Tous  les 
moines,  jeunes  et  vieux,  s'empressèrent  de  se  faire 
présenter  à  Balderick ,  et  les  derniers  venus  s'excu- 
saient en  l'assurant  de  leur  empressement,  et  protestant 
que  leur  retard  ne  tenait  en  rien  de  l'indifférence. 

Balderick ,  après  avoir  visité  le  monastère ,  fut 
invité  à  prêcher,  et  tous  versaient  des  larmes  de 
joie  en  l'écoutant;  ce  que  le  grand  évêque  attribue 
plutôt  à  leur  foi  qu'à  la  puissance  de  sa  parole.  Il 
reconnut  que  l'abbé  était  un  religieux  d'un  mérite 
distingué,  zélé  pour  le  salut  des  ames^  ne  tenant  à 
sa  position  que  par  obéissance.  Ce  grand  homme, 
dit-il,  me  faisait  part  de  ses  peines,  et  nous  gémis- 
sions ensemble  sur  les  maux  du  siècle,  dont  la  Pro- 
vidence seule  pouvait  arrêter  les  progrès. 

Le  monastère  comptait  au  moins  trois  cents  reli- 
gieux,  parmi  lesquels  on  distinguait  Flavien,  renommé 
par  ses  hautes  connaissances  dans  les  sciences  divi- 


(  i««  ) 

ïies  ;  le  savant  Adelhême  y  qui  fut  désigné  pour  servir 
de  guide  à  Balderick ,  et  le  jeune  Robert,  qui,  à 
|)eine  sorti  de  l'adolescence ,  se  trouvait  déjà  prieur 
de  l'abbaye,  et  ne  tarda  pas,  à  force  de  mérite  ,  à 
devenir  abbé  de  Ramesie  et  évéque  de  Tliedford. 

Balderîok  nous  apprend  que  les  bâtiments  de 
l'abbaye  étaient  dignes  de  la  munificence  royale  ; 
l'église  était  très  élevée  et  couverte  en  plomb.  L'in- 
térieur resplendissait  d'or  et  d'argent  :  on  y  voyait 
une  roue,  qui,  mue  par  lin  ingéuieux  mécanisme, 
tournait  sans  cesse ,  et  rappelait ,  par  ce  mouvement , 
et  l'inconstance  de  la  fortune  et  la  durée  de  l'éter- 
nité. L'église  possédait  déjà  un  orgue,  instrument 
assez  rare  alors  pour  que  Balderick  témoignât  son 
admiration  d'entendre  le  son  de  ses  cordes  basses , 
moyennes  et  élevées,  et  le  comparât  à  un  chœur 
d'enfants ,  d'hommes  faits  et  de  vieillards. 

Eînfîn,  le  même  évéque  nous  fait  la  description  de 
l'abbaye  :  entourée  de  fprl^s  murailles ,  possédant 
des  vergers,  des  jardins  couverts  d'arbres  fruitiers  , 
et  arrosés  par  un  ruisseau ,  dont  les  fuyants ,  habile- 
ment répartis,  produisaient  le  plus  agréable  effet.  Le 
monastère,  ajoute-t-il,  se  trouvait  placé  entre  deux 
collines  ;  l'une  était  cultivée,  et  l'autre  couverte  de 
bois,  dont  les  cimes  touffues  offraient  une  masse  im- 
pénétrable aux  rayons  du  soleil.  Le  couvent  était 
approvisionné  de  poisson  venant  de  la  mer  et  de  la 
Seine,  qui  en  fournissait  aloi's  avec  abondance. 


II 


(  '6»  ) 

A  son  dëpart  du  monastère  ^  ou  fit  accepter  à 
l'illuslre  voyageur  une  coupe  en  cristal ,  couverte 
de  pierres  fines  ^  et  ménse  de  l'argent  pour  le  voyage 
qu'il  était  sur  le  point  de  faire  à  Rome. 

Peu  de  temps  après  eut  lieu  le  naufrage  de  la 
Blanche^Nefj  dans  lequel  përit  le  fils  unique  du  roi 
avec  toute  sa  cour.  On  juge  tout  le  chagrin  que  dut 
ressentir  le  roi  d'Angleterre  d'une  perte  aussi  cruelle; 
il  ne  lui  restait  qu'une  fille  ,  Mathilde,  veuve  de  l'em- 
pereur d'Allemagne  Henri  V,  et  un  fils  naturel ,  le 
duc  de  Glocester,  appartenant,  par  sa  mère  ,  aux 
Nighel  de  Fécamp.  Henri  I  fit  reconnaître  Timpë- 
ratrice  Mathilde  pour  rhéritière  de  ses  vastes  états, 
et  l'unit  à  Geoffroy  d'Anjou,  surnommé  Planta- 
geuet. 

Les  années  qui  suivirent ,  jusqu'à  la  mort  deHenril, 
furent  assez  tranquilles  ;  ce  roi ,  pendant  cette  pé- 
riode ,  fît  beaucoup  de  dons  à  certains  monastères , 
et  eu  agrandit  d'autres  f  qu'il  entoura  de  murailles  *. 
Fécamp  paraît  n'avoir  eu  d'autre  part  aux  libéralités 
de  ce  prince,  que  la  dîme  du  gibier  des  forêts  royales 
voisines,  et  encore  les  gardes  forestiers  de  la  cou- 
ronne ne  rendaient-ils  pas  à  l'abbé  un  compte  fidèle 
de  cette  redevance. 

Pour  remédier  à  cet  abus ,  Henri ,  étant  à  Rouen, 


'  Will*  Gemet, ,  cap.  ^2  et  32. 


(  .63  ) 

confirma  cette  donation  par  une  charte  ,  et  y  ajouta 
la  dîme  et  le  patronage  de  toutes  les  églises  que  Ton 
construirait  dans  la  forêt  de  Fécamp  ,  comme  de 
celles  qui  y  étaient  déjà  bâties ^  savoir  :  les  églises 
de  Goderville,  Yillainville  et  autres.  On  voit,  par  là, 
jusqu'où  cette  forêt  s'étendait  alors. 

Enfin ,  ce  prince  vint  à  Fécamp  avec  le  duc  de 
Olocest^^  sur  lequel  s'était  i*eportée  toute  son  af-r 
fection  paternelle;  il  fut  reçu  à  Tabbaye  avec  de 
grandes  démonstrations  de  joie ,  et  y  approuva  un 
échange  de  biens  qui  eut  lieu  entre  les  moines  et 
Nighel,  fils  de  Guillaume  et  neveu  du  duc  de  Glo- 
cester. 

Mighel  cédait  au  monastère  toute  sa  terre ,  ses 
maisons  et  ses  revenus  de  Fécamp  ,  tels  que  les  pos- 
sédaijeat  son  père  et  son  aïeul ,  ensuite  son  domaine, 
situé  à  une  iieue  de  cette  ville  ,  dans  l'endroit  nommé 
Bolera  ,  déjà  cité  du  temps  de  Bozo. 

Roger  et  son  chapitre  donnaient  en  échange ,  à 
Nighel  et  à  ses  héritiers,  la  terre  de  Selham ,  à  condi- 
tion qu'eux  et  les  fidèles  de  cette  terre  deviendraient 
ou  continueraient  d'être  les  hommes  de  l'abbaye. 

'Lie  roi  Henri  I  étant  mort  peu  de  temps  après ^  w-A. 
l'impératrice  Mathilde  fut  appelée  à  lui  succéder; 
mais  Ëtieime  de  Blois,  petit-fils  du  Conquérant  par 
Adélaïde  sa  mère ,  se  fit  reconnaître  pour  roi  d'An- 
gleten^e ,  et  parvint  à  entraîner  la  Normandie  dans 
son  parti. 


(  i64  ) 

Geoffroy  d'Anjou,  mari  de  l'impératrice,  réunit 
aussitôt  une  armée  pour  faire  valoir  les  droits  de 
son  fils  à  la  succession  de  Henri  I.  Il  entra  en  Nor- 
mandie et  pénétra  dans  le  cœur  du  pays  avec  ses 
Angevins,  qui  ne  respectaient  rien.  Les  monastères 
furent  dévastés  sur  son  passage.  L'abbé  de  Saint- 
Pierre-sur-Dives  paya  iio  marcs  d'argent  pour  se 
racheter  du  pillage ,  et  les  moines  de  Fécamp  lui 
donnèrent  une  pareille  somme  pour  qu'il  épargnât 
leur  prieuré  d'Argences  '. 

H£NRi  DE  SuiLLi ,  cinquième  Abbé. 

ii^o.  Après  une  alternative  de  succès  et  de  revers, 

Etienne  resta  pendant  quelque  temps  maître  de  la 
Normandie ,  et  profita  de  ce  moment  de  pouvoir , 
pour  faire  élevei^  à  là  dignité  d'abbé,  à  la  place  de 
Roger  d'Argences,  qui  venait  de  mourir,  Henri  de 
Suilli ,  religieux  du  monastère  de  Cluni ,  son  neveu 
du  côté  maternel. 

Deux  ans  après,  on  vit  se  renouveler  une  de  ces 
contestations  qui  ne  cesseront  de  surgi^*  tant  que 
le  monastère  de  Fécamp  prétendra  conserver  sa  supré- 
matie siir  d'autres  monastères  qui  ont  grandi  d^Hiis 
leur  fondation ,  et  ont  acquis  une  importance  qui 


»  Orderic  Vital ,  tom.  IV ,  p.  486. 


(  i65) 

demande  la  réforme  des  iastitutiaiis  primitives. 
Richard ,  moine  de  Fécamp ,  ayant  été  nommé  abbé 
de  Bernay  ^  oublia  presqu'aussitôt  les  (droits  et  les  pré-* 
tentions  de  la  maison  mère ,  et  commença  par  avoir 
une  contestation  avec  l'abbé  de  Fécamp  ,  dont  il 
voulait  secouer  le  joug.  Ce  litige  étant  porté  devant 
le  tribunal  d'Arnould ,  évêque  de  Lisieux ,  celui-ci 
décida  qu'à  l'avenir  les  àbbés  de  Bernay  pourraient 
être  également  choisis  parmi  les  religieux  de  cette 
communauté  ,  eu  ceux  du  monastère  de  Fécamp  ^ 
moyen  terme  qui  devait  un  jour  conduire  à  la  sépa- 
ration définitive  de  ces  deux  maisons. 

GeofTroi  d'Anjou  ayant  réussi  à  faire  proclamer 
duc  de  Normandie  son  fils  Henri  II ,  les  moines  de 
Fécamp  se  firent,  de  leur  coté,  confirmer  leurs  possesr 
sions  par  le  nouveau  pouvoir.  Toutes  les  industries 
s'empressèrent  de-  solliciter  des  privilèges.  On  con- 
serve une  lettre  de  Geoffroy ,  portant  que  les  cor- 
donniers et  cour  vois!  ers  ts^corvemniri  (savetiers,  de 
la  ville  de  Rouen  )  ,  formeront  une  corporation 
hoi^  de  laquelle  il  ne  sera  pas  possible  d'exercer 
lart.  Cette  lettre  fait  mention  de  plusieurs  des  plus 
considérables  d'entre  eux ,  parmi  lesquels  figure  un 
certain  Oin  de  Fécamp  «  Oinus  de  Fiscanno  "  ». 
Enfin,  le  roi  Etienne ,  ayant  perdu  son  fils,  désigna 


«  Ordonnances  des  rois  de  France,  tome  VIII ,  p.  53.  —  Ces  lettres 
sont  confirmées  par  Henri  II,  roi  d'Angleterre  ,  et  par  Charles  Y, 
roi  de  France ,  en  1371. 


(  i66  ) 

Heiiri  II  pour  son  successeur  à  la  couronne  d'Angle- 
terre. Cette  disposition  mit  fin  aux  troubles  qui 
avaient  tant  de  Jbis  désolé  les  peuples  et  tes  établis- 
sements religions. 

Ce  fut  pendant  cette  époque  de  division ,  chose 
incroyable  I  que  le  clergé  ne  sachant  comment  conte^ 
nir  la  dévorante  activité  des  seigneurs  norinands, 
leur  ouvrit  une  carrière  où  ils  purent  donner  libre 
cours  à  leur  goût  de  combats  et  d*aventures  pé- 
rilleuses. Une  croisade  fat  prêchée,  et  tous  se  dé- 
cidèrent à  quitter  leurs  châteaux,  pour  se  réunir  aux 
chevaliers  du  roi  de  France  Louis  VII ,  qui  partait 
jpour  la  Terre  sainte.  Cette  époque  devint  égale- 
ment remarquable  par  la  recrudescence  religieuse , 
excitée  tant  par  les  discours  des  missionnaires  que  par 
les  hauts  faits  des  croisés ,  sur  lesquels  tous  les  yeux 
étaient  ouverts.  II  y  eut  alors  une  infinité  d'églises 
de  bâties.  Tout  le  monde  s'y  prêtait ,  les  uns  en  four- 
nissant de  l'argent ,  les  autres  des  matériaux  ou  du 
travail  ;  le  peuple ,  organisé  en  confréries  ,  ayant  des 
chefs ,  s'atdait  à  des  chariots  j  abattait  les  arbres,  ar- 
rachait la  pierre  auxmontagnes^  et  bâtissait  ces  belles 
cathédrales,  élevait  ces  hautes  pyramides  qui  devaient 
faire  plus  tard  l'admiration  du  monde  entier.  L'abbé 
Henri  de  Suilli ,  profitant  de  ce  mouvement  reli- 
gieux ,  fit  exécuter  de  grands  travaux  à  son  monas- 
tère. On  refit  les  dortoirs ,  la  maison  abbatiale ,  et  on 
éleva  plusieurs  églises  dans  la  ville  de  Fécamp. 


(  '67) 


FECAMP 
sous  Henri  H ,  roi  d'Angleterre. 

Le  roi  Etienne  mourut  peu  de  temps  après  avoir 
désigné  pour  son  successeur,  le  fils  de  Mathilde, 
qui  lui  succéda  sous  le  nom  dUeuri  II ,  et  réunit  les 
deux  pays  sous  sa  domination.  Ranulphe,  moine  de 
Fécarop  j  fut  nommé  abbé  de  Saint-Taurin  d'Evreux. 

A  son  avènement  à  la  couronne ,  le  roi  d'An* 
gleterre ,  par  une  charte  datée  de  son  palais  de 
Westminster,  confirma  au  monastère  de  Fécamp 
le  droit  de  haute  et  moyenne  justice  sur  toutes  les 
terres  qui  se  trouvaient  dans  la  dépendance  de  l'ab- 
baye, par  suite  des  concessions  faites  par  Richard  et 
Guillaume,  dont ii at^ait  compulsé  les  chartes  avec 
te  plus  grand  soin.  Il  résultait  de  cette  attribution 
de  compétence  que  le;  Jiabitants  de  Fécamp  ne  de- 
vaient répondre  à  aucune  autre  juridiction  qu'à  celle 
de  l'abbaye,  à  moins  qu'ils  ne  fussent  directement 
appelés  devant  le  roi  '.  Les  témoins  de  cet  acte  sont 
les  évêques  de  Lisieux  ,  de  Bayeux,  de  Londres  ,  et , 
ce  qu'il  y  a  de  remarquable,  le  fameux  Bequet, 
grand  chancelier  d'Angleterre ,  que  la  postérité  re- 
garde comme  un  sujet  orgueilleux  et  rebelle,   et 

'  C^rt.  Fisc. 


(  i68  ) 

Féglise ,  dont  il  avait  soutenu  les  droits ,  comme  un 
martyr  qu'elle  invoque  sous  le  nom  de  saint  Thomas 
de  Cantorbéri. 

A  la  suite  de  l'acte  ci-dessus  ^  nous  trouvons  quel- 
ques concessions  qui  donnent  une  idée  des  entraves; 
imposées  y  à  cette  époque  ,  aux  relations  commer- 
ciales y  par  les  droits  qui  se  payaient  à  l'entrée  et  à  la 
sortie,  non-seulement  de  province  à  province ,  mais 
d'une  terre  à  la  terre  voisine.  Ainsi ,  Robert  ^  comte 
de  Meulan ,  accorde  à  l'abbé  Henri  le  libre  passage 
sur  ses  domaines  y  soit  à  Mantes  ou  à  Meulan ,  de  tou& 
navires  ou  bacs  chargés ,  pour  l'abbaye  y  de  marchan- 
dises quelles  qu'elles  fussent.  Il  fait  cette  concession 
pour  le  salut  de  son  ame  et  de  i'ame  de  tous  ses  amis. 

Guillaume  Mal  voisin ,  et  ses  frères  Manassés  et 
Pierre ,  autres  propriétaires  de  fiefs  sur  les  bords 
de  la  Seine  y  permettent  aux  moines  de  Fécamp  de 
transporter  sur  ce  fleuve  tous  les  vina  nécessaires 
à  leur  usage. 

Raoul,  comte  de  Clermont,  et  Jean,  comte  de 
Moret ,  permettent  aux  mêmes  religieux  de  faire 
passer,  sur  leurs  terres,  toutes  les  denrées  dont  ils 
auraient  besoin  ,  sans  payer  aucun  droit. 

Ces  concessions  furent  suivies  de  transactions 
privées  dont  nous  ferons  connaître  les  principales. 
Nous  trouvons  un  traité  entre  le  comte  de  Meulan 
et  labbé  Henri ,  au  sujet  des  alluvions  qui  existaient 
devant  Aysier,  et  un  autre  qui  donne  à  l'abbé  de  Fé- 


'  • 


(  '69  ) 

camp  le  droit  de  mettre  cent  porcs  dans  la  forêt  de 
Brotonne  y  à  condition  de  payer  un  denier  par  tête 
d'animal ,  pour  ceux  qu  il  mettra  en  sus  de  ce  nombre* 

Simon ,  comte  d'Evreux ,  donne  à  Tabbaye  de 
Fécamp  sept  arbres,  soit  chênes  ou  hêtres,  pris  dans 
la  forêt  de  Caudebec. 

Jean ,  comte  d'Eu ,  confirme  la  possession  de  la 
moitié  de  Senneville,  donnée  par  un  de  ses  hommes^ 
Josselin  Croel ,  à  l'époque  de  sa  mort. 

Raoul  Recuchon ,  de  Fécamp  y  donne  cinq  cents 
gerbes  de  fourrages  à  prendre  dans  la  vallée. 

Enfin  y  Guillaume  Martel  remet  à  l'abbaye  la  maison 
qu'il  possède  dans  le  château  de  Fécamp^  moyen- 
nant une  livre  de  poivre ,  un  septier  de  vin ,  et  quatre 
pains,  qui  lui  seront  donnés  annuellement  le  jour 
de  la  Nativité.  Cette  charte  est  attestée  par  Henri 
de  Graville  et  par  Roger  Sachépée'. 

Henri  II,  se  trouvant  en  Normandie,  vint  àLil- 
leboune  pour  assister  à  un  concile  où  siégeait  l'abbé 
de  Suilli.  Il  se  dirigea  de  là  sur  Fécamp ,  pour  rem- 
plir un  devoir  de  piété  filiale ,  en  faisant  donner 
une  sépulture  plus  convenable  à  ses  ancêtres ,  les 
deux  Richard ,  qui ,  par  humilité,  avaient  désiré 
être  inhumés  dans  un  lieu  dont  la  simplicité  n'était 


>  Toutes  les  chartes  citées  ci-dessus  existent  au  dépôt  des  ar- 
chives du  département  de  la  Scine-Inférieure  ,  où  nous  les  avons 
compulsées. 


(  \lo  ) 

plus  en  harmonie  avec  la  splendeur  actuelle  de  leur 
race.  Les  restes  de  ces  princes  furent  retirés  de  la 
chapelle  de  Saint-Thomas ,  renfermés  dans  deux 
coffres  de  plomb,  et;  placés  sous  le  grand  autel  de 
labbaye. 

Cette  cérémonie  eut  lieu  en  présœce  des  évéques 
de  la  |Hrovince,  des  ]^riiicipaux  seigneurs  de  Nor- 
mandie,  et  d'une  foule  de  peuple^  que  la  curiosité 
avait  attirée  sur  les  lieux  ^«  Il  y  eut  des  grâces  spi- 
rituelles accordées  pour  ceux  qui^  tous  les  ans,  le 
iZ  août  j  visitei^aient  l'église  de  la  Sainte-Trinité  et 
prieraient  pour  le  salut  des  âmes  des  deux  Hichards. 
Henri II  offrit,  pour  ce  motif ,  des  sauf-conduits  à 
tous  ses  sujets  d'Angleterre  qui  voudraient  se  rendre 
à  Fécamp'.  Les  moines,  de  leur  coté,  reçurent 
quelque  chose  de  pins  positif  pour  leur  avenir  tem- 
porel; ils  eurent  la  forêt  des  Hogues  et  tout  le  ter- 
ritoire qui  en  dépendait  (dit  la  charte  de  donation  ) , 
depuis  Vattetot  jusqu'à  Crichebot  (Criquebœuf  J, 
et  depuis  le  pommier  du  Mole  jusqu'à  la  mare  qui 
avoisine  les  territoires  de  Heruifiçevilla ,  de  Frober- 
ville  et  de  Malptus  (  Maupertuis  ) ,  en  prenant  pour 
limite  le  fossé  du  parc  creusé  par  les  ordres  de  l'abbé 
Henri  de  SuilU. 

Cette  charte  fut  immédiatement  suivie  d'une  autre 

i .' 

'  Rob.  de  Monte  f  ad  ano.   Itô2. 

3  Extrait  du  Cartulaire  prêté  h  dom  Mabillon. 


t 


(  171  ) 

qui  ferait  croire  que  j  dans  ce  temps ,  persomie  ne 
pouvait  établir  une  garenne  sans  le  consentement 
royal  :  Henri  II  permet  à  l'abbé  de  Suilli  d'en  &ire 
une  sur  un  fief  situé  à  deux  milles  de  Fécamp; 
et ,  comme  l'abbaye  tenait  beaucoup  à  la  conservatioi» 
de  son  gibier,  le  roi  prononça  une  amende  de  10 
livres  y  somme  énorme  pour  ce  temps  là^  contre  ceux 
qui  se  permettraient  de  tuer  un  lièvre,  ou  tout  autre 
animal  9  sans  l'autorisation  de  l'abbé. 

Voyant  que  le  roi  paraissait  bien  disposé  en  £aiveur 
de  Fécamp,  les  habitants  de  cette  ville ,  qui  faisaient 
un  commerce  assez  important  avec  l'Angleterre, 
crurent  que  le  moment  était  favorable  poiu*  secouer 
le  joug  de  l'abbaye,  et  se  hasardèrent  à  demander  la 
franchise  de  leur  port.  C'est  la  première  fois  que  nous 
voyons  les  bourgeois  réunis  adressant  une  pétition 
collective  au  nom  de  leur  communauté'.  Le  roi 
n'eut  pas  égard  à  cette  demande ,  et  confirma ,  au 
contraire ,  les  droits  de  l'abbaye  sur  le  port  de  Fé- 
camp ,  en  vertu  des  donations  de  ses  prédécesseurs. 

Ce  port,  comme  nous  l'avons  dit,  devait  être 
alors  assez  fréquenté ,  puisque  l'on  voit  des  agents 
royaux  promus,  des  fonctions  qu'ils  y  exerçaient,  à 
d'autres  plus  importantes  en  Angleterre.  La  vingt- 
cinquième  année  de  son  règne ,  à  la  date  du  5  mai , 
le  roi  délivre  à  Albéric,  clerc  de  Fécamp,  une  com- 

»  Cartttl.  Fisc. 


•   -»-■      r. 


('17a  ) 

mission  de  collecteur  au  port  de  Londres,  pour  per- 
cevoir les  droits  qu'il  retirait  sur  l'entrée  et  la  sortie 
des  marchandises.  Quelques  années  après  ,  sous  le 
règne  de  Henri  III ,  ce  même  Albéric  est  élevé  au 
poste  éminent  de  chancelier  de  l'échiquier,  de  la 
Grande-Bretagne  * . 

Après  avoir  décidé  la  question  concernant  le  port 
de  Fécamp ,  question  assez  grave  pour  l'avenir  des 
habitants  de  cette  ville ,  le  roi  fut  obligé  d'intervenir 
dans  une  cause  qui  paraîtrait  maintenant  futile  ^  et  qui 
prouve  combien  le  clergé  d'alors  tenait  à  la  conser- 
vation de  certaines  prérogatives.  Un  moine  de  Fé- 
camp, résidant  à  £vêquemont,  avait  été  excommunié 
par  l'archevêque  de  Rouen  ,  pour  avoir  reçu ,  dans 
son  église ,  quelques  personnes  excommuniées  elles- 
mêmes  par  ledit  archevêque.  Ce  prélat  avait  fait , 
en  même  temps,  abattre  les  autels  d'Evêquemont 
pour  interrompre  les  cérémonies  religieuses ,  et  l'abbé 
de  Fécamp  les  avait  fait  aussitôt  relever.  Henri  II 
décida  que  le  moine  serait  absous  par  l'archevêque  ; 
que  l'autel  relevé  serait  abattu  de  nouveau  par  le 
commandement  de  l'abbé ,  qui ,  ensuite ,  le  ferait 
relever ,  convoquerait  l'évêque  d'Evreux  pour  récon- 
cilier ladite  église ,  au  moyen  de  l'eau  bénite  et  des 
cérémonies  pratiquées  en  pareille  circonstance".     . 


'  Histor.  of  Exch. ,  pag.  52  et  782. 

«  Extrait  du  Cartulaire  prêté  à  dom  Mabillon. 


-J*^.-*- 


(  »73) 

En  quittant  Fécamp,  le  roi  d'Angleterre  se  rendit 
dans  la  Basse-Normandie ,  et  visita  le  prieuré 
d'Ârgences ,  où  il  fit  plusieurs  dons  au  monastère 
du  Ptessis  ;  la  charte  qui  en  fait  mention  est  attestée 
par  Raoul  de  Fécamp» 

Bien  que  les  moines  de  Pécamp  possédassent  leur 
prieuré  d'Ârgences,  où  ils  récoltaient  le  vin  qui  leur 
était  nécessaire ,  nous  avons  pu  remarquer  que  les 
vins  de  France  leur  étaient  connus ,  et  qu'ils  en 
consommaient  assez  pour  désirer  être  affranchis  des 
droits  de  sortie  que  l'on  payait  de  France  en  Nor- 
mandie. Aussi  voyons-nous  l'abbé  Henri  obtenir 
de  Louis  Vit  le  privilège  de  faire  venir  à  Fécamp 
tous  les  vins  qu'il  voudrait ,  sans  payer  cet  impôt. 
On  en  avait  fait  une  assez  forte  consommation  pen- 
dant la  réunion,  de  la  cour  du  roi  d'Angleterre  y  et 
on  avait  besoin  de  poui*voir  à  son  remplacements 
I^ics  religieux  obtinrent,  en  même  temps,  la  liberté  de 
faire  bâtir  un  four  dans  te  domaine  qu'ils  avaient 
hors  le  château  de  la  ville  de  Mantes^. 

Quand  on  se  rend  compte  de  la  grandeur  et  des  ugs. 
richesses  de  l'abbayç ,  on  remarque  avec  surprise 
qu'elle  n'était  pas  en  état  de  pourvoir  honorablement 
à  l'entretien  de  douze  clercs  ;  ou  plutôt,  les  revenus 
étaient  affectés  à  des  dépenses  tellement  spéciales, 
qu'il  n'y  avait  ^as  possibilité  d'en  changer  la  destina- 

'  Chartet  mss.  —  ArchiTes  département,  àe  la  Seine-InférieiiTe. 


M 


(  174) 

tion.  Le  fonds  attaché  àrentretiea  de  ces  douze  clercs 
étaat  insufBsant  j il  ea résultait  qute  cesg^ns  d'église, 
'  d'un  ordre  peu  élevé ,  étaient  obligés  de  chercher 
partout  leur  nécessaire,  et  négligeaient aixi^  le  service 
divin.  Cinq  de  ces  clercs  étant  morts ,  l'allé  de 
SuiUi  obtint  du  pape  de  les  faire  rem^cér  par  six 
prêtres,  >en  conservant  aux  clercs  survivants  leur 
traitement  durant  leur  vie ,  ou  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent 
autrement  pourvus* 

L'église  se  trouvait  alors  tourmentée  par  uaabus 
que  plusieurs  conciles  pnt  long-temps  combattu  avant 
de  pouvoir  entièrement  le  faire  disparaître  ;  des 
prêtres  mariés^,  qui  possédaient  des  églises  et  des 
bénéfices ,  les  transmettaient  à  leurs  enfants  comme 
ua  héritage.  Cet  usage,  généralement  suivi  dans  les 
lieux  dépaoïdant  de  l'abbaye  de  Fécamp  ^  et;  dans 
cette  ville  même^  où  le  curé  de  Saint-Étieniie  était 
marié ,  donna  lieu  au  bref  du  pape  Urbain  III , 
souscrit  k  Vérone,  qui  ordonne  de  le  faire  cesser, 
en  remplaçant  immédiatement  les  titulaires,  à  moins 
qu'ils  ne  soient  reconnus  aptes  à  continuer  digne- 
ment leurs  fonctions  sacerdotales. 

Nous  avons  vu  l'abbé  de  Fécamp,  obéissant  à 
l'impulsion  du  siècle,  augmenter  les  bâtiments  et 
dépendances  de  l'abbaye  ;  son  ouvrage  était  à  peine 
terminé,  que  le  feu  se  manifesta  deux  fois  dans  l'église 
et  détruisit  une  grande  partie  des.  travaux  qu'il 
avait  entrepris.    Ce  fut  en  faisant  les  réparations 


(175) 

nécessaires  pour  ef&cer  les  trace$  de  TioGendie  ^  que 
Henri  deSoilli  découvrit,  dans  un  pilier ,  la  relique 
du  préctetUL  £ang ,  que  Richard  I  y  avait  fait  secrète- 
ment renfermer. 

Nous  retrouvons ,  qudques  aimées  après ,  Tabbé 
Henri  à  Gaen ,  parmi  les  grands  de  la  cour  du  roi 
d'Angleterre  et  les  évéques  qui  s'y  étaient  rendus, 
pour  s'occuper  des  affaires  de  l'église. 

Outre  tes  tracasseries  que  causaient  souvent  k 
Henri  H  les  révoltes  de  ses  quatre  fils  :  Henri, 
Geoffiroy  ^  Richard  et  "ïean ,  il  en  eut  encore  une 
plus  grave  à  éprouver  de  la  part  de  la  cour  de  Rome, 
à  roccasîon  de  ia  mort  de  Thomas  Bequet,  arche- 
vêque de  Cantorbéry ,  assassiné  dans  son  église.  On 
sait  combien  ce  prélat,  intraitable  et  hautain ,  suscita 
de  peines  à  son  roi  ;  on  sait  que  ce  dernier  déplora 
amèrement  la  fin  tragique  de  l'archevêque,  à  laquelle 
il  était  étranger.  Le  clergé  ne  l'ignorait  nullement , 
et  jeta  cependant  des  cris  accusateurs  contre  Henri. 
Qui  croirait  que ,  malgré  la  reconnaissance  que  lés 
moines  de  Fécamp  devaient  au  chef  de  la  dynastie 
normande ,  l'esprit  de  parti  s'empara  tellement  de 
leurs  imaginations ,  qu'ils  voulurent  avoir,  des  pre- 
miers, des  reliques  de  saint  Tliomas ,  et  qu'on  n'at- 
tendit pas  même  que  le  temps ,  en  passant  sur  le 
cadavre  de  ce  prélat ,  en  eût  réduit  les  restes  à  l'état 
de  reliques  ordinaires  ;  de  la  chair  de  Thomas  de 
Gintorbéry  fut  reçue  à  Fécamp  et  déposée  solennel- 


(  *76) 

lement  clanis  un  reliquaire  de  bois  ,  couvert  de  laméA 
d'argent  doré  ;  on  lui  fit  l'honneur  de  l'associer  aut 
reliques  de  saint  Jean-^Baptiste  et  de  sainte  Gene-^ 
viève*.  Enfin  y  pour  expier  un  meurtre  qu'il  n'avait 
pas  commis  ,  Henri  II  fut  obligé. de  faire  plusieurs 
donations  aux  abbayes:  des  terres  du  domaine  de 
Caux,  sises  entre  Bolbec  etBonnemare^  furent  cou-* 
cédées  à  l'hôpital  de  Rouen  j  ainsi  que  trois  mille 
harengs^  fournis  par  les  pêcheurs  de  Fécamp  et 
d'Yport». 

Henri  de  Suilli  mourut  en  1 188 ,  et  fut  inhumé 
dans  la  chapelle  de  Saint-Pierre,  où  son  tombeau  ne 
se  voit  pluSk  Très  proche  parent  des  ducs  de  Nor- 
mandie j  plutôt  homme  de  cour  qu'homme  d'église  9 
il  semblerait  y  d'après  ce  que  nous  venons  de  voir^ 
que  j  de  son  temps  j  la  régularité  religieuse  ne  fut  pas 
généralement  observée  j  comme  sous  ses  prédéces- 
seurs ;  il  n'y  eut  que  quelques  moines  qui  avaient 
vécu  sous  l'ancienne  discipline ,  qui  s'y  conformèrent 
avec  exactitude. 

Raoul  d'Argencés  ,  sixième  Abbé. 

Raoul /surnommé  d'Argences,  lieu  de  sa  naissance, 
dans  le  diocèse  de  Bayeux,  remplaça  l'abbé  Henri  de 
Suilli.    Les  premières  années  de  son  gouvernement 


'  Trésor  de  Fécamp. 

*  Archives  départementales. 


(  «77  ) 

fareot  signalées  par  plusieurs  dons  et  transactioiis 
particulières.  Guillaume  Le  Moine  donna  à  Tabbaye 
«ne  masure ,  située  danâ  la  rue  de  Mer  ;  et  Raoul 
Gemet  lui  fieffa  sa  maison  de  la  même  rue,  rele- 
vant du  fief  de  Taumonérie  de  Fécarap.  A  la  même 
époque  j  Aichard^  ou  Richard  d' Argences ,  neveu  de 
Tabbé  Raoul,  dirigeait  les  écoles  de  Fécamp;  comme 
il  désirait  agrandir  son  établissement  d'une  propriété 
voisine ,-  son  oncle  achetai  d'un  certain  Roger  Cannel , 
une.  maison  et  un  terrain  placés  près  des  murs  du 
château  ^,  entre  la  maison  de  l'école  et  l'hospice  du 
monastère ,  dans  le  fief  de  Nicolas  Gernet ,  chevalier. 
L'abbaye  de  Fécamp  obtint  encore,  à  cette  époque, 
un  droit  qui  ne  laissait  pas  d'être  productif ,  et  dont 
rexbtencé  jette  un  jont  intéressant  sur  les  relations 
qui  existaient  alors  entre  les  deux  rives  de  la  Seine. 
Renauk,  comte  de  Roulogne,  lui  donna  le  passage 
d'Harfieui^  à  Honfleur  a  Traversum  vel  passagium 
RarefiŒii^^et  celui  de  Vissant,  dans  le  comté  de 
Boulogne*. 


FECAMP 

sous  RlCHABD  CoEUR-BE-LlON  £T  JeAN-SANS-TeRRE. 

Après  la  mort  de  Henri  II ,  qui  avait  vu ,  pour 

*  «  Jaxta  murum  castelli  »  —  Ârch,  dép. 

^  Précis  d*un  CartuUire  ms.  de  la  Bibliothèque  du  Roi. 

Il 


(  «78  ) 

ainsi  dire ,  creuser  son  tombeau  au  milieu  dés  conju-^ 
rations  de  ses  enfants ,  Richard  CœUr-de-Lion ,  qui 
lui  succédait,  se  Ht  couronner  à  Rouen,  et  partit 
immédiatement  pour  FAngleterre* 
^    Il  fallait  que  la  fureur  des  croisades  fût  alors  à 
son  apogée  pour  déterminer  ce  prince  ,  qui  arrivait 
au  trône ,  à  quitter  son  royaume  encore  fort  agité , 
pour  aller  se  mêler  aux  aventuriers  qui  partaient  pour 
la  Terre  sainte.  En  effet,  il  se  rendit  directement  à 
Marseille  pour  rejoindre  le  roi  de  France  Philippe , 
et  attendre  sa  flotte  qu'il  avait  fait  équiper  à  Rouen 
et  à  Fécamp.  On  connaît  le  sort  de  Ricliard  en  Pa- 
lestine, sa  captivité,  au  retour,  dans  les  états  du  duc 
d'Autriche  ,  qui  ne  lui  rendit  la  liberté  qu'au  moyen 
d'une  rançon  proportionnée  à  la  dignité  du  prison- 
nier. Comme  les  exploits  de  Richard  l'avaient  élevé 
au  plus  haut,  degré  dans  l'esprit  des  peuples ,  tout  le 
monde  se  cotisa  pour  hâter  sa  délivrance;  le  monas- 
tère de  Fécamp  fournit  le  quart  de  son  revenu  annuel. 
Jean-sans-Terre ,  s'étant  emparé  du  pouvoir  pen- 
dant la  captivité  de  son  frère,  conclut ,  avec  Philippe- 
Auguste,  im  traité  par  lequel  il  abandonnait,  à  ce 
dernier,  toute  la  rive  droite  de  la  Seine  ' ,  compre- 
nant lés  villes  de  Harfleur,  Montivilliers ,  Fécamp, 
et  toutes  les  autres  places  du  pays  de  Caux.    Cet 


«  Pacta  convedta  Parîsiis,  inter  Philip,  et  Johan.  Hist,  de  France^ 
tome  XVU; 


(  179  ) 

;sii^rangement  fit  jeter  les. hauts  cris  aux  pays  qui 
devaient  être  démembrés  de  la  Normandie;  on  s'em- 
pressa de  contribuer  à  la  d^ivrance  de  Richard ,  et 
son  retour ,  salué  par  les  unanimes  acclamations  de 
«es  sujets,  empêcha  l'exécution  de  ce  traité  honteux. 
Jean  s'enfuit  à  la  cour  de  France ,  d'où  il  suscita  beau- 
coup d'embarras  et  de  tracasseries  au  roi  d'Angleterre. 

KU^Iuudy  n'ayant  pas  fourni  la  totalité  de  sa  ran-^ 
tçon,  remit  des  otages  pour  la  partie  qui  restait  à 
solder.  Gatîtier  de  Coutances ,  archevêque  de  Rouen , 
fut  du  nombre  de  ces  derniers.  Comme  le  prince 
s'occupait  peu  de  le  délivrer,  l'abbaye  de  Fécamp 
et  quelcfues  autres  monastères  furent  obligés  de 
preB<k*e  Tinitiative ,  et  de  se  cotiser  de  nouveau  pour 
obtenir  la  liberté  de  leur  archevêque.  L'histoire  se 
tait  sur  le  sort  des  autres  otages;  peut-être  passèrent- 
ils  comme  appoint  sous  le  manteau  du  prélat. 

A  cette  époque,  le  pape  Célestin  III  occupait  la 
chaire  de  Saint-Pierre  y  et  son  intervention  se  fait 
sentir  dans  toutes  les  affaires  qui  concernent  le  mo- 
nastère de  Fécamp.  Il  commence  par  prendre  sous 
sa  protection  tous  les  biens  et  privilèges  de  cette 
abbaye  et  de  celles  de  Saint-Taurin  d'Évreux ,  de 
Bei-nay  et  de  Sainte-Berthe  de  Blangy. 

Il  confirme  ensuite  la  sentence  rendue  en  faveur 
du  prêtre  Richard  j  pourvu  de  l'église  de  Barentin  j 
à  la  présentation  des  religieux  de  l'abbaye ,  et  or- 
donne à  l'abbé  de  Fécamp  d'exhorter  et  engager 


(  '8o) 

tous  ceux  qui  dépendaient  de  rexemption,  à  assister 
à  la  procesâon ,  daas  Tëglise  du  monastère  ^  le  jour  de 
la  Pentecôte ,  ou  à  payer  un  defûer,  suivaBt  l'usage. 

Il  adresse  une  bulle  à  Tabbé  de  Fécamp^  par  L»- 
queUe  'û  est  défendu ,  à  lui  et  à  ses  suceessenra^  dV 
Héner  ou  de  distraire  les  fo^d^  devinés  à  Fentretieii 
de  trois  cierges  devant  le  saint  Sauveur  ^  et  permet 
au  même  abbé  de  se  &ire  payer  les  dlmèt^  ea  em- 
plicMjraiit  même  tes  censures  ecclésiastiques. 

Célestin  défend,  en  même  temps,  aux  archevêques 
et  évêques  d'interdire  les  églises  de  l'abbaj^  die  Fé- 
camp^  qui  étaient  de  leur  dépendiance ,  d'en  mta^dire 
plusieurs  à  Foccasion  d^une  seule ,  ou.  d'iaftevdire^  un^ 
église ,  pour  la  faute  d'un  particulier  y  à  moins-  qme^e 
ne  soie  le  seignwr  du  lieu ,  pensée  démocratique  qui 
se  développera  avec  plus  de  force ,  dand  W  aièdes 
suivants. 

Il  accorde  une  bulle  contre  L'archidiacre  de  Caux, 
qui ,  àl'occasioade  L'ho^italité  qu'on  lui  avait  donnée^ 
prétendait  imposer  le  droit  à&  visite  au  mcmastèfe. 

Les  archevêques  et  évêqnes,  difiSérant  denosnnttr 
aux  cures  les  sujets  présentés  par  L'abbé  de  Fécamp*, 
pour  jouir  plus  long-temps  du  revenu  des.  bénéâces 
vacants,  le  même  pape  leur  déclare  que,  sllscattendent 
à  l'avenir  plus  de  quarante  jours ,  l'abbé  de  Fécamp 
aura  le  pouvoir  de  nommer  lui-même  directement  à 
ces  bénéfices. 

Célestin  accorde  encore ,  à  la  demande  de  Fabbé 


(  «Si  ) 

de  Fécamp,  une  bulle  concernant  les  biens,  les  droits 
et  les  privilèges  de  l'abbaye ,  pour  tenir  lieu  de  pièces 
qui  avaient  été  perdues  dans  le  naufrage  d  un  reli- 
gieux qui  se  rendait  en  Angleterre.  Cette  bulle  a  été 
Tobjet  d'utie  critique  plus  violente  que  judicieuse 
contre  les  moines,  qu'on  accusait  de  faire  fabriquer 
dés  actes,  en  remplacement  de  pièces  originales  qui 
n'avaient  jamais  existé  ''.  Enûn  ,  le  même  pape  dé- 
clare que  l'abbé  de  Fécamp ,  ses  religieux,  et  tes  mi- 
nistres des  églises  qui  leur  appartiennent,  ne  pourront 
être  excommuniés  par  d'autres  que  lui  ou  son  légat. 

Le  successeur  de  Célestin  ^  Innocent  III  y  met 
sous  la  protection  du  saint  siège  les  églises  desti- 
nées à  l'entretien  des  pauvres  et  des  lépreux  de  Fé-  , 
camp  ;  ne  voulant  pas  qu'on  puisse  interdire  l'office 
divin ,  pour  crimes  qui  pourraient  y  avoir  été  commis 
par  d'autres  que  par  lesdits  lépreux*. 

Nous  nous  bpmerons  à  ces  simples  extraits,  qui 
peignent  une  époque  mieux  que  tous  les  coramen- 
taîpes  dont  oa  pourrait  les  accompagner. 

Richard  Cœur-de-Iion  ayant  été  tué  devant  le      1199 
château  de  Chalus,  Jean-sans-Terre  ne  tarda  pas 
à  s'eipparer  de  sa  succession ,  au  détriment  de  son 
neveu  Arthur,  fils  de  Geoffroy,  frère  aîné  de  Ri- 
chard. Il  fut.couronné  à  Rouen  duc  de  Normandie , 


'  Mégwires  de  TérUse,  ràA)ë.de  SaÎBt-Vktor-eB-Gattx. 
*  Cartul.  Fiscan. 


(  i8a  ) 

par  les  mains  de  l'archevêque  Gautier  de  Coutances^ 
qui  avait  à  faire  oublier  au  nouveau  pouvoir  tout 
Fempressement  qu'il  avait  témoigné  à  celui  qui 
n'existait  plus.  Le  délaissement  dans  lequel  l'avait 
laissé  Bichard  dans  les  prisons  du  duc  d^Autriche  , 
ne  lui  rendait  pas  cette  tâche  difficile. 

Jean  ,  s'étant  débarrassé  de  son  neveu  et  compé^ 
titeur,  en  le  faisant  assassiner  dans  le  château  de 
Rouen ,  est  obligé  de  commencer  une  lutte  violente 
avec  le  roi  de  France ,  qui  favori^it  le  parti  d'Ar* 
thur.  Son  trésor  étant  '  épuisé ,  i!  a  recours  à  toutes 
sortes  d'expédients  pour  se  procurer  de  Targent  : 
il  vend  des  charges  ,  des  faveurs,  et  jusqu'à  son  in- 
tervention pour  des  mariages. 

Hugues  de  Fécamp  donne  un  marc  d'or  pour  être 
sénéchal  de  Féyêque  de  Winchester  *. 

Les  marchandises  qui  avaient  pu  jusque  là  circu- 
ler librement  de  l'Angleterre  en  Normandie ,  sont 
taxées  à  l'entrée  et  à  la  sortie. 

La  deuxième  année  du  règne  de  ce  prince,  avant 

la  fête  de  Saint-Pierre-aux-Liens ,  on  voit  que  l'abbé 

de  Fécamp  acheta,  moyennant  deux  tonneaux  de  vin 

d'Auxerre ,  la  permission  d'exporter  un  chargement 

*  de  vin  pour  l'Angleterre  •. 

Un  commerçant  paya  le  même  impôt  J  pour  une 

'  Madox ,  Hist,  of  the  Excheq. ,  page  222  ,  note  G.  ^ 

>  Magn.  rotuL,  JO  Job. ,  ibid. ,  note  K. 


(  i83) 

licence  qui  lautorisait  à  transporter  des  sels  et  des 
cuirs,  de  TAngleterre  dans  les  ports,  de  Normandie  ; 
e»  voit  9  par  ces  passages ,  la  nature  des  arrivages  qui 
avaient  lieu  dans  le  port  de  Fëcamp. 

Un  sac  de  laine  payait  au  fisc  un  demi-n>arc. 

Trois,  cents  pçaux  ^^  avec  leur  poil ,  un  demi-maix^^ 

Et  une  certaine  niesure  de  cuirs ,  un  marc. 

Après  les.droits  sur  les  marchandises  et  la  vente  des  i2ri3. 
charges  y  vinrent  les,  confiscations  sur  les  seigneurs 
que  la  conduite  de  Jean  éloignait  de  ses  intérêts  :  il 
drdoiina.au  bailiiy  de^  Caux  de  donner  à  Sturgon, 
vicomle  dç  Fécamp^la  terre  de  Hugues  de  Gournay  ^ 
qui  s.etaijt  retiré  de  son  service^  a  aupd  recessU  À 
serviliosnostro  '.  n, 

A  la  suite  de  nombreuses  visites  dans  tous  les  châ^ 
teaux  de  WNormandie^  sans  avoir  pris  aucune  me- 
sure contre  le  roi  de  France ,  Jean-sfinsnTerre  alla 
passer  quelques  jours  dans  le  prieuré  d'Argences, 
où  se  rendit  l'abbé  de  Fécamp  ;  il  y  confirma  plu- 
sieurs donations  ,  entre  autres  celle  d'une  maison 
en  pierre.^  située  dans  le  bourg  de  Caen,  faite  à 
Robert  y  fils  de  {lanulphe.  Cette  charte  est  signée 
par  les  archevêques  de  Rouen  et  de  Cautorbéry  , 
par  Tabbé  de  Fécamp  et  les  principaux  personuages 
qui  accompagnaient  le  roi  ^. 


"  Pœdera ,  litterœ  et  acta  publica, 
'-  *■  Metuii  ckQrMrum  in  turre  Lond. ,  page  70«. 


(  »84  ) 

A  son  retour ,  Raoul  d*Argences  s'occupa  presque 
exclusivement  de  la  réédification  d'une  partie  assez 
considérable  des  édifices  du  monastère ,  auxquels  il 
mit  la  dernière  main  ;  l'église  principale  étant  trop 
petite,  à  raison  de  la  grande  affluence  des  pèlerins , 
ît  en  fit  alonger  la  nef  de  cinq  arches ,  et  fit  élever 
l'ancien  portail  avec  ses  deux  tours  ^  qui  étaient  déjà 
fort  délabrées  vers  le  milieu  du  xvi»  siècle,  si  l'on  en 
juge  par  les  dessins  qui  furent  exécutés  à  cette 
époque* 

Ce  fut  à  peu  près  dans  le  même  teirips  que  Raoul 
d'Argences  reçut  dans  son  monastère  un  frère  du  nom 
de  Gaultier ,  qui  avait  quitté  l'habit  de  Citeaux  ^  vers 
1 20 1 .  Admis  comme  frère  servant ,  vu  qu'il  n'avait 
aucune  connaissance  des  lettres,  on  ne  sait  par  quel 
motif  il  voulut  faire  le  voyage  de  Jérusalem.'  Ayant 
dérobé  secrètement  une  partie  de  la  relique  du  pré- 
cieux Sang  et  un  os  du  bras  de  sainte  Madeleine ,  il 
se  mit  en  route  en  compagnie  de  deux  autres  reli- 
gieux de  Fécanq) ,  l'un  prêtre ,  l'autre  diacre ,  et  avec 
eux  Godard  des  Vaux,  seigneur  de  Goderville,  et  son 
fils  Guillaunie,  qui  était  clerc.  Frère  Gaultier  avait 
prédit  à  ses  compagnons  de  voyage  une  traversée 
heureuse,  espoir  fondé,  disait-il,  sur  ce  qu'il  était 
porteur  de  très  précieuses  reliques  ;  il  arriva  malheu- 
reusement tout  le  contraire  ;  en  effet ,  ils  ne  furent  pas 
plutôt  embarqués,  qu'ils  essuyèrent  une  tempête  des 
plus  violentes,  qui  mettait  leurs  jours  en  péril.  Dans 


(  i85) 

cette  extrëoiîtë ,  le  seigneur  de  Goderville  l'étant  rap- 
pelé les  aveux  de  frère  Gaultier  ^  lui  demanda  s'il 
n'aurait  pas  été  assez  audaciejux;  pour  enlever  quelque 
relique  du  monastère  de  Fécamp ,  ce  qui  attirerait 
sur  le  navire  la  colère  de  Dieu ,  et  ferait  que  les  inno- 
cents seraient  punis  coranie  le  coupable.  A  cette  in- 
terpellatioo 9  le  frère,  ému  par  la  crainte  de  la  mort, 
avoua  la  soustractioi^  qu'il  ayait  faite  à  l'église  de 
Fécamp ,  daps  le  desseia  4'élever  à  Jérusalem  une 
chapelle  en  l'honneur  de  ces  précieuses  reliques^ 

La  mer  s'étant  apaisée  tout-à-coup  j  après  l'aveu 
du  frère  Gaultier ,  le  sire  de  Goderville  lui  remontra 
l'énormité  de  sa  faute ,  et  l'engagea  à  hii  faire  la  re- 
mise du  précieux  Sang,  pour  le  restituer  à  l'église 
de  Fécamp.  Mais  les  marins  qui  montaient  le  navire, 
ayant  été  témoins  du  miracle,  voulurent  s  emparer 
de  force  de  la  sainte  relique ,  et  Godard  des  Vaux 
eut  bien  de  la  peine  à  les  convaincre  qu^il  était  ju^te 
qu^l  s'en  chargeât  lui-même;  puisque  sa  terre  4tait 
voisine  du  monastère  de  Fécamp ,  auquel  il  avait  fait 
plusieurs  legs,  et  qu'il  était  plus  à  même  que  tout 
autre  de  restituer  ce  précieux  dépôt  aux  lieux  d'où 
il  avait  été  soustrait.  Ces  raisons  ayant  été  trouvées 
valables  ,  on  lui  remit  les  reliques.  La  navigation  fut 
heureuse,  le  retour  prompt,  quoique  traversé  par 
ui\e  foule  d'incidents  dont  les  voyageurs  ne  sortirent 
que  par  miracle.  Revenu  d^s  son  pays ,  Godard  des 
Vaux  ,  accompagné  de  son  fils  et  de  sa  femme ,  mit 


(i86) 

Sur  Tautel  de  la  Sainte-Trinité  le  précieux  Sang,  et, 
en  même  temps,  fit  donation  à  Fabbaye  du  patronage 
de  Godervilie  et  de  la  dtme  du  marché  de  ce  bourg, 
pour  la  rémission  de  ses  p^hés  et  pour  le  salut  de 
Famé  de  Henri  II*. 
iao4.  Si,  d'un  côté,  les  reliques  reprenaient  leur  place 

dans  Fabbaye  de  Fécamp ,  de  l'autre ,  le  roi  Jean  était 
sur  le  point  d'être  expulsé  de  la  Normandie.  Toujours 
malheureux  dans  ses  rencontres  avec  Philippe- Au- 
guste ,  il  se  retira  en  Angleterre  ,  laissant  les  peuples 
de  son  duché  se  défendre  seuls  contre  son  poissant 
ennemi.  La  ville  de  Rouen  étant  assiégée  en  iao49  et 
ne  recevant  aucun  siëcours  de  l'Angleterre ,  fut  obli- 
gée de  capituler  et  de  se  soumettre  au  roi  de  France; 
le  château  dië  Fécamp  et  toutes  les  places  du  pays  de 
Caux  suivirent  son  exemple.  L'histoire  rapporte  tout 
le  déplaisir  qu'éprouvèrent  les  Nonâands  de  ce  nou- 
vel état  de  choses.  Les  bourgeois  de  Rouen ,  surtout , 
étaient  implacables  dans  la  haine  qu'ils  portaient  à 
Philippe-Auguste  »,  et  ce  ne  fut  qu'à  force  de  con- 
cessions et  de  privilèges  que  ce  prince  parvînt  à 
faire  supporter  son  pouvoir.  Les  monastères ,  fondés 
et  comblés  de  bienfaits  par  les  descendants  de  RoUon, 


■  Cart.  de  la  BU)lioUièque  du  Roi  >  mss. 

'  <«  At  Rothomagensis  communia ,  corde  superbo , 
Immortale  gerens  odium  cum  principe  nostro.  » 

—  Cuili,  Britonis  Philip, ,  apud  Scrîp.  rer,  franc. ,  t.  XVIl,  p,  213^ 


*  (  i87  ) 

regrettèrent  aussi  la  dynastie  normande  y  surtout  ceux 
qui  craignaient  pour  la  possession  de  leurs  biens 
d'outre-mer.  Mais  généralement  on  fit  bonne  conte- 
nance ;  on  feignit  d'oublier  le  passé  ^  pour  tirer 
meilleur  parti  de  Tavenir. 

Le  mouvement  commercial  de  tous  les  ports  de  la 
Normandie  fut  généralement  arrêté  par  cette  sépa- 
ration^ qui  fut  très  préjudiciable  surtout  au  port  de 
Fécamp^  devenu  l'entrepôt  des  marchandises  échan-  . 
gées  entre  les  deux  pays.  Quant  à  cette  ville ,  naguère 
si  brillante  par  la  pompe  des  cérémonies  religieuses^ 
par  le  concours  des  princes  et  des  étrangers  qui  s'y 
rendaient  de  toutes  parts  ^  elle  se  trouva  tout-à- 
roup  réduite  à  son  abbaye  ;  et  l'abbaye  elle-même^ 
perdant  l'influence  qu'elle  avait  eue  jusqu'alors  sur 
le  sort  d'un  grand  état ,  dut  prendre. rang  parmi  les 
autres  établissements  de  la  France  y  qui  ne  l'éjgalaient 
pas  y  à  beaucoup  près  y  en  richesses  et  en  illustration. 

Il  est  bon ,  maintenant^  de  jelar  un  coup  d'œil  en 
arrière ,  pour  se  rendre  compte  des  résultats  de  l'oc- 
cupation normande.  Fécamp  existait  y  avons-nous  vu  ^ 
du  temps  des  Mérovingiens  y  mais  seulement  comme 
bourgade  formée  de  la  réunion-  de  quelques  habi- 
tants, tous  pêcheurs  et  cultivateurs;  à  l'exceptioa 
de  ceux  qui  composaient  la  su^te  des  gouverneurs  du 
paya  de  Caux.  L'abbaye  elle-même  n'était,  dans  ces 
premiers  temps,  qu'un  établissement  médiocre  en 
bois  et  en  pierre,  comme  tpus  ceux  de  celte  époque^ 


(  i88  )  * 

et  le  château  du  comte  ua  manoir  des  plus  dmples 
et  des  plus  modestes. 

L'arrivée  des  Normands  change  tout-à-coup  la 
face  des  choses.  Rolf  ^  leur  chef,  jette  tes  yeux  rar 
Fécamp  ;  son  fils  Wilhialm  Longue-Épée  y  construit 
le  premier  château  fort  qui  ait  été  élevé  en  Norman- 
die par  les  hommes  de  sa  race;  s'y  installe  avec  sa 
femme  et  sa  cour ,  rend  le  port  abordable ,  y  construit 
des  navires,  relève  l'abbaye  de  ses  ruines,  donne  les 
terres  envirc»inantes  aux  hommes  de  sa  suite ,  qui 
les  mettent  ea  valeur;  le  système  féodal  vient  encore 
ajouter  à  ces  merveilles  ^  en  organisant  la  hiérarchie 
des  pouvoirs  :  le  fief,  touc-à-tour  d^^ndant  et  suze* 
rain^  s'élève  de  toutes  parts;  des  maisons  se  con« 
struisent  à  Fécamp ,  aux  environs  de  la  forteresse ,  à 
l'entrée  de  la  baie ,  dans  la  vallée,  sur  le  bord  de  la 
voie  publique  ce  ^//lo/a  publicai».  U  nous  reste  peu  de 
traces  de  ces  constructions  ;  car,  sauf  les  monuments 
religieux  et  militaires ,  elles  étaient  toutes  en  bois  et 
en  torchis  ;  mais  les  anciennes  divisions  des  pro- 
priétés existent  encore  :  les  enceintes  de  l'école,,  du 
champ-^loré  ,  de  la  ferme  de  M.  Roquigny,  et  beaU'- 
coup  d'autres  qu'il  est  facile  de  reconnaître ,  étaient 
d'anciens  fiefs  de  l'époque  normande. 

L'intelligence  hun^aine  ne  reste  pas  en  arrière  du 
mouvement  général  imprimé  par  les  conquérants; 
des  travaux  littéraires  s'élaborent  dans  le  silence  des 
cloîtres;  on  forfne  des  élèves  à  écrire  sur  des  tadi>lettes 


(  ï89) 

cirées;  on  leur  fait  copier  la  Collecte,  le  Graduel, 
rAntipbonter ,  l'ancien  et  le  nouveau  Testaffnent,  les 
ouvrages  <hi  pape  Grégoire,  les  traités  de  S.  Jérôme , 
^Augostiis ,  d'Ambroise  ,  dlsidore  ,  d'Euzèbe  , 
d'Oroze ,  et  tous  les  écrits  des  anciens ,  qui  avaient 
été  sauvés;  c'est  ainsi  que  ces  précieux  travaux 
nous  sont  parvenus.  Enfin ,  l'abbé  Jean  d'Alie  pro- 
duit un  grand  nombre  d'ouvrages  ascétiques ,  et  le 
jeime  moine  Robert  sa  Chronique  de  Fécamp ,  le 
seul  travail  qui  nous  ait  fait  parfaitement  connaître 
la  suite  des  rois  de  la  famille  de  Merowig.  La  popu- 
btioii  de  la  ville  centuple  alors,  et  participe  aux 
bienfaits  de  l'instruction.  Une  école,  dirigée  par  des 
hommes  de  science  et  de  vertu,  répand  la  lumière 
parmi  le  peuple  ;  cliose  remarquable  alors  et  peu 
eomimiae,  même  dans  les  plus  grandes  villes  de 
France. 

Il  nous  reste  peu  de  mots  de  la  langue  des  Nor- 
mands; car,  après  la  conquête,  le  monde  romain  ne 
tarda  pas  à  reprendre  sa  suprématie.  Les  chroniques, 
les  chartes  et  toutes  les  transactions ,  furent  écrites 
en  latin;  il  n'y  a  que  quelques  noms  propres  qui  aient 
survécu  en  s'alliant  à  certaines  localités.  Ainsi ,  les 
normands  Estod ,  Turmot,  Tancar,  Goder,  Anger, 
ajoutèrent  leur  nom  à  des  villa  gallo-romaines , 
qui  furent  désormais  appelées  Est«)uteville,Tréraau- 
ville,  TancarvilW,  Goderville  et  Angerville. 

Les  lieux  nommés  le  Torps  indiquent  une  ferme 


(  i9<>  ) 

normande;  c'est  le  nom  propre  existant  encore  en 
Norwège,  pour  désigner  un  établisseiilent. agricole. 
Les  mots  Tôt  y  Thuit,  si  communs  aux  environs  de 
Fëcamp^  ont  la  même  signification ,  et  semblent  être 
une  corruption  du  premier  de  ces  noms.  Le  mot 
Bec  veut  dire  petite  rivière  ou  ruisseau  ;  aussi  avons- 
nous  près  de  Fëcamp  le  Bec-de-Mortagne  ^  le  Bec- 
aux-Cauchbis ,  le  Bec-aux-Normands  ;  de  là  aussi  les 
villes  de  Bolbec  et  de  Caudeb'ec  ^  situées  dans  le 
pays  de  Caux. 

Les  Normands,  à  dater  de  cette  époque,  vont 
perdre  leur  physionomie  historique.,  pour  prendre 
une  place  secondaire  dans  l'histoire  de  France;  tous 
les  monastères  de  Normandie,  n'ayant  plus  d'invasion 
à  redouter,  vont  s'occuper  modestement  de  leurs 
affaires  intérieures;  nous  n'en  trouverons  pas  moins, 
chose  remarquable ,  pendant  les  deux  siècles  qui  vont 
suivre ,  beaucoup  de  faits  qui  rattacheront  Fécàmp 
à  l'histoire  générale  du  pays. 


FECAMP 
jusqu'en   i4i9> 

ÉPOQUE  DE  LA  REPBISE  DE  LA  NORMANDIE  PAR  LES  ANGLAIS. 

Immédiatement  après  la  confiscation  de  la  Nor- 
mandie, Fhilippe-Auguste  reconnaît  les  privilèges 


(  '9'  ) 

'de  l'abbaye  de  F^camp,  et. la  Hiaialîent  dans  son  droit 
de  haute  justice  sur  les  habitants  de  la  ville  et  sur 
les  vassaux  qu'elfe  avait  dans  les  paroisses  de  sa 
dépendance.  N'oublions  pas  d'ajouter  que  la  confir- 
mation de  ces  f^rivilëges  fut  achetée  de  la  perte  de 
quelques  biens,  dont  le  roi  s'empara,  à  Texemple  de 
ses  prédécesseurs ,  pour  récompenser  ses  fidèles.  Phi- 
lippe de  Béthisy,  chevaUer,  reçut  cinquante  livres 
de  rentes  à  prendre  sur  le  fief  d'Aucourt,  appartenant 
à  l'abbaye  de  Fécamp.  Comme  c'était  à  peu  près 
tout  <^e .  que  rapportait  cette  propriété ,  les  moines 
l'abandonnèrent  à  Philippe  de  Béthisy ,  moyennant 
une  rente  annuelle  de  trois  marcs  d'argent. 

Philippe  donna  ensuite  à  Robert ,  archevêque  de 
Rouen ,  l'ordre  de  conserver  à  l'abbaye  de  Fécamp 
la  possession  de  l'église  d'Étretat  ;  il  fit  part,  en  outre, 
d'une  déclaration  de  Richard  de  Yemon ,  par  la- 
quelle ce  dernier  reconnaissait  que  la  même  abbaye 
avait  droit  de  faire  passer,  par  l'eau  de  Vernon,  toutes 
sortes  de  denrées,  sans  payer  aucun  impôt. 

Xje  comte  de  Saint-Paul  adressa ,  dans  le  même 
temps ,  à  l'abbé  Raoul ,  une  lettre  par  laquelle  il  le 
priait  de  recevoir,  dans  son  monastère,  certains 
religieux  de  Biangy,  dont  la  vie  était  peu  édifiante, 
et  d'envoyer ,  à  leur  place ,  deux  ou  trois  religieux 
de  sa  communauté. 

Nous  trouvons  ensuite  diverses  donations,  dont 

'  '  "  . 

voici  les  principales  : 


V     (  '9^  ) 

Hugues  II 9  évéque  de  Coutafices  ^  se  trouvant  à 
HcKien ,  écAu^e  àrtf  monastèf^  de  Fécamp  les  deux  tieiii 
dé  la  dîhit  et  lé  pstroiiàge  de  Téglise  de  Quettehon. 

L'abbayè  rendit ,  pôiïr  son  [i^rieuré  de  Saint-' 
Cervais  de  Roùeti  ^  quelques  propriétés  âse^  à  Cânn 
peaux,  dimiônées  pour  quaf^  fers  à  cheval  etdduze 
deniers  de  rente. 

Ocïon  et  Robert,  fîk  de  Henri  de  L'Hôpital,  donnent 
à  Gislebert  de  Breda ^  clere  de  Tabbayé,  une  inaisofn 
et  un  jardin,  qu'ils  avaient  à  Fëcamp ,  n^e  Froide, 
ou  quartier  froid  fafti^do  vieo^j  sur  la  païoissè  dé 
Saint-Léger* 

Les  biens  de  rhopital  de  Féôamp  s'accroissentf 
d'une  propriété  skuéesnrle  mont  du  Saint-Sépulore, 
faî^nt  partie  dti  fief  de  Robert  de  TiHetil ,  et  dé 
douze  deniers  de  rente  à  prendre  sur  le  tàSitifAtâé 
Gi^tte-PouIain ,  à  Saint-Léonard ,  appartensOlt  i 
ftose,  fitte  de  Mathilde  la  Gueudonesse. 

Guillaume  Louvel  obtient  de  l'abbaye  trois  mai- 
sons libres  de  tout  droit  de  coutume  et  d'ôc^^ ,  etf 
échange  des  prétentions  qu'il  avait  sur  le  mai^bé  de 
f*écamp. 

Pierre  de  Renouville  donne  à  l'abbaye  une  maison 
à  Veules ,  et  fait  remise  d'une  indemnité  à  laquefté' 
il  avait  droit,  au  sujet  du  dégorgement  de  la  rivière 
de  Veulettes ,  qui  avait  inondé  ses  terres. 

Henri  Mauconduit,  chevalier,  fait,  à  l'occasion 
de  la  rivière  de  Vittefleur ,  un  accoi^d  avec  le  mo- 


(  '93) 

nastère  de vFécamp  y  duquel  il  résulte  que,  depi^is 
les  moulins  de  yittefleur  jusqu'aux  moulins  de  Yeu- 
lettes,  la  rivière  sera  commune  et  Ton  en  partagera 
la  pèche  par  moitié  ;  et  au-dessous  desdits  moulins 
de  Veulettes  jusqu'à  la  mer ,  la  rivière  appartiendra 
entièrement  à  l'église  de  Fécamp. 

Henri  d'Argences ,  chevalier,  déclare  n'avoir 
aucun  droit  dans  les  bois  de  l'abbaye  ,  à  Argences , 
et  reconnaît  que  ses  hommes,  du  fîef  de  Caron, 
sont  obligés  d'aller  au  mouliu  et  au  four  de  ladite 
abbaye: 

Robert  de  Néville  donne  tous  les  droits  qu'il 
pouvait  prétendre  sur  le  havre  et  port  de  Saint- 
Yalery;  Godard  de  Godarville,  une  maison  attenante 
9UX  murs  de  la  forteresse  de  Fécamp  ;  Nicolas  Par- 
mentier,  sa  terre  du  Yal-aux-Clercs  ;  Durand  du 
Hêtre  de  l'Étrain ,  plusieurs  redevances  féodales  , 
si  communes  à  cette  époque ,  telles  que  :  trois  cents 
gerbes ,  une  fourche,  une  paire  de  gants  qui  lui  étaient 
dus  chaque  année  sur  la  dîme  de  Troudeville  ;  et , 
enfin ,  Pierre  de  Criquebœuf ,  sa  terre  de  Grainval 
et  tous  les  objets  de  naufrage,  qui  seraient  jetés  sur 
les  grèves  d'Yport ,  de  quelque  nature  qu'ils  soient , 
plus  le  droit  de  coutume ,  qui  lui  appartenait  féo- 
dalement ,  comme  en  avait  joui  son  père  Richard , 
sur  les  harengs  ,  maquereaux  et  autres  poissons 
apportés  dans  ce  port. 

Lies  seigneurs  qui  étaient  obligés  de  faire  garderies 

i3 


(  «94) 

chemins,  sur  leurs  terres,  depuis  le  lever  jusqu'au 
coucher  du  soleil ,  prélevaient  alors ,  à  titre  d'in- 
demnité ,  certains  droits  sur  les  voyageurs.  L'abbaye 
de  Fécamp  obtient  une  exemption  de  péage  sur  les 
domaines  des  comtes  de  Boulogne  et  de  Beaumont; 
et  Guillaume  de  la  Kese  accorde ,  moyennant  deux 
mines  d'orge  ,  à  prendre  sur  le  grenier  dfes  moines 
à  Veules,  le  libre  passage,  à  travers  ses  terres ,  pour 
les  habitants  de  Fécamp  et  tous  les  hommes  de  l'ab- 
baye ' . 

Nous  ne  pouvons  nous  rendre  compte  du  motif 
qui  appela  Raoul  tl*Argences  à  Rome  ;  voyage  que 
nous  ne  trouvons  consigné  dans  aucun  catalogue 
des  abbés,  et  qui  eut  lieu,  cependant,  comme  le 
prouve  une  quittance  de  a  huit  mille  florins  d'or^ 
«  de  bon  poids,  restant  dus  d'une  somme  plus  forte 
«  que  ledit  abbé  avait  reçue  à  la  cour  de  Rome ,  de 
(c  Rainold  Huguo,  marchand  de  Florence ,  de  la  société 
«  dite  des  Epines ,  societas  Spinarum.  »  Sans  doute, 
une  partie  de  ces  fonds  avaient  été  remis  à  titre 
de  subvention  à  la  cour  pontificale. 

C'est  un  fait  curieux  pour  l'époque,  que  l'existence 
de  cette  société. de  marchands  qui  avait  des  succur- 
sales dans  les  principaux  royaumes  de  TEurope,  et 
se  livrait  à  des  opérations  qui  ont  donné  lieu  à  nos 


^  Tous  ces  actes  se  trouvent  aux  arcliiTes  départementales ,  car- 
tons de  Féeamp,  et  dans  le  Gartulaire  de  l'Abbaye. 


(  «95) 

banques  actuelles.  Nous  trouvons  ^  à  quelque  temps 
de  là  y  la  même  société  appelée  en  garantie  devant 
les  gens  de  la  Cour  des -comptes,  par  l'abbé  Raoul  ^ 
avec  lequel  elle  avait  pris  l'engagement  d'avancer 
iSyâOO  florins  d'or  de  Florence,  montant  de- la  coti- 
sation imposée  à  l'abbaye  de  Fécamp ,  par  Pbilippe- 
Augnste ,  pour  subvenir  aux  besoins  de  l'État.  ' 

Nous  citerons  maintenant  quelques  exemples  qui 
prouvent  que  les  moines  ne  jouissaient  pas  toujours 
d'une  tranquillité  parfaite,  et  que  souvent  de  simples 
particuliers  se  permettaient  d'agir  envers  eux  en 
voisins  fort  incommodes.  C'est  ce  que  nous  fait  voir 
un  traité  ,  par  lequel  Renauld  Pellerin  s'oblige 
dobseiver  la  paix  a^ec  C abbaye  de  Fécamp ,  sous 
peine  de  la  perte  de  trente  sous  de  rente  qui  lui 
étaient  dus  sur  diverses  maisons  situées  audit  Fé- 
camp^ en  la  rue  du  Petit-Moulin,  derrière  le  jardin 
de  l'abbaye. 

Un  peu  auparavant,  c'était  un  prêtre  nommé 
Simon,  qui,  voulant  jeuir,  malgré  les  moines ,  de  la 
cure  d'Étretat ,  leur  avait  intenté  ,  à  ce  sujet , 
divers  procès  qui  se  terminèrent  par  la  renonciation 
dudit  prêtre ,  auquel  les  moines ,  vu  sa  grande  misère, 
s'engagèrent  à  faire  1 5  liv.  de  rente ,  à  prendre  sur 
leurs  moulins  de  Yittefleur. 

Les  moines  de  Saint-Taurin  d'Evreux  élevèrent, 

■  f     -  '  -  -       — 

'  Archives  départementales. 


(  «96  ) 

à  cette  époque  y  mais  sans  succès  y  la  prétention  d'être 
appelés  à  l'élection  des  ab})és  de  Fécamp. 

Toutes  ces  tracasseries  furent  suivies  d'une  ^utre 
plus  grave  y  à  cause  du  rang  de  l'adven^aire ,  qui 
était  chevalier  j  possesseur  d'un  fief  dans  le  voisi- 
nage du  bois  des  Hogues,  et  avait,  par  conséquent, 
un  assez  grand  nombre  de  vassaux  sous  sa  dépen- 
dance. 
iai8  Guillaume.de  JBeuze ville,  sire.de  Maupertuis, 

prétendant  avoir  des  droits  sur  la  forêt  des  Hogues, 
y  coupait  du  bois  à  sa^ fantaisie,  y  mettait  paître  des 
animaux ,  frappait  les  moines  et  leurs  gardes  lors- 
qu'ils voulaient  s'opposer  à  ses  volontés.  Un  jour 
que  ces  gardes  étaient  parvenus  à  saisir ,  dans  la 
forêt,  des  moutons  appartenant  audit  sire  deMau- 
pertais ,  celui-ci ,  furieux ,  brisa  le  parc  où  ils  étaient 
renfermés,  et  en  prit  un  plus  grand  nombre  que  ceux: 
qui  étaient  à  lui.  Une  plainte  ayant  été  ^portée 
devant  l'Echiquier,  et  les  parties  s'étant  présentées, 
on  fit  paix  et  accord  de  la  .manière  suivante  :  <ç  De 
«  ce  que  ledit  chevalier  prétendoit  avoir  droit  €mi  la 
coforêt  des  Hogues ,  à  cause  de  son  manoir  de  Mau- 
«  pertuis ,  ledit  chevalier  reconnoît  n'y  avoir  aucun 
a  <lroit,ni  pour  le  passé  ,  ni  pour  l'avemr,^  cause 
a  du  pâturage  des  bêtes,  ni  pour  herbage  ,  ne  à 
à  cause  -^de  couper  ne  faire  couper  pour  ardoir 
«  (brûler). 

«  De  ce  que  les  dits  religieux,  se  plaignoient  de  ce 


(  ^97  ) 

a  que  ledit  chevalier  a  voit  fait  couper  leur  parc,  et 
Qc  qu'il  avoit  (Ms,  dans  leur  manoir  des  Hogues  y  un 
«  plus  grand  nombre  de  montes  et  bêtes  à  laine  ^ 
<c  qui  avoient  été  prises  en  ladite  forêt  ^  par  les  gens 
<c  des  dits  religieux ,  et  qu'ils  tenoient  à  cause  de 
a  forfaiture 9  ledit  chevalier  s'oblige  à  faire  rétablir 
a  en  manoir  et  en  parc  des  Hogues,  douze  ou 
a  quinze  moutons. 

fit  Sur  ce  que  les  religieux  se  douloient  (plaignoient), 
ce  de  ce  que  ledit  chevalier  avoit  mis  la  main  inju* 
a  rieusement  à  l'un  'des  moines  de  l'hôtel ,  laquelle 
«  chose  ledit  chevalier  ne  confessoit  pas,  ne  n'en 
«  étoit  mémoratif ,  icelui  chevalier  se  soumit  et 
«  obligea ,  que  si  le  dit  moine  veut  dire  ^  par  la  vérité, 
a  qu'il  mit  la  main  à  lui  injurieusement ,  icelui  che« 
a  valîer,  par  révérence  et  honneur ,  et  pour  obéis- 
«  sance  faire  à  Dieu  et  à  sa  sainte  église ,  et  pour 
m  avoir  bonne  paix  avec  iceux  religieux ,  viendra  à 
«  leur  chapitre,  à  Fécamp,  et  l'amendera  à  l'abbé 
(c  et  au  moine  qui  se  veult  ^  » 

Ainsi ,  une  affaire  commencée  avec  tant  de  vio* 
lence  et  d'irritation ,  ne  pouvait  se  terminer  avec  plus 
de  courtoisie  et  d'humilité. 

Il  semble  que  l'abbaye ,  à  la  suite  de  ces  attaques 
successives  ,  veuille  s'assurer  de  l'appui  des  hommes 
qui  lui  étaient  suzerainement  attachés  :  elle,  fait  rer 

'  Archives  départementales. 


(  19»  ) 

nouTcler  à  Roger  Geraet ,  chevalier,  possesseur  de 
fiefs  relevant  de  l'église  de  Fécamp,  un  engagement 
qui  jette  un  g^and  jour  sur  l'organisation  ^  féodale 
de  cette  époque.  Nous  donnerons  l'extrait  succinct 
de  ce  curieux  document  : 

«  Moi,  Roger  Gernet,'  déclare,  qu'au  moyen  des 
«objets  détaillés  ci-après,  qui  me  seront  donnés 
a  annuellement  par  l'abbaye  de  Fécamp ,  à  moi  ou 
«  à  mes  héritiers,  comme  elle  avait  l'habitude  de  le 
«  faire  à  mon  père  et  à  ses  prédécesseurs  ;  savoir  : 
«  un  boisseau  de  froment,  vingt-cinq  quarts  et  deux 
a  boisseaux  d'avoine,  mesure  du  grenier  de  l'abbé 
<c  de  Fécamp  ,  livrés  par  le  gardien  de  ces  greniers; 
«  un  tonneau  de  vin  d'Argences  ou  de  France ,  si  le 
ce  premier  vient  à  manquer ,  livré  par  le  sommelier 
c(  de  l'abbaye  ,  à  condition  que  ce  vin  soit  sain  et 
(c  potable  :  je  rends  foi  et  hommage  à  l'église  de 
«  Fécamp,  et  In'oblige  de  lui  appartenir,  de  défendre 
«  ses  intérêts  en  toutes  choses ,  et  dé'me  réunir  trois 
c<  et  quatre  fois  par  an  au:îc  hommes  de  l'abbé,  pour 
«  aller ,  au  besoin,  au-delà  de  la  Seine  et  des  mers, 
a  venger  les  injures  et  les  torts  faits  à  l'église  de 
«  Fécamp.  » 

^oger  Gernet  déclare ,  en  terminant ,  qu'il  prend 
ces  engagements,  à  l'occasion  des  fiefs,  relevant  de 
ladite  abbaye ,  qu'il  possède  dans  le  lieu  nommé 
Malptus  (  Maupertuis  ). 

Cet  acte ,  passé  à  Fécamp ,  a  cela  de  remar,quable , 


(  »99  ) 

qu'il  n'est  plus  signé  par  les  grands  seigneurs  d'An- 
gleterre ;  ce  sont  tous  Normands  j  mainteoant  atta- 
chés de  corps  et  d'ame  à  la  France  y  dont  les  noms 
figurent  sur  cette  pièce.  Parmi  eux  on  Astingue  H. 
d'Estoteville ,  Raoul  de  Kenouville,  Rich.  d'Yvetot, 
W.  de  Tortechaine ,  Wîl.  de  Wistanval ,  Pierre  de  Cri- 
kebeuf,  W.  Malet,  Simon  des  Hogues,  Joseph  de 
Thieboutoty  EUist.Bellet,  Aichardiemaître  des  écoles , 
et  beaucoup  d'autres. 

Guillaume  de  Mortemer  fait  la  même  déclaration 
de  foi  et  hommage  au  monastère  de  Fécamp  j  et  lui 
jure  fidélité  pour  la  terre  d'Osbert ville. 

1/abbé  Raoul  d'Argences  mourut  en  12 19.  Son 
gouvernement  fut  témoin  de  grands  événements, 
qu'il  fit  toujours  tourner  au  profit  de  son  monastère , 
aussi  celui-ci  reçut-il  de  son  temps  de»notables  aug- 
mentations.  Cet  abbé  fut  inhumé  dans  la  chapelle  de 
Saint-Taurin,  maintenant  appelée  de  Saint-fBenoît , 
à  gauche  de  l'autel,  sous  une  arche  pratiquée  dans 
la  muraille.  On  avait  placé,  sur  son  tombeau,  une 
statue  en  bois ,  couverte  d'airain.  Le  bronze  en  était 
déjà  enlevé  bien  avant  le  xvii'  siècle  ^ 

AiCHARD  d'Argences  ,  septième  Abbé. 

*  *  • 

Après  la  mort  de  Raoul ,  la  communauté,  assez 

•   Trésor  de  Fécamp. 


(  aoo  ) 

emban*assée  ,  élut ,  à  la  place  d'abbé ,  le  maître 
d'école  Aichard ,  neveu  du  titulaire  dëfiint.  On  dit 
qu'il  était  ^oux ,  affable  et  très  charitable.  La  tra- 
dition monàcsde  n'a  pas  oublié  que  ce  fut  lui  qui 
augmenta  d'un  quart  la  portion  de  vin  des  religieux. 
Rien  d'important,  du  reste ,  ne  se  passa  sous  son  gou- 
vernement y  qui  ne  dura  que  deux  ans  et  demi.  îl 
mourut  eo  1222  ,  et  fut  inhumé  dans  la  chapelle  de 
Saint-Nicolas.  Ce  fut  du  temps  de  cet  abbé  que  le 
pape  Honorius  confirma  à  l'abbâye  de  Fécamp  la 
possession  de  l'hôpital  de  Veules  «rf<?  Vetolionj  tel 
qu'il  avait  été  concédé  par  son  fondateur*. 

Richard  ,  huitième  Abbé. 

R,ichard  I^  surnommé  Morin  y  natif  (Je  Paluel ,  au 
diocèse  de  Rouen ,  fut  le  successeur  dé  l'abbé  Aichard. 
A  l'époque  de  son  élection ,  l'église  de  Saint-Léger 
de  Fécamp  venait  d'être  terminée.  Comme  on  vou- 
lait la  consacrer  avec  toutes  Iqs  pompes  religieuses 
usitées  en  pareille  circonstance  y  on  invita ,  pour  feire 
cette  cérémonie,  Richard,  évêque  d'Evreux,  qui 
était  né  à  Fécamp ,  sur  la  paroisse  même  de  Saint- 
Léger.  Richard  avait  quitté  le  lieu  de  sa  naissance 
pour  se  faire  religieux  au  monastère  du  Bec,  d'où 
il  avait  été  promu  à  l'évêché  d'Evreux.   Ce  fut  un 


Archives  départementales. 


(  ^OI  ) 

jour  de  fête  pour  Fécamp  de  revoir  uu  de  ses  enfants 
sous  la  mitre  ëpiscopale ,  faisant  la  dédicace  d'une 
de  ses  églises.  Plusieurs  moines  furent  élevés  au 
rang  d'acolytes  et  d'exorcistes ,  à  la  suite  de  cette 
cérémonie. 

Une  croisade  ayant  été  prêchée  contre  les  Albi*- 
geoiSy  des  indulgences  sont  accordées  à  ceux  qui 
voudraient  prendre  la  croix.  Leurs  familles  et  leurs 
biens  sont  mis  sous  la  protection  de  l'église.  Les 
moines  favorisent  l'élan  imprimé  par  le  pape,  en 
abandonnant,  pour  cinq  années,  la  dîme  de  leurs 
propriétés,  et  en  mettant  de  fortes  sommes  à  la 
disposition  du  roi  de  France. 

L'abbé  Richard ,  de  Paluel ,  est  qualifié  d'homihe 
très  simple;  c'est  sans  doute  à  son  peu  de  fermeté 
et  à  son  goût  pour  la  règle,  que  sont  dues  les  dis- 
sensions qui  existèrent  entre  lui  et  ses  religieux.  Le 
légat  du  pape  ,  pour  y  mettre  fin ,  le  contraignit  de 
résilier  son  poste ,  après  cinq  ans  de  gouvernement. 
A  voir  l'empressement  que  met  la  cour  de  Rome  à 
l'éloigner  et  à  lui  donner  un  successeur ,  on  serait 
porté  à  croire  qu'il  n'avait  pas  su  se  concilier  l'affec- 
tion du  saint  siège ,  ou  qu'il  avait  mis  peu  de  bonne 
volonté  à  fournir  sa  part  de  subsides ,  dont  le  plus 
ou  moins  de  valeur  donnait  la  mesure  du  zèle  des 
abbés. 


(    20a    ) 

Guillaume  Vaspail,  neuvième  Abbé. 

>337-  Guillaume  III,  surnommé   Vaspail ,   né  dans  le 

village  de  Ros  ,  près  Caen ,  et  prieur  du  monastère 
de  Saint-Ouen  de  Rouen,  est  appelé  presqu  aussitôt^ 
par  Tinfluence  du  légat  romain,  à  gouverner  le 
monastère  de  Fécamp.  Cette  communauté  fournit, 
en  même  temps,  un  abbé  à  celle  de  SaintrPierre- 
sur-Dives ,  dans  la  personne  du  moine  Jacob. 

Les  archevêques  de  Rouen ,  de  plus  en  plus  con- 
trariés de  l'exemption  de  Fécamp,  laissent  apercevoir, 
d'une  manière  trop  ostensible,  le  dépit  qu'ils  en 
éprouvent.  Ils  se  refusent  à  donner  de  saintçs  huiles 
aux.  religieux ,  à  consacrer  leurs  églises ,  et  à  recevoir 
Nleurs  novices  aux  ordres.  Le  pape ,  par  une  bulle 
datée  de  Spolette,  enjoint  à  ces  archevêques  de 
traiter ,  à  l'avenir,  avec  moins  de  rigueur  le  monastère 
de  Fécamp. 

La  même  contestation  eut  Ueu  en  Angleterre,  entre 
les  clercs  de  Staninges  et  l'évêque  de  Chichester;  le 
pape  Grégoire  IX,  consulté,  renvoie  cette  affaifeà 
l'arbitrage  de  Jean  de  Caen  et  de  l'évêque  de  Londres, 
qui  déclarèrent  les  clercs  de  Staninges  indépendants 
de  toute  juridiction  épiscopale. 

Tout  le  monde  ne  répondant  pas  au  zèle  qu'exi- 
geait la  cour  de  Rome ,  Grégoire  IX ,  après  avoir 
excommunié  l'empereur  Frédéric  Rarberousse,  or- 
donna la  tenue  d'un  concile  à  Rome;  plusieurs  prélats 


(  ^o3  ) 

de  France  y  furent  convoqués  ;  dans  le  nombre  se 
trouvait  Guillaume  Yaspail. 

Cet  abbé ,  s'étant  embarqué  sur  les  galères  de 
Gênes,  avec  des  légats  et  des  évéques  y  ils  furent  ren- 
contrés par  les  galères  de  l'empereur  Frédéric ,  con- 
duites par  Henri,  fils  naturel  de  ce  prince.  Les  Génois 
ayant  été  vaincus  dans  un  combat  assez  prolongé,  les 
prélats  furent  faits  prisonniei*s  et  conduits  à  Naples , 
par  ordre  de  remj)ereur ,  qui  les  fit  traiter  assez 
durement.  L'archevêque  de  Rouen  fut  relâché ,  par 
snite  des  pressantes  réclamations  de  saint  Louis. 

Guillaume  Yaspail  ne  se  dégagea  que  par  une  forte 
somme  d'argent,  et  à  l'aide  d'un  archidiacre  de  Na- 
ples de  ses  amis.  Il  avait  pour  servitem*.  un  certain 
Jean  Bethin ,  qui  lui  rendit ,  à  ce  qu'il  paraît ,  les 
plus  grands  services  pendant  sa  captivité ,  car  nous 
trouvons,  dans  le  cartulaire^  une  donation  de  5  liv. 
de  rente,  à  prendre  sur  la  terre  d'Heudebou ville ,  faite 
à  cet  homme  par  le  prieur  et  le  couvent  deFécamp, 
en  considération  des  services  qu'il  a  rendus  à  Guil- 
laume leur  abbé ,  détenu  dans  la  prison  impériale. 

A  son  retour ,  Guillaume  Yaspail  fit  ajouter  quelque 
chose  à  l'habillement  prescrit  par  la  règle.  Remar- 
quant que  les  moines  ayant  continuellement  la  tête 
nue,  dans  un  pays  humide  et  si  rapproché  de  la  mer, 
en  étaient  souvent  incommodés;  il  obtint  du  pape  la  laa^. 
permission  de  faire  usage  d'une  espèce  de  capuchon 
pendant  le  service  divin.  Par  une  autre  bulle  de  la 


(  ^o4  } 

même  ëpoque,  le  pape  permet  l'admission^  dans  les 
ordres  et  les  charges  du  nKcnastère,  de  dix  clercs  ^ 
fils  naturels,  pourvu,  toutefois,  que  leur  naissance 
ne  fût  pas  le  fruit  d'incestes  ou  d'adultère^  ;  les  croi- 
sades faisaient ,  à  cette  époque ,  tolérer  bien  des 
choses  contraires  à  l'ancienne  discipline. 

La  même  année  vit  terminer  la  querelle  qui  exis- 
tait depuis  plusieurs  siècles  entre  les  abbayes  de 
Fécamp  et  de  Saint-Taurin  d'Evreux;  la  suzeraineté 
de  Fécamp  était  devenue  insupportable  à  cette  der- 
nière communauté ,  dont  l'importance ,  alors ,  s'ac- 
cordait peu  avec  la  sujétion  qui  la  mettait  au  rang 
subalterne  d'une  église  de  campagne  ou  d'un  simple 
prieuré;  les  temps ,  d'ailleurs ,  étaient  changés ,  et  l'on 
était  bien  loin  du  siècle  des  deux  Richard.  Des  com- 
missaires du  pape,  auxquels  cette  affaire  fut  déférée, 
déclarèrent  l'indépendance  de  l'abbaye  de  Saint-Tau- 
rin ,  qui ,  à  partir  de  cette  époque,  put  nommer  ses 
abbés  sans  l'intervention  des  i^eligieux  de  Fécamp.  . 

Nous  sommes  arrivés  à  l'époque  de  la  grande 
féodalité,  où  tout  le  pouvoir  hiérarchique  était  attaché 
à  la  terre,  sous  le  nom  de  fief;  tous  ceux  qui  en 
possédaient  étaient  obligés  de  prendre  part  au  ser- 
vice militaire.  Ainsi,  le  grand  fief,  ou  fief  suzerain, 
devait  un  certain  nombre  d'hommes  armés,  à  raison 
des  fiefs  subalternes  qui  étaient  dans  sa  dépendance, 
et  ces  hommes,  montés  et  équipés ,  avaient  ordre  de 
se  trouver ,  à  la  réquisition  du  roi ,  sur  les  points  qui 


leur  étaient  assignés.  Les  conmiunautés ,  à  raison 
de  leurs  fiefs  ^  n'étaient  pas  plus  exemptes  du  service 
militaire  que  les  autres  seigneuries.  L'abbé  devait 
se  trouver  dans  toutes  les  réunions  ,  à  la  tête  de  ses 
hommes  d'armes  ;  sa  présenee  encourageait  le  zèle , 
entretenait  la  discipline  et  l'ardedr. 

Dans  un  dénombrement  qui  a  pour  titre  Feoda 
Normajmiœ  ^  on  voit  que  l'abbaye  de  Fécamp  était 
tenue  de  fournir  y  pour  le  service  de  l'armée,  une  mi- 
lice plus  ou  moins  nombreuse ,  prise  parmi  ses 
hommes  et  ses  vassaux.  ' 

L'abbé  de  Fécamp  eàt  toujours  porté  sur  les  rôles 
du  ban  et  de  l'arrière-ban  ;  et ,  dans  le  nombre  des 
chevaliers  portant  bannière ,  au  combat  de  Bouvines, 
nous  trouvons  tous  les  abbés  de  Normandie  ;  l'abbé 
de  Fécamp  combattait  auprès  des  D'Estouteville,  des 
Guillaume  Q^epin  et  des  Robert  Malet*. 

Dans  un  rôle  de  la  chambre  des  comptes,  parmi 
ceux  qui  furent  admonestés  à  Saint-G^rmain-en- 
Laye,  nous  remarquons  cinq  évêques  de  la  Norman- 
die et  l'abbé  de  Fécamp.  Nous  voyons  encore  le  nom 
de  ce  dernier  parmi  ceux  qui  dowent  semons  à  Chi- 
non ,  pour  aller  sur  le  comté  de  la  Marche. 

A  l'occasion  des  guerres  qu'il  soutenait  dans  la 
Saiotonge,  avec  le  comte  de  la  Marche,  Louis  IX 
(saint  Louis )  s'aperçut  que  beaucoup  de  seigneurs 

*  La  Roque,  Feoda  Normannias, 


(  2o6  ) 

normands  se  trouvaient  clans  une  fausse  position  vis-^ 
à-vis  du  roi  d'Angleterre,  auquel  ils  devaient  aussi 
foi  et  hommage ,  à  cause  des  fiefs  qu'ils  possédaient 
dans  son  royaume.  Soit  défiance ,  ou  désir  de  faire 
cesser  un  ordre  de  choses  qui  blessait  les  idées 
consciencieuses  de  saint  Louis ,  ce  roi  manda  à  Paris 
tous  Tes  seigneurs  qui  se  trouvaient  dans  cette  caté- 
gorie, et  leur  représenta  que  j  ne  pouvant  servir  deux 
maîtres  avec  fidélité ,  ils  eussent  à  choisir  le  pays 
qu'ils  voulaient  définitivement  adopter* 

Le  roi  d'Angleterre,  par  politique,  et  pour  con- 
server des  relations  avec  la  Normandie,  avait  ipain- 
tenu  les  Normands,  ses  anciens  sujets,  dans  la  pos- 
session de  leurs  biens  d'outre-mer,  particularité  qui 
n'a  pas  été  assez  remarquée  par  quelques  écrivains 
modernes ,  qui  n'ont  vu  que  confiscations  après  le 
renvoi  de  Jean-sans-Terre.  Le  roi  d'Angleterre ,  di- 
sons-nous ,  voyant  le  parli  que  prenait  Louis  IX, 
l'appliqua  à  ceux  de  ses  sujets  qui  possédaient  des 
fiefs  en  Normandie^  Ainsi,  il  y  eut  un  échange  de 
personnes  entre  les  deux  pays.  Les  monastères  seuls 
furent  exceptés  de  la  règle  générale. 
ia55.  Le  zèle  des  croisés  ayant  amené  la  conversion 

volontaire  ou  forcée  de  beaucoup  de  juifs,  les  mo- 
nastères furent  chargés  de  remettre  aux  évêques  de 
l'argent  pour  l'entretien  des  juifs  convertis.  JPécamp 

'  Mathieu  Paris,  ad  ann.  1244. 


(  ao?  ) 

I 

fut  exempté  de  cette  contribution  par  le  pape ,  vu 
qu'il  avait  déjà  fourni  plus  de  60  livres  tournois  pour 
cet  objet ,  et  à  raison  des  subsides  annuellement  payés 
par  ce  monastère  à  la  cour  de  Rome  et  aux  légats. 

Le  même  pape  accorde  à  l'abbé  Guillaume  le  pou- 
voir de  donner  au  peuple  la  bénédiction  solennelle 
pendant  les  cérémonies  religieuses ,  et  il  affranchit 
la  communauté  de  sa  part  de  contribution  pour  l'en- 
tretien de  l'évêque  du  Mont-Tbabor,  qui ,  après  la 
destruction  de  son  église  par  le  sultan  de  Babylône, 
était  venu  chercher  un  refuge  en  Normandie.  C'est 
toujours  à  raison  des  *  subsides  fournis  à  la  cour 
de  Rome ,  que  ces  exemptions  sont  accordées.  On 
voit  oïl  passaient,  à.cettft  époque  y  les  grands  revenus 
du  monastère  de  Fécamp. 

Guillaume  Yaspail  assiste,  en  i^Sq,  au  sacre  de 
Rapul  Grosparmi ,  évêque  d'Evreux ,  qui  eut  lieu 
dans  l'église  de  Saint-Taurin ,  en  présence  de  saint 
Louis,  de  ses  deux  fils ,  des  évéques  de  la  province, 
et  de  Simon  de  Montfort.  Un  mois  après,  Guillaume 
envoie  à  l'évêque  Raoul  la  chapelle'  que  l'abbaye 
de  Fécamp  devait  aux  évêques  d'Evreux  nouvelle?» 
ment  élus ,  à  cause  des  fréquents  voyages  qu'ils 
faisaient  pour  l'ordination  des  moines  de  ce  monas- 
tère, p'est,  nous  croyons,  le  dernier  acte  de  l'ad- 


■  On  appelait  chapelle  ,  dans  ce  sens  ,  les  ornements  et  les  Tases 
sacerdotaux  nécessaires  an  prêtre  pour  le  sacrifice  de  la  Messe. 


(  3o8  ) 

ministratioû  de  Guillaume  Yaspail ,  qui  mourut  en 
1 260  y  et  fut  inhumé  dans  la  chapelle  de  la  Yierge , 
auprès  de  quelques-uns  de  ses  prédécesseurs. 

B.ICHARD  DE  Trégos,  dixième  Abbé. 

laGo.  Richard  de  Trégos,  natif  du  diocèse  de  Coutances, 

succéda  à  l'abbé  Guillaume,  en  1 260.  Ce  nouvel  abbé 
fut  très  agréable  à  la  communauté,  et  sut  lui  concilier 
l'intérêt  de  plusieurs  prélats  et  grands  seigneurs,  qui 
lui  firent  de  nombreuses  libéralités. 

Dans  la  même  année,  Gabriel ,  moine  de  Fécamp, 
fut  élu  abbé  d'Ivry.  Avant  d'entrer  dans  l'ordre  mo- 
nastique, il  avait  fait  de  brillantes  études  à  l'Acadé- 
ndie  de  Paris,  et  était  venu  seVanger,  à  Fécamp,  sous 
la  discipline  de  Guillaume  de  Ros.  Un  village ,  atte- 
nant à  Fécamp ,  eut  aussi  l'honneur  de  fournir  un 
abbé  au  monastère  de  Sainte-Catherine-du-Mont, 
dans  la  personne  de  Richard  de  Ganseville. 

Richard  de  Trégos  fit  élever  plusieurs  bâtiments 
dans  les  dépendances  de  l'abbaye  ;  c'est  à  lui  que 
IJon  attribue  Thôtel  de  ville  actuel  de  Fécamp, 
dont  la  construction  rappelle  évidemment  le  style 
du  XIII*  siècle. 

Les  habitants  de  Veuléttes  s'obligèrent,  à  la  niême 
époque,  envers  le  monastère,  à  construire  un  havre 
audit  lieu ,  à  condition  de  la  remise  des  droits  de 
pêche ,  de  vente ,  et  autres  redevances  auxquelles  ik 
étaient 'tenus  envers  l'église  de  Fécamp. 


(  209  ) 

L'abbé  de  Trégos  acheta  ^  dans  le  même  temps  ^  de  i  iCS. 
Nicolas  de  Hottot ,  sieur  d*Anglesqueville-les-Murs, 
toute  la  vallée  de  Veulettes ,  de  Palluel  et  Vitte- 
fleur,  pour  créer  un  port  à  l'endroit  où  la  rivière  de 
Palluel  se  jette  dans  la  mer  ;  il  fit  construire ,  à  cet 
effet  y  une  digue  pour  abriter  du  vent  du  nord  les 
bateaux  qui  tenteraient  d'aborder  le  rivage.  On  se 
fait  difficilement  une  idée  de  la  quantité  prodigieuse 
de  pierres ,  de  mortiers  et  de  pilotis  qui  durent  être 
apportés  sur  ce  point;  mais,  comme  Fart  n'avait 
pas  encore  trouvé  les  moyens  de  lutter  avec  avan- 
tage conti*e  les  flots  de  la  mer,  ce  travail  neput jamais 
être  terminé,  et,  bien  que,  depuis  600  ans ,  ces  fon- 
dations soient  sans  cesse  battues  par  les  vagues ,  il  est 
encore  assez  resté  de  cet  œuvre  de  géants ,  pour  faire 
croire  aux  personnes  qui  n'en  connaissent  pas  l'ori- 
gine y  que  le  port  de  Claquedent ,  comme  on  l'appelle , 
était  un  ouvrage  des  Gallo-Romains. 

On  fit  aussi ,  au  port  de  Fécamp ,  vers  la  même 
époque ,  beaucoup  de  travaux  qui  eurent  plus  de 
succès  que  ceux  dont  nous  venons  de  parler. 

Toutes  ces  constructions  et  les  subsides  nombreux 
envoyés  à  l'étranger,  n'enrichissaient  ni  les  moines 
ni  les  populations  du  pays  de  Caux  ;  et  l'abbaye  ne 
tarda  pas  à  s'apercevoir  de  la  difficulté  qu'elle  éprou- 


ArchÎTes  dépArt«fnenîaIf*5  ;  cartons  de  Feeamp. 

'4 


(  aïo  ) 

vait  à  recevoir  les  dîmes  et  à  faire  rentrer  certains 
revenus  qui  avaient  été  détournés  de  manière  à  ne 
laisser  aucune  trace.  Pour  découvrir  les  détenteurs 
de  tous  ces  biens  ,  on  eut  recours  aux  moyens  usités 
en  pareille  circonstance  :  des  brefs  du  pape ,  des  mo- 
nitoires  furent  lancés  dans  tous  les  lieux  dépendants 
de  l'abbaye.  Urbain  IV  prescrivit,  à  l'abbé  de  Val- 
mont  y  de  faire  publier  dans  ses  églises  que  les  habi- 
tants eussent  à  restituer  ce  qu'ils  retenaient  au  mo- 
nastère de  Fécamp ,  dans  un  délai  fixé ,  passé  lequel 
on  devrait  prononcer  l'excommunication  contre  les 
détenteurs  secrets,  qui  n'auraient  pas  tenu  compte 
de  ces  avertissements'. 

Les  évêques  d'Evreux  et  d'Avranches ,  le  doyen 
de  Lisieux ,  l'abbé  de  Saint-Etienne  de  Caen ,  le 
prieur  du  Mont-aux-Malades ,  reçoivent  des  bulles 
dans  le  même  sens  ;  et  l'abbé  de  Jumièges  est  invité 
à  publier  des  monitoires  contre  ceux  qui  retiennent 
les  biens ,  les  vases  sacrés ,  les  ornements  et  lés  char- 
tes de  l'abbaye  de  Fécamp. 

Si  l'on  n'avait  pas  ces  pièces  sous  les  yeux,  on 
aurait  peine  à  se  rendre  compte  d'un  pareil  désordre 
motivé  par  les  besoins  des  croisés-,  qui  ne  se  faisaient 
pas  scrupule  d'user  des  revenus  de  l'église  pour  le 
service  de  l'église  elle-même  ;  persuadés  qu'ils  la  ser- 


»  Bulle  d'Urbain  IV.  —  Otrt.  FUr. 


(an   ) 

valent  plus  utilement  dans  leurs  rudes  pèlerinages  ^ 
que  les  moines  passant  leur  temps  dans  l'inaction  et 
Tabondance  de  toutes  choses. 

Ces  idées  y  qui  prévalaient  alors,  ont  souvent  porté 
ceux  qui  avaient  des  contestations  avec  l'abbaye  de 
Fécamp,  à  commettre  toutes  sortes  d'excès,  à  saisir 
ses  biens ,  ses  animaux ,  et  jusqu'aux  religieux  mêmes , 
ce  qui  donna  lieu  à  la  bulle  que  publia  Martin  lY , 
pour  mettre  un  terme  à  de  pareils  abus. 

Les  seigneui^  suzerains  des  terres  voisines ,  ne 
respectant  pas  plus  les  droits  féodaux  que  les  biens 
de  Tabbaye  de  Fécamp  ;  Guillaume  Crépin  ,  de  la 
baronnie  du  Bec ,  prétendait  que  ses  hommes  ne  de- 
vaient pas  les  droits  de  coutume  que  payaient  les 
autres  individus,  lorsqu'ils  venaient  aux  marchés, 
foires ,  et  dans  les  ports  de  ladite  abbaye ,  et  les  en- 
courageait à  s'en  affranchir.  Un  arrêt  du  parlement 
de  Paris,  sous  Philippe-le-Hardi ,  fit  justice  de  cette 
prétention,  en  donnant  gain  de  cause  aux  religieux'. 

Des  hommes  d'armes  furent  mandés  dans  le  même      is7s« 
temps  pour  occuper  le  comté  de  Toulouse,  qui  reve- 
nait à  la  couronne  de  France ,  après  le  décès  d'Al- 
phonse ,  comte  de  Poitou  ,  mort  sans  postérité. 

On  remarque,  au  nombre  de  chevaliers  qui  de- 
vaient service  au  roi ,  et  qui  vinrent  en  Yost  de  foi  : 


»  Archives  dëpartementAleti. 


(  ^»2  } 

> 

Henri  de  Grandcour,  qui  se  présenta  pour  Jean 
de  Rovre ,  pour  Guillaume  de  Fécamp  et  pour  Ri- 
card d'Yvetot ,  lesquels  chevaliers  devaient ,  à  eux 
trois,  un  écuyer  pendant  quarante  jours,  pour  les 
fiefs  qu'ils  possédaient'. 

Guillaume  de  Briencon  et  Robert  de  Bondeville . 
pour  Jean  et  Henri  de  Fécamp,  qui  devaient  ser- 
vice pour  quarante  jours. 

Léon  de  Fécamp ,  Guillaume  de  Montpoignant  et 
Robert  d'Esson ,  se  préseVitèrent  pour  Jean  de  Tour- 
nebu ,  qui  devait  trois  chevaliers  à  raison  de  ses  fiefs 
du  pays  de  Caux. 

Enfin,  parmi  les  noms  des  chevaliers  qui  avaient 
reçu  l'ordre  de  se  trouver  à  Tours  l'amiée  suivante, 
on  trouve  l'abbé  de  Fécamp,  avec  les  Godard  de 
Goderville,  Henri  de  Craménil,  Lôuvel  de  Trémau^ 
ville ,  Nicolas  Bellet ,  de  Fécamp ,  Mathieu  de  Moy, 
Richard  de  Houdetot ,  Jehan  Malet ,  Richard  de 
Criquebœuf  et  D'Estouteville ,  grands  noms  nor- 
mands qu'on  rencontrait  sur  tous  les  champs  de  ba- 
taille, et  dont  le  souvenir  se  lie  à  l'illustration  et  à  la 
gloire  des  siècles  féodaux. 

Malgré  la  mort  de  saint  Louis  et  les  défaites  mul- 
tipliées de  la  croisade,  le  zèle  ne  paraît  pas  encore  se 
ralentir;  le  pape  Grégoire  X  passe  les  monts ,  vient  à 


'  La  Roque. 


(a.3) 

Lyon  j'oii  il  convoque  un  concile  composé  tie  Ions 
les  prélats  et  abbés  de  France.  L'abbé  de  Trégos,  qui 
en  faisait  partie ,  fait  vœu  de  prendre  la  croix ,  et 
souscrit  l'engagement  de  se  joindre  au  premier  dé- 
part qui  aura  lieu  pour  Jérusalem. 

Le  pape  Jean  XXI  annonce ,  par  une  bulle  sou- 
scrite à  Viterbe ,  qu'il  met  tous  les  biens  du  monas- 
tère de  Fécamp  sous  la  protection  de  l'église  ,  et 
nomme  Jean  de  Paris,  chanoine  de  Boulogne ,  pour 
les  administrer  pendant  le  pèlerinage  de  l'abbé  de 
Trégos. 

Nous  ne  retrouvons  cet  abbé  qu'en  1286 ,  à  l'é- 
poque de  sa  mort  ;  il  fut  inhumé  dans  la  chapelle 
de  la  Vierge  de  l'église  de  Fécamp,  auprès  de  son 
prédécesseur. 

Guillaume  de  Putot,  onzième  Abbé. 

Guillaume  de  Putot  fut  appelé,  dans  la  même  laSS. 
année,  au  gouvernement  de  l'abbaye;  il  commença' 
par  acheter  à  Paris ,  où  il  faisait  de  fréquents  voya- 
ges, une  vaste  maison  située  rue  Serpente,  et  con- 
nue depuis  sous  le  nom  d^ hôtel  de  Fécamp,  Il  fit 
ensuite  quelques  réparations  au  monastère  et  au  ca- 
nal de  la  Voûte,  qui  alimente  aujourd'hui  plusieurs 
usines  dans  son  cours. 

Le  royaume  d'Aragon  ayant  été  mis  en  inteinlit, 
à  la  suite  des  Vêpres  siciliennes  ,  ou  massacre  de 


(  •^•4  ) 

tous  les  Français  établis  en  Sicile ,  Philîppe-le-Bel 
obtint  du  pape  de  lever  des  décimes  sur  les  biens  des 
ecclésiastiques.  Cet  impôt  fut  l'objet  d'une  récla- 
mation de  la  part  du  monastère  de  Fécamp ,  dont 
l'exemption  fut  reconnue  valable  après  de  longs  dé- 
bats entre  Guillaume,  évêque  d'Auxerre ,  commis- 
saire du  roi ,  et  maître  Jean  Loët ,  porteur  de  la  pro- 
curation de  l'abbé  Guillaume". 

A  cette  époque ,  Robert  d'Estouteville  vendit  à  l'ab- 
baye,  moyennant  700  livres,  ce  qu'il  possédait  dans 
les  dix  paroisses  de  Fécamp,  à  l'exception  de. son 
manoir,  d'un  fief  et  d'un  millier  de  harengs.  D'un 
autre  côté ,  Jean  de  Fécamp ,  chevalier,  donna  au 
monastère  les  droits  qu'il  avait  dans  la  prairie  de 
cette  ville ,  entre  le  pont  par  où  l'on  va  à  Baudouin* 
bourg  et  le  perrey  de  la  mer.  Il  est  évident ,  par  ce 
passage ,  que  la  chaussée  du  port  n'existait  pas  à  cette 
époque ,  et  qu'on  ne  traversait  la  vallée  qu'au  petit 
pont  actuel  de  la  prairie. 

Gilbert  Ridel  abandonna  aux  moines  ta  dîme  de  la 
pêche  des  navires  et  de  ses  hommes  de  Veules  ;  Hu- 
gues de  Vinnemerville  reniit  une  rente  de  deux  truites 
de  deux  pieds  et  demi  de  longueur,  que  cette  abbaye 
devait  audit  chevalier  ;  et  le  monastère  de  Saint-Denis 
se  désista,  moyennant  100  livres,    du   droit   qu'il 


'  Fisc.  CartiiL 


(a.5) 

prétendait  lui  éti^  dû  sur  les  vins  qui  passaient  sous 
le  pont  de  Mantes,  à  destination  de  Fécamp'., 

L'abbé  Guillaume  de  Putot  mourut  en  1297,  et 
fut  inhumé  dans  la  chapelle  de  Saint-André.  La 
chronique  de  l'abbaye  le  loue  beaucoup  pour  le  bien 
qu'il  a  fait  au  monastèrç  :  le  célèbre  évêque  d'Avran- 
ches ,  Huet ,  le  traite  avec  beaucoup  de  sévérité ,  lui 
ainsi  que  quelques-uns  de  ses  successeurs^. 

Thomas  9  douzième  Abbé. 

Thomas ,  dit  de  Saint-Benoît,  natif  du  diocèse  de 
Coutances  ,  succéda  à  Guillaume  de  Putot. 

Nous  avons  vu  la  Normandie  tranquille  depuis  la 
conquête  de  Philippe-Auguste ,  heureuse  même  sous 
les  règnes  glorieux  de  saint  Louis  et  de  Philippe-le- 
Hardi.  Nous  avons  vu  le  monastère  de  Fécamp  jouir 
d'un  certain  repos  qui  lui  permettait  de  se  livrer  à 
des  travaux  de  construction  et  d'administration  in- 
térieure. Tout  changera  de  face  dès  le  commence- 
ment du  siècle  suivant.  Si  les  Anglais  ont  perdu  le 
souvenir  humiliant  de  la  conquête,  ils  n'ont  pas  ou- 
blié que  la  Normandie  avait  été  long-temps  démem- 
brée du  royaume  des  Francs ,  et  toutes  leurs  pen- 
sées ,  leurs  rêves  de  grandeurs,  sont  pour  le  rétablis- 


■  Archives  départementales  ;  cartons  de  Fécamp, 
^  Origines  de  Çaen  ,  chap.  24. 


(a.6) 

sèment  de  Tancien  ordi:e  de  choses.  Beaucoup  de 
familles  normandes  elles-mêmes  désiraient  ce  rap- 
prochement ,  et  peut-être  nos  grands  monastères  le 
regardaient-ils  comme  un  moyen  de  ressaisir  leur  in- 
fluencé perdue.  Ainsi  donc  :  amour-propre  national 
blessé,  intérêt,  rivalité ,  goût  d'entreprises  aventu- 
reuses, tout  concourait  à  attirer  et  fixer  les  regards 
des  Anglais  sur  le  continent. 
1298.  Philippe-le-Bel  transporte  le  théâtre  de  la  guerre 

dans  la  Guyenne,  et,  après  s'être  emparé  de  cette 
province  ,  il  la  remet  presque  aussitôt  comme  dot  dé  sa 
fille  Is|ibelle,  qu'il  fait  épouser  au  jeune  Edouard,  fils 
du  roi  d'Angleterre  ;  union  d'où  sortira  Edouard  III , 
ce  fléau  de  la  Normandie ,  qui  voudra  faire  recon- 
naître ses  droits  au  trône  de  France,  par  le  pillage, 
le  meurtre  et  les  incendies. 

On  s'aperçut,  dans  la  même  année,  qu'une  assez 
forte  émission  de  pièces  fausses ,  à  l'effigie  du  roi  de 
France ,  avait  eu  lieu  dans  le  pays  de  Caux.  Tout  le 
monde  étant  intéressé  à  découvrir  d'où  elles  prove- 
naient ,  on  ne  tarda  pas  à  être  sur  la  voie  des  faus- 
saires. Deux  juifs  de  Fécamp ,  faisant  partie  de  cette 
foule  d'israélites  que  les  croisades  avaient  jetés  près 
des  égouls  de  toutes  .nos  villes,  furent  soupçonnés 
et  convaincus  par  le  bailli  de  Caux,  qui  s'en  empara; 
il  se  disposait  à  leur  faire  subir  un  jugement,  quand 
ils  furent  réclamés  par  la  haute-justice  de  Fécamp, 
qui  n'entendait  pas  raison  quand  on  voulait  empiéter 


(  ^I?  ) 

sur  ses  droits  y  surtout  lorsque  les  condamnations 
devaient  entraîner  la  confiscation  du  bien  des  cou- 
pables. Il  y  eut  une  requête  adressée  au  roi  Philippe, 
qui  ordonna  au  bailli  de  Gaux  de  rendre  les  justi- 
ciables à  la  communauté'.  La  rue,  habitée  par  ces 
£aux-monnayeurs  y  a  toujours  conservé,  depuis- cette 
époque,  le  nom  de  rue  aux  Juifs. 

Boniface  VIII,  ayant  de  graves  contestations  avec 
la  famille  de  Colonne,  fait  plusieurs  prélèvements 
d'argent  sur  les  biens  ecclésiastiques  ;  il  taxe  le  mo- 
nastère de  Fécanipà  dix  mille  florins.  Nous  trouvons , 
dans  les  archives  de  Tabbaye  de  Fécamp ,  une  quit- 
tance de  quati^  mille  florins,  reçus  parle  camérier  du 
pape ,  et  une  autre  de  cent  quatre-vingts  marcs  d'ar- 
gent ,  donnée  à  la  société  des  Arnannatorum ,  qui 
avait  sans  doute  fait  l'avance  de  pareille  somme  au 
saint  Père. 

Qui  croirait  que  le  pape ,  qui  faisait  sortir  tant  de 
numéraire  des  principaux  états  de  l'Europe ,  fit  en 
même  temps  une  bulle  par  laquelle  il  défendait 
aux  ecclésiastiques  de  payer  aucun  subside  aux 
princes.  Philippe-le-Bel ,  indigné ,  prohiba  le  trans- 
port dles  espèces  d'or  et  d'argent  hors  de  France. 
Edouard,  roi  d'Angleterre,  alla  plusf  loin  que  lui; 
il  fît  saisir  la  majeure  partie  des  biens  ecclé- 
siastiques de  son  royaume  ;  le  monastère  de   Fé- 

'  Arcbives  départementales. 


(a,8) 

camp  se  trouva,  par  suite  de  cette  mesure,  too- 
mentanëment  privé  de  toutes  ses  propriétés  d'An- 
gleterre. 

Uabbé  Thomas  de  Saint-Benoît  mourut  en  iSog. 
Ce  fut  lui  qui  fît  élever  les  chapelles  et  le  tour  du 
chœur  du  côté  droit  de  l'église  abbatiale ,  lequel 
avait  auparavant  deux  voûtes  superposées  comme  la 
partie  qui  est  en  face'.  Les  deux  têtes  de  roi  et  de 
reine  de  France ,  que  l'on  remarque  dans  les  fetiêlres 
ogivées  de  l'une  de  ces  chapelles ,  portant  autrefois 
le  nom  de  Satnt-Jean ,  ne  peuvent  être  que  celles  de 
saint  Louis  et  de  Blanche  de  Castille ,  sa  mère ,  pres- 
que contemporains  de  ces  constructions.  C'est  dans 
la  même  chapelle  que  fut  inhumé  l'abbé  Thomas. 

i 

Robert  de  Putot,  treizième  Abbé» 

iW  Robert  de  Putot,  natif  du  diocèse  de  Bayeux, 

reçoit ,  aussitôt  son  installation ,  un  bref  du  pape 
Clément  V. ,  souscrit  à  Avignon ,  par  lequel  il  de- 
mande de  l'argent  pour  l'extirpation  des  schismes. 
Le  saint  Père  annonce  que  les  revenus  de  la  chan- 
cellerie apostolique  sont  fort  réduits,  et  c^'il  ne 
peut  suffire  auj^ charges  qui  lui  sont  imposées ,  si  les 
églises  catholiques  ne  viennent  à  son  secours  ^. 


*  Trésor  de  Fécamp. 

*  Fisc.  Car  t. 


(  2'9  ) 

* 

Il  paraît  que  l'offrande  de  Tabbé  de  Fëcamp  fut 
de  nature  à  satisfaire  la  cour  de  Rome,  et,  en  même 
temps  y  accompagnée  de  remontrances  sur  la  position 
pécuniaire  de  la  communauté,  car  le  pape  écrivit 
immédiatement  une  lettre  pressante  au  nouveau  roi 
d'Angleterre ,  pour  l'engager  à  rendre  au  monastère 
de  Fécamp  les  propriétés  qu'il  avait  possédées  dans 
ses  états,  ce  qu'Edouard  II  fit  sans  trop  de  difficulté, 
après  avoir  reçu  le  serment  de  fidélité  de  Robert  de 
Putot» . 

L'argent  des  monastères  ne  sulHisant  pas  aux  dé- 
penses de  Rome  et  de  la  France ,  Philippe-le-Bel , 
d'accord  avec  le  pape  Clément  V,  imagina  un  moyen 
de  remédier  à  cet  état  de  choses,  en  supprimant 
l'ordre  des  Templiers  et  en  s'emparant  de  leurs  biens. 
Le  pape  et  les  églises  eurent  une  bonne  part  de  cette 
spoliation.  Le  monastère  de  Fécamp  entra,  par  suite 
de  cette  mesure,  en  possession  de  quelques  propriétés 
situées  à  Harfleur ,  et  fut  à  même  de  racheter  plu- 
sieurs dîmes  et  patronages  qui  avaient  été  aliénés. 

Robert  de  Putot  donna ,  dans  le  même  temps , 
une  place  aux  habitants  d'Harfieur,  pour  agrandir 
leur  hôpital  ;  il  s'en  réserva  seulement  le  patronage 
et  le  droit,  de  haute-justice.  Il  partit  ensuite  pour 
assister  au  synode  qui  fut  tenu  à  Rome  en  i3i  i . 


*  Rymer  ,  Fœdera^  Litterœ  e(  Àcta  puhlica. 


(  aao  ) 

* 

Phiiippe-le-Bel  étant  mort  en  i3i49  Qous  verrons 
arriver  successivement  au  trône  ses  trois  fils,  Louis  X, 
Philippe-le-Long  et  Charies-le-Bel ,  qui  meurent 
sans  laisser  d'héritiers  susceptibles  de  leur  succéder. 
Louis  X  seul  a  une  fille,  Jeanne ,  à  laquelle  revenait 
le  royaume  de  Navarre,  du  chef  de  sa  mère.  Cette 
princesse  épouse  Philippe ,  comte  d'Evreux,  qui  prend 
immédiatement  le  titre  de  roi  de  Navarre  ;  c*est.  de 
cette  union  que  sortira  Charles,  surnommé  le  Mauvais, 
que  nous  verrons ,  durant  toute  sa  vie ,  s'entendre 
avec  les  ennemis  de  la  France,  attirer  les  plus  grands 
maux  sur  la  Normandie ,  par  ses  ligues  continuelles 
avec  Edouard  III,  fils  de  la  princesse  Isabelle  de 
France  ;  mais  n'anticipons  pas  sur  les  événements. 

Tant  que  dura  le  règne  des  trois  fils  de  ^^hilippe- 
le-Bel,  il  ne  se  passa  rien  de  remarquable  à  Fécamp; 
seulement,  à  l'occasion  de  la  guerre  portée  par 
Charles  de  Valois  en  Guyenne ,  où  il  prit  plusieurs 
villes  aux  Anglais ,  le  monastère  perdit  ses  propriétés 
d'Angleterre,  qui  furent  de  nouveau  confisquées. 
Ainsi,  pendant  deux  siècles,  nous  verrons  ces  biens 
changer  de  maître  ,  et  subir  l'influence  de  toutes  les 
haines  et  de  tous  les  caprices  qui  souffleront  la 
guerre  entre  la  France  et  l'Angleterre. 

Robert  de  Putot  fut  appelé  aux  conciles  du  Pont- 
de-l' Arche  en  1 3 1 7  ,  et  à  celui  de  Pont-Audemer 
en  iS^i.  Cinq  ans  après,  il  mourut,  et  fut  inhumé 
dans  la  chapelle  de  Saint-Jean-Baptiste ,  de  l'église 
de  Fécamp. 


(  ^^ï  ) 

Pierre  Roger  ,  quatorzième  Abbe. 

Pierre  Roger ,  natif  de  Limoges ,  fut  le  successeur  i3a6. 
de  Tabbé  Robert.  Ija  chronique  de  Fécamp  nous 
apprend  qu'il  avait  été  d'abord  religieux  profès  de 
l'abbaye  de  la  Chaise-Dieu  en  Auvergne  ;  elle  ajoute 
que  c'était  un  personnage  doué  d'une  grande  sagesse, 
libéral ,  modeste  et  affable  à  tous ,  célèbre  prédica- 
teur et  docteur  de  Sorbonne. 

Au  commencement  de  l'administration  de  Pierre 
Roger  j  Charles-le-Bel  fait  un  règlement  touchant 
la  répartition  de  Timpot  établi  pour  les  réparations 
du  port  de  Fécamp  et  de  ceux  de  la  dépendance  de 
l'abbaye  '.  Ce.  fut  un  des  derniers  actes  de  la  vie  de 
ce  roi  9  qui  mourut  en  iSay  y  sans  laisser  d'héritiers. 

Ici  commence  le  malheureux  règne  des  Valois  : 
rappelons-nous ,  pour  un  moment  j  que  les  trois 
grands  personnages  qui  vont  être  en  scène  sont  : 
Philippe  de  Valois ,  Edouard  III ,  roi  d'Angleterre  , 
et  le  roi  de  Navarre ,  espèce  de  fou  politique ,  qui , 
placé  dans  son  comté  d'Evreux ,  entre  la  France  et 
l'Angleterre ,  se  jouera  pendant  toute  sa  vie  du  repos 
des  peuples  et  des  deux  rois  chargés  de  leurs  des- 
tinées. 

Edouard  III,  pour  se  créer  des  partisans  en  ÎFrance, 


»  ArchÎTcs  départementales  ;  cartons  de  Fécamp. 


(  aaa  ) 

dont  il  voulait  occuper  le  trône  ^  commença  par 
rendre  au  monastère  de  Fécamp  toutes  ses  propriétés 
d'Angleterre.  Les  autres  communautés  de  Nor- 
mandie rentrèrent  aussi  dans  leurs  possessions  ' ,  ce 
qui  ne  rendit  pas  plus  légitimes  les  droits  d'Edouard 
auprès  des  Etats ,  qui  rejetèrent  ses  prétentions', 
comme  contraires  à  la  loi  salique. 

Les  moines  ne  furent  pas  plutôt  rentrés  dans  la 
jouissance  de  ces  biens ,  sur  lesquels  ils  comptaient 
peu ,  qu'ils  envoyèrent  en  Angleterre  frère  Pierre- 
Marie  Baillif,  et  Etienne  Albrandi,  chanoine  et 
doyen  de  Clermont ,  pour  vendre  des  bois  et  des 
terres  jusqu'à  la  concurrence  de  Sooo  liv.  sterling* 
La  procuration  délivrée  à  ces  religieux  porte  que 
les  fonds  provenant  de  cette  vente  serviront  à  payer 
les  dettes  et  les  obligations  contractées  par  la  corn-» 
munauté ,  spécialement  envers  la  cour  de  Rome  ^  et 
pour  solder  les  frais  d'installation  du  nouvel  abbé^. 

Dans  le  même  temps ,  Philippe  de  Valois  envoya 
l'abbé  de  Fécamp  en  mission  auprès  d'Edouard  III , 
pour  l'engager  à  venir  luirendre,  en  personne,  l'hom- 
mage qu'il  lui  devait  pour  son  duché  d'Aquitaine. 
Le  roi  d'Angleterre,  déjà  très  indisposé  contre  Phi- 
lippe ,  reçut  fort  mal  son  envoyé,  et  le  congédia  à 
la  hâte ,  sans  lui  faire  de  réponse  ;  tel  fut  le  signal 

*  Fœdera ,  Litterœ  et  Jeta  publicd. 

^  Procuration  ,  aux  Archives  départementales. 


(  ^-^3  ) 

de  la  nouvelle  guerre  qui  éclata  entre  les  deux  na- 
tions ,  guerre  provoquée  par  l'imprudente  mission 
de  Tabbé  de  Fécamp. 

Pierre  Roger  réussit  beaucoup  mieux  auprès  du 
roi  de  France  et  du  pape ,  qu'auprès  du  roi  d'An- 
gleterre, car,  pour  lui  faire  oublier  les  mortifications 
.qu'il  avait  éprouvées,  il  fut  nommé,  peu  de  temps 
après,  évéque  dMrras;  il  devint  ensuite,  successi- 
vement, archevêque  de  Sens  et  de  Rouen ,  fut  promu 
au  cardinalat  par  le  pape  Benoît ,  et  devint  lui-même 
pape,  sous  le  nom  de  Clément  VI ,  illustration  nou- 
velle pour  le  monastère  de  Fécamp. 

Philippe  de  Bourgogne  ,  quinzième  Abbé. 

Philippe,  dit  de  Bourgogne,  fut  le  successeur  de  iSag. 
l'abbé  Roger  ;  il  était  prieur  de  Longueville ,  lors- 
qu'il fut  appelé,  par  l'autorité» apostolique,  au  gou- 
vernement de  l'abbaye.  Il  mourut  au  bout  de  trois 
moi»,  et  fut  inhumé  dans  la  chapelle  de  Saint-Taurin. 
Son  nom  ne  figure  même  pas  sur  quelques  catalogues 
manuscrits. 

Robert  de  Breschy,  seizième  Abbé. 

Robert  de  Breschy  était  religieux  profès  de  Fé- 
camp, lorsqu'il  fut  élu  seizième  abbé.  Il  mourut  en 
i33a,  deux  ans  neuf  mois  après  son  élection;  son 
corps  fut  déposé  dans  la  chapelle  de  Saint-Taurin. 


(  îi24  ) 

A  cette  époque  -,  il  se  passait  des  choses  assez 
extraordinaires  dans  les  églises  ,  et  surtout  dans  les 
cimetières  deFécamp,  tellement  que  le  pape  Nicolas  IV 
fut  obligé  d'intervenir  et  d'ordonner  que ,  dans  le 
cas  où  ces  lieux  consacrés  seraient  souillés  par  effu- 
sion de  sang ,  favelseminisn^  ils  devraient  être  immé- 
diatement purifiés  par  Teau  et  par  la  bénédiction 
d'un  évêque'.  C'était  une  idée  philosophique  et 
religieuse  au  niveau  de  cette  époque  de  zèle  plus 
ardent  qu'éclairé  ,  qui  portait  les  hommes  à  défier 
la  mort  jusque  dans  son  sanctuaire  ,  en  réunissant 
dans,  le  même  lieu  ces  deux  phases  opposées  de 
l'existence  humaine. 

Guillaume  Bourget,  dix-septième  Abbé. 

Guillaume  Bourget  ne  gouverna  le  monastère  que 
deux  ans  y  et  mourut  en  i334;  il  repose  à  côté  de 
son  prédécesseur. 

Guillaume  Ghouquet,  dix-huitième  Abbé. 

Guillaume  Ghouquet,  natif  de  Bayeux,  était  un 
homme  très  sage  et  très  vertueux ,  honnête  en  ses 
mœurs  et  fort  zélé  pour  la  régularité ,  disent  quelques 
catalogues  manuscrits,  rédigés  par  des  moines  de 
l'abbaye. 

'  Fixcan.  Cart. 


(    225    ) 

Il  se  passa  y  de  son  temps ,  quelques  événements 
que  l'histoire  a  recueillis.  Le  pape,  à  ce  qu'il  paraît, 
n'avait  pas  moins  besoin  de  subsides  que  par  le  passé, 
car  l'abbé  Guillaume  envoie,  à  la  chambre  apos- 
tolique ,  mille  florins  d'or  pour  lui  et  son  prédéces- 
seur', ce  dernier  n'ayant  pas  eu  le  temps  de  payer 
les  droits  dus  à  chaque  promotion  d'un  nouvel  abbé. 

Nous  ne  savons  si  l'ordre  donné  par  les  moines 
de  Fécamp,  de  vendre  des  bois  et  quelques  biens 
d'Angleterre ,  plut  beaucoup  au  roi  Edouard  ;  car 
nous  le  voyons  immédiatement  écrire  au  bailli  de 
Fécamp,  pour  le  prévenir  qu'il  prohibe  toutes  sorties 
quelconques  d'argent  et  de  marchandises,  de  son 
royaume ,  et  qu'il  fera  punir  sévèrement  ceux  qui 
contreviendraient  à  ses  ordonnances^. 

Philippe  de  Valois,  s'étant  emparé  de  la  Guyenne, 
se  porte  dans  les  Flandres  pour  prévenir  le  roi  d'An- 
gleterre ,  et  fait ,  en  même  temps,  équiper  une  flotte 
pour  attaquer  les  Anglais  sur  mer.  Fécamp  et  Etretat 
sont  cités  paimi  les  ports  qui  fournirent  un  certain 
nombre  de  navires  à  cet  armement  ^ .  Le  comte  d'Hou- 
detot,  qui  commandait  la  flotte,  dispense  l'abbé  de 
Fécamp  et  les  autres  ecclésiastiques  de  l'accompa- 


'  Quittance  de  Tarchev.  d'Arles  ;  Ârch.  dép. 

*  Fotdera ,  Litterœ  et  Acta  publica.  Fisc. 

^  Compte  rendu  par  François  de  L'Hôpital ,  clerc  des  albalétriers. 
Ms.  de  M.  Pinel ,  cité  par  M.  l'abbé  Cochet. 

i5 


(    226    ) 

gner  dans  rexpédition;  maiSj  porte  l'ordonnance  de 
l'amiral,  ceux  qui  demeureront  dans  les  villes  seront 
tenus  au  ser\>ice  militmre  comme  les  séculiers  '. 

Pendant  que  Philippe  obtenait  quelques  succès 
sur  terre ,  sa  flotte  fut  battue  et  dispersée  au  combat 
de  l'Ecluse,  et  les  navires  qui  purent  se  sauver  ren- 
trèrent dans  leurs  ports.  L'Angleterre  préludait  déjà 
à  sa  supériorité  maritime  sur  les  puissances  du  con- 
tinent. 

Ce  fut  en  134^  que  l'abbé  de  Fécamp,  Pierre 
Roger,  parvint  à  la  papauté,  sous  le  nom  de  Clé- 
ment VI  ;  il  fit,  à  son  arrivée  au  pouvoir,  beaucoup 
de  réserves  deprélatures  et  d'abbayes,  comptant  pouk* 
nulles  les  élections  des  chapitres  et  des  communautés. 
Comme  on  lui  représentait  que  ses  prédécesseurs 
n'avaient  pas  fait  de  telles  réserves  :  nos  prédéces' 
seursy  répondit-il,  ne  suivaient  pas  être  papes^, 
La  première  année  de  son  avènement  ne  se  passa  pas 
sans  qu'il  s'occupât  du  monastère  qu'il  avait  gou- 
verné, étant  dans  un  rang  moins  élevé,  «  cuiolim^  dum 
status  nos  haberet  inferior  prœfuimus,  w  II  fait  rédi- 
ger deux  chartes ,  souscrites  à  Avignon ,  par  lesquelles 
il  confirme  les  privilèges  du  monastère  de  Fécamp'. 
1343.  L'abbé  Guillaume  mourut  sur  ces  entrefaites,  et 


'  La  Roque. 

=  Histoire  Eccles. ,  ad  ann.  1342. 

^  Fisc.  Cart, 


(  ^^7  ) 

(ht  inhumé  devant  l'autel  où  se  disait  alors  la  pre- 
mière messe. 

Nicolas  de  Verneuil  ,  dix-neuvième  Abbé. 

Clément  VI,  exerçant  dans  toute  sa  plénitude  le 
Iroit  qu'il  s'était  arrogé  de  nommer  directement 
itix  abbayes,  pl^Çsi  Nicolas  de  Verneuil ,  ou  de 
Ëauteuil  j  abbé  de  Saint-M édard  de  Soissons  j  à  la 
tête  du  monastère  de  Fécamp.  L'abbé  Nicolas  était 
iine  des  créatures  du  pape  ;  aussi  ses  rapports  avec 
d  cour  d'Avignon  furent-ils  fréquents ,  et  les  mon- 
naies de  ce  pape  devinrent-elles  communes  à  Fé- 
^mp  :  il  vient  tout  récemment  d'en  être  trouvé  une, 
m  fouillant  la  terre  sur  l'emplacement  de  l'ancienne 
église  de  Saint-Léger. 

JL'abbé  Nicolas,  fort  de  l'appui  qu'il  tenait  du 
Mipe ,  ne  tarda  pas  à  montrer  une  sévérité  peu  clia- 
iteible  envers  ses  religieux ,  qu'il  s'étudiait  à  tour- 
nenter  de  la  manière  là  plus  révoltante.  Les  vassaux 
le  l'abbaye  n'étant  pas  mieux  traités  que  les  moines, 
ous  se  révoltèrent  contre  son  autorité;  il  eût 
nême  inévitablement  perdu  la  vie ,  si  les  plus  pru- 
lents  n'eusseqt  préféré  s'adresser  au  pape  pour  en 
>btenir  justice. 

Le  saint  siège,  ne  pouvant  rester  sourd  aux  récla- 
nations  des  religieux  et  des  habitants  de  Fécamp , 
léputa ,  vers  le  monastère ,  Jean  ,  évêque  d'Avran- 


(  aaS  ) 

elles  ,  Pierre  ,  abbé  du  Val-Richer ,  et  Pierre ,  abbé 
(le  Corneville,  qui  parvinrent  h  réconcilier,  pour 
un  temps,  l'abbé  Nicolas  avec  la  communauté;  mais, 
aussitôt  que  les  commissaires  du  pape  furent  partis, 
l'abbé ,  qui  s'était  soumis  par  contrainte ,  ne  tarda 
pas  à  être  emporté  par  son  caractère  dur  et  hautain. 
De  nouvelles  plaintes  furent  adressées  au  pape, 
qui ,  cette  fois ,  bien  informé  de  quel  coté  se  trou- 
vaient les  torts ,  interdit  l'abbé  Nicolas ,  et  le  fit 
remplacer  par  des  vicaires,  qui  administrèrent  le 
monastère  de  Fécamp^. 

A  la  même  époque,  comme  si  la  France  n'eût  pas 
eu  assez  à  souffrir  des  maux  qui  l'accablaient  de 
toutes  parts,  la  peste  vint  ajouter  ses  ravages  au 
fléau  de  la  guerre,   et  dévora  le  tiers   des   habi- 
tants de  l'Europe.  Les  pèlerins  redoublaient  alors 
de  ferveur;  il    en  venait,   à  Fécamp,  de  l'Alle- 
magne ,  de  la  Flandre  et  des  pays  les  plus  éloignés. 
Quand  ils  arrivaient  tard  devant  le  fort,   et  que 
les  portes  en  étaient  fermées,  ils  se  retiraient  sur 
les   montagnes  voisines  ,    et   particulièrement  sur 
celles  du  Bourg-Baudouin  et  du  Saint-Sépulcre ,  où 
existaient  des  chapelles;  ils  y  passaient  la  nuit  ea 
oraison ,  et  il  était  bien  rare  que  de  pieuses  visions 
ne  vinssent  frapper  l'imagination  de  ces  âmes  à  la  fo^ 
si   vive.     Un  matin,  pendant  que  les  religieux 

'  GalUa  Chris.,  tom.  XI.  —  Eccles.  use. 


(  ^^9  ) 

rendaient  aux  matines  ^  les  bons  pèlerins  virent  des- 
cendre du  ciel  une  lumière  éblouissante  y  qui  s'étendit, 
comme  un  grand  chemin  y  sur  le  toit  de  l'église,  en 
éclairant  les  montagnes  et  les  vallées.  Tous  con- 
clurent de  ce  prodige  que  Dieu  était  présent  dans 
Téglise  de  Fécamp ,  et  que  les  bienheureux  cénobites 
qui  lliabitaient  étaient  en  communication  directe 
avec  le  ciel'. 

Olivier  de  Clisson  ayant  signé  un  accord  avec  le 
roi  d'Angleterre,  Philippe  de  Valois  le  fait  décapiter; 
ce  châtiment,  sévère  et  mérité,  devint  le  prétexte 
de  nouvelles  guerres  ;  plusieurs  seigneurs  ,  mécon- 
tents et  excités  en  secret  par  le  roi  de  Navarre , 
forment  une  hgue  à  la  tête  de  laquelle  on  voit  Geof- 
fix)y  d'Harcourt,  qui  préside  lui-même  au  débarque- 
ment des  troupes  ennemies.  L'armée  anglaise  s'em- 
pare de  toutes  les  places  de  la  Basse-Normandie 
qu'elle  rencontre  sur  son  passage ,  se  dirige  sur 
Louviers  et  Vernon ,  de  là  sur  la  Somme ,  et  défait , 
sur  les  hauteurs  de  Créci,  l'armée  française,  qui 
s'était  portée  à  sa  rencontre. 

La  perte  de  cette  bataille  fut  suivie  du  siège  de 
Calais,  qui,  pendant  onze  mois,  opposa  la  plus  vi- 
goureuse résistance  à  l'ennemi.  Ce  fut  pendant  ce 
siège ,  le  1 8  avril  1 347?  ^®  '^  ^^^  d'Angleterre  donna 
au  monastère  de  Fécamp  le  manoir  de  Novemby  et 

'  Trésor  de  Fécamp.  ^ 


(  23o  ) 

la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Lincoln',  ce  qui  por- 
terait à  croire  que  Tabbé  Nicolas  était  dans  les 
f  ptérêts  du  roi  d'Aogleterre.  On  ne  saurait  autrement 
expliquer  cette  donation. 

Philippe  de  Valois  étant  mort,  Jean  son  fils 
n^onte  sur  le  trône  en  iSoo.  Prévoyanj;  les  maux 
qui  allaient  fondre  sur  la  France ,  et  voulant  mettre 
son  armée  sur  un  pied  respectable ,  il  mande  au  mo- 
nastère de  Féca^iip  et  aux  grands  possesseurs  de 
fiefs  des  environs,  qu'ils  ^ient  à  réunir  le  plus  grand 
ï^pmbre  possible  d'hommes  et  de  chevaux,  tous 
couyi^rts  de  mailles ,  pour  marcher  en  aprière^ban 
contre  le  roi  d'Angleterre.  Pour  subvenir  aux  frais 
d'une  guerre  çouf:e^se,  i}  convoque,  à  Paris,  les 
prélats ,  les  barons  et  autres  no|)les  ^  ainsi  que  les 
communautés  des  bonnes  ville^s  de  Normandie. 
Tous  accordent  un  impôt,  qui  ne  pouvait  être  refuse 
sijins  péril  pour  la  chose  publiqujB. 

Après  cette  couveutipu ,  qu'il  appelle  un  tçaité  j 
le  roi  rei^voya  les  députés  vers  leurs  commet|:ants^ 
«  ad  parles  suas  »,  pour  le  faire  approuver;  i|  délégua, 
en  même  temps ,  deux  de  ses  copseillers  dajois  le 
duché  de  Normandie ,  en  les  chargeant  de  convoquer 
à  Pont-Audemer  les  barons  et  autres  nobles  ,  et  les 
communes  de  tout  le  duché  ;  ces  deux  consejUei^ 
étaient  Robert ,  évêque  d'Evreux,  et  Simon  de  Bpssi, 

-     -  -  I  ,1  ,  ,        ,  ■       Il  I  I  I  1  I  f        I    !■■  I    1^— _l 

•  Archives  dcp.  ;  cartons  de  Fécamp. 


(^3.  ) 

chevalier;  «et^le  dimaache  2t2  mars,  se  présentèrent 
devant  eux  une  grande  quantité  de  gens  de  la  ville 
de  Rouen  et  des  autres  bonnes  villes  de  Normandie.  » 
La  ville  de  Fécamp  eul  aussi  son  représentant  dans 
la  personne  de  Hélie  du  Bust.  Le  secours  demandé 
fut  accordé  sans  opposition  ^. 

Ce  curieux  passage  fait  connaître  comment  s'exer- 
çait alors  la  représentation  nationale ,  et  par  quel 
moyen  on  obtenait  le  vote  des  impôts  extraordinai- 
res ;  on  voit  que  la  commune  de  Fécamp  était  déjà 
constituée  et  indépendante  de  l'autorité  religieuse. 

Philippe  de  TJavarre,  frère  de  Charles-le-Mauvais, 
irrité  contre  le  roi  Jean ,  qui  avait  fait  décapiter  le 
cornue  d'£u,  appelle  les  Anglais  à  son  secours  et 
leur  facilite  les  moyens  de  débarquer  à  Cherbourg. 

Un  autre  corps  d'Anglais,  ayant  à  sa  tête  le  prince 
de  Galles ,  fait  le  roi  de  France  prisonnier ,  à  la 
bataille  de  Poitiers  ;  dans  ce  moment  de  trouble  et 
d'agitation  9  Charles-le-Mauvais  trouve  le  moyen  de 
sortir  de  sa  prison ,  et  donne  un  libre  cours  au  pen- 
chant qui  l'entraînait  vers  le  crime  et  les  intrigues.  La 
consternation  est  au  comble  sur  les  deux  rives  de  la 
Seine  ;  on  organise  partout  des  moyens  de  défense 
dans  les  villes  ,  dans  les  châteaux  et  jusque  dans  les 
monastères.  Pierre  d'Harcourt,  gouverneur  de  la  Nor- 
mandie, qui  préside  à  ces  travaux,  ordonne  de  ren- 


■bS^VV'^^UH 


'  Ordonn,  des  Bois  de  France  ;  tome  U ,  p.  404. 


(  ^3^  ) 

verser  l'église  du  Bec ,  qui  nuisait  à  la  défense  de 
Tabbaye.  Grâce  à  sa  forteresse,  Fécamp  n'eut  à 
déplorer  la  perte  d'aucuns  de  ses  édifices. 

L'année  suivante  mourut  l'abbé  Nicolas  de  Ver- 
neuil ,  qui  s'était  retiré  à  Avignon ,  après  son  renvoi 
de  Fécamp. 

Jean  de  la  Grange,  vingtième  Abbé. 

Charles  de  Navarre  profita  de  l'autorité  qu'il  avait 
usurpée,  pour  faire  remplacer  l'abbé  Nicolas  par 
Jean  de  la  Grange ,  un  de  ses  anciens  conseillers. 
Ce  prince  croyait  ainsi  s'être  assuré  de  la  place  de 
Fécamp;  la  suite  lui  prouva  qu'il  s'était  grandement 
trompé ,  car,  dans  sa  lutte  avec  le  roi  Jean,  qui  était 
sorti  de  prison,  Charles-le-Mauvais  étant  venu  dans 
cette  ville  pour  demander  à  l'abbé  la  remise  de  sa 
forteresse,  celui-ci,  qui  connaissait,  sans  doute,  le 
méchant  caractère  et  les  mauvais  sentiments  du  roi 
de  Navarre ,  refusa  net  d'accéder  à  sa  proposition. 

Charles ,  furieux ,  réunit  une  troupe  de  partisans 
que  son  éloquence  populaire  lui  faisait  trouver  par- 
tout où  il  s'arrêtait  en  Normandie.  Il  se  présenta 
devant  la  forteresse  de  Fécamp ,  qu'il  investit  de 
tous  côtés,  bien  qu'elle  fût  pourvue  de  quelques 
hommes  d'armes,  à  la  tête  desquels  se  trouvait 
Quinnart  de  Breuil ,  neveu  de  l'abbé  ;  les  remparts 
délabrés  ne  pouvant  opposer  une  longue  résistances 


elle  fut  obligée  d'ouvrir  ses  portes.  Jean  de  la  Grange 
et  son  neveu  furent  faits  prisonniers ,  enlevés  et 
conduits  dans  la  forteresse  de  Lune.  Les  Navarrais , 
entrés  en  furieux  dans  Fécamp ,  mirent  le  feu  à  plu- 
sieurs maisons  de  la  ville,  pillèrent  le  monastère , 
firent  souffrir  mille  mauvais  traitements  aux  moines 
et  aux  hommes  de  la  commune,  dont  quelques-uns 
furent  pendus,  et  d'autres  assassinés  à  coups  de 
dagues.  Eofin ,  pour  se  racheter  ,  la  ville  et  l'abbaye 
furent  obligés  de  fournir  plus  de  j  0,000  florins  de 
contributions  '. 

En  quittant  Fécamp,  où  elles  laissent  une  garnisor , 
les  bandes  du  roi  de  Navarre ,  prenant  la  voie  qiâ 
looge  le  bord  de  la  mer ,  traversent  comme  un  flo' 
les  villages  de  Senneville  et  d'Elétot,  et  viennent 
camper  sur  les  hauteurs  de  Saint-Pierre-en-Port.  Ce 
village,  dont  le  seigneur  tenait  pour  le  roi  de  France, 
est  renversé  de  fond  en  comble.  La  tradition  de  ce 
désastre  s'est  perpétuée  parmi  les  habitants  du  pays, 
et  le  nom  de  camp  des  Nai^arrais  est  resté  à  la  mon- 
tagne sur  laquelle  s'établirent  les  hordes  pillardes 
et  indisciplinées  de  Charles-le-Mauvais^. 

Le  roi  Jean  étant  mort  dans  le  voyage  qu'il  fit 
à.  Londres,  en  i364,  Charles  V,  son  fils,  fut  immé- 
diatement proclamé  roi  de  France ,  malgré  l'oppo- 


'  Trésor  des  chartes  ;  Fisc.  —  Gallia  christ. 
"  Ancien  registre  terrier  d'Elétot. 


(  a34  ) 

sltipn  de  Charles  de  Navarre  qui  voulait,  s'emparer 
du  trône.  Duguesclin  marcha  coatre  ce  prince  tur- 
bulent j  le  défit  dans  la  plaine  de  Cpçhefel ,  et  le 
força  de  remettre  au  roi,  Fécamp  et  les  autres 
places  occupées  par  ses  partisans. 

L'abbé  Jean,  fatigué  4e  l'étroite  prison  dans  la-* 
quelle  il  était  retenu,  s'en  fit  ouvrir  les  portes  à  prix 
d'argent  ;  Quinnart ,  au  contraire  •  qui  s'était  sauy^ 
au  moyen  d'une  corde  attachée  à  sa  fenêtre ,  fut  rçpriS) 
et  subit  une  détention  plus  rigoureuse  que  jamais. 

Le  premier  soin  de  Jean  de  la  Grange,  après  son 
retour  à  Fécamp ,  fut  de  réparer ,  autant  qu'il  était 
ea  son  pouvoir,  les  maux  occasionnés  par  (a  pi:é- 
sence  des  Navarrais  ;  il  aida  à  la  reconstruction  des 
maisons  qui  avaient  été  détruites ,  augmenta  les 
logements  des  moines,  et,  pour  mettre  la  forteresse 
désormais  à  l'abri  d'un  coup  de  main ,  il  fit  ajouter 
plusieurs  tours  aux  murs  d'enceinte;  le  roi ,  voulant 
contribuer  à  cette  dépense,  l'autorise  à  toucher 
loo  liv.  à  la  caisse  de  Thomas  du  Godet,  receveur 
des  aides  de  la  vicomte  de  Montivilliers  *. 

Plusieurs  officiers  de  l'abbaye  sont  renouvelles  à 
la  même  époque;  en  tête  se  trouve  le  bailli  de  Fé- 
camp ;  Pierre  Salvert ,  religieux ,  est  nommé  rece- 
veur des  biens  que  la  communauté  possédait  en  An*- 
gleterre. 

'  Quittance  à  la  Chambre  des  Comptes.  —  BihL  roy. ,  Mss. 


(  235  ) 

Charles  V ,  ayant  remporté  quelques  succès  sur 
les  étrangers  et  sur  ses  sujets  révoltés,  résolut,  pour 
douoer  un  peu  de  repos  à  ses  peuple^,  de  porter 
le  théâtre  de  la  guerre  chez  les  Anglais  ;  il  vint  à 
Harfleur,  en  i369,  pour  hâter  l'armement  d'une 
flotte  dont  les  navires  se  construisaient  dans  tous  les 
ports  de  Normandie.  Fécamp  était  chargé ,  pour  sa 
part ,  de  fournir  dix  vaisseaux  à  trois  rangs  de  rames. 
Les  Anglais,  pour  détourner  le  coup  qui  les  menaçait, 
firent  partir,  pour  Calais ,  une  expédition  qui  devait 
pénétrer  dans  l'intérieur  de  la  France.  Charles  V  fut 
alors  obligé  d'abandonner  son  projet  de  grand  arme- 
ment, et  les  trirèmes  de  Fécamp  furent  laissées  aux 
ordres  de  Jean  de  la  Grange  ,  qui  eut  charge  d'en 
prendre  le  commandement,  pour  aller  chercher  en 
Lombardie  le  pape  qui  désirait  revenir  à  Avignon  , 
dans  le  but  de  conclure  un  traité  de  paix  entre  la 
France  et  l'Angleterre^.  C'était  encore  une  mission 
diplomatique  confiée  à  un  abbé  de  Fécamp ,  et , 
dans  ce  temps ,  Rome  était  la  cour  avec  laquelle  les 
transactions  exigeaient  les  hommes  les  plus  dévoués 
et  les  plus  capables. 

Ce  que  le  roi  de  France  avait  prévu  et  voulait 
éviter,  ne  tarda  pas  à  se  réaliser.  Le  duc  de  Lancaster, 
qui  conimandait  l'armée  anglaise  débarquée  à  Calais, 
pa.ssa  la  Somme,  pénétra  en  Normandie,  et,  lais- 


'  Oall.  christ. ,  tom.  XI.  —  Eccles.  flscap. 


(  236  ) 

snnt  sur  sa  droite  les  places  fortifiées  de  Dieppe  et 
de  Fécamp  y  ravagea  le  pays  de  Caux ,  et  alla  camper 
devant  Harfleur;  son  projet  était  de  surprendre 
cette  place;  mais,  la  trouvant  sur  ses  gardes  j  il  ne 
resta  que  trois  jours  devant  ses  murs  et  rétrograda 
sur  Yalmont  j  qui  appartenait  au  seigneur  d^Estou- 
teville,  qae  les  anglais  nommaient  pas ,  dit  Frois- 
sard'.  Aussi  ravagèrent-ils  totalement  ses  terres. 
Quelques  éclaireurs  descendirent  la  vallée  jusqu'aux 
portes  de  Fécamp  ;  mais ,  ayant  vu  que  les  habitants 
faisaient  le  guet  sur  les  remparts,  et  craignant  d'être 
pressés  par  l'armée  que  réunissait  le  roi  de  France, 
les  Anglais  prirent  le  parti  de  se  retirer  dans  le  Pon- 
thieu ,  en  commettant  partout  les  mêmes  exactions. 

Les  services  de  Tabbé  de  la  Grange  furent  égale- 
ment agréables  au  pape  et  à  Charles  V ,  car  j  au  re- 
tour de  sa  mission  de  Lombardie ,  il  fut  immédiate- 
ment appelé  dans  les  conseils  du  roi,  avec  le  titre 
de  ministre  d'état  et  de  surintendant  de  ses  finances. 

Le  6  janvier  îS^o,  le  roi  Charles  déclare  qu'étant 
obligé  d'envoyer  de  nouveau  Jean  de  là  Grange 
en  mission  auprès  du  pape ,  à  Avignon ,  pour  cer- 
taines grosses  besognes ,  touchant  [honneur  et  le 
profit  de  nous  et  de  notre  royaume ,  il  lui  abcorde , 
à  cause  du  péril  du  chemin  et  de  la  cherté  des  vivres 
à  Avignon  ,  vingt  sols  d'or  par  jour  au-dessus  de  ses 

»  Liv.  1",  2™*  partie. 


(  ^37  ) 

làges.  Nous  retrouvons  ensuite  cet  abbé  visitant 
a  Basse-Normandie  y  et  allant  en  Flandre ,  avec  le 
x)mte  de  Sarrebruck,  toujours  pour  certaines  grosses 
^sognes^. 

A  la  date  du  28  mai  1372,  dans  un  mandement 
le  Charles  Y^  pour  faire  une  nouvelle  fabrication 
l'espèces ,  on  remarque  labbë  de  Fécamp  parmi 
ceux  qui  siégeaient  au  conseil. 

Le  i3  novembre  de  la  même  année,  le  roi  fait 
an  autre  règlement  sur  les  finances  provenant  des 
aides  ;  le  premier  paragraphe  porte  que  le  receveur 
général  ne  pourra  donner  quittance  aux  receveurs 
ordinaires  que  dans  le  cas  où  ils  auraient  employé 
leurs  deniers^ par  rordonruince  de  l'abbé  de  Fécamp'. 

Jean  de  la  Grange  est  immédiatement  promu  à 
l'évéché  d'Amiens  et  au  cardinalat. 

Philippe  du  Fosse  ,  vingt-unième  Abbé. 

PbiUppe  du  Fossé ,  second  du  nom  y  abbé  de  Saint-         , 
Riquier ,  fut  appelé  à  la  tête  du  monastère  de  Fé- 
camp y  en  remplacement  de  Jean  de  la  Grange. 

Les  réparations  de  la  forteresse  de  Fécamp  pa- 
raissent avoir  spécialement  occupé  Philippe  du  Fossé  j 
pendant  les  neuf  ans  qu'il  a  gouverné  le  monastère. 


'  Quitt.  de  la  Chambre  des  Comptes.  —  Mss.  de  la  Bibl.  royale. 
»  Ordonn.  des  Rois  de  France  ;  tome  V ,  p.  482 ,  et  tom.  IV ,  p.  317. 


(  a38  ) 

t 

Nous  donnet^ons,  à  ce  sujet ,  u&e  ordonnance  du  roi 
de  France  Charles  V ,  à  la  date  de  1372  : 

«  Charles ,  par  la  grâce  de  Dieu,  etc...:,  savoir 
c<  faisons  que ,  par  considération  des  pertes  et  dom- 
<c  mages  que  Tabbë  de  Fécamp ,  les  religieux  de  ladite 
a  église ,  et  aussi  If^s  habitants  de  la  ville  de  Fécàmp 
ic  ont  soutenu  par  le  fait  de  nos  guerres,  et  afin 
ce  que  la  forteresse  de  ladite  ville  ,  laquelle  est  assise 
«  en  port  de  mer ,  soit  mieux  gardée ,  réparée  et 
f(  fortifiée,  mise  et  maintenue  en  état  d'être  défendue 
(c  contre  nos  ennemis ,  nous  leur  avons  donné  et 
((  octroyé,  donnons  et  octroyons  qu'ils  aient  et  pren- 
«  nent  de  et  sur  tout  ce  qui  a  été  et  sera  levé  derim- 
«  position,  12  deniers  pour  livre  en  ladite  ville  de 
«  Fécamp  ,  etc.  » 

Par  suite  de  cette  ordonnance ,  on  trouve ,  dans 
les  archives  de  la  chambre  des  comptes  de  Paris, 
plusieurs  quittances  de  Philippe  du  Fossé ,  aux  dates 
de  1373  ,  1374  j  et  la  dernière  de  1076,  par  laquelle 
il  reconnaît  avoir  reçu  de  Jean  de  Limoges,  receveur 
à  Fécamp,  des  aides ,  pour  la  guerre ,  la  somme  accor- 
dée par  le  roi ,  pour  la  réparation  des  fortifications 
de  la  forteresse  de  Fécamp^. 

On  fit  ensuite,  au  havre  de  Fécamp,  des  traviaux 
non  moins  importants,  pour  lesquels  on  imposa /(?x 
vins ,  cervoises  et  autres  breuvages. 

'  Mss.  de  la  Bibl.  du  Roi  ;  cartons  de  Fécamp. 


(  '^39  ) 

cr  On  payait  un  franc  pour  chaque  tonnel  de  vin , 
a  et  huit  deniers  pour  chacun  baril  de  cervoise  ' .  »» 
Ce  fut  y  sans  doute  j  à  la  sollicitation  de  l'abbé , 
que  Charles  V  rendit  une  nouvelle  ordonnance  qui 
fait  connaître  combien  les  populations  du  pays  de 
Caux  étaient  tourmentées  par  les  gens  de  la  fisca* 
lité. 

Ce  roi  étant  à  Montargis,  le  21  novembre  i^'jg^ 
décide ,  sur  le  fait  des  aides  et  de  la  gabelle ,  que , 
pour  restreindre  les  exortions ,  prises  et  excès  dont 
des  esieux ,  receveurs ,  grainetiers ,  se    rendaient 
coupables  envers  le  peuple ,  le  meilleur  moyen  était 
d'en  diminuer  les  auteurs.  Aussi  l'ordonnance  a-t-elle 
pour  but  de  réduire  le  nombre  des  officiers  dont 
nous  venons  de  parler,  et  trouve-t-on,  art.   i4, 
qu'il  n'y  aura  qu'un  élu  pour  les  trois  recettes  de 
Arques ,  Fécampet  Monlivilliers,  lequel  aura  sa  rési- 
dence à  Fécamp,  pour  ce  que  cest  en  my  mar- 
clie^. 

Les  abbés  de  Fécamp  avaient  l'habitude ,  à  cette 
époque ,  de  faire  de  fréquentes  apparitions  dans  leur 
manoir  de  Fontaine-le-Bourg,  Nous  trouvons  une 
quittance  datée  de  cette  résidence  ,  le  6  juin  1379  > 
par  laquelle  Philippe  du  Fossé  reconnaît  avoir  reçu 
du  receveur  de  l'abbaye  ,  «  la  somme  de  200  francs 


*  Archives  départementales. 

^  Ordonn.  des  Rois  de  France  ;  toni.  VI ,  pa^çe  245. 


(  a4o  ) 

«  d'or  ;  c'est  assavoir ,  cent  francs  de  France  y   et 
«  cent  francs  en  moutons  ^  » 

Un  serviteur  du  roi  de  France  aussi  zélé  que  l'abbé 
du  Fossé  y  ne  devait  pas  êlre  agréable  aux  Anglais; 
aussi  une  partie  des  biens  de  l'abbaye ,  situés  en 
Angleterre  j  furent-ils  de  nouveau  confisqués ,  sous 
prétexte  de  la  guerre  qui  existait  entre  les  deux  na- 
tions. Edouard  III  donna ,  à  Simon  de  Burlée, 
l'usufruit  du  manoir  de  Cheltelham ,  dans  le  comté 
de  Glocester,  lequel  faisait  partie  du  bailliage  de 
Worminghurst ,  appartenant  au  monastère  de  Fé- 
camp^. 

L'abbé  Pierre  du  Fossé  mourut  en  i38i  ,  et  fut 
inhumé,  suivant  le  catalogue  du  père  Labbé,  sur 
la  droite  de  la  nef ,  devant  l'autel  où  l'on  célébrait 
la  messe  du  matin. 

Pierre  Cervoise  ,  vingt-deuxième  Abbé. 

Pierre  II ,  surnommé  de  Cervoise ,  était  natif  du 
village  de  Riville,  à  trois  lieues  de  Fécamp;  àe 
simple  religieux  dans  ce  monastère ,  il  fut  béni  à 
Avignon ,  par  le  pape  Clément  VII ,  et  prêta  serment 
au  roi  dans  l'abbaye  de  Saint-Denis.  Pendant  son 
gouvernement ,  Fécamp  fournit  quelques  navires  a 


*  Archives  départementales  ;  cartons  de  Fécamp, 
^  Fcedera,  Litierœ  et  Acta  publica. 


(    24l    ) 

la  flotte  qui  défit  celle  de  l'Angleterre  à  l'entrée  de 
la  Seine.  On  sait  que  les  vaisseaux.normands  y  car , 
en  ce  tetnpsJà ,  il  n'y  avait  pas  encore  de  marine 
royale  j  coulèrent  bas  presque  tous  les  bâtiments  en- 
nemby  et  s'emparèrent  de  l'amiral ,  qui  fut  conduit 
captif  dans  le  château  de  Rouen. 

Des  lettres  royaux  de  Charles  YI ,  à  la  date  de 
1383)  adressées  à  Pierre  Cervoise,  nous  font  con- 
naître que  les  habitants  de  Criquetot-le-Mauconduit , 
Ouainville ,  Bertreville ,  Barville ,  Epré ville  ,  Toc- 
queville ,  Daubœuf-le-Sec ,  et  du  Bec-de-Mortagne  j 
tous  relevant  de  l'abbaye  de  Fécamp,  étaient  obliges 
de  venir  y  faire  le  guet,  comme  les  autres  hommes  du 
monastère,  et  se  trouvaient,  par  conséquent,  indé- 
pendants de  la  juridiction  des  seigneurs  de  Yalmont, 
qui  les  réclamaient  pour  le  service  de  leur  forteresse. 

D'autres  lettres  défendent  aux  sergents  royaux 
de  faire  aucunes  entreprises,  ni  actes  dans  les  ba« 
ronnies  dépendantes  de  la  haute ,  moyenne  et  basse 
justice  de  Fécamp. 

Le  même  roi  délivre  un  passeport  à  Guillaume 
Lenfant,  allant  en  Angleterre  pour  les  affaires  de 
la  communauté  ;  ce  qui  prouve  qu'Edouard  III  n'a- 
vait pas  encore  confisqué  tous  les  biens  qu'elle  pos- 
sédait dans  son  rovaume  ' . 


*  Pièces  des  Archives  ddpart.  ;  cartons  de  Fécamp. 

.A 


(  îi4^  ) 

L'année  1387  vit  la  fia  de  la  détectable  carrière 
de  Charles-le-Afauvais  y  qui  avait  causé  ta&t  de 
dommages  à  Fécamp»  Epuisé  de  crimes  et  de  d&WJh 
ches  j  son  corps  était  privé  de  clialeur  et  de  mott" 
vement;  les  médecins  le  firent  envelopper  dans  4cB 
langes  imbibés  d'une  préparation  spiritueuse.  Celai 
qui  emmaillottait  le  malade  y  s'avisa  de  couper  le  fil 
d'une  bandelette  au  £eu  d'une  bougie.  Le  feu  se 
communiqua  si  vivement  aux  langes ,  qu'on  ne  put 
l'éteindre ,  et  ce  monstre ,  dévoré  par  la  flamme  ^ 
expira  dans  des  tortures  horribles ,  juste  pumtion 
de  ses  forfaits. 

L'abbé  Pierre  de  Cervoise  mourut  en  iSgo^  et 
fut  inhumé  dans  la  chapelle  de  Saint-Pierre. 

ËSTOD  d'£stout£VIll£  ,  vingt-troisiràie  Abbé. 

D'Estoute  ville ,  d'une  ancienne  famille  normande , 
était  frère  de  Thomas ,  évêque  de  Beauvais ,  et  de 
Guillaume  9  évêque  de  Lisieux.  Ayant  fait  profession 
de  la  vie  monastique  à  Fécamp ,  il  était  passé  de  là 
au  gouvernement  des  abbayes  de  Cerisy  et  du  Bec. 
Les  historiens  de  ce  dernier  monastère  lui  reprochent 
de  s'y  être  introduit  par  force  et  sans  l'intervention 
des  religieux  y  d'avoir  dilapidé  l'argent  économisé 
pour  les  réparations  des  propriétés  de  l'abbaye , 
détruites  par  les  Anglais  ;  d'avoir  ruiné  le  monastère 
par  sa  dépense  personnelle  et  par  les  fréquentes  ré- 


(  a43  ) 

ceplions  de  ses  frèi*es ,  qui  étaient  prélats  et  militaires  ; 
enfin ,  d'avoir  enlevé  avec  lui  les  ornements  sacrés, 
les^  Tases  d'or  et  d'argent ,  les  livres  ,  la  partie  la 
plus  précieuse  du  mobilier  de  Tabbaye,  et  d'avoir 
tout  transporté  à  Fécamp^.  Les  chroniqueurs  de 
c^te  dernière  abbaye,  peu  d'accord  avec  ceux  du 
BeC)  en  font,  au  contraire,  le  plus  grand  éloge,  et 
l*cni  conçoit  qu'ils  n'avaient  pas  les  mêmes  récrimi- 
Qi^tions  k  exercer  contre  lui;  ils  le  dépeignent  comme 
un  homme  d'une  grande  érudition,  d'un  esprit  délié 
et  très  versé  dans  la  connaissance  des  lettres  sacrées 
et  profanes.  C'est  lui  qui  fut  le  fondateur  de^  messes 
diantées  par  des  choristes ,  et  de  la  célèbre  musique 
de  Fécamp,  qui  l'emportait  sur  celle  de  la  plupart 
de  nos  grandes  cathédrales.  Elle  se  composait  d'un 
maître ,  d'un  sous-maitre ,  de  six  clercs  et  de  vingt 
musiciens.  Cette  fondation  eut  lieu  pour  se  libérer 
de  l'obligation  dans  laquelle  était  le  monastère 
d'élever  et  d'instruire  cinq  gentilshommes ,  depuis 
l'âge  de  neuf  à  dix  ans ,  jusqu'à  celui  de  quinze  à 
seize. 

A  la  même  époque ,  il  y  avait ,  à  Fécamp ,  un 
DDK>ine  nommé  Guillaume ,  surnommé  Etienne  ;  sa 
connaissance  dans  le  droit  canonique  était  si  répan- 
due, qu'elle  lui  valut  d'être  appelé  à  la  tête  du  mo- 
nastère de  Saint-Georges-de-Boscherville. 

*  Galt.  christ.,  tom.  XI.  —  Ecoles,  beccen. 


(  î»44  ) 

Estod^  ayant  appris  que  l'archevêque  de  Rouen ,' 
avec  quelques-uns  de  ses  suffragants^  avait  propose , 
dans  un  concile  provincial ,  de  traiter  de  l'exemption 
djLi  monastère  de  Fécanip  j  moyennant  une  somme 
d'argent  j  dont  une  partie  serait  affectée  au  traite- 
ment de  certains  officiers  de  l'église  ,  et  l'autre  à  h 
propagation  de  l'unité  catholique  /  il  refuse  de  se 
prêter  à  cet  arrangement  contraire  au  privilège  de 
sa  commimauté  j  et  fait  dresser  acte  de  ses  motifs 
par  le  ministère  de  Pierre  Barillet ,  notaire  public 
et  juré  de  la  cour  épiscopale.  Cette  pièce  est  sou- 
scrite à  Paris ,  dans  le  manoir  de  Fécamp ,  rue 
Serpente." 

Tja  demande  de  l'archevêque  et  la  protestation 
d'Estod  avaient  exalté  j  de  part  et  d'autre  j  les  esprits 
et  porté  à  des  actes  qu'on  eût  désavoués  dans  toute 
autre  circonstance.  Ainsi,  il  fut  fait  défense,  de  la 
part  de  l'abbé  et  des  religieux  de  Fécamp ,  à  Guil- 
laume de  Vienne ,  archevêque  de  Rouen ,  de  porter 
sa  croix  et  de  donner  sa  bénédiction  dans  l'église 
de  Saint-Gervais  et  sur  les  terres  qui  en  dépendaient. 
Le  Parlement  fut  obligé  d'intervenir  dans  cette 
querelle ,  et  rendit  un  arrêt  qui  donna  gain  de  cause 
à  l'archevêque^,  et  mit  fin  à  de  nombreux  abus. 

En  effet ,  une  partie  de  la  ville  de  Rouen  était 


*  Fisc.  Cart, 

^  Far  in ,  Histoire  de  Rouen, 


!■■      FI- 


.-Iw 


(  245  ) 

alors  couverte  de  juridictions  particulières;  celle  de 
Saint-Geryais ,  seule  ,  s'étendait  sur  un  territoire 
infini.  L'abbé  de  Fécamp  avait  son  vicaire ,  son  offi- 
ciai f  dans  la  même  exemption  ;  son  promoteur ,  son 
greffier,  son  appariteur,  ses  prisons  et  d'autres  élé- 
ments de  juridiction ,  tant  sur  le  faubourg  et  la 
baronnie  de  Saint-Gervais,  que  sur  les  chapelles  qui 
étaient  bâties  dans  fétendue  de  la  paroisse ,  telles  que 
celles  de  Saint-Maur,  de  l'Hôtel-Dicu,  des  hôpitaux 
,de  Saint-Louis  et  de  Saint-Roch. 

Si  l'on  se  rend  compte  d'une  pareille  organisation , 
on  comprendra  qu'en  admettant  les  prétentions  des 
religieux  de  Fécamp  et  des  autres  monastères  qui 
avaient  des  droits  analogues,  la  suprématie  épisco- 
pale  aurait  été  totalement  annihilée  dans  sa  métro- 
pole. 

Estod  ne  pouvant  assister  lui-même  au  concile      1409^ 
de  Pise ,  où  il  était  mandé ,  s'y  fit  représenter  par  un 
procureur,  qui  contribua  à  l'élection  d'Alexandre  V. 

Le  même  abbé  ne  tarda  pas  à  remarquer  le  dé- 
sordre qui  régnait  dans  l'administration  des  revenus 
du  monastère  de  Fécamp.  Beaucoup  d'objets  avaient 
été  enlevés  lors  du  passage  des  Navarrais ,  auxquels 
s'étaient  joints  tous  les  vagabonds  du  pays  ,  ignoble 
milice,  toujours  prête  à  guider  les  étrangers ,  dont 
elle  partage  les  rapines  ,  à  défaut  de  la  gloire.  Les 
particuliers ,  ruinés  par  la  guerre  civile  et  par  les 
fréquentes   apparitions  des  Anglais ,  s'étaient  sou- 


(  a46  ) 

« 

straits  à  leurs  obligations  envers  le  monastère ,  et  la 
trace  des  débiteurs  était  tellement  perdue,  qu'Estod 
fut  pbligé  d'avoir  recours  à  l'intervention  du  pape. 

Alexandre  V  enjoignit ,  à  ce  sujet,  à  tous  les  mo- 
nastères du  pays  de  Caux ,  de  faire  des  recheitsbes 
dans  les  lieux  où  s'étendait  leur  juridiction ,  pour 
découvrir  les  biens  que  des  fils  d^niquité  K^meià 
pris,  contre  toute  justice,  au  monastère  de  Fëcanlp, 

Ces  objets  consistaient  en  dîmes ,  cens ,  revenus, 
prémices,  legs,  maisons,  terres, prairies,  pâturage», 
étangs,  bois,  moulins,  châteaux,  instruments  pu- 
blicSj  lettres  authentiques  ^  calices,  croix,  livres, 
ornements  d'églises ,  vases  d'or  et  d'argent ,  chevaux, 
bœufs ,  moutons  ,  porcs ,  sommes  d'argent  et  autres 
biens  • . 

De  toutes  ces  soustractions,  qui  accusent  un  grand 
désordre ,  il  n'y  a  que  la  disparition  des  chartes  au- 
thentiques qui  intéresse  notre  âge  ;  il  paraît  qu'elle 
fut  presque  complète ,  et  c'est  la  seconde  fois  que 
le  monastère  perd  des  pièces  si  précieuses,  sous  le 
rapport  liistoriquc. 

D'Estouteville  obtint  ensuite  de  Richard  II  la 
jouissance  de  la  moitié  des  revenus  de  l'abbaye, 
situés  en  Angleterre  *,  avec  promesse  de  rentrer  dans 
la  totalité  aussitôt  après  le  rétablissement  de  la  paix  ; 

■  Fiscan.  Cartul. 

*  Charte  de  Hichard;  Arch.  dép. 


(■  2/i7  ) 

il  s'occupa  dans  le  même  temps  de  réparations  ur- 
gentes à  faire  au  port  et  à  la  f(H*teresse  de  Fëcamp,  et 
fîit  autorisé  j  pour  cause  de  bien  public ,  à  lever  un 
nouveau  subside  sur  les  bières  y  cervoises ,  et  vins 
consommés  dans  les  lieux  de  la  dépendance  de  l'ab- 
baye* Guillaume  Dubosc  prit  à  ferme  cet  impôt, 
moyennant  369  liv.  par  an,  payables  à  l'abbé'. 

Pour  donner  une  marche  régulière  au  cours  de 
la  justice  9  Estod  établit  un  procureur  fiscal  et  pro- 
moteur ,  qui  remplit  les  fonctions  de  bailli  et  d'offî- 
dal.  La  première  sentence  portée  par  ce  tribunal , 
est  une  peine  d'excommunication  contre  une  femme 
qui  avait  proféré  des  paroles  injurieuses  contre  une 
autre  ;  elle  est  en  outre  condamnée  à  4o  liv.  d'amende, 
la  moitié  pour  la  partie  lésée ,  l'autre  moitié  pour 
le  procureur  fiscal  •.  Cette  dernière  peine ,  inter- 
dite ,  depuis  9  par  le  concile  de  Bourges ,  en  1 583 , 
n'était  pas  alors  contraire  aux  usages  de  l'époque. 

D'Estouteville  obtient  la  confirmation  du  droit , 
conféré  par  les  seigneurs  de  Mantes,  de  faire  venir 
du  vin  par  la  Seine,  pour  approvisionner  Fécamp. 
C'est  Jean ,  de  Dieppedale ,  qui  le  transporte  dans 
ses  bateaux ,  et  qui  a  la  permission  de  passer  frari" 
chcment  sous  le  pont  de  Mantes^. 


*  Archives  dép.  ;  cartons  de  Fécamp, 

*  Défense  de  l'Exemption  de  Fécamp ,  par  dom  Fiîlastre. 
^  Archives  dép.  ;  cartons  de  Fécamp. 


(  248  ) 

Jean  de  Boissey  et  de  Maistûères,  bailli  deCaux  f 
était  alors  capitaine  de  la  forteresse  de  Fécamp;  il 
avait  deux  fils,  l'un  qui  fut,  en  14089  évêque  de 
Bayeux,  et  l'autre,  Robert,  qui  devint  la  tige  dea 
barons  de  Maisnières.  Le  capitaine  de  Fécamp  avait, 
sous  ses  ordres ,  un  officier  portant  le  titi*e  de  conné- 
table, comme  le  constate  une  quittance  de  4oliv. 
tournois  qu'il  délivre  à  Martin  de  Mery,  receveur  de 
l'abbaye,  tant  pour  ses  propres  gages,  que  pour  ceux 
du  connétable  dudit  Fécamp. 

La  fin  du  siècle  précédent  avait  été  marquée  par 
la  démence  de  Charles  VI ,  et  par  la  faction  des  Bour- 
guignons ,  ayant  à  sa  tête  le  duc  de  Bourgogne,  oncle 
du  roi ,  et  par  celle  des  Armagnacs ,  qui  reconnais- 
saient pour  chef  le  duc  d'Orléans,  frère  de  Charles  VI. 
Les  prétentions  de  ces  deux  partis  au  gouvernement 
de  la  France ,  vont  replonger  la  Normandie  dans  tous 
les  maux  qui  l'ont  accablée  depuis  un  siècle  ,  et 
dont  elle  est  à  peine  rétablie.  Les  Bourguignons 
font  d'abord  alliance  avec  les  Anglais  contre  la  cour, 
qui  soutient  les  Armagnacs.  L'assassinat  du  duc 
d'Orléans  vient  encore  ajouter  à  l'embarras  des  af- 
faires et  à  l'irritation  des  partis. 

Les  Anglais,  voyant  avec  satisfaction  des  troubles 
qui  devaient  encore  une  fois  leur  ouvrir  les  portes 
de  la  France,  équipent  une  flotte  composée  de  nom- 
breux  vaisseaux  ;  Henri  V  se  met  à  la  tête  d'une 
armée  de  six  mille  bassinets ,  vingt-quatre  mille 


(  ^49  ) 

archers  j  sans  compter  les  canonrùers  usant  de  flon- 
délies ,  débarque  à  l'entrée  de  la  Seine  j  met  le 
$iëge  devant  Harfleur,  et  place  son  quartier-général 
dans  le  prieuré  de  Graville  ' . 

Partout,  où  un  Anglais  ose  fouler  la  terre  de  Nor- 
mandie j  partout  il  trouve  un  D'Estouteville  pour 
lui  barrer  le  chemin.  La  place  d'Harfleur  était  dé- 
fendue par  le  frère  de  l'abbé  de  Fécamp  ,  le  brave 
Estod,  qui,  avec  quatre  cents  hommes ,  tient  tête 
aux,  forces  du  roi  d'Angleterre.  Tous  les  moyens  de 
résistance  sont  employés;  la  chaussée  de  Montivilliers 
est  détruite  pour  rendre  plus  difficile  l'approche  de 
la  place  ;  rien  ne  coûte  aux  assiégés ,  qui  sont  résolus 
de  faire  acheter  cher  à  l'ennemi  la  possession  de  leurs 
remparts. 

La  belle  défense  d'Harfleur  avait  électrisé  les 
habitants  de  Fécamp.  Estod,  sous  la  robe  d'abbé, 
ne  veut  pas  le  céder  à  son  frère  en  courage  et  en 
fidélité.  Une  milice,  composée  des  habitants  de  la 
ville  et  des  campagnes ,  de  la  juridiction  de  l'abbaye , 
est  organisée;  des  hommes  d'armes  sont  réunis,  les 
vieillcis  murailles  sont  mises  en  état  de  défense  ;  Jean 
de  Boissey ,  lé  capitaine  ,  les  fait  garnir  d'armes  et 
de  combattants  ;  des  ouvriers  taillent  la  pierre  pour 
en  faire  des  boulets,  qu'ils  entassent  au  pied  des 


'  Froissard,  ann.  1415. 


(  aSo) 

remparts  '  ;  les  moines  sont  partout ,  dirigent  les 
efforts  des  travailleurs^le  zèle  et  l'ardeur  patriotique 
des  guerriers  et  des  honunes  de  la  commune  ;  tou» 
sont  prêts  à  s'ensevelir  sous  leurs  remparts. 

Après  un  mois  de  résistance  héroïque  y  le  com- 
mandant d'Harfleur  est  obligé  de  capituler ,  faute 
de  vivres  et  de  munitions;  la  nouvelle  en  est  presque 
aussitôt  répandue  par  quelques  malheureux  habitants 
de  cette  ville ,  par  des  prêtres  et  gens  d'émise ,  dé- 
pouillés de  leurs  biens ,  chassés  de  leurs  foyers  et 
obligés  de  chercher  des  refuges  clandestins  pour 
éviter  d'aller  à  Calais,  où  le  roi  d'Angleterre  exige 
qu'ils  se  rendent  prisonniers.  L'inquiétude  des  ha- 
bitants de  Fécamp  est  au  comble.  En  effet ,  on  signale 
bientôt  les  avant-postes  de  l'armée  anglaise  ;  la  ville 
est  investie  de  toutes  parts.  Les  Anglais ,  pour  dé- 
masquer les  murs  de  la  forteresse,  mettent  le  feu  aux 
maisons  voisines ,  s'établissent  en  regard  de  la  porte 
du  Bail  j  et  sur  les  hauteurs  qui  dominent  la  place. 
Là  ils  établissent  leurs  machines  de  guerre,  leurs 
engins  et  leurs  bombardes ,  qui  commencent  un  ter- 
rible feu,  pour  rompre  la  muraille  et  abattre  les 
portes.  Il  y  eut  un  échange  de  projectiles,  qui  mirent , 
de  part   et  d'autre,  beaucoup  d'hommes  hors  de 


'  La  partie  basse  d'une  tour  ,  voisine  de  la-porte  des  Hallettes ,  tt 
démolie  au  commencement  de  notre  siècle ,  a  été  trouvée  pleine  de 
CCS  projectiles. 


(a5.   ) 

combat  ;  mais  les  énormes  globes  en  pierre  lancés 
par  les  macbines  de  l'ennemi ,  ne  tardèrent  pas  à 
rendre  la  brèdie  praticable ,  et  l'ôfi  fut  forcé  d'ou- 
vrir les  portes  pour  éviter  de  plus  grands  malheurs. 
Le  monaslère  en  fîit  quitte  pour  de  fortes  contri- 
butions» et  la  ville ,  en  partie  détruite  j  pour  recevoir 
une  garnison  étrangère,  qui  n^y  fît  qu'un  séjour  de 
courte  durée'. 

Les  Anglais  partant  peu  de  jours  après  pour  la 
Picardie ,  traversent  la  Somme ,  rencontrent  l'armée 
firançaise,  et  gagnent  la  célèbre  et  funeste  bataille 
d'Azintourt. 

Henri  Y  ne  perdit  pas  le  souvenir  de  la  mémorable 
défense  de  Fécamp,  et  de  la  part  qu'Ëstod  et  ses 
religieux  y  avaient  prise;  il  s'en  vengea  sur  leurs  biens 
d'Angleterre.  Les  possessions  du  monastère ,  en 
Sussex  et  généralement  sur  tous  les  points  du  royau- 
me y  furent  accordées,  par  une  charte  y  dont  l'original 
se  voit  dans  la  tour  de  Londres ,  à  Thomas  ^  évêque 
de  Durham*.  Ainsi,  l'abbaye  se  trouva  encore  une 
fois  dépouillée  des  biens  qu'elle  tenait  de  la  libéralité 
de  ses  ducs ,  devenus  rois  d'Angleterre. 

Les  succès  inespérés  obtenus  par  Henri  Y,  lui        1418. 
ayant  fait  juger  que  le  moment  était  venu  de  ressaisir 
l'héritage  de  ses  pères ,  il  se  mit  à  la  tête  d'une  nou- 
velle expédition ,  débarqua  en  Basse-Normandie , 


*  Notes  manuscrites  sur  Fëcainp.  —  GalL  christ. 
*'  Rôles  normands  f  page  252. 


(  a5a  ) 

dont  il  emporta  toutes  les  places.  Il  vint  ensuite 
assiéger  la  ville  de  Rouen,  qui,  après  une  résistance 
héroïque  j  privée  de  munitions  et  dé  secours  ^  fut 
obligée  de  se  ren^  1^  '9  janvier  i4  ^9* 

La  capitulation  de  Rouen  entraîna  celle  de  toutes 
les  places  du  pays  de  Caux ,  au  nombre  desquelles 
se  trouvaient  Yalmont  y  Montivilliers,  Tancarville, 
Orcher ,  le  Bec-Crepin  et  Ganzeville.  D'Estouteville, 
jugeant  que  toute  résistance  était  désormais  înipos- 
sible,  et  n'aurait  pour  résultat  que  la  destruction 
entière  de  Fécamp  et  de  ses  établissements,  prend 
le  parti  désespéré  de  traiter  de  la  reddition  de  cette 
place.  Le  chef  anglais  Jehan  Falstolf  reçoit  la  remise 
des  forts ,  qui  arborent  aussitôt  Tétendart  de  TAn- 
gleterre.  C'est  ainsi  que  notre  Normandie  se  trouva 
rattachée,  de  nouveau,  au  pays  auquel  elle  avait 
donné  des  maîtres. 


FÉCAMP 

sous  LA  DOMmATION  ANGLAISE  , 

De  i4<9  À  i45o. 

i{i9.  On  pense  bien  qu'après  la  conquête ,  les  nouveaux 

possesseurs  de  la  Normandie  durent  se  partager  les 
dépouilles  des  seigneurs  restés  fidèles  à  la  France. 
Ce  n'était  partout  que  confiscations  aux  environs 
de  Fécamp. 


(  ^53  ) 

Les  terres  de  Jelian  d'Estouteville  y  de  Yalmont , 
l'ancien  commandant  d'Harfleur,  furent  données 
au  chef  anglais  Williams  Héron. 

Pierre  Tingry  eut  les  propriétés  de  Jehan  Doullé^ 
situées  dans  le  bailliage  de  Fccamp. 

Hugues  Spenser  reçut  en  partage  les  fiefs  de  Tré- 
mauville ,  de  Yinnemerville  et  toutes  les  armes  de 
guerre  qui  existaient  dans  le  donjon  de  Fécamp , 
dont  il  fut  nommé  gouverneur. 

Le  Bourg-Baudouin  «  Terra  et  dominium  9  devint 
propriété  anglaise. 

Jehan  Falstolf  ^  chambellan  du  roi  d'Angleterre , 
le  même  qui  avait  traité  de  l'occupation  des  forts  de 
Fécamp,  reçut  les  seigneuries  et  terres  du  Bec- 
Grepin,  d'Aurîcher,  Ganzeville,  Criquetot-rEsneval, 
dont  les  propriétaires  Guillaume  de  Magni ,  Jacob 
d'Auricher,  Guillaume  de  Lion  etPerceval  d'Esneval 
furent  couséquemment  dépouillés'. 

Ainsi  y  les  noms  anglais  de  Hugues  Spenser,  Un- 
dervode,  Haiden,  Stopindon  ,  Barnebi,  Nitetton, 
remplacèrent ,  autour  de  Fécamp  et  dans  la  ville 
même ,  ceux  de  Jehan  Hotot ,  Erquembaut ,  Gautier- 
Duval ,  Pien*e  Duhamel  et  De  la  Croix. 

Les  nouveaux  propriétaires  n'étaient  tenus  qu'à 
de  simples  redevances  honorifiques  et  féodales  :  ainsi , 


'  Collection  Bréquigny  ,  ms.  de  la  Bibliothèque  royale. 


(a54  ) 

Hugues  Spenser  faisait  hommage  'd*un  fer  de  lance 
à  la  ville  d'Harfleur. 

L'anglais  Jehan  Billing,  pour  son  hôtel  de  Fécamp, 
envoyait  un  chapelet  de  violette ,  tous  les  ans,  le 
i""^  mai ,  au  château  de  Rouen. 

D'autres  offraient  une  épée  de  combat  j  une  dague 
à  la  ville  d'Harfleur  ;  un  faisceau  de  flèches ,  et  une 
livre  de  poivre ,  par  an  y  à  la  ville  et  au  château  de 
Rouen  ;  enfin ,  la  majeure  partie  étaient  obliges  de 
faire  le  guet  pendant  une  ou  deux  nuits  dans  ta  for- 
teresse de  Fécamp ,  ou  dans  les  châteaux  voisins  de 
leurs  fiefs  ■  • 

Pendant  toutes  ces  nouvelles  prises  de  possession , 
Tabbé  d'Estouteville  recevait  un  sauf-conduit  pour 
se  présenter  à  Rouen ,  devant  le  roi  d'Angleterre  et 
lui  faire  sa  soun^ission.  Ayant  refusé  de  prêter  le 
serment  de  fidélité  au  nouveau  pouvoir,  il  se  retira 
dans  son  manoir  de  Fontaine-le-Bourg ,  et  la  garde 
du  temporel  de  l'abbaye  fut  confiée  au  prieur  et  aux 
religieux,  pendant  son  absence  ;  un  français,  Jehan 
Cuillerier ,  de  Rouen,  fut  nommé  receveur  des  de- 
niers du  monastère» 

On  pourvut  aussi  à  la  nomination  de  diverses 
places  militaires  et  administratives. 

Xi'anglais  Jehan  Falstolf  fut  nommé  capitaine  de 
la  forteresse  de  Fécamp  ,  occupée  par  environ  deux 

*  Collection  Bréquigny ,  ms.  de  la  Bibliothèque  royale. 


(  a55  ) 

cents  Anglais  qu'il  avait  sous  ses  ordres  ;  tous  étaient 
nourris  et  soldés  sur  les  revenus  de  Tabbaye. 

Toutes  les  places  de  quelque  importance  qui 
mettaient  en  relief ,  ou  donnaient  une  certaine  auto- 
rité y  étaient  occupées  par  des  Anglais.  Les  emplois 
peu  rétribués  et  subalternes  furent  taxés  et  vendus , 
au  profit  du  trésor  royal,  à  des  Français  peu  scrupu- 
leuX|  ou  peut-être  convaincus  que ,  dans  les  moments 
de  crises  9  tous  devaient  le  concours  de  leur  zèle  et 
de  leurs  lumières  à  la  chose  publique. 

Raoul  BiennenS)  anglais,  fut  nonuné  lieutenant 
du  bailli  de  Fécamp  ; 

Pierre  Maniel  y  sénéchal  ; 

Robin  du  Coudrai ,  lieutenant  du  sénéchal  ; 

Jehan  Hermen,  dit  Montataies ,  sergent  de  Tépée  ; 

Regnault  Beaufik,  célérier  de  l'abbaye  ^  était ,  par 
sa  charge  ^  vicomte  du  port  et  havre  de  Fécamp ,  et 
jugeait  toutes  les  contestations  ayant  trait  à  la  mer  ' . 

Il  fidlut  aussi  pourvoir  à  la  perception  des  droits 
du  rm^  sur  les  marchandises  qui  entreraient  dans 
le  port  :  Guillaume  d'Alington  fut  nommé  contrôleur 
<c  conirû  rotularis»  des  gabelles ,  et  Jehan  le  Grand 
vérificateur  ou  mesureur  amensunUor^.  » 

On  pourvut,  dans  le  même  temps ^  à  quelques 
bénéfices  ecclésiastiques;  quelques  prêtres  ne  dé- 


■  GoiBples  de  Jehan  Gaillerier  ;  Arch.  départ. 
^  Bâles  normands  ,  page  323. 


(  ^o6  ) 

daignèrent  pas  de  faire  leur  cour  au  roi  d'Angleterre, 
pour  en  obtenir  des  faveurs.  Antoine  de  lisle  de^nt 
chapelain  du  Saint-Sépulcre  de  Fécamp  ;  les  cures 
du  Mesnillet ,  de  Saint-Eloi ,  de  M aupertuis ,  furent 
pourvues  de  nouveaux  titulaires. 

Cette  organisation ,  rationnelle  et  calme  en  appa- 
rence ,  cachait  au  fond  bien  des  misères  y  car  on  a 
peine  à  se  rendre  compte  de  la  désolation  qui  régnait 
dans  nos  villes  et  nos  campagnes ,  à  la  suite  de  toutes 
ces  guerres  y  et  sous  un  ordre  de  choses  ^  qui^  sans 
être  la  guerre  elle-même  ^  en  faisait  néanmoins  sup- 
porter toutes  les  charges  et  les  calamités. 

Nous  avons  cherché  partout ,  dans  les  archives  du 
monastère  de  Fécamp ,  quelques  documents  sur  cette 
époque  que  la  tradition  locale  n'a  pas  entièrement 
oubliée  ;  nous  n'avons  pu  trouver  que  les  comptes 
du  receveur  de  l'abbaye  ^ ,  qui ,  parlant  de  dépenses 
relatives  à  certains  faits ,  jette  un  jour  jusqu'alors 
'  inconnu  sur  la  situation  générale  du  pays.  Le  rédac- 
teur de  ce  précieux  recueil  n'avait  pas  soupçonné , 
en  groupant  ses  chiffres,  que  ses  petites  digressions , 
jetées  comme  les  hors-d'œuvre  d'un  splendide  repas, 
seraient  un  jour  recueillies  par  l'histoire,  qu'elles 
sauveraient  son  nom  de  l'oubli  ;  noble  dédommage- 
ment de  ses  travaux  et  de  ses  veilles. 
i4ao  Pour  faire  rentrer  de  l'argent  dans  ses  coffres,  le 

'  Archives  départementales. 


(aS;  ) 

roi  d'Angleterre  commença  par  altérer  la  monnaie  : 
la  livre  tournois,  qui  valait  vingt-cinq  sous,  était 
tombée  à  quatre  sous  deux  deniers ,  et  le  montant 
des  contributions  était  exigé  d'après  ce  nouveau 
tarif.  Cette  mesure ,  qui  quintuplait  le  prix  des  fer- 
mages, ruinait  tellement  les  cultivateurs,  que  tous 
avaient  abandonné  leurs  terres ,  qui  restaient  sans 
culture  ;  l'abbaye  fut  obligée  de  faire  à  ses  fermiers 
la  remise  du  quart  de  leurs  arrérages  %  ce  parce  qu'ils 
a  étoient  moult  grandement  perdants  en  icelles  fer- 
ce  mes,  dont  plusieurs  d'iceux  n'a  voient  de  quoi  payer, 
«  attendu  même  qu'à  l'époque  de  leurs  baux ,  il  n'était 
a  fait  mention  que  de  monnoies  de  quarante-huit  gros 
«  par  livre ,  qui  avoient  cours.  » 

Tout  le  monde  était  obligé  d'aller  à  l'hôtel  de  la 
monnaie ,  ou  aux  caisses  publiques ,  pour  changer 
son  numéraire  contre  l'argent  de  mauvais  aloi ,  fa- 
briqué par  les  Anglais  ;  l'aumonier  et  le  célérier  de 
l'abbaye ,  qui  se  trouvaient  à  Rouen ,  au  temps  que 
r argent  de  France  fut  crié  non  avoir  cours ,  ayant 
enleur  possession  deux  cent  douze  gros,  les  portèrent 
à.  la  monnaie,  et  perdirent  douze  livres  cinq  sous 
sur  le  change.  Pour  circuler  librement,  même  dans 
les  campagnes  voisines  du  lieu  qu'on  habitait ,  il 
fallait  être  muni  de  cartes  de  sûreté ,  pour  lesquelles 
on  payait  quatre  sous,  au  profit  du  trésor  royal; 


■  Pièces  justificatives  ,  n*  2. 

«7 


(  ^58  ) 

nous  en  avons  vu  j  portant  la  signature  de  Jehan 
Falstolf  y  capitaine  de  Fécamp. 

Les  campagnes  qui  environnaient  cette  ville  étaient 
désertes  ;  «  celles  où  il  y  avoit  ordinairement  un  grand 
(c  nombre  de  gens  y  demeurant ,  n'avoiént  plus  que 
<c  deux  ou  trois  ménages;')^  ville  elle-même  avoit  été 
(c  ravagée,  et  il  n'y  avoit  j  pour  ainsi  dire,  debout ,  que 
a  les  maisons  de  Tabbaye,  la  majeure  partie  de  celles 
a  des  habitants  ayant  été  a/y^j  (brûlées.)» 

Dans  cet  état  de  choses,  Fabbaye  était  privée  de 
receveur  ordinaire ,  et  n'avait  trouvé  personne  qui 
voulût  se  charger  de  percevoir  ses  revenus ,  <c  tant 
a  par  l'absence  de  l'abbé  qu'à  cause  des  guerres,  et 
a  chacun  en  avait  pris,  à  son  plaisir,  ce  qu'il  avait 
(C  pu  recevoir ,  sans  en  rendre  aucune  déclaration  ou 
«  compte,  et,  pour  cette  cause,  le  nouveau  receveur 
«  est  obligé  de  prendre  ce  qu'il  peut  avoir  pour  le 
«  temps  passé,  vu  qu'il  n'y  a  aucuns  vestiges  de 
a  comptes  et  qu'on  n'a  pu  obtenir  aucuns  renseigne- 
«  ments  de  l'abbé.  » 

Le  receveur  Jehan  Cuillerier  exerçait  donc  des 
fonctions  hérissées  de  difficultés,  chargé  de  défendre 
l'intérêt  des  religieux ,  qui  étaient  froissés  sans  cesse 
par  lexigence  des  Anglais. 

Le  capitaine  Jehan  Falstolf ,  avec  ses  soudojrersj 
représentait  assez  bien  l'abbé  et  ses  moines.  Installés 
dans  les  plus  beaux  logements  des  forts  et  du  mo- 
nastère ,  là  ils  vivaient  à  l'aise ,  et  consommaient  la 


(  259  ) 

meilleure  partie  des  revenus  de  la  communauté; 
contraignant  les  bourgeois  de  les  garder ,  en  faisant 
le  guet  sur  leurs  remparts. 

Les  Anglais  commencent  par  réparer ,  sous  la  sur- 
YHÎllance  de  Robert  Lanceau,  lieutenant  du  capitaine, 
la  partie  des  murs  qui  avait  été  détruite ,  et  ils  font 
étaUtXiv  plusieurs  guérites  en  bois  sur  les  remparts  j 
pour  la  sûreté  dicelle  forteresse.    Les  bois  servant 
à  ces  constructions  sont  pris  à  Senneville  et  à  Elétot. 
Quelques  travaux  sont  aussi  faits  à  la  même  époque , 
à  l'hôtel  de  Yittefleur.  <c  Nous  trouvons  une  dépense , 
«  pour  réparations  despont-levis  et  pont-dormant^  qui 
cr  étaient  rompus^  et  l'achat  de  cinq  perches  de  pal , 
a  pour  les  fortifications  dudit  hôtel,  ainsi  que  Ta  trouvé 
a  nécessaire  Guillaume  le  Parmentier,  lieutenant- 
ce  général  de  Pierre  Maniel ,  sénéchal  de  Fécamp.  i> 
Jehan  Cuillerier  avait  ordre  de  payer,  tous  les  trois 
mois,  le  capitaine  et  les  soudoyers,  et  ce  n'était  pas 
une  des  moindres  charges  imposées  au  monastère  ; 
on  a  de  la  peine  à  se  figurer  toutes  les  difficultés  qu'é- 
prouve le  receveur  pour  se  procurer  des  fonds  ;  il 
est  obligé  d'écrire  dans  toutes  les  baronnies,  qui,  elles 
aussi,  sont  ruinées  par  l'occupation  étrangère.  Les  An- 
glais ont  changé  en  caserne  le  manoir  et  les  granges  de 
Quettehou ,  et  imposent  les  plus  grands  sacrifices  aux 
habitants.  Cuillerier  fait  de  nombreux  voyages ,  qui 
n'aboutissent  souvent  à  aucun  résultat ,  tant  le  nu- 
méraire est  rare  sur  tous  les  points  de  la  Normandie. 


(  îi6o  ). 

Le  premier  trimestre  de  sa  gestion,  il  paie  à  mes- 
sire  Jehan  Falstolf,  200  liv.,  faisant ,  en  forte  monnaie, 
26  liv. 

«  Et  aux  soudoyers  d'icelle  forteresse  >  dont  les 
«  noms  sont  mis  sur  un  rôle  ,  par  l'ordre  verbal  dt 
a  monseigneur  le  chancelier,  en  forte  monnaie, 
«  ^8  liv.  6  s.  5  d.  » 

Le  tabellion  de  Goderville  venait  ordinairement 
assister  à  ces  paiements ,  dont  il  rédigeait  la  quit- 
tance, et  recevait  dix  sols  pour  son  salaire. 

L'abbaye  payait  aussi  les  gages  du  sénéchal ,  du 
lieutenant  général  du  bailli ,  du  procureur  général 
de  l'église ,  de  Jehan  Vincent ,  anglais ,  commis-adjoint 
au  receveur  du  monastère ,  et  donnait  une  gratifi- 
cation de  cinquante  sols  à  Jehan  Stopindon ,  secré- 
taire du  roi  d'Angleterre. 

Outre  les  gages  payés  au  capitaine  ,  ce  dernier  ne 
se  gênait  pas  pour  user  des  biens  de  l'âbbaye  en  na- 
ture ,  et  comme  il  l'entendait  ;  car  nous  trouvons , 
dans  les  comptes  du  receveur,  beaucoup  d'articles 
semblables  à  ceux-ci  : 

«  Le  revenu  de  hi péquerie  (pêche)  de  Fécamp, 
«  néant  j  parce  que  messire  Jehan  Falstolf ,  chevalier 
a  capitaine  dudit  lieu  de  Fécamp ,  Ca  tenue  et  re- 
in cueillie  en  sa  main,  sans  en  rendre  aucune  chose.» 

La  ferme  d'Ingouville  était  louée  au  prix  de  trente 
boisseaux  dé  blé  froment,  mesure  de  Vittefleur, 


(  ^6i  ) 

a  lequel  avait  été  mis  par  Jehan  Falstolf  au*dessas 
«  de  ses  gages.  » 

Dans  les  autres  contrées ,  les  propriëtës  de  Tab- 
baye  étaient  pareillement  au  premier  occupant  ;  ainsi , 
k  revenu  de  la  prairie  de  Yittefleur  ëtait  considéré 
comme  nul ,  «  parce  que  les  foins  j  cueillis  et  fauchés 
a  en  la  main  de  Téglise ,  et  mis  dans  les  greniers  de 
«  l'hôtel  de  Vittefleur ,  avaient  été  consommés  par 
(c  le  bailli  de  Caux  et  ses  gens  et  autres  plusieurs 
ce  personnes  allant  et  séjournant ,  tant  officiers  du 
<c  roi  que  de  l'église.  » 

Les  prés  de  la  baronnie  du  Jardin ,  près  Dieppe , 
appartenant  au  monastère ,  étaient  loués  à  condition 
«  que  j  en  cas  que  lesditsprés  seraient  pris  et  emportés 
fc  par  les  gens  d'armes  ou  autres  usant  de  puissance ^ 
a  ledit  fermier  n'en  serait  tenu  aucune  chose  payer  ; 
«c  lesquelles  prairies  ont  été,  par  eux ,  cueillies  et  em- 
«  portées  les  années  précédentes ,  par  les  Anglais 
oc  des  garnisons  de  Dieppe  et  d'Arqués.  » 

Le  désordre  était  tel ,  dans  les  campagnes ,  que 
les  denrées  se  vendaient  toujours  rendues  à  la  ville. 
Les  dîmes  et  les  champarts  d'Ingouville  y  loués  dix 
muids  de  blé  et  cinq  muids  d'orge,  devaient  parvenir 
à  Fécamp,  aux  périls  et  dangers  du  fermier  de  ces 
redevances.  Il  en  était  de  même  pour  les  revenus 
de  Saint- Valéry. 

On  payait  des  hommes  pour  garder  les  récoltes 
dans  lea  champs  et  pour  les  faire  enlever  de  suite^  car , 


(  a62  ) 

si  elles  fussent  demeurées ,  «  elles  auroient  été  en 
(c  danger  d'être  perdues  et  prises  par  les  gens  d'armes, 
et  étant  lors  es  garnisons  du  pays,  n 

On  faisait  aussi  garder  les  lieux  où  les  récoltes 
étaient  entassées;  ainsi  voyons-nous  Jacques  d'Orival, 
écuyer ,  et  quatre  personnes  de  sa  compagnie ,  gar- 
dant l'hôtel  de  Vittefleu  ,  «  pour  le  double  des  bri'^ 
«  gands  qui  couraient  en  pays ,  afin  qu'ils  ne  se 
«  logeassent  en  quel  hôtel,  o 

Le  danger  étant  permanent  pour  cette  petite  for- 
teresse ;  Jehan  Le  Prévost  en  fut  nommé  capitaine, 
au  traitement  de  loo  liv.  par  an ,  pris  sur  les  revenus 
de  l'abbaye. 

Il  n'y  avait  non  plus  aucune  sûreté  pour  les  particu- 
liers qui  se  mettaient  en  voyage;  aussi  ne  pouvait-on 
faire  un  pas  hors  la  ville  sans  escorte  ;  le  régisseur 
de  l'abbaye,  dans  ses  courses  à  Yittefleur,  à  Saint^ 
Valéry  et  à  Dieppe ,  était  toujours  accompagné 
d'archers  français  ou  anglais.  «  Nous  le  trouvons 
(K  souvent  en  compagnie  de  Douchet  de  Herbou- 
«  ville,  écuyer,  de  Colin  deBaunay,  d'un  var- 
(c  let  et  de  quatre  sergents  ;  d  une  autre  fois,  de 
Guillaume  Mahieu  et  Michaud  Falaise,  de  Fécamp, 
(c  parce  qu'on  n'osoit  passer  par  le  double  des  bri- 
«  gands.  »  On  est  tout  surpris  de  voir  des  gen- 
tilshommes descendant  aux  fonctions  de  simples 
archers,  pour  escorter  un  régisseur  d'abbaye,  ce 
qui  nous  fait  comprendre  la  misère  et  l'état  précaire 


C  ^63  ) 

dans  lequel  se  trouvaient  toutes  les  conditions  de 
la  société. 

Jehan  Cuillerier  se  fait  encore  accompagner ^  dans 
un  voyage  qu'il  entreprend  du  côté  d'Argences ,  par 
les  anglais  Kyghley  et  Jehan  Ferrow;  et,  dans  un 
autre  qu'il  fait  à  Caudebec,  par  Guillaume  Mahieu  ^ 
Cardot  Delamare,  Michaud  Falaise  j  Guillaume 
Baillache,  tous  archers,  et  habitants  de  Fécamp. 
On  peut  juger,  d'après  ces  précautions,  que  la 
puissance  anglaise  avait  peu  de  vitalité  en  Norman- 
die ,  puisqu'elle  ne  pouvait  pourvoir  au  maintien  de 
l'ordre  ,  ce  premier  besoin  des  sociétés. 

La  misère  était  tellement  grande  parmi  le  peuple , 

que  toutes  .  les  transactions  particulières  restaient 

sans  effet ,  et  que  personne  ne  pouvait  rempHr  ses 

engagements.   Les  Anglais,  qui  ne  toléraient  aucun 

retard  dans  le  paiement  des  impôts  et  de  leurs  gages  ^ 

étaient  impitoyables  envers  les  retardataires ,  qu'on 

amenait  à  Fécamp  et  renfermait  dans  les  cachots 

de  la  forteresse  et  dans  la  tour  nommée  de  Babjrlone. 

C'était  encore  Douchet  d'Herbouville,  écuyer^  et 

plusieurs  Anglais,  en  la  compagnie  du  sergent  de 

Fécamp ,  qui  parcouraient  les  campagnes  et  étaient 

chargés  de  mettre  ces  ordres  de  rigueur  à  exécution . 

Avec  le  système  d'exaction  que  les  Anglais  avaient 

introduit,    le  malaise  du  peuple  ne  pouvait  que 

s'accroître  sur  tous  les  points  ;  ils  vinrent  encore  y 

mettre  le  comble  à   Fécamp ,   en    établissant  un 


(^64)    . 

impôt  du]  dixième  sur  tous  les  biens  de  -  la  comniu- 
nauté. 

Ici  t^ecommencent  les  tribulations  de  Jeaii  Cuille- 
rîer ,  qui ,  après  des  efforts  inouïs ,  des  voyages  mul- 
tipliés, ne  pouvant  fournir  de  suite  une  pareille 
somme ,  est  mandé  à  Rouen  devant  le  chancelier.  Il  a 
soin  de  se  munir  d'un  fort  à-compte ,  qu'il  verse  au 
lieutenant  du  capitaine  de  Rouen ,  Jehan  Hompeley  ; 
mais,  loin  qu'on  lui  sache  gré  de  son  empressement ^ 
il  est  arrêté  sans  pitié  et  détenu  prisonnier  au  Dieux 
châtely  «  duquel  voyage  ledit  receveur,  son  clerc  et 
a  deux  chevaux ,  vacquèrent  pendant  l'espace  de 
«  vingt-un  jours.  » 

Les  comptes  relatifs  à  la  dépense  qu'occasionna 
cette  détention  portent  plusieurs  articles  '  ainsi 
conçus  :  «Pour  le  geotage  dudit  receveur,  payé  au 
ic  maître  portier  du  châtel ,  avec  lequel  il  fut  logé  tout 
ce  le  temps  qu'il  fut  en  prison ,  uii  écu  d'or. 

c<  D'autres  sommes  sont  allouées:  au  portier  du 
«  châtel,  pour  laisser  entrer  et  passer  le  clerc  dudit 
«  receveur,  et  ceux  qui  le  visitaient  en  prison,  et 
f(  pour  des  messagers  envoyés  de  Rouen  à  Heudebou- 
«  ville  et  à  Fécamp,  pour  mander  que  ledit  receveur 
a  était  en  prison ,  et  hâter  l'envoi  des  deniers.  » 

Il  paraît  qu'ils  ne  se  firent  pas  trop  attendre, 
puisque  Jean  Cuillerier  ne  resta  prisonnier  que 
pendant  vingt-un  jours;  l'impôt  fut  versé  en  totalité; 
nous  en  trouvons  aux  archives  la  quittance ,  signée 


(  a65  ) 

patrie  prieur  de  Saiat-Lo ,  et  par  messire  Guillaume 
Le  Febvre ,  curé  de  Saint-Denis  de  Rouen. 

Les  revenus  indirects  de  l'abbaye  ne  rendaient 
pas  plus  que  les  autres  produits  :  ainsi  ^  celui  de  la 
saison  du  hareng,  ou  harangaison^  comme  on  l'ap-* 
pelait  alors  )  ne  fournissait  aucun  avoir  ^  parce  que 
(c  ledit  hable  (havre  )  de  Fëcamp  coûtait  plus  à  main- 
ce  tenir  et  à  garder  que  le  revenu  ne  valait.  » 

Ce  produit ,  qui  était  du  dixième  de  la  vente  du 
poisson^  servait  eucore  à  payer  les  dépenses  suivantes: 
a  Â^dom  Regnault  Beaufils ,  célerier  du  couvent  et 
a  vicomte  du  port  et  hâble  de  Fécamp,  pour  la  peine 
«  d'avoir  gouverné  la  dite  vicomte,  i61iv.  i3  s.  4^-  » 

«  Pour  l'hôtel  de  la  vicomte ,  depuis  le  quatrième 
«  jour  de  novembre  jusqu'au  premier  janvier,  pendant 
a  quel  temps  de  la  vente ,  il  était  occupé  par  divers 
oc  gens ,  tant  mariniers  que  autres ,  avec  le  célerier , 
a  son  clerc  Jehan  Desfrenis ,  Dondel ,  Caron  et  autres 
«  clercs  vendeurs.  Pourpain,cervoise  (bière),  chair, 
fit  bost  (bois)  à  feu,  chandelle,  poisson  et  autres 
n  nécessités ,  1 2  liv.  » 

L'hôtel  de  la  vicomte  était  alors  le  long  et  ancien 
bâtiment  qui  existe  sur  le  quai  de  Fécamp,  au  sud- 
ouest  du  port,  et  qui  doit  disparaître  par  suite  des 
travaux  projetés  sur  ce  point. 

'Quelqu'argent  fut  aussi  dépensé  pour  retenir  l'eau 
et  nettoyer  le  port  pendant  les  basses  marées,  «jus- 
te qu'à  ce  que  le  canal  eût  recommencé  à  besoigner.  0 


(  a66  ) 

Les  droits  de  la  harangaison  de  Saint-Valery  se 
percevaient  de  même  au  profit  du  monastère  de 
Fécamp ,  et  montaient  à  ao  liv.  environ ,  année 
commune.  Ce  port  ne  possédait ,  dans  ce  temps, 
que  cinq  maîtres  de  nefs  (  bateaux)  :  Philipot  Bon- 
nard ,  Jehan  Bénard ,  Michel  d'Aoust ,  Robert  Le- 
tellier,  et  Jehan  d'Argences,  <x  qui  devaient  une  cer- 
<c  taine  portion  de  harengs ,  à  cause  de  leurs  équi- 
<c  pages.  » 

Les  mêmes  dépenses  qu'à  Fécamp ,  se  faisaient  à 
l'hôtel  de  la  vicomte  de  Saint-Valery,  «  pour  le  vicomte, 
ce  son  clerc ,  plusieurs  allant  et  survenant;  pour  pain, 
ce  cervoise ,  chair ,  poisson ,  chandelle  ,  moutarde , 
ce  sel  blanc  9  bostàfeu,  et  autres  choses  nécessaires.)» 

Il  fut  aussi  payé  une  certaine  somme,  dans  le 
même  port ,  a  pour  avoir  renforcé  et  alongé  l'épi , 
«  et  pour  trois  charretées  de  bois  destinées  à  faire  un 
a  épi  plus  d'aval  que  n'était  l'autre.  » 

Les  autres  produits  étaient  si  minimes ,  qu'ils 
n'offraient  que  de  bien  faibles  ressources  :  celui  des 
sceaux  et  écritures  était  assigné  au  luminaire  de 
l'église  9  et  suffisait  à  peine.  L'émolument  du  greffe 
de  la  j  ustice  temporelle ,  tant  à  Fécamp  qu'à  Vittefleur, 
se  montait  à  17  liv.  i4  s.  7  den. 

Le  tabellionnage  de  Fécamp  était  donné  pour  ses 
gages 9  à  Ricard  Noflet,  greffier  de  la  juridiction, 
a  pour  faire  les  écritures  touchant  l'église ,  et  fournir 
«  le  parchemin.  » 


(  »67  ) 

Les  exploits  et  amendes  de  la  juridiction  spirituelle 
avaient  produit^  en  14^0,  3o  liv.  faibles,  en  forte 
monnaie  75  sols,  somme  que  le  sergent  de  l'épée 
avait  charge  de  recueillir,  pour  faire  entrer  dans  les 
coffres  de  l'abbaye. 

Nous  donnerons  maintenant  certains  détails  sur 
quelques  parties  du  domaine  non  fieffé;  détails  qui 
intéresseront  surtout  les  habitants  de  Fécamp ,  tant 
à  cause  des  propriétés  bien  connues  qui  y  sont 
mentionnées,  que  des  noms  de  familles  qui  figurent 
dans  la  pièce  d'où  nous  les  extrayons. 

La  prévôté  de  Fécamp  était  louée  à  Gautier  Ga- 
lopin, au  prix  de  1 10  sols  par  an. 

Les  moulins  à  blé  de  cette  ville  étaient  baillés 
à  Jehan  de  la  Marre  et  à  Colin  Hurel  ;  les  moulins  à 
son  à  Guillaume  Goetren ,  ainsi  que  la  cote  de  Mer 
et  celle  de  la  Vigne. 

Thomas  Duvent  occupait  la  ferme  de  Bondeville. 
La  franche  nef  dEtreiat  était  louée  1 1  Uv.  par 
Jehan  Galopin.  Colin  Beuzebost  occupait  la  ferme 
du  Quénoy. 

La  ferme  de  la  Haye  d'Etigues  était  louée  à  Jehan 
Blondel ,  au  prix  de  4  liv.  par  an  ;  celle  de  Ganze- 
ville  à  John  Postel. 

Celle  du  Pommier-de-la-Meule ,  à  Pierre  de  Vatte- 
mare ,  1 3  liv. 

La  ferme  d'Etretat,  par  Robin  du  Mesnil,  dit 
Barbelotin,  10  liv. 


'(a68) 

Et  celle  ^é  Trémauville  aux  Aloinds,  à  Martin 
*  Vassal ,  17  liv. 

Nous  ne  prolongerons  pas  davantage  ce  genre  de 
citations. 

Les  rapports  de  Jehan  Falstolf  avec  les  moines, 
étaient  établis ,  de  son  côté  ,  sur  le  pied  de  la  plus 
•haute  supériorité  ;  jamais  il  ne  traitait  avec  eux  di- 
rectement aucune  affaire  d'intérêt  ou  de  police; 
c'était  toujours  par  l'intermédiaire  de  l'anglais  Guil- 
laume Bourtheney ,  espèce  de  majordome  attaché  à 
sa  personne  y  qu'avaient  lieu  toutes  les  communica- 
tions relatives  à  la  rentrée  des  impôts,  soit  en  nu- 
méraire, sbit  en  nature;  et  nul  ne  soutenait,  avec  plus 
de  rigueur ,  les  intérêts  de  son  patron  que  Guillaume 
Bourtheney.  Aussi  les  moines  étaient  tellement  exas- 
pérés contre  lui,  qu'il  était  devenu  l'objet  de  leur 
haine  ;  il  en  était  de  même  du  receveur ,  qu'ils  accu- 
saient ,  bien  à  tort ,  de  mauvaise  gestion ,  tandis 
qu'ils  ne  devaient  s'en  prendre  qu'aux  exigences 
des  Anglais. 
i4aa.  Dans  cette  situation  si  déplorable,  ils  adressèrent 

au  roi  d'Angleterre ,  une  requête  présentée  par  Jehan 
d'Orival,  Dom  Richard,  religieux,  et  Pierre  Maniel, 
sénéchal  ;  ils  y  exposaient  que  les  charges  du  mo- 
nastère de  Fécamp  étaient  tellement  excessives, 
qu'elles  dépassaient ,  pour  l'année  14^05  les  recettes 
de  4000  liv.,  «  comme  il  appert  par  les  quittances 
«  représentées,  et  parce  que  Jehan  Falstolf  ^eapitaine 


(  t»69  ) 

a  de  Fécamp ,  prétendait  que  les  retenus  de  t église 
«  étaient  suffisants  pour  supporter  toutes  les  char-  • 
ce  ges  y  lesdits  envoyés  ont  ordre  de  prouver  le  con- 
«  traire,  et  de  dire  et  exposer  à  sa  Majesté,  que, 
ce  pour  la  bonne  administration  de  Tcglise  de  Fé- 
(c  camp,  il  serait  plus  utile  d'avoir  un  religieux  qu'un 
c(  séculier ,  lequel  ne  serait  pas  différent  d'habit  de 
a  profession  et  de  culte,  qui  connaîtrait,  mieux  qu'un 
«  étranger,  les  mœurs  et  le  langage  des  moines ,  les 
<K  besoins  et  les  ressources  de  la  communauté  ^  » 

Us  exposaient  en  même  temps  qu'ils  avaient  jeté 
leurs  vues  sur  dom  Philippe  de  Plumetot,  un  de 
leurs  confrères,  ami  de  Gui  le  Bouteiller,  seigneur 
de  la  Roche-Guyon,  et  fort  mal  vu  de  leur  abbé, 
à  cause  de  cette  liaison. 

C'était  un  moyen  de  faire  leur  cour  au  roi  d'An- 
gleterre et  d'en  obtenir  ce  qu'ils  demandaient ,  car 
on  sait  que  Gui  le  Bouteiller,  ancien  commandant 
de  Rouen,  était  accusé  d'avoir  vendu  cette  ville 
aux  Anglais ,  et  il  ne  pouvait  y  avoir  rien  de  commun 
entre  D'Estouteville  et  les  protégés  de  ce  transfuge. 

Avant  de  se  prononcer,  le  roi  d'Angleterre  en- 
voya à  Fécamp  le  chancelier  de  Normandie  ,  Louis . 
de  Luxembourg ,  avec  l'abbé  de  Saint-Pierre ,  pour 
prendre  connaissance  des  sujets  de  plainte  des  reli^ 
gieux ,  des  ressources  de  la  communauté ,  et  des 
,  ■    ' 

■  Archives  départementales  ;  cartons  de  Fécamp. 


(  ^7o^ 

abus  qu'il  y  avait  à  réformer.  Cette  vérification  fut 
immédiatement  suivie  d'une  ordonnance  de  Henri  V', 
relative  au  receveur  et  à  ses  comptes ,  qu'il  avait  mis 
du  retard  à  fournir.  Le  roi  nommait  Roger  Mutel, 
vicomte  de  l'eau  à  Rouen,  et  Jacques  d'Orléans , 
pour  vérifier  le  tableau  des  recettes  et  dépenses  pré- 
senté par  ledit  receveur,  lequel  se  rendit ,  à  cet  effet, 
à  Rouen ,  dans  l'hôtel  dudit  Roger  Mutet.  Cette 
vérification  eut  lieu  en  présence  de  Jehan  Bouesque, 
aumônier  de  l'abbaye ,  de  Guillaume  Etienne,  chantre, 
et  de  Adam  Onfroy,  prieur  de  Saint-Gervais ,  tous 
religieux  délégués  par  la  communauté. 

Il  résulta  de  cette  ordonnance  le  compte  qui  nous 
a  fourni  des  matériaux  si  pittoresques ,  pour  cette 
époque  de  l'histoire  de  Féçamp  et  du  pays  de  Caux. 

L'enquête  dont  nous  venons  de  parler  ne  valut 
aucune  diminution  de  charges  au  monastère  de 
Fécamp  ;  mais  il  fut  admis  à  passer ,  avec  l'évéque  de 
Durham ,  qui  détenait  une  partie  des  biens  de  la 
communauté  en  Angleterre ,  un  traité  par  lequel  on 
l'indemnisa  d'une  minime  portion  de  ses  pertes.  Jean, 
évêque  de  Chester ,  fut  désigné  en  qualité  de  vicaire 
apostolique,  pour  diriger  cette  transaction*. 

Il  y  eut ,  dans  le  même  temps ,  une  ordination  de 
moines,  qui  aurait  passé  inaperçue,  sans  un  événe- 


'  Pièces  justiflcatiyes ,  n°  3. 

*  Arch.  départ.  ;  cartons  de  Fécamp. 


(  ^7'  ) 

ment  qui  peint  bien  le  désordre  de  Tëpoque.  On 
attendait^  pour  faire  cette  cérémonie ,  Tévêque 
d'Evreux ,  lorsqu'on  reçut  la  nouvelle  qu'il  venait 
d'être  tué  à  Paris^  dans  une  sédition  j  soupçonné  de 
tenir  le  parti  des  Armagnacs  '.  On  fut  obligé  d'avoir 
recours  au  ministère  de  l'archevêque  de  Rouen. 

L'abbé  d'Estouleville,  en  dehors  de  toute  intrigue 
politique, ne  put  jamais  être  gagné  au  parti  anglais. 
On  voulut  le  tenter  par  l'offre  des  riches  revenus 
de  son  abbaye  ;  il  ne  reçut  jamais  que  1 5o  liv.  en 
trois  fois  difTérentes ,  et  encore  les  appliqua-t-il  aux 
besoins  de  certains  employés  de  son  église.  Il  s'était 
retiré  à  Paris ,  oîi  il  fonda ,  avec  son  frère  l'évêque 
d'Evreux,  le  collège  de  Lisieux,  situé  près  de  la 
montagne  Sainte-Geneviève.  Les  moines  du  Bec 
prétendent  qu'il  y  fit  transporter  les  objets  précieux 
enlevés  par  lui  de  leur  monastère ,  lorsqu'il  fut  placé 
à  la  tête  de  celui  de  Fécamp. 

Ce  fut  peu  de  temps  après  qu'eut  lieu  la  mort  de 
cet  abbé.  Son  corps  fut  apporté  à  Fécamp  et  inhumé 
dans  la  nef  de  l'église  abbatiale.  Certes,  si  jamais 
cette  ville  recherchait,  dans  le  passé,  les  grands 
hommes  dont  elle  peut  s'enorgueillir,  les  noms  d'Es- 
touteville  et  de  Boissey  devraient  tenir  une  place 
honorable  dans  ses  fastes;  ils  rappellent,  en  même 


>  Gall.  Christiana,  tom.  II. 


(    27^    ) 

temps  y  la  haine  de  l'étranger ,  la  scieace ,  le  patrio- 
tisme et  la  gloire. 

Gilles  de  Duremoitt,  vingt-quatrième  Abbé. 

.  Gilles  de  Duremont ,  d'abord  abbé  de  Beaupré , 

ensuite  de  fiellebec  y  succéda  à  l'abbé  d'Ëstouteville. 
Ce  fut  le  premier  abbé  nommé  sous  l'influence  an- 
glaise; son  élection  souffrit  quelques  difficultés 
qu'il  parvint  à  aplanir.  Il  prêta  foi  et  hommage  au 
roi  d'Angleterre,  à  Paris,  entre  les  mains  du  duc 
de  Betford ,  régent  du  royaume ,  pendant  la  minorité 
de  Henri  VI ,  enfant  que  les  Anglais  avaient  fait 
proclamer  roi  de  France. 

Le  premier  acte  d'administration  ecclésiastique 
de  Gilles  de  Duremont ,  fut  la  confirmation  des 
statuts  de  la  confrérie  de  Saint-Farcy ,  établie  dans 
l'église  d'Eletot.  Il  fit  exécuter  ensuite  quelques 
travaux  d'embellissement  dans  l'intérieur  de  la  basi- 
lique ,  et  enfermer ,  dans  un  tabernacle  en  pierre , 
le  grès  sur  lequel  on  remarque  l'empreinte  du  pied  de 
l'ange,  qui  dut  apparaître  dans  l'église  lors  de  sa  fon- 
dation. Ce  petit  monument  gothique ,  placé  d'abord 
derrière  le  grand  autel ,  est  maintenant  à  droite  de 
la  chapelle  du  trépassement  de  la  Vierge  ■ . 

Nous  trouvons  ici  une  pièce  d'autant  plus  curieuse, 

*  Trésor  de  Fécamp  ,  ms. 


(  ^73  ) 

pour  la  localité ,  qu'elle  fait  connaître  la  qualité  des 
offices  qui  existaient,  à  cette  époque,  à  Fécamp;  c'est 
une  adjudication  faite  à  Gosse,  boucher,  d'une  place 
(Tétat^  vide,  au  Vieux-Marché  des  Hallettes,  pour 
i4s.  6  d. ,  au  profit  de  la  pitancerie  et  pieds  d'héri- 
tage ,  tenus  par  Jehan  Toutain ,  lieutenant  du  bcùlU 
de  Fécamp ,  après  les  criées  faites' par  Jehan  le  Vas- 
seur,  sergent  dépée^  suivant  la  délibération  du 
révérend  père  en  Dieu  ,  mons  maître  Gilles ,  abbé 
du  moustier  de  Fécamp ,  et  du  consentement  de 
damp  Jehan  de  la  Haulle,/?ftfa/ic/^r,  Robin  du  Cou- 
drai, procureur  général^  Jehan  Durand  et  Raoul 
Biennens,  a\focats  et  conseillers  de  ladite  église'. 

Tout  le  monde  connaît  le  jugement  inique  porté  ■4^1* 
contre  Jeanne  d'Arc,  surnommée  la  Pucelle  d'Or- 
léans :  cette  jeune  et  noble  fille ,  à  peine  âgée  de 
dix-huit  ans ,  indignée  de  la  conduite  des  Anglais , 
marche  à  la  tête  de  quelques  compagnies ,  dont  elle 
exalte  le  courage  par  sa  valeur  et  sa  résolution ,  et 
contribue  à  la  victoire  remportée  devant  Oriéans, 
sur  les  ennemis  de  la  France. 

Ayant  été  faite  prisonnière  au  siège  de  Compiègne, 
elle  fut  livrée ,  par  le  duc  de  Betford,  à  un  tribunal 
ecclésiastique,  et  ensuite  brûlée  comme  magicienne, 
hérétique  et  schisma tique. 

Gilles  de  Duremont  fut  un  des  juges  de  cet  infâme 


*  ArchiTes  départementales  ;  cartons  de  Fécamp, 

i8 


(  274) 

tribunal  qui  condamna  Jeanne  d'Arc  ;  cependant , 
une  circonstance  de  ce  procès  nous  porte  à  croire 
que ,  s'il  céda  par  faiblesse  ou  par  ambition ,  il  n'é- 
tait pas  du  nombre  de  ces  juges  sans  pudeur ,  qui 
se  faisaient  un  jeu  d'insulter  à  la  victime.  En  effet , 
Nicolas  de  Houppe  ville,  un  des  assesseurs,  ayant 
élevé  haut eriient  la  voix  en  faveur  de  l'accusée,  en 
réclamant  le  renvoi  de  cette  affaire  à  l'officialité  de 
Rouen  ,  dont  elle  relevait ,  les  Anglais ,  qui  remplis- 
saient  l'auditoire,  voulurent  l'enlever  pour  le  trans- 
férer en  Angleterre ,  et  il  ne  dut  son  salut  qu'à  l'in- 
tervention de  l'abbé  de  Fécamp ,  qui  parvint,  non 
sans  peine ,  à  le  soustraire  au  danger. 

Néanmoins ,  la  malheureuse  condescendance  que 
Gilles  de  Duremont  avait  montrée  aux  volontés  de 
ses  protecteurs ,  lui  valut  de  nombreuses  faveurs  qui 
arrivèrent  presque  aussitôt.  Personnage  important , 
par  son  génie  d'intrigue  et  son  dévoûment  aux  An- 
glais ,  il  fut  nommé  du  conseil  de  Louis  de  Luxem- 
bourg ,  archevêque  de  Rouen ,  et  nous  le  voyons 
faire  un  voyage  de  Rouen  à  Paris,  après  le  juge- 
ment de  Jeanne  d'Arc ,  en  compagnie  du  roi  d'An- 
gleterre et  du  duc  de  Betford  '. 

Nous  rencontrons  ici  quelques  documents  qui 
nous  mettent  au  fait  de  la  manière  dont  la  haute 


'  Quittance  de  la  Chambre  des  Comptes  ;  ms.  de  la  BiblioUièqae 
du  Roi. 


(^75) 

justice  était  exercée ,  tant  à  Fécamp  que  dans  les 
communes  de  sa  dépendance  :  elle  se  divisait  en  deux 
juridictions,  l'une  spirituelle,  dirigée  par  un  officier 
de  l'église ,  portant  le  nom  de  promoteur ,  l'autre 
temporelle,  présidée  par  le  lieutenant  du  bailli,  ou 
le  sénéchal. 

Nous  avons  parcouru  le  registre  des  arrêts  de 
l'offîcialité  de  Fécamp ,  pendant  l'occupation  an- 
glaise; les  nombreuses  lacunes  qu'il  présente,  la  ré- 
daction négligée  et  incohérente  des  actes  qu'il  relate , 
portent  évidemment  le  cachet  de  cette  époque  de 
troubles  et  d'indécision  gouvernementale.  La  majeure 
partie  des  arrêts  sont  relatifs  à  des  dispenses  de 
mariage  ;  d'autres  sont  les  contrats  de  mariage  eux- 
mêmes  ,  dans  lesquels  on  stipule  les  droits  et  jusqu'à 
l'apport  des  époux ,  consistant  quelquefois  en  douze 
sols  de  numéraire,  deux  ou  trois  moutons  et  des 
effets  mobiliers  de  peu  de  valeur,  qu'ils  se  laissent 
au  dernier  survivant. 

Sur  d'autres  feuilles ,  on  trouve  des  individus  cités 
à  comparaître  devant  des  curés  de  la  juridiction, 
par  suite  de  querelles  ou  de  rixes  dans  lesquelles  ils 
figurent  comme  acteurs  ou  témoins.  Ainsi,  Isambart 
Etienne,  et  Robert  Petit,  de  la  paroisse  de  Blosse- 
ville ,  s'étant  battus,  sont  semons  devant  M.  le 
curé  de  Veules.  11  en  est  de  même  à  l'égard  de 
Philippe  Dyel,  dit  Grumet,  écuyer  de  la  paroisse 
du  Mesnil ,    qui   avait  battu  et  féru  sur  la  tête 


(a76) 

Prosper  de  la  Rue ,  de  la  paroisse  de  Saint-Martin 
de  Veules. 

Ce  registre  fait  aussi  mention  des  personnes  trou- 
vées mortes  sur  les  grèves  :  rofficialité  décide  que 
Joly  Dumouchel,  recueilli  sur  le  hdble  de  Fécamp, 
et  n'ayant  contre  lui  aucune  sentence  d'excommuni- 
cation, sera  inhumé  à  Saint-Nicolas ,  et  mis  en  lerre 
bénite. 

Les  testaments  faits  à  l'église  de  Fécamp  sont 
aussi  enregistrés  dans  le  même  recueil  ;  nous  citerons , 
entr'autres,  celui  de  Robin  Drouot,  qui  lègue  au 
monastère  i6  sols  de  rente ,  déduction  faite  des  droits 
du  fisc.  On  remarque ,  presqu'à  la  suite  de  cette 
pièce  j  un  mémoire  de  réparations  faites  aux  plan- 
chers et  aux  bancs  de  la  cohue  ^ 

Les  sentences  de  TofScialité  sont  brèves  et  expé- 
ditives ,  et  presque  toutes  calquées  sur  cette  formule  : 
a  Telle  cause  ayant  été  portée  devant  l'officialité 
«  de  Fécamp  ,  le  promoteur  de  la  Cour ,  après  en 
«  avoir  pris  connaissance ,  condamne  la  partie  citée 
a  à  payer  telle  somme.  «  11  y  a  de  nombreuses  affaires 
qui  entraînent  la  peine  d'excommunication  ,  surtout 
contre  des  clercs  et  des  gens  d'église. 

Les  crimes  ou  délits  qui  avaient  quelque  gravité 
appartenaient  à  la  juridiction  temporelle  et  se  trou- 


*  On  appelait  Cohue  la  salle  d'audience  ;  elle  portait  ce  nom  à 
cause  du  bruit  qu'y  faisaient  les  plaideurs. 


(  ^77  ) 

vaient  dévolus  au  jugement  du  bailli  ou  du  sénéchal. 
C'était  pour  les  réprimer  que  s  élevait  l'échafaud  sur 
les  places  publiques. 

L'échafaud  du  moyen-âge  se  voyait,  à  Fécamp, 
dans  l'enceinte  du  marché  actuel ,  et  portait  le  nom 
de  pilori.  Le  pilori  était  une  grosse  masse  de  bois 
qui  tournait  sur  un  des  bouts  de  Téchafaud  ;  on  y 
attachait  les  criminels  par  les  pieds  et  par  les  mains , 
et  on  leur  faisait  faire  un  certain  nombre  de  tours , 
pour  les  montrer  au  peuple  y  que  ce  spectacle  a  tou- 
jours eu  le  privilège  d'attirer.  Cette  punition  était 
infamante,  comme  l'est,  de  nos  jours,  l'exposition 
sur  la  place  publique. 

Lorsque  le  crime  commis  entraînait  la  peine  capi- 
tale ,  le  patient  était  conduit  du  pilori  à  la  potence  , 
dressée  sous  la  côte  de  Fécamp ,  près  de  la  source 
qui  porte  encore  à  présent  le  nom  de  Fontaine  du 
Gibet.  Dans  quelques  circonstances  même ,  quand 
on  avait  besoin  d'effrayer  la  multitude  par  un  spec- 
tacle qui  frappât  son  imagination ,  la  tête  du  cou- 
pable était  séparée  du  tronc ,  et  placée  sur  un  étem" 
perche  y  à  la  porte  du  marché,  et  l'on  cramponnait 
son  corps  à  un  crochet  de  fer,  dans  l'endroit  le  plus 
fréquenté  de  la  ville. 

Le  pilori  paraît  avoir  joué  un  grand  rôle  sous  la 
domination  anglaise.  L'ancienne  machine  étant  tom- 
bée de  vétusté ,  on  fut  obligé  de  la  faire  relever ,  et 
nous  trouvons,  sur  les  comptes  de  l'abbaye,  une 


(  ^78  } 

somtile  accordée  (c  pour  la  réparation  du  pilori  de 
«  Fécamp,  qui  cheu  étoit;  lequel,  par  ordonnance 
<c  de  justice,  fut  réparé  et  mis  susj  pour  tourner  et 
ce  mettre  deux  femmes  j  qui ,  pour  leurs  démérites , 
ce  y  furent  condamnées ,  es  assises  dudit  lieu  de 
«  Fécamp.  » 

Raoul  De  la  Marre ,  forestier ,  délivre  le  bois  né- 
cessaire à  cette  réparation ,  et  le  prend  dans  la  foret 
des  Hogues. 

«  A  Jehan  Houel ,  maréchal ,  pour  la  peine  d'avoir 
(c  fait  le  piton  de  l'arbre  dudit  pilori ,  l'enej  (l'anneau) 
<c  de  la  platine  dudit  piton,  et  l'enclume  sur  quoi  il 
«  tourne. 

a  Pour  vin  donné  aux  ouvriers  et  aux  gens  qui 
«  aidèrent  à  redresser  ledit  pilori ,  par  force ,  où 
«  étoit  présent  le  maître  des  œuvres  de  carpenterie 
«  de  l'abbaye.  » 

Le  maître  des  œuvres  ,  ou  bourreau  de  la  haute 
justice  de  Fécamp  ,  était  alors  maître  Rogon  ;  il  lui 
est  alloué,  dans  le  même  compte,  12  s.  6  d.,  pour 
avoir  tourné  icelles  femmes ,  par  un  jour  de  marché^ 
au  pilori^  et  les  autres  gens  de  justice  touchent  3  s. 
I  den.  pour  ladite  exécution. 

Jehan  Le  Febvre  ,  sergent  de  l'épée,  à  Vittefleur, 
reçoit  aussi  une  gratification  de  i  s  s.  Ô  d. ,  pour  sa 
ce  peine  et  salaire  d'avoir  poursuy  deux  femmes  à 
«  Saint- Valery^ès-Plains,  qui  pour  larrechins  étoient 
(f  accusées,  et  icelles  avoir  anfenées  dudit  lieu  es  pri- 


(  ^79  ) 

et  sons  de  Fécamp ,  en  quoy  il  vacqua  par  deux 
«  jours  j  lui  troisième  en  sa  compagnie.  • 

Jehan  Le  Febvre  et  maître  Rogon  eurent  des 
fonctions  fort  actives  pendant  cette  époque  où  les 
brigands ,  comme  le  pouvoir  d'alors  les  appelait , 
parcouraient  en  tout  sens  les  campagnes.  Ce  nom 
seul  eut  le  privilège  de  faire  bien  des  victimes ,  car 
nous  savons  que  les  oppresseurs  de  la  Normandie 
le  donnaient  à  tous  les  Français  de  cœur  et  d*indé-* 
pendance ,  qui  préféraient  mourir  les  armes  à  la 
main  ,  en  défendant  leur  pays,  que  de  se  soumettre 
au  joug  abhorré  des  conquérants. 

Les  juridictions  diverses  qui  couvraient  la  France 
donnaient  journellement  lieu  à  une  foule  de  discus-* 
sionSy  dont  l'attribution  de  compétence  était  Tobjet. 

Ainsi  y  comme  nous  l'avons  remarqué ,  il  fallut 
une  décision  royale  pour  faire  rendre ,  à  l'offiicialité 
de  Fécamp  y  des  faux  monnayeurs  de  sa  juridiction , 
que  retenait  le  bailli  de  Caux. 

Les  clercs  de  Montivilliers  avaient  mis  en  prison 
un  clerc  de  Fécamp,  accusé  d'avoir  proféré  des  in- 
jures ;  son  procès  ne  pouvait  être  fait  que  par  l'of- 
ficial  dont  il  dépendait.  Les  élus  de  Montivilliers 
ne  voulant  pas  rendre  leur  prisonnier ,  l'abbé  de 
Fécamp  s'adressa  au  roi  et  obtint  des  lettres  patentes 
par  lesquelles  cette  restitution  fut  ordonnée .,  pour 
consewer  intacts  les  droites ,  usages ,  libertés  et 
franchises  du  monastère  de  Fécamp^ 


(  aSo  ) 

Des  difficultés  plus  graves  étaient  souvent  remises 
au  jugement  de  l'autorité  supérieure ,  lorsque  les 
casuistes  intervenaient  avec  leur  code  et  réclamaient, 
pour  leur  tribunal,  des  prévenus  que  la  loi  civile 
atteignait.  Ce  code  était ,  du  reste,  à  Tusage  des  deux 
autorités ,  selon  qu'il  servait  leur  haine ,  leurs  pas- 
sions ou  leur  politique. 

Voici  un  exemple  de  ces  positions  embarrassantes 
dont  on  ne  sortit  que  par  l'entremise  dç  Tabbé 
de  Fécamp ,  en  sa  qualité  de  membre  du  conseil  de 
Farchevêque  de  Rouen. 

Un  nommé  Jehan  Dandin ,  épicier  à  Rouen ,  avait 
été  mis  dans  les  prisons  de  cette  ville  pour  avoir  fait 
chevaucher  V âne ,  c'est-à-dire  pour  s'être  promené 
assis,  à  reculons  ,  sur  un  âne,  et  avoir  ainsi  ameuté 
la  foule  devant  la  porte  d'une  de  ses  voisines ,  accu- 
sée, dans  le  quartier,  de  battre  habituellement  son 
mari. 

La  plaisanterie  de  Jehan  Dandin  avait ,  certes ,  un 
but  très  moral;  mais  les  Anglais,  qui  craignaient 
toujours  des  soulèvements,  et  ne  souffraient,  sous 
aucun  prétexte,  qu'on  s'avisât  d'ameuter  la  foule, 
commencèrent  par  le  mettre  en  prison. 

Le  tribunal  ecclésiastique  somma  tout  aussitôt  le 
procureur  du  roi  de  lai  rendre  ledit  Dandin ,  pré- 
tendant qu'il  était  clerc,  portant  habit  et  tonsure. 

Les  Anglais,  qui  voulaient  la  punition  du  cou- 
pable ,  et  ne  pouvaient  rien  opposer  à  cet  argument 


(a8i  ) 

conforme  aux  lois  de  l'époque,  trouvèrent,  dans 
le  Code  ecclésiastique  même ,  un  prétexte  pour  le 
retenir. 

<  Nonobstant ,  disait  leur  sénéchal ,  que  icelui 
<x  Dandin  ait  eu  couronne,  et  que,  au  temps  de  sa 
a  prise,  fut  en  habit  et  tonsuré,  il  ne  devoit  jouir  du 
«  privilège  de  clerc ,  car  il  étoit  bigame  ,  vu  qu'il 
«  étoit  marié  à  une  femme ,  laquelle  avoit  été  cor- 
«  rompue  au  devant  dudit  mariage  ,  et ,  dans  brief 
«  temps  après,  avoit  eu  un  enfant  d'autre  personne 
a  que  de  son  dit  mari ,  qui  en  avoit  eu  connoissance 
«  et  avoit  pris  argent  pour  la  défloration  d'icelle.  » 

En  effet,  cette  circonstance,  prévue  par  les  ca- 
suistes ,  porte  le  nom  de  bigamie  dans  leurs  codes. 

«  Bigame  !  s'écriait  le  promoteur  de  l'église ,  Jehan 
(I  Dandin  n'est  pas  bigame  ;  car  sa  femme  étoit  une 
ic  jeune  fille  qui,  oncques,  n'avoit  été  mariée  qu'au 
ce  dit  Dandin,  qui  l'avoit  prise  créant,  comme  il  dit, 
ce  qu'elle  fust  bonne  et  vraie  pucelle  ;  et  si,  après  ledit 
(c  mariage,  elle  avoit  eu  enfant  au  devant  du  temps 
a  dû ,  ce  n'étoit  chose  qui  dut  empêcher  la  restitution 
ce  dudit  Dandin,  portant  habit  et  tonsure  '.  » 

Le  crédit  de  l'abbé  de  Fécamp  auprès  des  Anglais, 
et  son  intervention ,  comme  nous  l'avons  dit ,  ter- 
minèrent ces  graves  et  singuliers  débats  :  on  convint 
de  mettre  Dandin  en  liberté,  vu  sa  longue  captivité, 

*  Arch.  départ.  ;  cartons  de  VOff.  de  Rouen. 


(  a8a  ) 

sans  préjudice  des  droits  de  Fune  et  l'autre  juri* 
diction. 

Les  années  i434  ^t  i435  furent  marquées  par 
des  luttes  continuelles  entre  les  partisans  du  roi  de 
France  et  ceux  du  roi  d'Angleterre.  Le  maréchal 
de  Rieux  commença  par  s'emparer  de  Dieppe,  ce 
qui  consterna  les  Anglais ,  dont  les  forces  allaient 
en  diminuant  dans  le  pays  de  Caux.  L'armée  du  ma-, 
réchal^au  contraire ,  se  recruta  de  vaillants  hommes 
d'armes,  tels  que  Chabannes,  Blanchefort,  La  Hyre, 
d'Estouteville ,  et  le  célèbre  Dumarets  de  Dieppe. 
Quatre  mille  paysans  du  pays  de  Caux,  de  ceux 
auxquels  les  Anglais  donnaient  le  nom  de  brigands, 
fatigués  du  joug  tyrannique  de  l'étranger ,  se  réuni- 
rent sous  le  commandement  d'un  chef  qu'ils  avaient 
élu ,  et  vinrent  aussi  se  joindre  aux  vainquent^  de 
Dieppe  '.  Tous  promirent  au  maréchal  de  le  seconder 
de  tout  leur  pouvoir ,  s'il  voulait  marcher  contre 
les  Anglais.  La  résolution  fut  unanime ,  et  l'armée 
française  vint  camper  sur  les  hauteurs  de  Fécamp. 

En  présence  d'une  force  si  imposante  et  surtout 
si  animée  par  la  vengeance,  il  y  eut  une  déUbération, 
présidée  par  le  seigneur  de  Malleville ,  qui  avait 
remplacé  Jehan  Falstolf ,  en  qualité  de  capitaine 
de  Fécamp;  on  convint  de  remettre  la  place;  et, 
comme  l'abbé  de  Duremont  avait  mille  motifs  de 

Il  i«  — ^-^—      ^— — ^—^^^ 

*  Monstrelet ,   Chron. 


(  283  ) 

craindre  le  ressentiment  des  Français,  il  insista  [>our 
faire  ajouter  à  la  capitulation  que  les  vainqueurs 
demeureraient  paisibles  dans  la  ville  j  et  respecteraient 
les  biens  du  monastère.  La  place  fut  aussitôt  remise , 
etValmont,  les  Loges ,  Montivilliers^Harfleury  Gra- 
ville  ,  le  Bec-Crépin  j  Tancarville ,  ouvrirent  leurs 
portes  aux  victorieux  paysans  du  maréchal  de  Rieux. 
,  Les  Français  s'emparèrent  j  dans  Fécamp  ^  de 
quelques  navires  anglais  j  et  permirent  aux  étrangers 
non  militaires  y  de  se  retirer  où  bon  leur  semblerait; 
quant  aux  gens  d'armes  et  soudoyers,  il  existe  des 
lettres  du  roi  d'Angleterre. faisant  une  restitution 
d'argent  pour  le  rachat  des  personnes  qui  avaient 
été  prises  gardant  les  forts  et  Tabbaye  de  Fécamp  '• 
Jehan  d'Estouteville  fut  nommé  gouverneur  de  la 
place;  elle  ne  pouvait  tomber  en  des  mains  plus 
fidèles  M 

Les  succès  de  Farmée  française ,  dans  le  pays  de        1437. 
Gaux,  furent  de  courte  durée ,  car  les  Anglais  re- 
vinrent en  force  mettre  le  siège  devant  la  forteresse 
de  Fécamp,  qui  fut  obligée  de  se  rendre  après  trois 
mois  de  blocus  et  d'attaques  successives^. 

L'armée  ennemie  remporta  aussi  d'autres  avan- 
tages aux  environs  de  Rouen  ,  sur  un  parti  de  Fran- 


'  Archives  départementales  ;  cartons  de  Fécamp. 
^  Monstrelet ,  toI.  H  de  ses  Chroniques. 
^  Monstrelet ,  vokimc  UI ,  page  15  B. 


(  284  ) 

çais  ;  mais  la  joie  qu'elle  en  éprouva  fut.  tempérée 
par  une  nouvelle  qui  lui  était  contraire.  Fécamp 
venait  d'être  repris  par  la  garnison  qui  en  avait  été 
expulsée.  D'Estouteville  avait  paru  se  diriger  sur 
Dieppe ,  et ,  par  une  habile  contre-marche ,  était 
venu  de  nuit  se  cacher  dans  les  bois  de  Yalmont. 
Lorsque  le  gros  de  Tannée  anglaise  fut  parti ,  il  tomba 
sur  la  faible  garnison  qui  gardait  les  forts  de  Fécamp , 
et  qui  se  trouva  surprise,  car  elle  était  sans  crainte 
et  sans  défiance.  Ainsi,  les  habitants  de  la  ville ,  qui 
s'étaient  couchés  le  soir  soumis  au  roi  d'Angleterre, 
se  réveillèrent,  à  leur  grand  étonnement,  sujets  du 
roi  de  France. 

A  la  même  époque ,  Charles  Vil  faisait  son  entrée 
à  Paris  après  en  avoir  chassé  les  Anglais,  dont  le 
pouvoir  était  tout-à-fait  sur  son  déclin.  Us  avaient 
tellement  eux-mêmes  le  sentiment  de  leur  impuis- 
sance, qu'ils  provoquèrent  plusieurs  réunions  pour 
traiter  de  la  paix.  L'abbé  de  Fécamp ,  et  d'autres 
conseillers  du  Roi,  sont  mandés  à  Bayeux  pour  la 
tenue  des  états  où  doivent  s'agiter  de  grandes  ques- 
tions concernant  les  intérêts  de  l'Angleterre  ;  il 
existe  des  quittances  provenant  de  la  Chambre  des 
comptes ,  qui  établissent  que  Gilles  de  Duremont 
touchait  six  livres  par  jour  à  titre  d'indemnité  pen- 
dant ce  voyage.  L'année  suivante  ,  le  roi  d'Angle- 
terre ,  prenant  toujours  le  titre  de  roi  de  France, 
fait  savoir  à  Thomas  Leblond ,  trésorier  des  finances 


(  285  ) 

de  Normandie ,  qu'il  accorde  à  Gilles  de  Durement 
son  conseiller 9  une  pension  de  800  livres  par  an, 
pour  ses  bons  et  loyaux  services. 

Les  états  tenus  à  Bayeux  n'avancèrent  pas  beau^ 
coup^  à  ce  qu'il  paraît,  les  affaires  du  roi  d'Angle- 
terre ,  car  l'abbé  de  Fécamp  fait  immédiatement  un 
voyage  à  Calais ,  a  pour  être  et  assister  à  la  conven- 
«  tion  qui  est  ordonnée,  es  marches  dudit  lieu, 
«  pour  le  bien  de  la  paix  générale.  »  Nous  croyons 
devoir  donner  l'itinéraire  de  ce  voyage ,  qui  a  duré 
33  jours,  et  y  joindre  la  note  des  dépenses  qu'il  a 
occasionnées. 

«  Payé,  dit  Gilles  deDuremont,  i5  liv.  11  sous 
«  6  den. ,  à  un  guide  pour  nous  avoir  convoyé  au- 
«  dit  lieu  de  Calais,  depuis  Giberoy  jusqu'à  Poix.  » 
«  16  liv.  6  den. ,  à  deux  poursuivants  de  M.  le 
«  comte  de  Ligni ,  qui  nous  convoyèrent  de  Rouen 
«  jusqu'à  Séquigny.  » 

«  39  liv. ,  à  deux  poursuivants  d'Abbeville ,  qui 
«  nous  convoyèrent,  à  notre  retour,  dudit  lieu 
«  d'Abbeville  jusqu'à  Neufchâtel-de-Lincourt.  » 

«  7  liv.  10  sous,  à  trois  hommes  d'armes  et  à 
«  dix  archers,  de  la  garnison  de  Neufchâtel,  qui 
«  nous  convoyèrent  jusqu'à  Rouen  '.  » 

On  voit  quelle  était,  à  cette  époque,  la  manière 


Ms.  delà  Bibliothèque  du  Roi.  Fœdera,  Conventiofùs ,  Litterœ, 


(  a86  ) 

de  voyager,  daas  le  cœur  de  la  France  j  d'un  ministre 
plénipotentiaire  et  conseiller  d'état. 

L'abbé  de  Fécamp  reçut,  l'année  suivante,  une 
preuve  de  haute  confiance  de  la  part  de  Louis  de 
Luxembourg,  qui  le  nomma  son  exécuteur  testa- 
mentaire. Gilles  de  Duremont  et  Tévêque  de  Meaux 
furent  chargés  de  distribuer,  à  leur  volonté,  les 
biens  dont  le  prélat  n'aurait  pas  disposé  à  sa  mort; 
il  est  probable  qu'il  en  revint  quelque  chose  au  mo- 
nastère de  Fécamp.  L'église  de  Rouen,  elle,  ne  re- 
cueillit qu'un  bréviaire  de  la  succession  de  son  ar- 
chevêque. 

En  remettant  son  testament  à  Gilles  de  Duremont, 
Louis  de  Luxembourg  y  joignit  la  nomination  de  cet 
abbé  au  poste  d'évêque  de  Coutances,  qu'il  venait 
d'obtenir  du  roi  d'Angleterre.  Philibert  de  Montjeu, 
son  prédécesseur,  était  un  des  juges  de  Jeanne  d'Arc, 
qui  avaient  hautement  désapprouvé  sa  condamna- 
tion; il  avait  quitté  son  siège,  depuis  quelques 
années,  pour  se  retirer  à  Prague,  où  il  venait  de 
mourir.  Gilles  de  Duremont,  plus  souple  et  plus 
dévoué  à  l'Angleterrre ,  devait  remplacer  l'évêque, 
qui  n'avait  pas  montré  la  même  condescendance  à 
l'étranger. 

L'armée  anglaise,  conduite  par  le  duc  de  Som- 
merset,  se  présenta  de  nouveau  devant  Harfleur, 
en  1 44o  ;  la  ville  fut  obligée  de  se  rendre,  n'ayant  pas 
été  suffisamment  secourue  ;  il  est  probable  que  Fé- 


(  a87  ) 

camp  subit  le  même  sort ,  puisque  nous  le  trouvons 
occupé,  à  la  même  époque,  par  les  Anglais. 

Ieâjx  de  la  Haulle  y  vingt-cinquième  abbé. 

Jean  de  la  Haulle,  troisième  du  nom,  est  élu  a5* 
abbé  de  Fécarap,  en  remplacement  de  Gilles  de 
Duremont. 

La  ville  de  Fécamp,  avons-nous  dit,  devait  être 
occupée  de  nouveau  par  les  Anglais ,  et  peut-être 
est-ce  à  cet  état  de  chose  que  le  monastère  dut  sa 
conservation;  plus  heureux  que  beaucoup  d'autres 
qui  servaient  continuellement  de  refuge  et  de  lieu 
d'étape  aux  hommes  de  guerre  et  à  leurs  chevaux , 
et  qui  avaient  fini  par  être  abandonnés;  car  les  re- 
ligieux ne  pouvaient  suffire  à  la  dépense  et  au  pillage,, 
suites  naturelles  d'un  pareil  désordre. 

Lorsque  l'abbé  Pierre  le  Boucher  revint,  en  i44if 
à  son  monastère  de  Saint-Martin  près  Pontoise,  après 
neuf  ans  de  captivité  que  lui  avaient  fait  subir  les  An- 
glais, il  n'y  trouva  «  ne  denier,  ne  maille,  ne  pain, 
•  ne  vin ,  ne  quelque  chose  au  monde  pour  vivre , 
«  ne  pour  gens ,  ne  pour  bête ,  ains  trouva  pleins  de 
«  Cens  l'église  et  le  cloître.  » 

Le  mauvais  état  des  affaires  du  roi  d'Angleterre 
amenant  journellement  des  défections  dans  son  parti, 
phisieurs  habitants  de  Fécamp  quittèrent  furtive- 
ment leurs  foyers,  pour  rejoindre  les  troupes  du  roi 


(  a88  ) 

de  France.  Trois  d'entr'eux  furent  pris  par  un  déta- 
chement d'archers  anglais,  et  conduits  à  Gaudebec, 
où  ils  furent  mis  en  jugement  et  pendus;  le  maître 
des  hautes  œuvres  de  cette  juridiction,  reçut,  pour 
son  salaire,  i8  sous  6  den.,  par  ordonnance  du 
bailli  de  Caux,  à  raison  de  5  sous  par  homme  et  de 
3  sous  6  den.,  pour  les  cordes  et  les  gants  qui 
avaient  servi  pour  faire  l'éxecution  *.  L'autorité  an- 
glaise fit  vendre  les  maisons  et  fiefs  des  fugitifs  de 
Fécamp,  et  les  acquéreurs  furent  tenus  de  payer  les 
redevances  dont  ces  biens  étaient  grevés ,  au  profit 
du  monastère. 

Durant  cette  période  du  régime  anglais ,  l'état  ma- 
tériel des  campagnes  ne  s'était  pas,  à  coup  sûr, 
amélioré  ;  la  culture  était  dans  un  tel  état  d'abandon, 
que  les  religieux  se  trouvaient  dans  la  nécessité 
de  faire  valoir  eux-mêmes  leurs  terres,  et  encore 
manquaient-ils  de  moyens  pour  recueillir  un  peu  de 
fruit  de  leur  travail.  La  race  des  bestiaux  avait 
presqu'entièrement  disparu  des  environs  de  Fécamp; 
il  était  même  difficile  de  s'y  procurer  quelques  bêtes 
de  travail ,  si  l'on  en  juge  d'après  la  lettre  ou  cédule 
suivante ,  adressée  par  l'abbé  Jean ,  à  Raoul  le  Da- 
nois ,  prêtre  et  receveur  des  deniers  de  Quétehou  : 

«  Cher  et  bon  aipi ,  nous  vous  mandons  expressé- 
«  ment  que  vous  envoyez,  par  Jehan  Sommerset, 

*  Mss.  de  la  Bibl.  roy.  ;  cartons  de  Caudebec, 


«  anglais,  porteur  de  cette  cédule,  cinq  bons  ani- 
«  maulx  pour  tirer  à  la  cherrue,  de  trois  ans  ou  de 
«  trois  à  quatre  ans  le  plus  vieux ,  et  de  telle  sorte, 
«  comme  le  dit  Sommerset  les  saura  bien  choisir  y 
<  et  si  délivrer,  au  dit  Sommerset,  20  sous  tour- 
«  nois  pour  faire  ses  dépends,  et  par  nous  rendant 
«  cette  présente  cédule  avec  quittance  dudit  Som- 
«  merset,  passée  devant  un  tabellion,  nous  vous 
«  allouerons  ce  que  les  animaulx  aurons  cousté, 
«  avec  les  vingt  sous  de  susdit,  et  que  en  ce  n'ait 
«  point  de  faute,  et  vous  recebvoir  ce  que  les  ani- 
«  maulx,  de  susdit,  auront  cousté ,  sur  écrit  quit- 
ta tancé  de  vous  ' .  » 

L'occupation  anglaise  dura  encore  plusieurs  an- 
nées à  Fécamp ,  et  tout  porte  à  croire  qu'elle  com- 
mençait à  peser  aux  habitants,  car  les  soudoyers 
qui  gardaient  la  forteresse  étant  en  petit  nombre, 
on  en  donna  secrètement  avis  aux  Français  de  la  gar- 
nison de  Dieppe;  ceux-ci  firent  marcher  aussitôt,  sous 
la  conduite  du  célèbre  Dumarets ,  cinq  compagnies 
bourgeoises  qui  s'emparèrent ,  par  escalade ,  des  forts 
de  Fécamp ,  firent  prisonniers  les  Anglais  qui  avaient 
mission  de  les  garder.  Peu  d'heures  après  cette  sur- 
prise ,  on  vit  entrer  dans  le  port  un  fort  navire ,  ve- 
nant d'Angleterre,  et  portant  quatre-vingt-dix-sept 


>  Archives  dëp.  ;  carions  de  Fécamp, 


(  ago  ) 

Anglais  envoyés  pour  renforcer  la  garnison  de  .Fé- 
camp.  Comme  ces  nouveaux  venus  ignoraient  com- 
plètement ce  qui  venait  d'arriver,  les  habitants  se 
gardèrent  bien  de  les  instruire,  et  les  laissèrent 
librement  débarquer  et  entrer  dans  la  forteresse. 
Qu'on  juge  de  leur  étonnement,  quand  ils  ne  re- 
trouvèrent plus  leurs  compatriotes  9  et  qu'ils  sévirent, 
au  contraire ,  prisonniers  des  Français  ! 

Toutes  les  villes  fortifiées  de  la  Basse-Normandie 
furent  successivement  reprises  à  cette  époque.  Rouen 
même  fut  obligé  de  capituler,  et  la  chute  de  cette 
place  entraîna  la  reddition  de  Caudebec,  Tancar^ 
ville  et  Montivilliers.  La  garnison  d'Harfleur,  seule, 
ne  voulait  pas  se  rendre;  Charles  VII  fit  avancer 
son  armée  devant  cette  ville,  et  profita  de  quelques 
jours  de  loisirs  pour  visiter  Montivilliers,  Fécamp  et 
Valmont ,  et  pourvoir  à  la  nomination  de  comman- 
dants pour  ces  trois  places. 

Ainsi  se  termina  ce  drame  de  trente  années ,  fruit 
amer  des  discordes  civiles  de  nos  pères;  il  n'y  a  pas, 
dans  le  pays  de  Caux  et  dans  toute  la  Normandie , 
un  habitant  des  campagnes  qui  ne  vous  rapporte  un 
fait  appartenant  à  l'époque  anglaise;  on  ne  rencontre 
pas  un  campabondonné,  une  vieille  tour,  un  retran- 
chement quelconque,  qu'il  ne  l'attribue  aiix  Anglais, 
tant  les  maux  que  rappellent  ces  restes  sont  encore 
présents  à  l'imagination  de  tous. 

Ce  fut  une  erreur  de  croire  à  la  possibilité  de  réu- 


(  ^9ï  ) 

nir  ces  deux  races  dans  un  intérêt  commun  ;  aucun 
-Normand  de  quelque  valeur  ne  put  jamais  s'habi- 
tuer à  voir  s'établir  à  son  foyer,  à  titre  de  conqué- 
rant, les  fils  de  ces  anciens  Anglo-Saxons  que  ses 
pères  avaient  vaincus  et  dépouillés;  et  ceux-ci,  s'aper- 
cevant  de  la  haine  qu'on  leur  portait,  la  rendaient 
de  tout  cœur  aux  Normands;  c'était  une  inimitié  ré- 
ciproque que  le  temps  n'a  pas  adoucie,  et  qui ,  pro- 
bablement, n'aura  d'autre  terme  que  le  terme  du 
monde. 

Les  Anglais  tentèrent  quelques  améliorations  ad- 
ministratives, et  rien  ne  leur  réussit,  parce  qu'ils 
étaient  étrangers,  et  qu'à  ce  titre  leurs  actes  n'ins- 
piraient que  défiance  et  mépris.  Ils  ne  furent  pas 
plus  heureux  du  coté  de  l'agriculture,  qui  était 
presqu'entièrement  négligée   et  subvenait  à  peine 
aux  besoins  du  moment;  ils  implantèrent,  cependant, 
sur  beaucoup  de  points  de  la  Normandie,  une  grande 
quantité  de  vignes ,  qu'ils  firent  venir  de  l'Aquitaine, 
et  le  petit  vin  blanc  d'Argences,  connu  sous  le  nom 
de  vin  Huetj  dont  les  moines  de  Fécamp  faisaient 
une  abondante  récolte,  n'avait  pas  une  autre  origine. 
On  vit  donc,  avec  la  plus  grande  joie,  les  étran- 
gers quitter  nos  villes  et  nos  campagnes;  le  peuple 
resta  impassible  et  froid ,  et  ne  se  porta  ^  contr'eux , 
à  aucun  excès;  mais  sa  malédiction  les  accompagna 
jusque  sur  leurs  vaisseaux  ;  et ,  de  cette  attitude  éner- 
gique et  calme ,  les  Anglais  durent  tirer  la  conséquence 


(  ^9^  ) 

que  c'ea  était  fait  de  leur  domination  en  Norman- 
die, et  qu'aucun  d'eux  n'en  foulerait  désormais  le 
^o\ ,  que  comme  hôte  ou  prisonnier. 


■  ■MW 


FEGAMP 
jusqu'aux  premiers  troubles  pour  la.  religion. 

Immédiatement  après  l'expulsion  des  étrangers , 
Jehan  de  la  Haulle  fut  appelé  à  Rouen ,  pour  prêter 
serment  de  fidélité  à  Charles  VII  ;  il  obtint  de  ce 
prince ,  par  un  acte  daté  du  Montbason ,  du  sel  en 
franchise  pour  les  habitants  de  Fécamp,  à  raison 
des  maux  que  la  guerre  avait  occasionnés  à  leur 
ville  ;  il  en  fut  accordé  deux  muids  par  an  pour 
l'usage  du  monastère  ' . 
1453.  I^es  églises  de  Fécamp  et  des  environs  y  ayant 

beaucoup  souffert  de  la  présence  des  Anglais,  le 
pape  ordonna  une  levée  de  décimes  pour  les  faire 
réparer.  Des  particuliers  s'empressèrent  de  concourir 
à  cette  œuvre  de  piété ,  aussitôt  que  les  temps 
furent  devenus  meilleurs  :  maître  Jehan  Bénard  , 
prêtre  ,  donna  à  l'église  de  Sainte-Croix,  une  partie 
du  clos  de  la  Couture ,  assis  sur  les  paroisses  de 
Sainte-Croix  et  de  Saint-Etienne  ;  et  Jérôme  Gosse 


CoUection  Brequigni ,  ms.  de  la  Bibliothèque  du  Roi. 


offrît,  à  réglise  dé  Saint-Ouen,  une  maison  et  un 
jardin  ,  situés  dans  cette  paroisse  ,  le  long  du  cours 
de  la  Voûte. 

D'un  autre  côté,  l'abbé  acheta,  moyennant  vingt 
sols  de  rente ,  une  masure  située  sur  les  fossés  du 
fort,  laquelle  appartenait  auT^  sieur  de  Bérigny,  au 
droit  de  sa  femme,  fille  de  Nicolas  Maufils,  qui  en 
avait  précédemment  fait  l'acquisition  ^ 

Guillaume  d'Estoute ville ,  fils  de  l'ancien  gouver- 
neur de  Fécamp ,  fut  nommé  cardinal  et  archevêque 
de  Rouen  ;  c'est  en  cette  dernière  qualité  qu'il  vint  à 
Fécamp,  et  qu'il  fut  reçu  avec  distinction  dans  cette 
place  ,  défendue  par  ses  ancêtres  avec  tant  de 
gloire  et  de  persévérance;  en  quittant  ce  monas- 
tère, il  remit  aux  moines  un  acte  par  lequel  il  les 
reconnaissait  exempts  de  sa  juridiction. 

Un  événement  imprévu  vint  de  nouveau  porter  1460. 
la  désolation  parmi  les  religieux  :  au  moment  où 
ils  s'occupaient  de  remédier  aux  désastres  passés , 
un  orage ,  formé  dans  le  nord-ouest  * ,  traversa  la 
mer,  s'étendit  sur  Fécamp,  et  la  foudre,  éclatant 
sur  le  clocher  de  l'abbaye  ,  le  mit  tout  en  feu.  La 
tour ,  à  cette  époque ,  était  surmontée  d'une  flèche 
en  bois  ,  qui  s'embrasa  tellement,  que  les  cloches  en 
furent  fondues  et  réduites  en  un  bloc  de  métal. 


'  Arch.  départ.  ;  cartons  de  Pécamp, 
*  Chron.  de  Monstrelet  ;  Trésor  de  Pécamp  ,  ms 


(  a94  ) 

Des  troubles  survinrent  l'année  suivante  en  An- 
gleterre ,  entre  les  partisans  de  Henri  VI  et  du 
prince  Edouard  y  qui  prétendait  au  trône  ;  Charles  Vil 
permit  aux  Anglais  y  du  parti  de  Henri ,  de  s'établir 
en  France.  Op  revit ,  alors  y  à  Fécamp ,  plusieurs 
familles  étran^res  qui  avaient  habité  cette  ville  du- 
rant Foccupation. 

Charles  VII  mourut  en  i46i ,  et  Louis  XI J  qui 
lui  succédait  j  appela  presque  immédiatement  Jehan 
de  la  HauUe  dans  ses  conseils.  Cet  abbé ,  après  avoir 
assisté  aux  funérailles  du  roi  défunt ,  revint  à  Fé* 
camp,  où  il  s'occupa  de  la  reconstruction  du  clo- 
cher  de  l'abbaye  et  de  diverses  réparations  indis- 
pensables. 

Le  gouvernement  des  Anglais  ayant  été  tout-à- 
fait  militaire  y  le  despotisme  avait  remplacé  les  formes 
de  la  justice ,  dont  le  sanctuaire  même  avait  été 
envahi  :  la  grande  pièce  où  se  tenait  la  Cohue ,  ou 
Tribunal  de  l'abbé ,  ayant  servi  d'écurie ,  sous  le 
régime  de  la  conquête ,  les  bancs,  la  table  ,  et 
jusqu'au  siège  du  juge,  tout  avait  été  irrévéren- 
cieusement arsy  sans  respect  pour  vénérable  et 
discrète  personne  messire  Heldos,  officiai  de  Fé- 
camp. 

Un  jour  de  l'année  1462,  il  fut  publié  à  son  de 
trompe  ,  dans  toutes  les  rues  de  la  ville  ,  que  mon- 
seigneur l'abbé  avait  une  communication  essentielle 
à  faire  aux  habitants ,  manants  ,  et  à  tous  les  justi- 


(»95) 

ciables  du  monastère  ;  le  peuple  se  réunit  dans  ta 
grande  salle  où  se  tenaient  les  plaids ,  et  maître 
Robert  Heldos  j  officiai ,  entra  en  séance  ,  accom- 
pagné de  maître  Nicolas  Pintel  y  prieur  claustral  , 
de  maître  Richard  Hobe ,  curé  d'Argences ,  de 
Jehan  Désert ,  chantre ,  et  autres  personnages ,  prê- 
tres ^  notaires,  tabellions ,  témoins  publics,  sommés 
d'être  présents. 

Là,  en  présence  d'un  nombreux  auditoire,  et 
après  avoir  réclamé  le  plus  profond  silence ,  maître 
Robert  Heldos  fit  lecture  d'un  règlement  concer- 
nant les  formes  à  suivre  dans  les  procédures.  I^'ana- 
lyse  de  cette  pièce  donnera  une  idée  des  abus  qui 
régnaient  alors  dans  la  haute  justice  abbatiale  de 
Fécamp. 

D'abord,  dans  son  préambule,  l'abbé  se  plaint 
des  entraves  que  les  avocats  apportent  dans  les 
affaires ,  pour  les  prolonger  au-delà  des  bonies  ;  il 
se  propose ,  à  ce  sujet ,  d'imposer  un  frein  salu- 
taire à  la  fureur  des  procès ,  souvent  éternisés  par 
l'incurie  des  postulants  et  la  rapacité  de  leurs  conseils. 

Les  citations  seront  remises  en  ville  et  dans  la 
banlieue,  par  l'appariteur  de  la  cour,  et,  au-delà 
de  la  banlieue ,  par  les  curés  des  villages  soumis  à 
la  juridiction  de  l'abbaye.  ^ 

Les  citations  devront  être  remises ,  à  la  personne 
appelée,  sept  heures  avant  le  jugement,  si  elle  de- 
meure en  ville  ;  on  aura  deux  jours  ,81  elle  est  éloi- 


(!»96) 

giiée  de  cinq  lieues;  quatre  jours,  pour  dix  lieues; 
ainsi  de  suite  ,  selon  les  distances. 

A  neuf  heures  du  matin,  l'official  doit  être  sur 
son  siège  ;  et ,  si  les  personnes  citées  sont  absentes  , 
elles  seront  réputées  contumaces. 

Si  ces  contumaces  sont  des  clercs ,  leur  nom  sera 
inscrit  sur  le  registre  des  excommunications ,  à  dix 
heures  du  matin;  et,  s'ils  ne  paraissent  pas ,  ils  seront 
condamnés  à  l'amende  et  excommuniés. 

Personne  ne  pourra  être  relevé  de  l'excommuni- 
cation, s'il  ne  paie  l'amende  et  s'il  ne  demande  hum- 
blement l'absolution. 

Si  quelqu'un  des  avocats ,  des  procureurs ,  des 
notaires  ou  des  plaideurs  s'emportait  en  injures  contre 
le  juge,  il  paierait  5  sous  pour  la  première  fois, 
losous  pour  la  seconde,  i5  pour  la  troisième;  le 
tout  applicable  à  l'achat  d'un  luminaire  pour  l'église. 

Si  ce  sont  des  clercs  qui  troublent  la  juridiction 
ecclésiastique,  ils  subiront  les  peines  de  droit,  et 
l'official  pourra  les  faire  retenir  dans  les  prisons  de 
l'abbaye. 

Les  assistants  écoutèrent  ce  qui  précède  avec  un 
intérêt  qui  ne  fit  que  s'accroître,  lorsqu'on  arriva 
au  chapitre  concernant  les  procureurs ,  les  notaires 
et  les  avocats,  qui,  à  ce  qu'il  parait,  n'étaient  pas 
en  butte  à  moins  de  préventions,  dans  ce  temps-là, 
qu'ils  ne  le  sont  de  nos  jours  ;  on  en  jugera  par  les 
articles  suivants  : 


(  ^97  ) 

Le  juge  devra  ,  autant  que  possible,  abréger  les 
procédures ,  en  repoussant  les  incidents  ,  les  appel- 
lations ,  les  débats  sans  fin  des  avocats ,  des  procu- 
reurs  et  des  notaires ,  et  diminuer  la  multitude  des 
témoins. 

Il  paraît  qu'au  détriment  des  plaideurs  qui  gagnaient 
leurs  procès,  des  avocats  de  la  cour  trafiquaient  de 
faux  arrêts ,  et  délivraient  des  expéditions  donnant 
gain  de  cause  à  qui  les  payait  davantage  ;  pour  remé- 
dier à  cet  abus ,  il  est  établi,  près  la  cour,  un  notaire 
juré,  ayant  la  confiance  des  parties ,  lequel  transcrira 
tous  les  actes  relatifs  aux  jugements. 

Comme  on  avait  aussi  à  se  défier  des  hommes  de 
loi ,  qui  se  faisaient  payer  des  honoraires  excessifs , 
le  même  règlement  décide  que  les  avocats ,  tant  pour 
leur  salaire  que  pour  leur  signature  apposée  aux 
actes,  ne  pourront  élever  leurs  taxations  au-delà 
de  i8  deniers  tournois. 

Le  procureur  aura  9  deniers  par  jour,  et  le  notaire 
moitié  des  émoluments  produits  par  le  sceau  du 
tribunal. 

Enfin,  pour  recevoir  un  avocat  à  la  haute  cour 
ecclésiastique  de  Fécamp,  on  exigera  que  le  postulant 
prête  serment  d'exécuter  fidèlement  les  règlements  ; 
qu'il  les  étudie  pendant  deux  mois ,  avant  de  subir 
l'examen  de  l'official  ;  et  il  ne  sera  admis  que  s'il 
fait  preuve  de  connaissances  suffisantes. 

Après  la  lecture  de  ce  nouveau  mode  de  procédure , 


(^98) 

dont  nous  omettons  la  majeure  partie  des  articles 
qui  figureraient  avec  distinction  dans  nos  Codes 
actuels ,  l'oflBcial  déclara  la  séance  levée  ;  les  assis- 
tants se  retirèrent  pleins  d'espoir  dans  la  justice  de 
l'abbé  y  et  en  lançant  plus  d'une  épigranime  contre 
les  gens  de  loi. 

Marins  Dauphin ,  clerc  de  Séez,  maître  es  arts, 
bachelier  es  lettres  j  licencié  en  droit  canonique  j 
notaire  de  l'autorité  apostolique  y  secrétaire  de  l'abbé 
Jehan,  eut  soin  de  faire  faire  plusieurs  copies  de 
ce  nouveau  Code  y  qui  furent  affichées  dans  les  lieux 
dépendants  de  la  juridiction  du  nionastère  '. 

L'abbé  Jehan  de  la  HauUe  avait ,  ce  semble>  une 
vocation  décidée  pour  les  règlements;  car,  ïe-  i6 
mai  i463,  nous  le  voyons,  conjointement  avec  Tévê- 
que  Thomas  Bazin ,  fondateur  du  collège  de  Lisieux, 
à  Paris,  s'occuper  de  statuts  pour  l'administration 
de  ce  nouvel  établissement. 

Enfin ,  cet  abbé ,  profitant  de  la  haute  position 
qu'il  occupe  près  du  monarque,  adresse  à  Louis XI, 
tant  en  son  nom  qu'en  celui  de  ses  religieux,  une 
requête  pour  lui  demander  l'amortissement  d'une 
propriété  de  son  monastère ,  sise  à  Rouen ,  compre- 
nant une  maison  et  deux  acres  de  jardins,  bornés 
d'un  coté  par  les  murs  de  la  ville ,  et  par  la  rue  qui 
mène  de  Saint-Pierre-le-Portier  aux  Jacobins;  d'un 


'  Cartulaire  de  Fécamp. 


(  ^99  ) 

autre ,  par  l'enceinte  des  Jacobins ,  et  par  le  cime- 
tière de  Saint-Pierre-le-Portier.  Louis  XI  accorde 
cette  faveur  pour  «  subvenir ,  dit-il ,  et  aider  les 
«  moines  en  leurs  affaires^  et  afin  qu'ils  soient  toujours 
«  plus  enclins  à  prier  Dieu  pour  le  salut  et  prospérité 
n  de  nous  et  de  nos  successeurs  '.  » 

Robert  d'Estouleville  et  de  Valmont ,  prévôt  de  1465. 
Paris  du  temps  de  Charles  VII,  destitué  à  l'avé- 
nement  de  Louis  XI ,  est  réintégré  dans  ses  fonctions 
par  l'entremise  de  Jehan  de  la  Haulle.  C'est  un  des 
personnages  importants  du  roman  de  M.  Victor 
Hugo ,  sur  Notre-Dame  de  Paris.  On  est  fâché  de 
voir  Robert  d'Estouteville  occuper  un  emploi  qui  le 
soumettait  entièrement  aux  caprices  de  Louis  XI, 
et  le  rendait  l'instrument  involontaire  des  implacables 
vengeances  de  ce  roi. 

L'abbé  Jehan  dç  la  Haulle  décéda  dans  le  mois  de 
novembre  1467,  et  fut  inhumé  à  Fécamp,  devant 
le  crucifix  de  la  nef. 

Jean  Balue  ,  vingt-sixième  Abbé. 

Jean Balue ,  é vêque  d'Evreux  et  cardinal,  succéda 
à  l'abbé  De  la  Haulle;  et,  dans  le  même  temps, 
Jean  Delaitre ,  moine  de  Fécamp ,  fut  appelé  au  gou- 


Trésor  des  Chartes ,  reg.  202 ,  pièce  109. 


(  3oo  ) 

vernement  de  l'abbaye  de  Sainte- Catherine -du-> 
Mont. 

Jean  Balue,  fils  d'un  tailleur  de  Poitiers ,  était 
d'une  ignorance  peu  commune ,  mais  d'une  impu- 
dence et  d'une  audace  à  tout  entreprendre  ;  il  s'était 
élevé  aux  premières  dignités  de  l'église  j  à  force  de 
souplesses  et  de  fourberies.  Nous  le  voyons  succes- 
sivement confident,  aumônier  de  Louis  XI,  inten- 
dant de  ses  finances  «  membre  de  son  conseil  secret. 
Mous  le  trouvons  plusieurs  fois  à  l'hôtel  de  ville, 
transmettant  les  ordres  du  roi^,  et  se  faisant  ad- 
mettre ,  avec  ce  dernier ,  dans  la  confrérie  des  bour- 
geois de  Paris  ;  à  l'armée ,  il  passe  des  revues  de 
troupes ,  en  rochet  et  en  camail ,  ce  qui  fait  dire,  par 
le  comte  de  Dammartin  ,  à  Louis  XI:  «Permettez, 
«  Sire ,  que  j'aille  à  Evreux  faire  l'examen  des  clercs 
«  et  donner  des  ordres,  car  voilà  l'évêque  qui  est 
«  occupé  à  passer  en  revue  des  gens  de  guerre.  »  Il 
devint  ensuite  l'adversaire  le  plus  prononcé  de  la 
pra^gmatique-sanction,  mesure  prise  par  Charles  VII 
pour  retenir  l'argent  de  France ,  qui  passait  en  abon- 
dance dans  les  mains  du  pape. 

Les  services  rendus  à  la  cour  de  Borne,  par  Jean 
Balue ,  lui  valurent  d'être  nommé  successivement 
aux  évêché?  d'Evreux  et  d'Amiens ,  de  parvenir  au 


*  Chron,  de  Monstrelet ,  anu.  1464. 


(  Soi  ) 

cardinalat,  et  enfin  d'être  placé  à  la  tête  du  monastère 
de  Fécamp  j  qu'il  fit  administrer ,  tant  au  spirituel 
qu'au  temporel,  par  un  vicaire  général,  du  nom  de 
frère  Nicolas ,  prêtre  et  maître  en  théologie. 

L'esprit  brouillon  et  intrigant  de  Jean  Balue  l'ayant 
porté  à  trahir  son  maître,  il  fut  arrêté,  en  1469  ,  et 
retenu  prisonnier  d'État.  Ses  biens  furent  confisqués 
au  profit  du  roi,  et  son  mobilier  distribué  à  des  gens 
de  la  cour. 

ce  Sa  vaisselle  d'argent  fut  vendue ,  et  l'argent  baillé 
a  au  trésorier  des  guerres  pour  les  affaires  du  roi  ; 
oc  sa  tapisserie  fut  donnée  à  Tanneguy  Duchâtel , 
«t  gouverneur  de  Roussillon ,  et  sa  librairie  à  maître 
a  Pierre  d'Oriolles,  et  un  beau  drap  d'or,  tout  entier, 
a  contenant  vingt-quatre  aunes  et  un  quart ,  qui  bien 
ce  valoit  douze  cents  écus,  et  certaines  quantités  de 
(c  martres  zibelines ,  et  une  pièce  d'écarlate  de 
a  Florence,  furent  baillées  et  délivrées  à  M.  de  Crus- 
ce  sol;  et  ses  robes  et  uil  peu  de  ménage  furent  vendus 
<c  pour  payer  les  frais  des  officiers  et  commissaires 
a  qui  avoient  vaqué  à  faire  ledit  inventaire.  » 

.  Il  est  à  remarquer  que  ceuK  qui  se  partageaient 
ainsi  les  dépouilles  de  Jean  Balue,  étaient  précisé- 
ment les  commissaires  désignés  par  le  roi  pour 
instruire  son  procès. 

Le  monastère  de  Fécamp  était  toujours  administré 
par  un  simple  prêtre,  au  nom  de  son  abbé  titulaire , 
lorsque  Louis  XI  conçut  le  projet  de  le  faire  gou- 


(3oa) 

verner  par  un  ecclésiastique  d'un  rang  plus  élevé. 
Il  proposa 9  à  cet  effet,  au  pape,  Jean  de  Gronzalès, 
archevêque  de  Séville.  Sixte  IV ,  qui  avait  désap- 
prouvé l'airestation  du  cardinal-abbé ,  ne  se  pressant 
pas  d'accéder  aux  vœux  du  roi ,  celui-ci  écrivit 
jusqu'à  trois  fois ,  et  reçut  enfin  le  bref  qu'il  désirait, 
en  faveur  de  son  protégé^. 

Pierre  Gonzalès  prit  possession  du  monastère 
qu'on  venait  de  lui  remettre,  en  i4x6,  et  s'obligea 
de  faire  une  pension  à  l'abbé  Jean  ,  sur  les  revenus 
de  l'église  de  Siguenza.  Louis  XI ,  passant  par 
Fécamp ,  pour  se  rendre  à  Dieppe ,  se  trouva  à  l'in- 
stallation du  nouvel  abbé;  et,  pour  donner  suite  au 
plan  qu'il  avait  formé  d'affaiblir  le  pouvoir  féodal 
en  France ,  en  lui  ôtant  tous  ses  refuges  et  moyens 
de  résistance  ,  il  défendit  aux  moines  de  réparer  les 
murs  de  leur  forteresse.  Pareille  défense  fut  adressée, 
de  sa  part,  par  l'évêque  de  Bayeux,^aux  habitants 
de  Montivilliers  ' . 

Les  moines,  profitant  de  cette  royale  politique 
qui  leur  permettait  d'agrandir  leur  enceinte  aux 
dépens  de  la  forteresse ,  commencèrent  par  s'étendre 
du  côté  du  Nord  ;  ils  s'emparèrent  presqu'aussitôt 
des  fossés  du  château ,  firent  exécuter  de  grands 
mouvements  de  terre ,  tracèrent  des  jardins  qu'ils 


'  Gallia  christ, ,  tom.  II. 
*  Gall.  christ. ,  ibid. 


(  3o3  ) 

entourèrent  d'un  nouveau  mur  d'enceinte  ^  muni 
de  créneaux;  cette  muraille  existe  encore  dans  toutes 
ses  parties ,  du  côté  de  Saint-Etienne. 

En  i^'jSy  la  lèpre  faisait  toujours  ses  ravages 
dans  le  pays  de  Caux  ,  car  nous  voyons  Tofficial  de 
Fécamp  faire  admettre  un  homme  atteint  de  cette 
maladie  y  dans  la  léproserie  du  monastère. 

Le  roi  Charles  VIII  venait  de  monter  sur  le  trône 
de  France ,  à  la  place  de  Louis  XI  ;  ce  prince,  voulant 
tenir  ses  frontières  en  garde  contre  les  attaques  des 
Anglais,  donna  commission  à  son  chambellan  et 
maître  d'hôtel ,  de  visiter  et  faire  réparer  les  for- 
tifications situées  sur  le  bord  de  la  mer^  dans  le 
pays  de  Caux ,  et  de  faire  contribuer  à  cette  dé- 
pense tous  les  habitants,  jusqu'à  trois  lieues  du 
rivage;  il  en  excepta  cependant  les  gens  d'église, 
sauf  t abbaye  de  Fécamp  ,  qui  avait  des  droits  le 
long  des  côtes,  et  qui  devait,  par  conséquent,  con- 
tribuer à  raison  des  domaines  et  des  places  qu'elle 
possédait  sur  la  rive.  Charles  suivait  une  marche 
plus  prévoyante  que  son  père,  vis-à-vis  de  l'étran- 
ger ;  par  suite  des  ordres  positifs  de  ce  roi ,  la  for- 
teresse de  Fécamp  fut  réparée  et  mise  m  état  de 
défense. 

Le  service  militaire  fut ,  de  nouveau  ,  exigé  des 
hommes  de  l'abbaye ,  avec  beaucoup  d'exactitude  et 
de  sévérité  :  ainsi,  voyons-nous  plusieurs  habitants 
de  Fécamp ,  qui ,  pour  avoir  refusé  de  faire  le  guet 


1490. 


(  3o4  ) 

aux  portes  des  forts  «t  du  monastère ,  sont  condam- 
nés ,  par  l'official ,  à  payer  six  deniers  d'amende,  sur 
k  réquisition  de  Nicolas  Thibout,  sergent^ des  bour^ 
geois*. 

L'abbé  Jean  Balue  sortit  de  prison  en  1 48 1  ^  et 
rentra  dans  la  possession  des  biens  de  son  monastère; 
il  se  retira  en  Italie ,  où  il  acquit ,  par  de  nouvelles 
intrigues ,  beaucoup  de  crédit  auprès  du  saint  Siège. 
Le  pape  Sixte  IV  lui  donna  plusieurs  missions  qui 
lui  procurèrent  l'occasion  de  revoir  la  France  et  son 
abbaye.  Nommé  ensuite  évêque  d'Albano  et  de  Pre- 
nestre,  par  Innocent  VIII,  il  mourut  à  Ancône  en 
1491. 

Antoine  de  la  Haye,  vingt-septième  Abbé. 

Antoine ,  fils  de  Louis  de  Mortagne  et  de  Marie 
d'Orléans,  se  trouvait  être  proche  parent  de  Louis 
XII;  il  prêta  serment  à  Charles  VIII,  à  Lyon,  en 
1492,  étant  déjà  abbé  commendataire  de  Saint-Cor- 
neille de  Compiègne. 

Ce  fut  pendant  son  administration  que  s'éleva 
une  querelle  de  préséance  entre  les  monastères  de 
Fécamp  et  de  Saint-Ouen  de  Rouen.  Celui-ci  pré- 
tendait l'emporter  en  illustration  sur  son  compéti- 
teur^ à  cause  de  son  ancienneté  et  du  rang  de  son 

-^^■^^^^^~~——     -  ■■      ■  -  -    _-       -  -  ■  I  II  ■  Il  I  L.        ■  ■       M  -I.      -I-       _  _■ ^r 

*  Archives  dép.  ;  cartons  de  Fécamp, 


(  3o5  ) 

fondateur,  qui  était  ua  roi  des  Francs.  L'autre  fai- 
sait valoir  sa  dépendance  directe  du  Saint-Siège,  et 
la  précieuse  relique  quMl  avait  en  sa  possession.  Il  y 
eut  de  savants  mémoires  publiés  de  part  et  d'autre, 
et  l'Echiquier  de  Normandie  décida,  en  i497j  que 
l'abbé  de  Saint-Ouen  prendrait  place  au-dessus  de 
celui  de  Fécamp,  à  raison  de  la  localité  et  de  l'an- 
cienneté du  siège  '. 

Cet  arrêt  avait  indisposé  la  communauté  de  Fé- 
camp ,  et  elle  ne  laissait  passer  aucune  occasion  de  le 
faire  apercevoir  à  sa  rivale;  en  voici  une  qui  trouve 
naturellement  sa  place  ici  :  c'était  l'époque  oîi  l'on 
élevait,  avec  beaucoup  de  travaux,  l'église  actuelle 
de  Saint-Ouen;  le  pape  avait  ordonné  des  indul- 
gences générales  pour  ceux  qui  contribueraient,  de 
leur  fortune ,  à  cet  effort  gigantesque  de  la  foi  du 
moyen-âge  ;  l'Echiquier  de  Normandie  lui-même , 
pour  ménager  les  ressources,  avait  prohibé  toute 
autre  publication  d'indulgences  dans  la  ville  de 
Rouen. 

Malgré  cette  défense,  Jehan  Bourgeans,  officiai 
de  Saint-Gervais ,  permit  à  des  émissaires  de  l'ab- 
baye de  Loches  de  s'établir  dans  sa  paroisse  et  de 
distribuer  des  indulgences  pour  le  compte  de  leur 
monastère ,  où  se  faisaient  aussi  de  grands  travaux. 


•  Neustria  Pia,  —  Copie  de  cet  arrêt  existe  aux  Archives  dép. 

20 


(  3o6  ) 

Les  moines  de  Saint-Ouen ,  instruits  de  ce  fait  et 
irrités  contre  le  prieur  de  Fécamp,  déléguèrent ,  en- 
vers les  religieux  étrangers,  Robert  Le  Ber,  sergent 
à  masse  9  qui  les  trouva  logés  à  rhôtellerie  du  Signol, 
près  la  porte  Grand-Pont.  Ce  sergent  les  cita  à  comr 
paraître  devant  le  bailli  de  Rouen  j  fit  arrêt  sur  un 
cheval ,  de  poil  gris,  appartenant  à  Tun  d'eux ,  nom- 
mé Bernard  Jouhault,  et  sur  les  autres  biens  qu'ils 
pouvaient  avoir  dans  ladite  hôtellerie  '. 

Il  y  eut  dans  le  même  temps  un  contrat  d'échange 
fait  entre  l'abbé  du  Valasse  et  celui  de  Fécamp  :  le 
premier  donnait  son  hôtel  assis  sur  la  paroisse  de 
Saint-Léger  de  cette  ville,  en  échange  d'un  autre 
situé  à  Saint-Benoît,  et  nommé  l'hôtel  aux  Gosselins, 
en  exemption  de  dîme  et  de  champart.  Le  manoir 
du  Valasse ,  qui  touchait  aux  fossés  de  la  forteresse, 
devint  la  maison  du  maître  des  écoles  ;  elle  servait 
encore  au  même  usage  à  l'époque  de  la  révolution  de 
1789,  et  la  rue  voisine  a  toujours  conservé  le  nom 
de  rue  de  l'École. 

Nous  remarquons  que  les  grandes  terres  voisines 
de  Fécamp  avaient  déjà  passé  dans  beaucoup  de 
mains  depuis  la  conquête  :  une  information  des  rêve* 
nus  de  la  succession  du  comte  de  Dunois,  mentionne, 
entre  autres  biens  qui  en  faisaient  partie  : 


'  Archives  dép.  ;  cartons  de  Saint-Ouen. 


(  3o7  ) 

La  terre  et  seigueurie  de  Gaoze ville,  valant ,  pai* 
an,  tant  en  domaine  fieffé  que  non  fieffé,  27  liv.  10  s. 
^  Le  moulin  dudit  lieu  de  Ganze ville,  valant,  par 
an,  16  liv. 

Un  quart  de  fief  à  Criquetot-le-Mauconduit,  tenu 
par  le  sieur  de  Blosseville. 

Un  demi-fief,  situé  à  Ancretteville  et  à  Saint* 
Martin-aux-Buneaux ,  tenu  par  Messire  Loys  de  Fé-* 
camp^ 

Le  duc  d'Orléans,  parvenu  au  trône,  sous  le 
nom  de  Louis  XII,  en  i^gS ,  appela  presqu'aussitot 
dans  ses  conseils,  son  cousin,  Antoine  de  la  Haye; 
cet  abbé  prit  part  à  toutes  les  grandes  décisions  qui 
en  émanèrent ,  jusqu'à  l'époque  de  sa  mort  qui  eut 
lieu  en  ïSoS.  Il  venait  d'obtenir  l'abbaye  de  Saint- 
Denis,  et  les  chroniques  de  ce  monastère  disent  que 
c'était  un  personnage  d'un  très-grand  mérite  et  d'une 
éloquence  remarquable. 

AinomE  BoTER,  vingt-huitième  Abbé. 

Antoine  Boyer,  abbé  de  Saint-Ouen  en  i^g^y 
de  Saint-Georges-de-Bocherville ,  en  i^g^j  obtint 
l'abbaye  de  Fécamp  en  i5o5.  C'était  dans  ce  dernier 
monastère  qu'il  avait  fait  profession  de  l'ordre  mo-- 
nastique. 

■  -■!■  'Il  II  ■■  ■  ...  ,  „ 

» 

'  Histoire  de  Tancan'ille  ,  par  M.  A.  Devtlle;  Pièces  jnstific. 


1498. 


(  3o8  ) 

Cet  abbé ,  parent  du  cardinal  Duprat ,  eut  à  lutter, 
lors  de  son  élection ,  avec  un  concurrent  qui  lui  dis- 
puta sa  nouvelle  dignité  avec  beaucoup  de  persévé- 
rance. Les  moines,  voulant  faire  acte  d'autorité, 
avaient  élu,  pour  leur  abbé ,  à  l'unanimité  des  voix, 
moins  une,  Antoine  Le  Roux,  qui  remplissait  au- 
près d'eux  les  fonctions  d'aumônier,  et  ils  s'oppo- 
saient de  tout  leur  pouvoir  à  l'admission  de  l'abbé 
Boyer,  Télu  de  la  cour.  Les  deux  prétendants  por- 
tèrent leurs  réclamations  auprès  du  souverain  pontife, 
et  Antoine  Le  Roux  s'adressa,  en  même  temps,  à 
l'Echiquier  de  Normandie;  ses  prétentions  furent 
rejetées  par  l'une  et  l'autre  de  ces  juridictions, 
et  Antoine  Boyer  obtint  définitivement  ses  bulles  du 
pape,  au  commencement  de  Tannée  i5o6. 

Ce  ne  fut  cependant  pas  sans  une  compensation 
pour  Antoine  Le  Roux,  car  l'abbé  Boyer  se  démit, 
en  sa  faveur,  de  l'abbatiat  de  Saint-Georges.  Fut-ce 
la  réparation  d'une  injustice,  le  résultat  d'une  tran- 
saction? on  pourrait  le  présumer,  en  voyant  la  ma- 
nière dont  se  termina  ce  différent. 

Du  reste,  l'abbé  de  Fécamp  consacra  son  temps 
à  de  grands  et  utiles  travaux ,  qui  ont  rendu  son 
nom  célèbre  dans  les  annales  du  monastère. 

Ce  fut  lui  qui  fit  réédifier,  en  entier,  la  chapelle 
de  la  Vierge ,  et  qui  la  mit  dans  l'état  où  nous  la 
voyons  maintenant. 

On  lui  doit  aussi  le  maître  autel  en  marbre  blanc, 


(  3o9  ) 

couvert  de  reliefs  ^  représentant  saint  Taurin  et  sainte 
Suzanne. 

Il  fit  faire ,  à  ses  dépens ,  par  des  artistes  d'Italie  j 
rélégant  tabernacle  en  marbre  dans  lequel  est  ren- 
fermée la  relique  du  précieux  sang,  et  fit  ceindre  le 
chœur  et  fermer  les  chapelles  avec  des  balustrades 
en  pierres  sculptées. 

On  pava,  par  ses  ordres,  une  partie  de  l'église; 
on  refit  la  chaire  à  prêcher,  et  le  pupitre  auquel  on 
donna  la  forme  d'un  aigle;  il  fit  orner,  avec  élégance, 
les  églises  de  Sainte-Croix,  de  Saint-Léonard  et  de 
Saint-Nicolas,  et  commença  à  réédifier  l'église  de 
Saint-Etienne,  que  son  départ  empêcha  de  terminer, 
d*après  les  plans  qu'il  avait  arrêtés.  Il  n'y  eut  de  fi- 
ni que  la  tour,  les  deux  branches  latérales  de  la 
croix  et  l'élégante  façade ,  au  style  transitoire  du  go- 
thique à  la  renaissance ,  que  l'on  remarque  en  face 
de  la  place  du  marché. 

Enfin,  l'abbé  de  Fécamp  construisit,  contre  les 
murailles  du  palais  ducal,  une  maison  abbatiale, 
qui  s'écroula  à  la  fin  du  même  siècle  ou  au  com- 
mencement du  suivant.  Qui  croirait  qu'au  milieu  de 
tant  dé  travaux ,  l'abbé  Boyer  dirigeait  encore  ceux 
de  l'église  de  Saint-Ouen  de  Rouen  ? 

Aussi  bon  diplomate  qu'administrateur  intelligent 
et  zélé,  nous  le  voyons  employé  à  diverses  missions , 
toutes  couronnées  du  plus  grand  succès.  Ce  fut  lui 
qui  négocia  le  traité  de  paix  de  1 5 1  o ,  entre  la  France 


(  3io  ) 

et  l^\.ngleterre ,  par  lequel  il  est  stipulé  que  les  deux 
peuples  pourront  commercer  librement  entre  eux; 
il  s'occupe 9  en  même  temps,  du  sort  des  alliés  de  la 
France,  et  fait  comprendre,  dans  la  même  conven-  - 
tion,  les  marchands  de  Florence  et  de  Venise  qui 
fréquentaient  nos  villes  maritimes.  On  voit,  par  ce 
traité,  que  les  forteresses  de  Calais,  de  Ham  et  de 
Guignes  appartenaient  au  roi  d'Angleterre,  et  que 
ce  dernier  s'obligeait  de  ne  faire  aucun  armement 
contre  la  France,  dans  ces  places,  ni  dans  toutes 
celles  qui  étaient  soumises  à  sa  domination  '. 

A  la  suite  de  cette  convention,  Antoine  Boyer 
fut  nommé  archevêque  de  Bordeaux,  à  la  sollicita- 
tion de  Louise  de  Savoye,  mère  de  François  I*"^. 
Avant  de  partir,  il  loua,  à  forfait,  les  revenus  de 
l'abbaye;  et  le  fameux  Angot,  cet  armateur  de 
Dieppe,  que  ses  richesses  et  ses  flottes  ont  rendu  si 
célèbre,  devint  le  fermier  général  des  biens  du  mo- 
nastère de  Fécamp. 

Il  fut  aussi  l'auteur  de  la  transaction  qui  eut  lieu 
entre  Tabbaye  de  Fécamp  et  celle  de  Saint-Ouen  de 
Bouen ,  au  sujet  des  prétentions  respectives  de  ces 
deux  communautés ,  sur  les  droits  de  vente  du  pois- 
son qui  abordait  au  havre  de  Veulettes;  ce  revenu 
fut  cédé  à  l'abbaye  de  Fécamp,  moyennant  deux 


'  Ryiner ,  Fœdera ,  Litterœ  et  Acta  puhlica, 


(3,,  ) 

barils  de  harengs  caques  et  deux  mille  harengs  saurs , 
au  prix  de  12  liv.  de  rente  '. 

L'abbé  Antoine ,  regardé  par  Fa  postérité  comme 
un  des  plus  grands  hommes  qui  gouvernèrent  le 
monastère  de  Fécamp,  mourut  à  Bourges ,  en  i  Siq^ 
et  fut  inhumé  dans  Téglise  métropolitaine  de  cette 
ville.  Voici  l'épitaphe  qui  fut  alors  placée  sur  son 
tombeau. 

Antonius  jacet  hic  Boherius  origine  quondam 
Averna,  eloquiovir,  meritisq ne  gravis. 

A  puero  monachus  claustris  cum  pluribus  abbas 
Dignus ,  et  hac  celebri  prœsul  in  urbe  fuit. 

Tempore  non  muho  plures  sorlibus  honores. 
Cardinio  tandem  schemate  clavus  obit  *. 

Adrieit  Gouffier  de  Boissy  ,  vingt-neuvième  Abbé. 

Adrien  Gouffier  était  frère  de  Bonnivet,  grand 
amiral  de  France,  et  de  Artur  de  Gouffier,  gouver- 
neur de  François  I". 

Adrien,  n'étant  encore  qu'évêque  de  Coutances, 
fut  chargé,  par  le  roi,  de  se  rendre  au  concile  de 
Boulogne,  pour  traiter,  avec  Léon  X,  de  l'affaire 
des  élections  ecclésiastiques ,  qui  furent  entièrement 
remises  au  roi.   Il  revint   de   sa  mission  avec   la 


■  Archives  dép.  ;  cartons  de  Saint'Ouen. 

'  Archives  dép.  ;  Ckron.  mss,  des  Antiq.  de  Vabb,  deSt'Ouen. 


(    3l2     ) 

pourpre  du  cardinalat,  assista  au  mariage  de  Fran- 
çois II  et  de  Marie  Stuart ,  et  devint ,  dans  la  même 
année,  évêque  d'Albi,  grand  aumônier  de  France, 
et  abbé  de  Fécamp. 

François I"  lui  accorda ,  le  27  juin  i  Sa  i ,  des  lettres 
par  lesquelles  il  prenait  l'abbaye  de  Fécamp  sous  sa 
sauve-garde  et  protection ,  avec  f  attribution  de  ses 
causes  aux  requêtes  du  palais.  Ce  fut  cet  abbé  qui, 
le  premier,  fit  imprimer  le  bréviaire  des  religieux, 
ce  qui  diminua  considérablement  le  travail  des  co- 
pistes ' . 

£n  1622,  Michel  le  Long,  moine  de  Fécamp, 
fut  nommé  abbé  de  Bellosane ,  et.  Tannée  suivante, 
Tabbé  cardinal  de  Boissy,  mourut  et  fut  inhumé  à 
Villendreu. 

Jean,  cardinal  de  Lorraine,  trentième  abbé. 

Aussitôt  après  la  mort  d'Adrien  Gouffier,  le  car- 
dinal Jean  de  Lorraine  est  élu,  par  François  I®*", 
abbé  commendataire  Ae  Fécamp. 

Nous  ne  trouverons  désormais  aucun  acte  de 
haute  justice,  dans  l'officialité  de  cette  ville;  depuis 
le  règne  de  Louis  XI,  les  grands  criminels  étaient 
envoyés  à  Caudebec,  quand  ils  devaient  subir  le 
supplice  de  la  potence ,  et  à  Rouen ,  si  le  crime  en- 


•  GaU.  christ.  ^  tom.  IL 


(3i3) 

traînait  la  peine  du  feu  ou  de  la  roue;  il  ne  restait 
à  Fécamp  que  les  punitions  à  infliger  pour  simples 
vols  ou  délits  qui  seraient ,  de  nos  jours ,  du  ressort 
de  la  police  correctionelle. 

En  1 534  y  1  officiai  de  Fécamp  condamna  Jehanne 
Fiquet  a  être  exposée  et  fustigée  powr  avoir  robe 
(volé). 

L'ancien  pilori  avait  disparu  de  la  place  du  mar- 
ché, et  était  remplacé  par  une  masse  de  maçonnerie 
élevée  seulement  de  4  à  5  pieds  à  la  surface  du  soi  ; 
cet  échafaud  était  placé  dans  une  certaine  partie  de 
l'enceinte,  et  tout  le  monde,  à  Fécamp,  se  souvient 
encore  d'en  avoir  vu  les  restes  ;  on  l'avait  surmonté 
de.  plusieut*s  poutres  ,  contre  lesquelles  étaient  fixés 
les  individus  qu'on  y  exposait  pendant  quelques 
heures.  Jehanne  fut  placée  contre  l'une  de  ces 
poutres  ,  les  mains  attachées  et  la  tête  nue ,  et  on 
lui  passa  autour  du  cou  un  carcan  ou  collier  de  fer, 
qui  était  large  sur  le  devant ,  et  contraignait  ainsi 
le  patient  à  tenir  la  tête  élevée  en  regard  du  public. 

Après  deux  heures  de  honteuse  et  gênante  expo- 
sition ,  l'exécuteur  des  arrêts  de  la  haute  justice  de 
monseigneur  Fabbé  monta  sur  l'échafaud,  et  fus- 
tigea avec  de  longues  verdeltes  (  baguettes  )  la  con- 
damnée ,  qui  fut  ensuite  remise  en  liberté. 

La  note  des  frais  occasionnés  par  ce  procès 
existait  encore ,  avant  la  révolution ,  dans  les  archives 
de  l'abbaye;  elle  est  citée  par  dom  Guillaume  Fil- 


(3i4) 

liastre  ,  dans  sa  Défense  de  F  Exemption  du  monas* 
tère  de  Fécamp. 

Les  vols  avaient  été  d'abord  assez  fréquents  dans 
le  marché  de  cette  ville  ;  on  trouva  moyen  d'y  ap- 
porter remède ,  au  moyen  de  hautes  murailles  dont 
il  fut  entouré  <  aussitôt  qu'un  vol  avait  été  commis, 
on  en  prévenait  les  collecteurs  de  la  coutume,  qui 
fermaient  immédiatement  les  portes  de  l'enceinte  : 
tout  le  monde ,  sans  exception ,  était  visité  à  sa 
sortie  ;  ainsi ,  les  voleurs  n'ayant  d'autres  chances 
que  d'être  découverts  ou  d'abandonner  leurs  lar- 
cins ,  cessèrent  tout-à-fait  un  genre  d'industrie  qui 
ne  pouvait  que  leur  être  funeste  ^. 

Nous  rappellerons  ici  une  procédure  qui  eut  lieu 
contre  le  nommé  La  Grenet,  pour  arrérages  d'un 
chapon  de  rente,  dû  à  l'infirmerie,  à  cause  de  sa 
maison  nommée  k  Triperie ,  sise  en  la  paroisse  de 
Saint-Léger  *. 

L'année  suivante ,  l'official  de  Bouen  fit  un  acte 
de  juridiction  dans  la  paroisse  de  Saint-Gervais ,  dont 
le  curé  et  le  vicaire  étaient  accusés  d'avoir  fait  des 
mariages  contrairement  aux  canons  de  l'église.  Les 
religieux  de  Fécamp  protestèrent  contre  cet  empié- 
tement d'autorité  ;  l'official  de  l'archevêché,  revenant 


■  Notes  mss.  sur  Fécarap. 

•  ArchÎTes  dép.  ;  cartons  de  Fécamp. 


(  3i5) 

à  la  charge ,  fit  mettre  en  prison  le  vicaire  de  Saint- 
Gervaîs,  et  fulmina  des  censures  contre  l'ofBcial 
même  de  ce  prieuré.  Le  cardinal  de  Lorraine  fut 
obligé  d'intervenir  y  en  faisant  reconnaître  les  droits 
et  les  privilèges  de  son  monastère  '. 

François  P'  ayant  perdu  toutes  ses  ressources  à 
Pavie  ,  résolut  de  mettre  sur  pied  un  corps  d'infan- 
terie ,  qu'il  forma  sur  le  modèle  des  légions  romaines; 
il  commença  par  organiser  ce  corps  en  Normandie  , 
s'y  rendit,  à  cet  effet,  en  i534 ,  et  visita  les  places 
de  Fécamp ,  de  Yalmont  et  de  Dieppe.  A  Fécamp  ,  il 
logea  au  monastère  avec  toute  sa  cour;  à  Yalmont, 
il  assista  au  mariage  de  François  de  Bourbon  , 
comte  de  Saint-Paul  y  avec  Adrienne  d'Estoule ville , 
seule  héritière  des  grands  biens  de  son  illustre  fa- 
mille. On  venait  de  reconstruire  dans  ce  château  la 
belle  galerie ,  en  style  de  la  renaissance,  à  laquelle 
on  donna  le  nom  de  François  P' ,  à  l'occasion  de  la 
présence  du  roi.  La  cour  se  rendit  de  là  à  Dieppe  , 
où  François  P'  logea  chez  le  célèbre  armateur  Angot , 
le  même  qui  était  fermier  général  des  biens  du  mo- 
nastère de  Fécamp. 

Pendant  son  séjour  à  Dieppe ,  le  roi  donna  suite  à 
ses  projets  d'organisation  militaire  ;  et  comme  il  eut 
dans  le  même  tçmps  à  traiter  quelques  affaires  rela- 


*  Défense  de  l'Exemption  de  Fécamp ,  par  dora  Filliasti*e« 


(  3.6  ) 

tives  au  duché  de  Milan  j  il  envoya  en .  mission  ,  à 
Rome,  l'abbé  de  Fécamp,  dont  il  connaissait  le 
caractère  généreux  et  le  grand  crédit  auprès  de  la 
cour  pontificale.  Pendant  que  ces  choses  se  pas- 
saient ,  le  roi  d'Angleterre  ,  Henri  VIII,  s'emparait 
du  port  de  Boulogne, 

François  P'  répondit  à  cette  attaque ,  non  provo- 
quée ,  par  une  expédition  placée  sous  les  ordres  de 
l'amiral  d'Annebaut  ;  il  fit  réunir  à  cet  effet ,  comme 
auxiliaires,  tous  les  navires  normands  qui  existaient 
dans  les  ports  de  Dieppe,  Fécamp,  le  Havre  et  Har- 
fleur,  et  cette  flotte  se  dirigea  immédiatement  sur 
les  côtes  de  l'Angleterre.  On  voit  que  la  marine 
royale  était  encore  peu  considérable  à  cette  époque. 
1549.  Henri  II,  parvenu  au  trône  après  la  mort  de  Fran- 

çois I ,  s'empressa  de  faire  un  voyage  en  Normandie. 
Il  visita  Rouen ,  Dieppe  ,  Fécamp ,  et  fut  reçu,  dans 
cette  dernière  ville,  par  le  cardinal  de  Lorraine, 
qui  lui  fit  remarquer  que  les  habitants  en  étaient  gé- 
néralement pauvres.  Le  roi  leur  accorda  le  privilège 
dejrancsaléy  consistant  en  dix  muids  de  sel,  qui 
devaient  être  distribués  annuellement  par  les  officiers 
des  greniers  royaux,  moyennant  la  somme  de  87  liv. 
10  s.  pour  tous  droits  de  gabelles  '. 

Le  même  privilège  accordait  aux  pêcheurs  autant 
de  sel  qu'ils  en  auraient  besoin ,  pour  leurs  salaisons 

'  Notes  sur  Fécamp,  i;nss.  de  1735 


(3.7) 

de  harengs,  maquereaux,  morues  et  autres  pois- 
sons, avec  liberté  de  le  faire  venir  des  marais  de  la 
Rochelle  et  de  Brouage  ;  mais  il  y  eut  immédiate- 
ment ,  entre  les  fermiers  royaux  et  les  bourgeois  de 
Fécamp ,  un  accord  par  lequel  les  premiers  s'obli- 
gèrent de  fournir  aux  autres  ,  en  temps  de  paix  ,  le 
sel  dont  ils  auraient  besoin,  à  90  liv.  le  muid,  et  en 
temps  de  guerre ,  à  210  liv. 

L'avenir  de  Fécamp  ,  comme  port  de  pèche,  était 
tout  dans  cette  ordonnance  de  Henri  II.  Il  n'y  avait 
encore  ,  dans  cette  partie  de  la  Manche,  que  la  ville 
de  Dieppe  qui  fût  en  possession  de  cette  faveur , 
et  elle  ne  vit  pas  d'un  œil  indifférent  ce  privilège 
accordé  à  une  ville  voisine ,  qui,  grâce  à  ses  intré- 
pides marins,  pouvait  l'atteindre  et  la  surpasser  même 
dans  ce  genre  d'industrie. 

Les  habitants  de  Fécamp  s'obligèrent,  lors  du 
privilège ,  de  fournir  la  moitié  des  fonds  nécessaires 
pour  l'entretien  de  leur  port  et  de  sa  jetée,  qui  était 
en  bois  ,  à  cette  époque '. 

"Nous  trouvons  ici  un  acte  passé  devant  Laurent 
Le  Baube ,  tabellion  de  la  baronnie  et  haute  justice 
de  Fécamp.  Etienne  Halingues  vend  h  Jehan  de  Cau- 
quigny ,  seigneur  de  Theuville  ,  capitaine  et  gou- 
verneur de  Fécamp ,  une  maison  voisine  de  la  Sente- 


»  Notes  sur  Fécamp,  rass.  de  1735. 


(  3.8) 

aux-Malades  j  et  du  chemin  allant  de  Saint*Léger 
au  Sépulcre.    Le  seul  témoin ,  cité  dans  cet  acte , 
est  Pierre  du  Thuit,  procureur  du  roi  au  grenier 
et  magasin  à  sel  de  Fécamp. 
55q.  Le  cardinal  Jean  de  Lorraine  mourut  en   i55o, 

et  fut  inhumé  dans  le  couvent  des  Franciscains  dé 
Nanci. 

L'abbaye  de  Fécamp  lui  était  redevable  de  plu- 
sieurs riches  offrandes  :  d'abord,  des  cloches  de 
l'horloge  et  du  feu;  puis,  d'une  autre,  qui  pesait 
ia,ooo  livres,  et  qui  avait  été  fondue  par  Antoine 
Le  Roux ,  abbé  de  Saint-Georges ,  ancien  aumônier 
de  Fécamp,  et  théologal  du  cardinal  de  Lorraine. 

Il  donna  ,  en  outre,  au  trésor,  douze  chappes  de 
velours  violet ,  deux  de  satin  rouge  ,  chargées  de 
croix  de  Lorraine,  avec  ses  armes  au  chaperon;  il 
fit  encore  d'autres  libéralités  dont  nous  nous  dis- 
penserons de  donner  le  détail  '. 

C'est  lui  qui,  le  premier,  en  sa  qualité  d'abbé 
commendataire ^  fit,  avec  ses  religieux,  pour  le  par- 
tage des  biens  de  la  communauté,  un  concordat 
qui  a  eu  force  de  loi ,  jusqu'aux  derniers  temps  de 
l'abbaye. 

C'est  ici  qu'il  convient  de  faire  remarquer  combien 
les  anciennes  institutions ,  souvent  excellentes  pour 


»  Trésor  de  Fécamp  ,  ms. 


(  3.9  ) 

l'époque  où  elles  ont  été  créées ,  ont  besoin  de  ré- 
formes ,  en  s'avançant  avec  les  siècles.  Certes ,  les 
monastères  furent  de  grandes  et  nobles  créations 
dans  un  temps  de  bouleversement  et  de  barbarie  ; 
ce  fut  dans  leurs  murs  que  les  sciences  et  les  arts , 
oubliés  et  méprisés ,  trouvèrent  un  refuge  jusqu'au 
moment  où  la  nécessité  et  le  besoin  ardent  de 
s'instruire  les  fît  rappeler  de  leur  exil.  Le  clergé 
l'égulier  possédait ,  il  est  vrai ,  d'immenses  domaines; 
mais  toutes  les  terres  étaient  en  non  valeur,  quand 
elles  lui  furent  remises ,  et  c'est  à  la  sueur  de  son 
front  qu'il  les  a  défrichées  et  forcées  à  produire  ; 
les  revenus  mêmes  qu'il  en  retirait  étaient  employés 
aux  nécessités  de  l'Etat,  à  la  création  des  établisse- 
ments de  charité  et  en  subsides  pour  toutes  les 
guerres  du  moyen-âge ,  qu'on  n'entreprenait  jamais 
sans  son  assentiment  ou  sa  participation. 

Plus  tard,  le  gouvernement  civil  étant  devenu 
indépendant  de  l'église,  on  a  eu  besoin  de  solde  pour 
entretenir  des  armées  nationales ,  de  traitements 
pour  les  hommes  qui  occupaient  les  grandes  charges 
de  la  monarchie.  Le  trésor  royal  ne  pouvant  faire 
face  à  toutes  ces  dépenses ,  on  a  jeté  les  yeux  sur 
les  biens  des  monastères  qu'on  a  trouvés  hors  de 
proportion  avec  les  besoins  de  quelques  moines  livrés 
au  culte  des  lettres  et  aux  pratiques  de  la  religion. 
Mais ,  comme  on  ne  pouvait  porter  atteinte  à  ces 
biens  sans  le  consentement  de  la  cour  de  Rome , 


(  3ao  ) 

François  I  sentit  la  nécessité  de  transiger  avec  elle, 
en  partageant  les  dépouilles  des  abbayes.  Tel  avait 
été  le  but  de  la  mission  de  l'abbé  Gouffier  :  par  la 
convention  de  Boulogne ,  on  accordait  au  pape  cer- 
tains revenus  qu'il  devait  prélever  sur  les  maisons 
religieuses ,  ou  le  rétablissement  des  annates ,  paya- 
bles à  chaque  mutation  des  abbés  ^  et  on  obtenait  ^ 
en  échange ,  du  souverain  pontife ,  le  droit  de  nommer 
aux  abbayes  ;  convention  bizarre  j  dit  un  auteur 
ecclésiastique  ,  qui  remettait  le  temporel  aux  papes 
et  le  spirituel  aux  rois. 

Dès  ce  moment  commençait  la  destruction  des 
maisons  religieuses;  les  abbayes  devinrent  le  salaire 
des  fonctionnaires  de  tous  les  ordres  de  l'Etat  :  mi- 
litaires, ambassadeurs,  chargés  d'affaires  et  gouver- 
neurs ;  tellement  que,  dans  les  remontrances  qui 
furent  faites ,  plus  tard ,  à  Henri  III ,  par  le  clergé 
de  France ,  on  voit  que  les  évêchés ,  les  abbayes  et 
les  églises  collégiales  étaient  entre  les  mains  des 
officiers  d'armée  ;  qu'on  entendait  souvent  ces  mots 
sortir  de  leurs  bouches  :  mon  évêché,  mon  abbaye, 
mes  prêtres ,  mes  moines  ;  que,  dans  près  de  huit  cents 
abbayes  auxquelles  le  roi  nommait ,  il  n'y  avait  pas 
cent  véritables  abbés  ,  et  encore  ceux-ci  prétaient-ils 
souvent  leur  nom  à  d'autres,  qui,  en  effet,  jouissaient 
du  revenu  des  bénéfices.  Les  églises  étaient  sans 
pasteurs ,  les  monastères  sans  religieux  ,  et  les  reli- 
gieux sans  discipline.  C'est  dans  cet  état  que  nous 


(  3ai  ) 

verrons  Tabbaye  de  Fécamp ,  durant  le  xvi*  siècle , 
sous  ses  abbés  commendataires  :  princes  puissants 
ou  grands  dignitaires  ecclésiastiques,  dont  elle  sera  le 
supplément  de  solde ,  pour  les  services  éminents 
qu'ils  étaient  censés  rendre  à  l'État. 

A  cette  époque  arriva  l'hérésie  de  Calvin.  Quand 
on  vit  que  les  bénéfices  ecclésiastiques  étaient  devenus 
la  proie  de  tout  le  monde,  tous  voulurent  y  arriver, 
et  ceux  que  ne  servit  pas  la  fortune ,  se  jetèrent 
naturellement  dans  la  réforme ,  qui  était  l'opposition 
de  l'époque.  De  là  deux  partis ,  dont  les  principaux 
mobiles  furent-  l'intérêt ,  l'amour  de  la  nouveauté 
et  le  désir  de  s'affranchir  de  tout  frein  religieux , 
passions  ardentes  qui,  s'emparant ''de  l'humanité, 
préparèrent  un  des  siècles  les  plus  agités  et  les  plus 
sanglants  de  notre  histoire. 


FECAMP 

PEITDANT  LES  GUERRES  DE  RELIGION. 

Charles  ,  cardinal   de   Lorraine  ,  trente  -  unième 

Abbé. 

La  maison  de  Guise  ayant  pris  un  nouvel  ascen-         iSGo. 
daut ,  après  l'expulsion  des  Anglais  de  Boulogne  , 
Charles,  cardinal  de  Lorraine,  hérita  des  titres  et 


bénéfices  de  son  oncle  Jean  ;  c'était  une  «conséquence 
nécessaire  du  nouvel  ordre  de  choses;  Charles  était 
un  prince  distingué  par  son  érudition  et  sa  fastueuse 
éloquence. 

Nous  avouerons  que,  pour  écrire  la  période  dans 
laquelle  nous  allons  entrer,  nous  n'avions  d*abord 
aucune  donnée ,  aucun  fait  qui  se  rattachât  parti- 
culièrement à  la  ville  de  Fécamp  ;  nous  l'avions  même 
traitée  d'une  manière  assez  succincte ,  bien  qu'à 
notre  grand  regret ,  lorsque  le  hasard  nous  a  fait 
découvrir  les  registres  capitulaires  de  l'abbaye ,  re- 
gistres destinés  à  recevoir  les  mystérieuses  décisions 
du  cloître,  à  vieillir  dans  la  poussièt*e  denses  ar- 
chives, en  dehors  de  tout  contact  extérieur;  re- 
cueil inconnu,  même  aux  savants  Bénédictins  qui 
ont  écrit  leurs  annales ,  et  qu'un  bouleversement 
seul  de  l'ordre  social  a  pu  faire  arriver  jusqu'en  nos 
mains  inexpérimentées  et  profanes. 

Nous  avons  extrait ,  de  cette  immense  collection , 
les  faits  qui  nous  ont  paru  se  rattacher  à  l'histoire 
politique  de  Fécamp,  aux  événements  qui  ont  atteint 
nos  devanciers  jusque  dansleurs  intérêts  les  pluschers; 
utile  enseignement  destiné  à  faire  connaître  qu'il  y  a, 
pour  tous  les  âges,  une  fatalité  qu'aucune  puissance 
humaine,  qu'aucun  enseignement  de  l'histoire  ne 
peuvent  conjurer ,  et  qu'en  admettant  la  possibilité 
d'améliorations  et  de  bien-être  inconnus ,  aucun  de 
nous  ne  voudrait,  cependant,  passer  par  les  rudes 


(  323  ) 

épreuves  qui  hérissèrent  la  vie  de    nos  pères    de 
tant  de  difficultés  et  de  périls. 

Nous  apprenons ,  par  les  registres  du  chapitre  de 
Fécamp ,  que  la  communauté  se  composait  alors  de 
soixante  religieux  y  d'un  grand  nombre  de  novices , 
et  que  tous  étaient  sous  la  direction  d'un  grand 
prieur  qui  représentait  l'abbé. 

Venaient  ensuite  d'autres  dignitaires  ou  chefs 
â'ordre,  ainsi  nommés  :  hôtellier^  célerier,  pitan* 
cier,  chambrier,  chantre,  sous-chantre ,  pannetier, 
jardinier,  aumônier,  réfecturier  et  sacristain. 

Tous  ces  dignitaires,  auxquels  on  adjoignait  quel- 
ques  anciens   religieux,  composaient  le   chapitre, 
sous  la  présidence  du  prieur  ou  d'un  sous-prieur. 
Chaque   chef  d'ordre ,  comme  l'indique  son  nom , 
avait  une  partie  de  service  à  diriger,  et  un  fonds 
spécial  pour  les  dépenses  de  son  office  ;  s'il  négligeait 
de  fournir  les  choses  nécessaires ,  on  en  faisait  rap- 
port au  chapitre,  qui  prenait  aussitôt  des  mesures, 
souvent  très  sévères,  à  son  égard.  Ainsi,  dans   une 
plainte  portée  contre  dom  RoncheroUes ,  célérier  , 
qui  ne  pouvait  fournir  le  vin  de  Tordinaire ,  nous 
voyons  que  ce  religieux  fut  cité ,  «  une  fois  ,  deux 
tf  fois ,  trois  fois ,  sous  peine  d'enfreindre  la  disci- 
tf  pline  canonique ,  de  verser ,  sous  dix  jours ,  Tar- 
ât gent  qu'il  devait  au  couvent  pour  la  nutrition  des 
«  religieux.»     * 

Dom  RoncheroUes  répondit  :  «  Qu'il  lui  était- dû. 


(  3a4  ) 

par  monseigneur  et  son  couvent,  plus  d'argent  qu'il 
n'en  devait  lui-même  ;  que ,  n'en  ayant  pas  pour 
payer  ce  qu'on  lui  demandait,  il  consentait  que 
l'on  vendit  ses  meubles ,  et  qu'on  arrêtât  sa  portion  ^ 
jusqu'à  la  concurrence  de  la  somme  réclamée.  » 

L'argenterie  du  couvent,   et  même  la  vaisselle 
d'étain ,  étaient  réunies  dans  un  coffre  et  laissées 
à  la  garde  du  trésorier;  lorsqu'on  en  délivrait  quel- 
ques pièces  pour  les  besoins  de  la  communauté ,  on 
les  retirait  du  cotTre ,   en  présence  de  témoins ,  et 
les   chefs  d'ordre  donnaient,  en  les  recevant,  un 
récépissé  qui    était   transcrit   sur  les   registres  du 
chapitre.   Ainsi,  nous  trouvons  une  distribution  dont 
il  est  fait  mention  en  ces  termes  :  «  A  dom  Robert 
«  Gtodefroy,  réfecturier,  quatre  chandeliers  d'étain, 
u  six  saUères  rondes,  deux  esguières,   six   grands 
«plats,   douze  écuelles;   le  tout   d'étain.   A  dom 
«  Philippe  de  Sarbonnelle ,  chroniquier ,  une  dou- 
«  zaine  et  demie  de  chopinettes ,  pour  mettre  le  vin 
•  et  l'eau  pour  dire  la  messe.  Et  à  maître  Roger , 
«  clerc  du  cellérier,  deux  pots  et  deux  chopinettes.  • 
L'abbé  Charles  de  Lorraine  vint  à  Fécamp  ,  peu 
de  temps  après  avoir  été  appelé  au  gouvernement 
de  ce  monastère  ;  sa  présence  fut  signalée  par  di- 
verses nominations  à  des  emplois  vacants  :  il  délivra 
des  commissions  de  bailli  et  de  sénéchal ,  pour  le 
bourg  d'Argences ,  nomma  Colin  Rémond ,  barrij'er 
et  pionnier  dix  havre  de  Fécamp  ,  espèce  d'emploi 


(  3a5  ) 

i^essembiant  assez  à  celui  de  nos  officiers  de  port  j 
et  promut  Michel  Guérout  à  la  place  de  sergent  de 
la  vicomte  de  la  mer  ;  il  s'occupa  aussi  de  l'organi- 
sation intérieure  du  monastère,  et  proposa  à  ses 
religieux  de  les  nommer  tous  chanoines ,  distinction 
qu'ils  ne  paraissent  pas  avoir  beaucoup  ambitionnée; 
car  ils  lui  répondirent  :  «  Qu'ils  étaient  les  très 
«  humbles  et  très  obéissants  serviteurs  de  monsei- 
•  gneur,  et  qu'ils  se  soumettraient  totalement  à  son 
«  bon  vouloir  et  plaisir ,  fût  de  les  faire  chanoines 
«  ou  de  les  laisser  moines  * .  «« 

D'autres  commissions  furent  délivrées,  dans  le 
même  temps ,  par  le  grand  prieur  de  l'abbaye  : 
Joseph  Bridelle  et  Pierre  Chapelain  ,  devinrent  por- 
tiers du  fort,  en  remplacement  de  Briant  et  de 
Brument ,  déçédés  ,  et  l'emploi  de  sergent  des  bois 
de  la  côte  de  Notre-Dame-du-Bourg-Baudouin  fut 
donné  à  François  Lenègre,  pour  l'exercer  tant 
qu'il  plairait  à  monseigneur  et  à  ses  vicaires. 

Le  grand  prieur  donnait  aussi  des  permissions 
pour  se  livrer  à  la  pêche  :  nous  en  trouvons  une 
conférée  à  Jehan  Lefebvre  et  à  Guillaume  Barré , 
pour  pécher  et  tirer  la  sène^  au  havre  de  Fécamp 
et  aii  bord  de  la  mer.  . 

Le  séjour  du  cardinal  de  Lorraine,  dans  cette 


*  Registres  çapitulaircs. 


(  3a6  ) 

ville,  nous  fait  connaître  un  usage  féodal  qui  exis- 
tait alors  dans  une  commune  voisine.  Cet  abbé 
étant  allé  à  Senneville ,  y  fut  reçu  par  le  seigneur 
Puchot  de  Gerponville  ,  qui ,  au  droit  de  son  fief 
d'HabievilIe ,  avait  le  privilège  de  faire  le  service 
de  la  coupe  auprès  de  Tabbé ,  et  de  conserver  le 
verre  dans  lequel  monseigneur  avait  bu. 

On  se  ressentait  encore  dans  le  cloître  ^es  dé- 
sastres occasionnés  par  l'occupation  anglaise  ,  et  les 
abbés  commendataires  n'étaient  pas  destinés  à  y 
ramener  le  bien-être  et  l'abondance  des  anciens 
temps  ;  aussi  était-on  continuellement  aux  expé- 
dients ,  et  obligé  de  recourir  même  à  l'argenterie 
du  coffre  pour  se  procurer 'de  l'argent.  «  L^  i8 
juin  i556,  dom  Guillaume  Rocque ,  trésorier, 
remit  une  certaine  quantité  de  vases  et  de  couverts 
d'argent ,  pesés  par  Guillaume  Leport ,  apothicaire , 
à  Marin  Fontaine  ,  receveur  de  l'abbaye  ,  pour 
être  vendus  et  appliqués  aux  affaires  de  ladite 
maison.  » 

Plusieurs  décisions  capitulaires  donneraient  aussi 
à  penser  qu'il  y  avait  un  grand  relâchement  dans  la 
discipline  religieuse;  on  en  jugera  par  les  recomman- 
dations souvent  adressées  aux  moines,  d'assister  aux 
offices.  Leur  indifférence  à  ce  sujet  était  tellement 
connue  ,  qu'elle  avait  donné  lieu  à  cette  plaisanterie 
de  Rabelais  :  «  A  quel  usage  ,  fait-il  dire  à  Gargan- 
«  tua ,  ces  belles  Heures  ?  —  A  l'usage  de  Fécamp , 


«  répond  le  moine,  à  trois  psaumes,  à  trois  leçons, 
«  ou  rien  du  tout  qui  ne  veut  ^  » 

En  revanche ,  on  voit  que  les  religieux  étaient 
adonnés  à  tous  les  exercices  des  séculiers ,  et  sur- 
tout au  plaisir  de  la  chasse ,  et  que  ,  malgré  les  dé- 
fenses de  leurs  supérieurs,  ils  s'y  livraient  même 
avant  que  les  récoltes  fussent  enlevées.  Des  prêtres 
de  la  juridiction  de  Tabbaye  montraient  le  même 
goût  que  les  moines  pour  cet  exercice;  car  on  re- 
marque des  permissions  délivrées  par  le  vicaire 
général,  à  Raoul  Chapel  et  à  Clément  Paumier , 
prêtres  d'Ëlétot ,  «  de  tendre  aux  allouettes  et  aux 
«  corneilles ,  en  défendant  tous  autres  oiseaux  dont 
«  la  chasse  était  prohibée.  » 

On  rencontrait  aussi  les  religieux  beaucoup  plus 
souvent  dans  les  rues  de  la  ville   et  sur  les  places 
publiques  que  dans  le  monastère ,  et  leurs  noms  se 
trouvaient  assez -indiscrètement  mêlés  à  toutes  les 
futilités  et  médisances  de  la  vie  mondaine  ;  nous  ci- 
terons, pour  exemple,  une  plainte  portée  par  le  grai- 
netier du  roi ,  au  prieur,  contre  un  de  ses  religieux, 
•  qui  prétendait  faire   information  sur  sa  vie,   et 
«  disait  plusieurs  paroles  injurieuses  dudit  grainetier, 
«  préjudiciant  à  son  honneur ,  pour  laquelle  chose 


*  Les  religieux  de  Fécamp  avaient  étendu  leurs  privilèges  jusqu'à 
se  dispenser  de  dire  leurs  Heures  ,  ou  du  moins  de  les  dire  toutes. 
{  Note  du  Ctow*»""'^''"'"*  ^^  Rabelais  ,  liv.  I ,  chap.  25.  ) 


(  3a8  ) 

u  le  prieur  lui  demande  une  plainte  écrite,  pour  faire 
«  punir  son  religieux  selon  l'exigence  du  cas.  » 

Il  y  avait  y  à  cette  époque,  à  Fécamp,  un  jardin 
botanique ,  où  des  hommes  de  l'art  cultivaient  les 
plantes  nécessaires  à  la  guérison  des  malades  ;  ceux 
qui  s'occupaient  de  ce  soin  adressèrent  la  pièce  sui- 
vante aux  religieux  :  «  Supplient  humblement  vos 
humbles  serviteurs  et  apothicaires  Nicolas  Gomes 
et  Guillaume  Leport ,  son  gendre ,  comme  ainsi 
soit  que  de  tout  temps  ledit  Gomes  se  soit  exposé , 
lui  et  sa  famille,  à  vous  servir  aux  maladies  affluentes, 
de  jour  en  jour ,  à  vos  dits  religieux ,  en  a  quasi 
consommé  la  plus  grande  partie  de  son  temps  en 
jeunesse  à  y  vaquer  de  jour  et  de  nuit.  Pour  sub- 
venir auxquelles  maladies  et  être  muni  d'herbes 
médicinales ,  il  a  par  ci-devant  loué  de  M.  l'infir- 
mier, un  jardin,  jouxte,  d'un  côté,  les  murs  du 
manoir  du  Yalasse ,  d'un  bout,  les  fossés  de  la  for- 
teresse, et  d'autre  bout,  le  chemin  tendant  de  Saint- 
Léger  à  Notre-Dame-de-Grâce.  Ces  choses  consi- 
dérées et  afin  que  lesdits  suppliants  puissent  garder 
en  famille,  de  jour  en  jour ,  le  temps  futur ,  et  soient 
plus  obligés  à  vos  personnes ,  il  vous  plaise  leur  fieffer 
ledit  jardin ,  pour  à  la  fin  dessus  dite  ;  en  faisant  pour 
chacun  an  douze  sous  six  deniers  tournois  de  rente  à 
l'office  d'infirmier ,  à  la  pitancerie  deux  pots  de  vin , 
et  à  la  chambre  de  M.  l'abbé ,  un  chapon  * .  » 

'  Registres  des  Délibérations  capitulaires  de  Fécamp. 


(  3a9  ) 

Ija  cour  s'étant  retirée  à  Blois,  le  cardinal  de 
Lorraine  ,  qui  l'accompagnait ,  fit  confirmer  le  pri- 
vilège concédé  pat*  Henri  II ,  à  la  ville  de  Fécamp , 
au  sujet  du  sel  accordé  en  franchise  aux  habitants , 
tant  pour  leur  usage  personnel  que  pour  les  besoins 
de  la  pêche.  Nous  voyons  ensuite  cet  abbé,  en  qua-* 
lité  d'archevêque  de  Rheims,  sacrer  François  II, 
obtenir  Tadministration  des  finances ,  et  se  rendre 
au  colloque  de  Poissy ,  pour  porter  la  parole ,  au 
nom  des  catholiques  ,  contre  Théodore  de  Bèze ,  qui 
représentait  le  parti  protestant  dans  cette  réunion. 

Les  nouveautés  religieuses  avaient  depuis  long- 
temps le  privilège  d'exalter  les  esprits  ,  et  journel- 
lement des  délits  se  commettaient  envers  l'abbaye 
et  les  hommes  de  sa  dépendance;  leurs  biens  étaient 
enviés,  et  les  vols  se  multipliaient  tellement,  que  les 
monitoires  et  les  excommunications  se  succédaient 
et  ne  produisaient  aucun  effet  ,  comme  tous  les 
remèdes  dont  on  abuse. 

L'intérieur  du  couvent  n'était  pas  moins  agité  ; 
les  nouvelles  idées  étaient  l'arme  des  hommes  qui 
ne  voulaient  subir  aucun  frein  religieux,  et  elles 
entretenaient,  parmi  les  moines,  une  fermentation 
tout-à-fait  contraire  à  la  discipline. 

Les  premiers  troubles  un  peu  sérieux  commen- 
cèrent après  le  massacre  de  Vassi ,  et  les  protestants , 
en  armes,  s'emparèrent  des  principales  villes  de 
Normandie.  Rouen  ,  le  Havre,  Fécamp,  furent  en- 


(  33o  ) 

levées  par  un  coup  de  main ,  et  à  l'aide  des  nouveaux 
sectaires ,  qui  se  multipliaient  dans  toutes  ces  villes. 
Les  moines  de  Fécamp  ne  furent  à  Tabri,  qu'en  te- 
nant soigneusement  fermées  les  portes  de  leur  for- 
teresse, dont  ils  étaient  les  seuls  défenseurs. 

Tous  les  jours ,  les  livres  de  Calvin  se  répandaient 
dans  Fécamp ,  et  ils  trouvaient  le  moyen  de  s'intro- 
duire jusque  dans  l'abbaye ,  par  l'entremise  des  moines 
novateurs.  Les  registres  capitulaires  sont  remplis  de 
défenses  ainsi   conçues: «Le  prieur  interdit ,  sous 
«  peine  d'inobédience ,  à  tous  les  religieux ,  de  com- 
«  muniquer  avec  ceux  qui  sont  appelés  huguenots 
«  ou  grimauts  ;  il  leur  est  également  défendu   de 
«  lire  les  libelles   vulgairement  appelés  catéchisme 
«  de  Calvin  * ,  ou  autres  livres  censurés,,  prohibés 
«  ou  interdits;  ils  devront,  sous  peine  d'excommu- 
«  nication ,  dénoncer  leurs   confrères  qui  seraient 
i<  imbus  de  faux  dogmes  contre  la  doctrine  catho- 
u  lique ,  ou  qui  répugneraient  à  croire  les  décisions 
«  des  Conciles  et  des  Pères.  «  Défense   leur  était 
faite  en  même  temps  de  se  promener  sur  les  rem- 
parts, où  leur  présence  excitait  d'humiliantes  et  dan- 
gereuses provocations. 
i56a.  Malgré  toutes  ces  précautions  ,  les  esprits  étaient 

arrivés  à  un  tel  point  d'irritation ,  que  ce  n'était , 


*  <i  Catechisnius  de  Calvin ,  ac  alios  quos  vis  libros  censura 
Dotatos.  » 


(  33i  ) 

aux  environs  de  Fécamp,  que  pillage  et  incendies, 
sur  toutes  les  propriétés  appartenant  à  l'église.  La 
ferme  des  Plantis,  située  sur  la  côte  voisine  de 
cette  ville ,  fut  exposée  la  première  à  la  fureur  de 
ces  bandes  :  «  Le  fermier  fait  savoir  à  la  communauté, 
tf  qu'une  foule  d'hommes  armés  se  sont  introduits 
"  dans  son  domicile ,  ont  outragé  et  maltraité  ses 
•  serviteurs ,  pillé  et  emporté  beaucoup  de  ses  biens, 
«  meubles,  toiles  et  laines;  de  quoi  il  est  grande- 
«  ment  incommodé ,  vu  que  ses  serviteurs  ne  veulent 
«  plus  rester  à  son  service ,  et  prie  les  religieux  de 
«  prendre  ladite  ferme  entre  leurs  mains.  »> 

Ces  premiers  actes  furent  suivis  d'autres  beaucoup 
plus  graves  :  une  troupe  de  grimauts ,  à  laquelle 
s'étaient  joints  tous  les  mauvais  sujets  des  environs, 
se  ruèrent  sur  les  églises  de  Fécamp  ;  celle  de  Saint- 
Etienne  fut  entièrement  dépouillée  de  ses  meubles 
et  objets  servant  au  culte;  presque  toutes  les  autres 
subirent  le  même  sort ,  et  Fécamp  vit  se  renouveler, 
par  les  mains  de  ses  enfants,  les  profanations  qui 
avaient  surpris  de  la  part  des  hommes  du  Nord.  Pas 
une  vitre  ne  resta  entière  à  la  plupart  de  ces  églises  ; 
des  hommes  revêtus  d'habits  sacerdotaux ,  qu'ils 
avaient  pillés ,  parcouraient  les  rues  de  la  ville  ,  en 
proférant  des  cris  de  fureur ,  entraient  dans  les  tri- 
pots, où  ils  s'enivraient,  et  payaient  leur  dépense 
avec  l'or  arraché  aux  ornements  sacrés ,  fruits  de 
leurs  audacieuses  et  sacrilèges  déprédations. 


(  33a  ) 

Le  désordre  aurait  encore  continué  long-temps , 
si  un  gentilhomme  de  la  ville ,  M.  de  Grandmont , 
n'eût  assemblé  une  partie  des  bourgeois ,  qui  s'ar- 
mèrent à  la  hâte,  pour  en  imposer  aux  perturbateurs 
et  garantir  du  pillage  et  Fabbaye  et  les  maisons  des 
particuliers  '.  Pendant  ce  temps ,  les  moines  ,  armés 
d'arquebuses  et  de  pistolets ,  faisaient  le  guet  sur  les 
remparts ,  prêts  à  repousser  ceux  qui  auraient  été 
tentés  d'attaquer  leur  maison. 

Cette  troupe  y  dissipée  pour  un  moment,  ne  ces- 
sait d'être  menaçante  ,  à  cause  des  ramifications 
qu'elle  avait  en  ville ,  et  jusque  dans  le  monastère  ; 
d^s  moines  peu  religieux  profitèrent  de  cet  état  de 
crise  pour  faire  défection  à  leur  ordre,  et  les  novices 
Octave  Desiles  et  Richard  de  Recusson ,  furent  les 
premiers  qui  déclarèrent  vouloir  renoncer  à  l'état 
ecclésiastique.  «Pourquoi  ,  demandait-on  ,  dans  le 
chapitre ,  à  ce  dernier ,  voulez-vous  maintenant 
quitter  le  monastère ,  et  ne  l'avez  pas  fait  avant 
d'avoir  prononcé  vos  vœux? — Parce  que,  répondait-il, 


'  «  M.  de  Graudmont  requit ,  quelque  temps  après ,  les  religieux 
de  lui  donner  des  lettres  pour  M.  Pabbé  ,  lui  faisant  entendre  les 
bons  services  qu'il  a^ait  rendus  à  l'abbaye  pendant  les  troubles. 
Ces  messieurs  lui  répondirent  qu'ils  reconnaissaient  ses  services , 
mais ,  craignant  d'importuner  monseigneur ,  auquel  ils  avaient 
naguère  écrit  pour  les  habitants  de  ce  lieu  ,  sur  quoi  ils  n'avaient 
pas  encore  de  réponse ,  qu'il  attendît  Farrivée  de  monseigneur.  » 
(  Registres  capitulaires.  ] 


(  333  ) 

la  vie  régulière  ne  me  convient  pas ,  que  j'ai  em- 
brassé cet  état  par  suite  des  obsessions  de  ma  famille , 
et  que  mon  père  étant  mort,  je  veux  rentrer  dans 
la  vie  séculière ,  plus  conforme  à  mes  goûts ,  et  plus 
favorable  à  ma  santé.  »  Le  monastère  perdit,  dans  le 
même  temps,  et  pour  différents  motifs,  près  de  la 
moitié  de  ses  religieux. 

I^  crainte  continuelle  d'une  surprise  fît  prendre 
au  prieur  diverses  mesures  de  sûreté ,  concernant 
les  objets  précieux  et  l'argent  que  renfermait  le  tré- 
sor; ce  fut  de  les  en  extraire,  et  de  les  donner  en 
garde  aux  moines  et  à  leurs  familles;  et  l'on  est 
tout  surpris  de  voir,  pendant  les  quatre  h  cinq  an- 
nées qui  vont  suivre,  des  sommations  faites  sans 
cesse  et  sans  résultat  pour  faire  rentrer  ces  richesses 
au  trésor. 

Dans  le  même  temps  ,  l'abbé  Charles  de  Lorraine 
faisait  réunir ,  par  son  représentant ,  une  quantité 
de  riches  reliquaires,  couverts  de  pierres  précieuses, 
une  image  de  la  Trinité,  deux  grands  chandeliers, 
deux  croix ,  une  coupe  couverte ,  une  crosse ,  un 
bénitier  et  l'aspersoir,  deux  encensoirs  et  une  na- 
vette en  argent ,  et  ordonnait  de  tout  transporter  à 
l'hôtel  de  Cluni ,  à  Paris ,  pour  le  remettre  à  son 
bijoutier ,  qui  fondit  ces  riches  dépouilles,  dont  le 
poids  s'éleva  à  aie  marcs  6  onces. 

«  Ceci,  ajoute,  avec  un  sentiment  d'indignation 
«  visible,  le  bénédictin  de  Fécamp  qui  nous  a  fait 


(  334) 

«  connaître  cette  particularité ,  ceci  est  couché  sur 
«le  mémoire  dudit  orfèvre,  signé  dudit  seigneur 
«  abbé ,  comme  je  Tai  vu  ;  il  dit ,  à  la  suite  de  son 
V  signe,  avoir  employé  le  reçu  de  ces  argenteries  à 
«  payer  la  taxe  faite  par  le  clei^é  sur  l'abbaye  de 
«Fécamp'.w 

Ce  prélèvement  forcé  et  le  sacrifice  d'objets  si 
précieux  n'empêchèrent  pas  de  vendre  la  maison  de 
Paris ,  située  rue  Serpente ,  pour  satisfaire  à  la  même 
cotisation. 

La  Cour  y  apprenant  les  désoMres  qui  régnaient 
en  Normandie  ,  envoya  une  armée ,'  qui  s'empara  de 
Rouen ,  et  le  duc  d'Aumale,  chargé  de  faire  respecter 
l'autorité  du  roi  dans  les  villes  du  pays  de  Caux , 
vint  à  Fécamp^le  12  juin  i562. 

La  soumission  de  Rouen  fut  bientôt  suivie  de 
celle  du  Havre ,  dans  lequel  la  reine  Elisabeth ,  qui 
protégeait  la  réforme,  avait  jeté  trois  mille  Anglais, 
sous  les  ordres  de  Warwick.  L'armée  royale,  com- 
mandée par  Brissac ,  alla  camper  devant  le  Havre , 
et,  pendant  qu'on  s'occupait  des  travaux  du  siège, 
Catherine  de  Médicis  vint  passer  quelques  jours  à 
Fécamp.  Ce  furent  les  religieux  de  ce  monastère 
qui  fournirent  les  tapisseries  et  les  teutiires  néces- 
saires pour    meubler  le  manoir  de  Yitanval^   oc- 


■  Trésor  de  Fécamp  ,  mss. 


(  335  ) 

cupé  par  la  reine  et  son  fils,  pendant  la  durée  du 
siège'. 

Aussitôt  que  cette  ville  fut  prise ,  Charles  ÏX 
vint  avec  sa  mère  à  Fécamp ,  où  on  lui  fit  une  ré- 
ception aussi  brillante  que  les  temps  malheureux  le 
permettaient.  Deux  canons,  placés  sur  la  plate- 
forme de  la  tour  de  Saint-Etienne,  firent  de  nom- 
breuses décharges,  et  communiquèrent  le  feu  à  la 
charpente  voisine'*.  On  ne  tarda  pas  à  s'en  rendre 
maître,  et  c'est  une  erreur  de  dire  que  l'incendie 
fut  cause  de  la  ruine  de  cette  église,  tandis  que  tout 
prouve,  au  contraire,  qu'elle  n'a  jamais  été  ter- 
minée. 

Il  y  eut  à  Fécamp  une  courte  période ,  qu'on  pour- 
rait appeler  tranquille,  si  on  la  comparait  aux  an- 
nées précédentes  ;  mais  là  ,  comme  partout  ailleurs , 
les  esprits  ne  pouvaient  rester  statiounaires  sur  la 
voie  de  la  prétendue  réforme,  dont  on  reconnais- 
sait les  progrès  à  la  fermentation  qu'elle  excitait  de 
toutes  parts  :  chaque  jour  les  attaques  et  les  vols 
recommençaient  sur  les  propriétés  de  l'église  et 
jusque  dans  le  monastère  lui-même.  Nicole  Debras, 
vicaire-général  du  cardinal  de  Lorraine ,  annonce 
au  chapitre  qu'on  s'est  introduit  dans  sa  maison , 
par  les> jardins  ,  qu'on  a  enlevé  tous  ses  meubles,  et 


■  Castelnau  et  Da^ila ,  Histoire  des  Guerres  civiles, 

^  Note  manuscrite  aux  archives  de  la  mairie  de  Fécamp. 


(  336  ) 

jusqu'aux  animaux  de  sa  basse-cour  < ,  lesquels 
étaient  en  grande  quantité.  Des  meublés ,  des  ma- 
telas disparaissaient  (du  dortoir  ^  et,  eu  faisant 
l'inspection  de  la  relique  du  précieux  Sang,  on 
s'aperçut  que  les  ailes  en  argent  des  deux  anges  du 
petit  reliquaire  avaient  été  enlevées. 

La  plupart  de  ces  désordres  tenaient  sans  doute 
aux  fâcheuses  relations  de  quelques  moines  avec  des 
hommes  du  dehors,  et  les  précautions  prises  an- 
noncent l'état  d'anxiété  dans  lequel  se  trouvaient 
les  esprits.  Un  jour,  «  le  prieur  est  averti  qu'on  veut 
(c  surprendre  la  maison  ;  il  défend ,  en  conséquence , 
«  à  messieurs  les  religieux  de  hanter  ceux  de  la 
tf  religion  nouvelle  ,  ni  de  les  introduire  à  boire  et 
«  manger  dans  leurs  chambres ,  ni  de  les  recevoir 
(c  dans  leurs  lits ,  à  moins  qu'ils  ne  les  connaissent 
«  bien  et  qu'ils  puissent  en  répondre.  » 

On  recommande  au  geôlier  de  fermer  les  portes 
de  la  forteresse ,  après  Vespres  dites ,  «  et  de 
«  n'ouvrir  l'huys  à  personne  qu'il  ne  connaisse ,  et 
«  s'il  vient  quelques  gens  auxdites  Vespres ,  ou 
a  autres  armés ,  qu'il  leur  demande  à  qui  ils  ont 
(C  affaire ,  et  leur  fasse  oter  leurs  armes  avant  de 
«  les  introduire.  » 

On  recommande  aussi  au  clerc  de  l'hôtellier, 
Nicolas  Vinot ,    de   fermer,   sitôt  la  Messe  dite, 


Gallinap  et  galli  Indoruin.  {Reg,  cap.  de  Pécamp,) 


(337) 

les  portes  et  l'huys  de  dessous  le  pupitre ,  et  aux 
officiers  du  couvent  de  faire  boucher  les  portes 
de  leurs  jardins  y  «  de  peur  que  par  là  il  n'advienne 
c<  inconvénient  de  la  part  des  ennemis.  » 

Il  est  défendu  aux  moines  d'avoir  dans  leurs  dor- 
toirs des  armes ,  telles  que  hastes ,  anses ,  poignards  y 
catapulses  à  feu  y  appelées ,  en  français ,  hurque'- 
buses  ou  pistolets  y  ni  d'en  être  munis,  soit  dans 
les  champs,  soit  sur  l'eau,  ou  partout  ailleurs  ;  ils 
devront  déposer  cet  attirail  de  guerre  chess  le 
prieur,  pour  s* en  servir  seulement  en  cas  de  né-- 
cessilé. 

Ces  ordres  paraissent  avoir  produit  peu  d'effet , 
surtout  parmi  les  jeunes  religieux;  car  jamais  ils  ne 
sortaient  dans  les  rues  de  la  ville  sans  être  armés  ,  ce 
qui  leur  donnait  plutôt  l'apparence  de  gens  de  guerre 
que  de  gens  d'église.  A  ces  promenades  militaires 
grotesques ,  succédaient  des  processions  générales , 
où  la  relique  du  précieux  Sang  était  portée  en 
triomphe,  au  milieu  des  piques,  des  bannières ,  des 
cris  des  pénitents ,  des  détonations  des  pistolets  et 
des  arquebuses. 

Ces  démonstrations  énergiques  n'empêchaient  ce- 
pendant pas  le  parti  contraire  de  traiter  avec  une 
telle  irrévérenoc  tout  ce  qui  appartenait  au  culte , 
que  les  habitants  de  Saint-Fromond  et  de  Saint- 
Thomas  demandèrent  que  «  pour  obvier  et  remédier 
«aux  pollutions,  ordures  et  immondices,  se  corn- 


22 


(  338  ) 

tt  mettant  en  leurs  cimetières  j  et  même  pour  em- 
«  pêcher  que  les  sacrilèges ,  pilleries  et  fractions  de 
•  vitres,  qui,  quelquefois,  se  faisaient  auxdites, 
«  églises  ne  s'y  fassent  plus  à  l'avenir ,  il  leur  fut 
«  permis  de  faire  fermer  et  clore  lesdits  cimetières.  »> 

Le  dimanche ,  pendant  les  offices  et  les  prédica- 
tions,  les  tavernes  du  bourg  ne  désemplissaient  pas 
de  buveurs ,  de  joueurs  et  de  gens  qui  se  querel- 
laient ,  ce  qui  était  contraire  à  un  ancien  édit  du  roi, 
qu'on  voulut  remettre  en  vigueur;  il  fut  représenté 
dans  le  chapitre  :  a  Qu'au  lieu  du  marché  et  quelques 
«  autres  places  publiques  du  même  bourg ,  durant 
«  les  offices ,  on  joue  ordinairement ,  tant  au  jeu  de 
(c  paume  qu'au  jeu  de  quilles  et  de  boulettes,  et 
(c  qu'il  est  bon  d'admonester  les  officiers  de  monsei- 
«  gneur ,  auxquels  appartient  de  donner  ordre  à  la 
a  police  de  ce  lieu,  et  qu'ils  ayent  égard  à  faire 
«  cesser  les  jeux  de  tavernes ,  durant  le  service  et 
(C  prédications ,  ou  bien  qu'on  en  advertira  nionsei- 
a  gneur  ;  à  quoi  les  officiers  présents  ont  répondu , 
<(  qu'ils  y  donneraient  bon  ordre,  et  que,  même  le 
((  jour  de  la  dernière  procession  sotemnelle ,  qui  a 
«  été  depuis  douze  jours ,  ils  envoyaient  les  sergents 
«  par  les  tavernes,  pour  faire  vider  ceux  qu'ils  y 
«  trouvaient,  et  qu'ils  continueraient  ce  travail  à 
«  l'avenir.  » 

L'administration  des  revenus  de  la  communauté 
était  difficile  sous  l'influence  de  tous  ces  désordres  ; 


(  339  ) 

aussi  le  besoin  d'argent  se  fait-il  sentir  à  tel  point , 
que  les  marchands  de  poisson  ne  veulent  plus  rien 
livrfer  à  crédit.  Le  receveur  ne  peut ,  lui-même , 
fournir  la  pitance  le  jour  de  la  Pentecôte  ;  on  le 
condamne  y  pour  ce  fait ,  à  une  amende  de  deux 
ëcus.  On  se  plaint  de  la  mauvaise  qualité  du  pain , 
et  de  ce  que  le  célerier  ne  donne  pas  la  mesure  de 
vin  qui  est  due  ,  (c  soit  par  sa  faute  ou  par  celle  de 
cr  ses  vaisseaux»;  ordre  est  donné  que  la  vaisselle 
s<Mt  visitée  el  jaugée.  On  veut  retenir  la  portion  de 
vin  des  moines  placés  à  Tinfirmerie ,  en  disant  qu'ils 
devaient  se  contenter  de  la  boisson  faite  par  l'apo- 
thicaire,  laquelle  coûtait  grand  argent.  Ce  régime 
n'étant  pas  de  leur  goûty  tous  réclament  contre 
l'exécution,  de  cette  mesure ,  «  qui  les  prive  de  ce 
qui  leur  appartient ,  conformément  aux  sentences 
précédemment  portées  aux  registres.  » 

On  demande  de  l'argent  au  jardinier,  qui  ne  peut 
se  libérer,  à  cause  des  troubles  et  de  la  peste  qui 
sont  interifenus  ;  il  paraît  que  ce  dernier  fléau  sé- 
vissait avec  beaucoup  d'intensité;  car  on  recom- 
mande de  tenir  les  portes  fermées ,  pour  éviter  le 
danger  des  maladies  «  de  quoi  le  bruit  est  fort  grand 
dans  le  pays  * .  »  Enfin  on  a  recours ,  de  nouveau ,  à 


*  Les  religieux  de  Fécamp  vendent  aux  administrateurs  de  THâ- 
tél-Dieu  de  la  Madeleine  de  Rouen  ,  quatre  acres  de  terre  ,  situées 
sur  fa  paroisse  de  Saint-Genrais ,  pour  y  bâtir  un  hdpital  pour  les 
malades  de  la  [este  et  contagion.  {Trésor  de  Fécamp ,  mss.) 


(  34o  ) 

ce  qui  reste  de  la  vaisselle  (Uargent  du  coffre ,  dont 
on  fait  vendre  une  partie;  on  engage  le  fief  d'Ha- 
bleville,  pour  une  certaine  somme ,  dont  on  se  libère 
bientôt  après ,  en  vendant  une  autre  portion  d'argen- 
terie. On  vend  tout  ce  qui  peut  être  vendu ,  et 
jusqu'à  deux  pièces  d'artillerie ,  en  mauvais  état, 
qui  étaient  sur  les  remparts;  le  produit  en  est  em- 
ployé à  payer  divers  gages  qui  étaient  à  la  charge 
de  la  communauté. 
1574.  La  mort  de  Charles  IX  fut  immédiatement  suivie 

de  celle  du  cardinal  de  Lorraine;  cet  abbé,  par 
son  éloquence ,  sa  doctrine  et  ses  promesses ,  était 
parvenu  à  se  mettre  à  la  tête  du  clergé  français,  qui 
^  tenait  uni,  sous  lui,  comme  sous  un  chef,  pour 
se  défendre  contre  les  hérétiques  et  les  politiques 
qui  voulaient  envahir  les  biens  de  l'église.  On  sait 
qu'il  se  trouvait  à  Rome  lors  du  massacre  de  la 
saint  Barthelemi,  et  que  son  frère,  le  duc  de  Guise, 
fut  l'instigateur  de  cette  horrible  mesure.  Il  est  par 
conséquent  bien  difficile  de  penser  qu'elle  n'eut  pas 
l'assentiment  du  cardinal ,  et  d'en  laver  entièrement 
sa  mémoire. 

Louis  de  Lorraine  ,  trente-deuxième  Abbé. 

Louis  de  Lorraine,  cardinal  de  Guise,  neveu  du 
dernier  abbé ,  et  son  coadjuteur  en  qualité  d'arche- 
vêque de  Rheims ,  lui  succéda  dans  tous  ses  titres 
et  dans  la  possession  de  l'abbaye  de  Fécamp. 


(  3/,t  ) 

On  se  rendra  difficilement  compte  des  rapports  qui 
eurent  lieu  entre  cet  abbé  et  son  monastère.  Tout 
entier  aux  affaires  politiques ,  nous  le  voyons ,  de  con- 
cert avec  Henri  III,  établir  des  confréries ,  se  mettre  à 
la  tête  des  processions,  qui  devinrent  par  la  suite 
les  régiments  de  la  Ligue ,  surtout  après  le  décès  du 
duc  d'Anjou.  La  mort  de  ce  prince  rendait  le  roi  de 
Navarre  le  plus  proche  héritier  de  la  couronne , 
et  servait  de  prétexte  aux  agitateurs ,  qui  craignaient 
d'avoir  pour  roi  un  prince  séparé  de  l'église.  Le  duc  de 
Lorraine  et  le  cardinal  abbé  de  Fécamp ,  furent  nom- 
més, par  le  pape,  lieutenants  généraux  de  la  Ligue. 

Maintenant ,  sous  prétexte  de  religion ,  apparaît 
une  nouvelle  ère  de  fureurs ,  de  crimes  et  d'assassi- 
nats. Le  roi ,  prisonnier  des  Guises  ,  n'a  d'autre  au- 
torité que  celle  qu'on  lui  arrache  pour  gouverner 
en  son  nom.  Les  protestants,  de  leur  côté ,  ayant  à 
leur  tête  le  roi  de  Navarre,  munissent  leurs  places, 
et  ne  négligent  rien  pour  consolider  leur  pouvoir  et 
propager  leurs  doctrines. 

Dom  Nicolas  de  Campion  est  promu,  à  cette 
époque  difficile ,  grand  prieur  de  l'abbaye;  il  cherche 
à  ramener  quelque  peu  de  discipline  parmi  les  moines, 
et  ordonne  des  réparations  qui  paraissent  urgentes  : 
on  travaille  au  canal  de  la  voûte ,  dont  l'eau  se 
perd  dans  les  prairies,  et,  sur  la  requête  de  Jacques 
Lombard,  écuyer,  tenant  à  ferme  la  prévoté  et 
droit  de  coutume ,  on  reconstruit  quelques  maisons 
dans  l'enceinte  du  marché. 


(  342  ) 

Le  chapitre  accorde  aussi  quelques  permissions 
pour  établir  des  colombiers  :  à  Guillaume  Holley., 
à  Ecretteville;  à  Nicolas  Du  val,  écuyer,  h  Sauseuze- 
mare  j  et  à  Nicolas  Mansel ,  bourgeois  de  la  ville  de 
Dieppe  ,  à  Saint-Pierre-en-Port ,  pour  laquelle  per- 
mission «  il  a  été  baillé  deux  écus  sols  par  noble 
«  homme  Isaac  Berruyer ,  commissaire  ordinaire  de 
«  la  marine  ,  capitaine  des  ports  de  Saint-Pierre  et 
«  des  Grandes-Dalles ,  valet  de  k;  garde-robe  du 
a  roi ,  gendre  dudit  Mansel  ;  lequel  Berruyer  ob- 
«  tient,  pour  son  compte,  permission  de  construire 
u  édifice ,  de  bâtir  trois  tourelles ,  et  en  Tune  d'icelle, 
tt  faire  élever  une  volière  à  pigeons.  » 

Quelques  officiers  pourvus  de  charges  par  Tabbé 
de  Lorraine,  vinrent  à  Fécamp,  pour  se  faire  re- 
cevoir à  la  juridiction  de  cette  ville  ;  comme  ils 
n'avaient  communiqué  leurs  commissions  ni  au 
prieur  ni  aux  religieux,  ce  qui  était  contraire  aux 
usages  reçus ,  puisqu'ils  appartenaient  en  même  temps 
h  l'abbé  et  à  la  communauté,  le  prieur  donne  ordre 
à  l'hôtellier  de  se  rendre  à  la  cohue ,  pour  empêcher 
la  réception  de  ces  officiers,  en  disant  qu'il  n'y  avait 
pas  besoin  de  bailli  à  Fécamp ,  puisqu'un  des  reh- 
gieux  en  exerçait  la  charge.  Le  sieur  Dufou,  pourvu 
de  l'emploi  contesté  ,  transigea  avec  le  chapitre  ,  et 
ne  prit  que  le  tjtre  de  juge  vicomtàl. 
i588.  P.endant  que  ces  choses  se  passaient,  le  roi,  in- 

digné de  se  voir  le  prisonnier  et  l'instrument  d'une 


(  343  ) 

faction ,  assemble  les  États  à  Blois ,  se  dëfait  des 
Guises 9  doht  l'audace  ne  garde  plus  aucune  mesure. 
Le  duce^t  assassiné  le  ^3  décembre  ,  et  son  frère , 
le  cardinal  abbé  de  Fécamp,  le  24. 

Un  homme  courant  à  pied ,  à  travers  champs , 
arriva  la  nuit  à  Fécamp,  après  avoir  été  dévalisé  en 
chemin ,  par  les  gens  de  guerre  ;  c'était  ïehan  Richer, 
tiiusicien  de  monseigneur  l'abbé  de  Lorraine ,  qui 
venait  annoncer  la  nouvelle  de  la  mort  de  son  maître. 
D'abord  on  se  refusa  d'y  croire ,  mais  peu  de  jours 
après  on  acquit ,  dans  le  cloître,  la  triste  certitude  de 
cet^vénement.  Vite  on  s'empressa  d'écrire  des  lettres 
de  condoléance  à  M.  le  duc  du  Maine,  à  M.  de  Ne- 
mours et  à  madame  de  Guise  la  mère  :  l'hôtellier  fut 
expédié  pour  porter  ces  dépêches. 

On  fît  immédiatement ,  avec  beaucoup  de  pompe , 
une  cérémonie  funèbre  en  l'honneur  du  cardinal  et 
de  son  frère ,  et  des  processions  générales  eurent 
lieu ,  tous  les  jours,  jusqu'après  leurs  obsèques. 

Cet  assassinat  et  les  expiations  qui  le  suivirent 
échauffèrent  également  l'imagination  des  factions  con- 
traires :  les  catholiques,  irrités,  s'exaltaient  par  la 
pompe  des  cérémonies  ;  l'audace  des  protestants  s'ac- 
croissait de  l'idée  que  la  cour  allait  être  obligée  de  reve- 
nir à  leur  parti.  Tout  est  en  mouvement  dans  les 
campagnes  et  autour  de  l'abbaye.  Le  capitaine  de  la 
forteresse  étant  allé  à  Dieppe,  M.  de  Coqueréaumont, 
son  lieutenant ,  fait  prévienir  les  habitants  du  bourg 


(  344  ) 

et  le  chapitre  qu'il  serait  boa  de  se  tenir  sur  ses 
gardes,  à  cause  des  ennemis,  et  de  faire  fermer 
tous  les  huys  qui  donnent  sur  les  fossés;  mesure 
de  prévoyance  qui  est  adoptée  par  la  Commu- 
nauté. 

Le  prieur  est  insulté   dans  les    rues,  par  une 
bande  de  furieux,  qui  lui  reprochent  d'avoir  fait 
renvoyer  du  monastère  des  hommes  suspects  d'hé- 
résie ,  qui  fréquentaient  ses  religieux.  M.  de  Goque- 
réaumont ,  le  sacristain ,  et  plusieurs  personnes ,  qui 
étaient  sortis  Ibm  la  ville ,  sont  enlevés  et  retenus 
prisonniers  par  une  bande  de  cavaliers  qui  battaient 
les  campagnes.  Dans,  ces  conjonctures  difficiles ,  on 
agite,  au  chapitre  ,  de  mettre  de  nouveau  en  lieu 
de  sûreté   l'argenterie   qui  se  trouvait  au  coffre; 
quelques  religieux  pensent  qu'on  peut  encore  at- 
tendre,  vu  que   l'essai  précédent  n'avait  pas  très 
bien  réussi.   Le  vicomte  de  Montivilliers  arrive  sur 
ces  entrefaites  à  Fécamp,  et  communique  des  lettres 
de  monseigneur  le  duc  du  Maine ,  que  lui  a  adressées 
M.  de  Villars,  gouverneur  du  Havre.  Ces  dépêches 
font  connaître  les  forces  et  desseins  du  roi  de  Na- 
varre, et  M.  de  Villars  ajoute  :  «  Qu'il  est  besoin  que 
«  toutes  personnes  religieuses  se  retournent  devers 
«  Dieu  ,  pour  implorer  son  aide ,  par  des  prières  et 
«  oraisons  publiques  et  particulières  ». 
Le  chapitre  délibère  : 
0  Qu'on  est  prêt  à  obéir  aux  ordres  de  M.  de  Vil- 


(  345  ) 

«  lars,  et  à  contribuer  par  tous  les  moyens  à 
m  ravancement  et  bien  de  Furiion.  » 

Ces  recommandations  produisent  un  effet  élec- 
trique sur  tout  ce  qui  est  attaché  par  sentiment  ou 
conviction  au  parti  de  la  Ligue  :  anciens  militaires , 
bourgeois ,  officiers  de  l'église,  juges  des  tribunaux, 
religieux  ou  séculiers  *  ,  tous  prennent  les  armes  et 
forment  des  compagnies ,  sous  les  ordres  de  M.  de 
Morel  de  Saquen ville  ,  capitaine  de  la  fprteresse  de 
Fécamp ,  et  gouverneur  de  cette  partie  du  pays  de 
Caux.  Le  chapitre  déHbère  qu'il  y  iâra  des  proces- 
sions générales  le  dimanche ,  le  mercredi  et  ven- 
dredi de  chaque  semaine.  Une  lettre,  reçue  de 
Rouea,  annonce  que  ces  cérémonies  y  ont  lieu  tous 
les  jours ,  ^  parce  que  les  armées  sont  en  présence , 
«  et  que  celles  de  M.  du  Maine  a  de  très' grandes 
«  forces.  » 

Enfin,  M.  de  Villars  juge  que  la  forteresse  de 
Fécamp  n'est  pas  susceptible  d'être  défendue,  et 
qu'il  est  utile  que  ce  point  de  la  rive  maritime  ne 
soit  pas  occupé  par  ses  adversaires.  Il  ordonne  de 
construire  un  fort  sur  la  montagne  de  Notre-Dame 
du  Bôurg-Baudouin ,  qui  domine  l'entrée  du  port  ; 


*  Le  lieutenant  général  de  la  baronie  de  Vittefleur  demande  à 
toucher  ses  gages  ,  bien  que  n'ayant  pas  résidé ,  vu  qu'il  fait  le 
service  au  parti  de  la  sainte  Union  des  catholiques.  (Délibérations 
capitulaires.  ) 


(346) 

la  communauté  a'en  est  instruite  que  par  la  présence 

des  ouvriers  qui  rasent  ses  bois  de  la  cote,  -pour 

commencer  leurs  travaux. 

Le  chapitre  en  porte  plainte  aussitôt  au  capitaine, 

lequel  répond  :  a  Que  c'est  du  commandement  de 
«  M.  le  duc  du  Maine  et  de  M.  de  Villars,  et^  «^ant 
«  été  requis  de  faire  apparoir  leur  commandement  ^ 
«  n'a  voulu  le  faire.  De  là  fait  que  messieurs  les  re- 
«  ligieux  se  sont  assemblés  et  ont  délibéré  d'écrire  à 
«  M.  de  Yillars ,  et  d'engager  les  habitants  à  écrire 
«  aussi  ;  sur  quoi  on  les  fera  avertir  qi£Us  se  réa^ 
«  nissent  à  cet  effet  chez  le  prieUr.  Ce  qu'ayant  su , 
«  ledit  capitaine  s'est  trouvé  chez  le  prieur^  en  di- 
(t  sant  qu'il  n'appartenait  qu'à  lui  de  faire  de  pareilles 
«  convocations  d'habitants;  que  c'était  aller  contre 
«  son  autorité  ,  et  ne  le  trouvait  pas  bon  :  auquel 
«  ledit  sieur  prieur  a  fait  réponse,  que  plusieurs 
«  fois  il  les  avait  fait  assembler  pour  les  affaires  qui 
«  se  présentaient  '  ;  mais  puisqu'il  ne  le  trouvait  pas 
«  bon  j  il  ferait  contremander  qu'ils  n'eussent  point 
«  à  venir.  » 

Cependant  la  communauté  ne  s'en  tint  pas  à  cette 
première  démarche ,  et  elle  envoya ,  au  Havre ,  un 
messager  à  M.  de  Villars,  pour  faire  des  représen- 
tations. Celui-ci  fit  promesse  de  répondre  à  ce  sujet; 


'  Ce  passage  curieux  fait  conuakre  qu'on  assemblait  quelquefois 
les  bourgeois  ,  .pour  les  affaires  qui  concernaieut  la  commattis. 


(347) 

en  effet,  peu  de  jours  après,  le  régisseur,  M.  Fon- 
taine ,  reçut  une  lettre  ,  par  laquelle  il  lui  enjoignait 
«  qu  il  eût  à  fournir  l'aident  dû  par  les  redevables 
<  de  cette  maison ,  tant  en  cette  baronie  qu'en 
•  celle  de  Vittefleur  ,  pour  payer  les  manœui^riers 
«  qui  tra\>aillaieni  au  fort  de  Notre-Dame ,  et  qu'en 
«  toute  diligence  il  eût  à  en  trouver  sans  faire  déli" 
«  bération,  et  sans  attendre  autre  commandement 
«  que  les  présentes.  » 

En  donnant  connaissance  de  ces  lettres  impéra- 
tives,  le  procureur  Fontaine  feit  observer  qu'elles 
sont  de  rigueur  et  de  rudesse ,  et-  qu'il  ne  pourra  rien 
fournir  au  couvent,  tant  qu'il  sera  oblige  de  faire 
f$^ce  à  des  dépenses  extraordinaires. 

L'embarras  des  moines  recommençant  incontinent, 
ils  adressent  un  Mémoire  à  la  Cour,  pour  faire 
connaître  leur  position,,et  demandent  à  M.  de  Bornes, 
procureur  de  l'abbaye ,  à  Rouen ,  et  son  représen- 
tant auprès  des  diverses  juridictions  de  cette  ville, 
s'il  y  a  un  abbé  de  nommé,  ils  lui  envoient  en  même 
temps  un  Mémoire,  qu'ils  le  prient  de  présenter  au 
Parlement,  afin  d'obtenir  un  arrêt  contre  le  procureur 
Fontaine.  Le  chantre  est  désigné  pour  porter  ce  mes- 
sage ;  tout  est  prêt  pour  son  départ  et  il  ne  s'agit  plus 
que  trouver  six  livres  pour  la  location  d'un  cheval  ; 
on  est  obligé  de  vendre  une  pièce  d'argenterie  pour 
&ire  face  à  cette  dépense  imprévue. 

M.  de  Bornes  promet  aux  religieux  de  leur   en- 


(  348  ) 

voyer  de  l'argent ,  «  mats  il  les  prie  d'avoir  ëgai*d 
«  au  malheur  des  temps ,  et  leur  représente  l'état 
«  des  autres  communautés ,  eu  ajoutant  qu'ils  re- 
«  connaîtront  que  celle  de  Fécamp  est  seule  exempte 
«  de  beaucoup  de  calamités ,  desquelles  il  prie  Dieu 
«  de  vouloir  les  préserver.  Il  a  appris  que  les  reli- 
«  gieux  de  Saint-Denis ,  qui  ont  été  ci-devant  les 
«  mieux  pourvus  ,  ont  été  trois  mois  à  manger  seu- 
«  lement  un  peu  de  pain  de  son  et  boire  de  l'eau, 
«  et  ne  sont  guère  mieux  maintenant.  » 

On  était  tellement  au  dépourvu ,  que ,    pendant 
l'absence  de  M.  Fontaine,  on  envoya  un  religieux  à 
sa  femme,  pour   savoir  si  elle  pourrait  nourrir  la 
communauté  seulement  pendant  huit  jours  ,  et  con- 
naître les  instructions  qu'elle  avait  reçues  de   son 
mari;  cette  dame  «  fit  voir  et  goûter  de  la  boisson 
«  qui  était  en  sa  cave ,  consistant  en  deux  pièces  de 
«vin  blanc,  deux  autres  de  vin   clairet,   et  deux 
0  autres  dont  on  avait  tiré  quelque  peu;  lequel  vin 
«  fut  trouvé  bon  et  potable,  et,  madame  Fontaine, 
«  d'après  les  lettres  de  son  mari ,  dit  qu'elle  s'occu- 
«  perait  de  satisfaire  messieurs  les  religieux  pour 
«  leur  nourriture,  et  tout  ce  qui  lui  serait  possible.  » 

Aymart  de  Chattes,  trente-troisième  Abbé. 

On  était  dans  cette  période  d'anxiétés  et  de  be- 
soins, lorsqu'on  apprit  la    nomination  du  nouvel 


(  349^ 

abbé.  On  peose  bien  qu'après  le  massacre  de  Blois, 
les  Guises  n'avaient  plus  rienàdemander  à  HenrillI; 
aussi  ce  prince  donna-t-il  l'abbaye  de  Fécarop  à 
^Aymart  de  Chattes ,  commandeur  de  Malte  et  gou- 
verneur de  la  ville  de  Dieppe ,  où ,  évitant  les  excès 
des  calvinistes  et  des  ligueurs ,  il  recommandait  aux 
habitants  la  paix  et  l'union ,  bienfaits  qu'ils  ne  pou- 
vaient .rencontrer  que  sous  la  bannière  du  roi. 

D'un  autre  côté  j  les  Guises ,  qui  regardaient  l'ab- 
baye de  Fécamp  comme  leur  patrimoine,  firent  des 
instances  très  vives  auprès  du.  pape ,  pour  la  faire 
obtenir  à  quelqu'un  de  leur  famille.  Le  Saint  Père, 
ne  pouvant  rien  leur  refuser ,  Louis  de  Lorraine 
fut  nommé  abbé  commendataire  de  Fécamp , 
en  remplacement  de  son  oncle  le  cardinal.  11  est 
exprimé ,  dans  la  IdjuH^  du  pape  ,  qu'attendu  la  dif- 
ficulté des  chemins,  et  le  peu  de  sûreté  qu'il  y  aidait 
de  se.  transporter  sur  les  lieux ,  la  possession  de 
l'abbatiat  pourra  se  prendre  dans  une.  chapelle  de 
l'église  métropolitaine  de  -Rheims,  ou  dans  toute 
autre  église  cathédrale '.  . 

.  Malheureusement  pour  les  vues  du  Saint  Siège , 
le  Concordat  fait  sous  François  T'  existait  toujours, 
et  les  prétentions  de  Louis  de  Lorraine  furent  reje- 
tées par  le  PaiJement  de  Caen ,  en  1 69 1 ,  et ,  quelque 
temps  après ,  par  le  conseil  du  roi ,  Aymart  de  Chattes 

..i.«»     iiii     "         I     I        I     II       ■ 

'  Archivas  dép.  ;  cartons  de  Fécamp, 


(  35o  ) 

fut  envoyé  en  possession  des  fruits  de  l'abbaye  de 
Fécamp. 

Cet  abbé  militaire ,  qui  s'entendait  mieux  à  diriger 
des  bandes  de  soldats  que  des  gens  d'église ,  vint 
cependant  à  Fécamp,  pour  faire  connaissance  avec 
ses  religieux;  ceux-ci  lui  .exposèrent  leur  état  de 
pénurie  et  la  position  financière  de  la  communauté, 
qui  n'était  pas  des  plus  brillantes;  Il  fit  quelques  pro- 
messes ,  qui  tardaient  à  se  réaliser  ;  on  lui  écrivit 
pour  lui  rappeler  ses  engagements ,  et  il  fît  réponse 
«  que  c'était  avec  peine  qu'il  voyait  les  souffrances 
«  de  la  communauté,  dues  à  la  misère  des  tenips^ 
«  que  les  revenus  de  la  vicomte  de  Fécamp,  de  Vitte^ 
«  fleur  et  autres  étaient  plus  que  suffisants  pour  l'en- 
«  tretien  des  religieux ,  qu'il  ne  retirait  que  peu  de 
«  choses  des  revenus  de  Veules ,  et  qu'ils  ne  vou- 
«  draient  pas  le  voir  privé  de  cette  petite  commo- 
a  dite  ;  il  leur  envoyait  vingt  passe-ports ,  pour 
«  aller  et  venir  dans  toutes  leurs  affaires.  » 

I^es  grands  événements  militaires  qui  avaient 
attiré  les  armées  aux  environs  de  Paris ,  laissèrent 
un  moment  en  repos  la  vicomte  de  Fécamp,  et  le 
fort  dii  Bourg-Baudouin  put  être  tçrminé.  Le  sieur 
de  Catteville,  son  premier  capitaine,  avait  été  déjà 
remplacé  par  M.  de  Morel  de  Saquen^ille  ,  en  qua- 
lité de  capitaine  des  bourg  et  forts  de  Fécamp. 

Au  moyen  de  cette  nouvelle  forteresse,  la  Ligue 
était  toute  puissante  dans  la  vijle  ;  elle  s'y  trouvait 


(  35i  ) 

même  dans  une  profonde  sécurité ,  lorsqu'un  parti 
du  roi  de  Navarre  vint  s'établir  devant  les  forts  de 
Tabbaye,  qui  furent  emportés  après  une  résistance 
de  peu  de  durée  ;  il  y  laissa  en  garnison  deux  com- 
pagnies, commandées  par  les  capitaines  De  la  Poterie 
Dauphine  et  Bréchinal ,  qui  interceptèrent  les  com- 
munications entre  la  ville  et  la  forteresse  de  Notre- 
Dame. 

Cette  position  était  intolérable  pour  le  parti 
contraire,  aussi  Villars  s'empressa-t-il  d'accourir 
avec  de  grandes  forces ,  pour  assiéger  et  reprendre 
la  vieille  forteresse  de  Fécamp;  des  batteries  furent 
dressées  devant  les  remparts,  et  elles  n'eurent  pas 
plutôt  fonctionné,  que  les  assiégés  s'aperçurent  qu'ils 
n'étaient  pas  assez  forts  pour  se  maintenir  dans  la 
place* 

Les  capitaines  De  la  Poterie  et  Bréchinal ,  après  i^qi. 
deux  mois  d'efibrts  inouïs  ,  comme  on  devait  l'at- 
tendre de  tels  hommes  élevés  à  l'école  du  roi  de 
Navarre ,  voyant  qu'ils  étaient  sur  le  point  de  suc- 
comber j  désirèrent  obtenir  une  composition  satis- 
faisante de  leurs  adversaires.  Pensant  que  les  reli- 
gieux pouvaient  leur  servir  d'utiles  intermédiaires  : 
«  ils  les  supplièrent  que ,  s'ils  avaient  quelques  faveurs 
(c  vers  le  sieur  de  Villars  ou  quelque  capitaine  de  ses 
«  troupes ,  il  leur  plût  parier  à  eux  ,  et  leur  dire  de 
ce  leur  part  (  d'autant  qu'ils  estimaient  qu'ils  seraient 
<i  plus  ouïs  que  non  pas  eux  )  que  s'il  leur  plaisait  les 


(  352  ) 

«  vouloir  recevoir  à  honnête  composition,  ils  étaient 
«prêts  à  rendre  la  place,  autrement  qu'ils  avaient 
«  envie  de  tenir  bon  et  de  mourir  à  la  brèche.  Sur 
«  quoi  messieurs  ayant  délibéré,  pour  leur  faire  plai- 
«  sir,  ont  désigné  M.  le  pannetier  et  raumônier  et 
«sous-prieur,  pour  parler  à  quelques-uns  des  capi- 
«  taines  dudit  sieur  de  Villars,  et  après,  lesdits  sieurs 
«  désignés  se  sont  transportés  à  la  maison  de  M.  l'au- 
«  mônier,  et  étant  montés  en  certaine  galerie  qui  est 
(c  sur  les  murailles ,  ayant  fait  battre  la  caisse ,  par 
«  Tordre  des  capitaines  susdits ,  ont  demandé  à  parler 
a  à  M.  de  Bosroseyy  l'un  des  capitaines  desdites 
m  troupes  y  pour  lui  dire  ce  que  avaient  charge 
(c  de  la  part  des  sieurs  De  la  Poterie  Dauphine  et 
«  Bréchinal  ;  toutefois  ledit  sieur  de  Bosrûsejr  ni 
a  autres  capitaines  desdites  troupes  n'auraient  voulu 
ic  entendre  combien  que  plusieurs  fois  lesdits  sieurs 
«  religieux  les  ayent  appelés  et  fait  appeler  venir , 
«  continuant  à  leur  dessein ,  ont  fait  brèche  <f  et  sont 
«  entrés  en  assaut  dans  ladite  forteresse.  »> 

Nous  regardons  ce  passage  comme  très  curieux 
pour  l'histoire  de  Fécamp  ,  puisqu'il  relate  une  prise 
d'assaut  inconnue,  et  qu'il  fait  mention,  pour  la 
première  fois ,  du  capitaine  Bois-Rosé ,  devenu  de- 
puis si  célèbre  par  un  autre  fait  d'armes  des  plus 
extraordinaires. 

Ainsi ,  la  forteresse  de  Fécamp  se'trouvait'encore 
une  fois  au  pouvoir  de  la  Ligue;  mais  ce  n'était  pas 


(  353  ) 

sans  de  grands  dommages  pour  le  monastère  et  les 
habitants,  que  la  présence  des  armées  ruinait  sans 
cesse  :  le  sieur  Barbey ,  fermier  à  Senneville ,  de- 
mande remise  de  ce  qu'il  doit  à  l'abbaye,  a  vu  le 
ce  ravage  des  guerres  et  des  deux  armées  qui  ont 
a  séjourné  devant  le  fort  de  ce  lieu  ,  environ  deux 
ce  mois,  et  qui  lui  ont  pris  ses  bétes  à  laine,  ses 
ce  vaches  et  ses  récoltes.  » 

François  Deneuve ,  de  Saint-Léonard ,  adresse  à 
la  communauté  la  même  requête ,  et  pour  les  mêmes 
motifs. 

Quelques  maisons  de  Fécamp  eurent  aussi  beau- 
coup à  soufirir  de  ce  siège  :  celle  de  Jehan  Duval , 
située  près  du  pont  de  la  porte  du  Bail ,  fut  entiè- 
rement ébranlée  et  ruinée  par  le  canon  que  les  as- 
siégés avaient  placé  sur  cette  porte. 

En  même  temps,  Villars  écrit  aux  religieux  : 
qu'ils  lui  ont  manqué  de  parole,  et  que,  s'ils  ne  lui 
comptent  pas  ce  qui  lui  est  dû,  il  saura  bien  se 
faire  payer  ;  ceux-ci  lui  répondent  qu'ils  manquent 
de  tout  depuis  trois  semaines ,  et  qu'ils  n'ont  reçu 
^utre  chose  que  leurs  vivres.  Us  donnent  cependant 
commission  au  chambrier  de  se  procurer  de  l'argent 
comme  il  pourra  ;  ce  dernier  ne  trouve  d'autre  ex- 
pédient que  de  mettre  en  vente  quelques  coupes  de 
bois ,  en  les  faisant  proclamer  à  la  cohue  ;  mais 
personne  ne  se  présente  pour  en  acheter,  parce  que 
chaque  jour  on  enlève  des  arbres  pour  le  fort,  que 


(  354  ) 

les  soldats  les  prennent  j  tantôt  dans  un  endroit , 
tantôt  dans  un  autre ,  et  coupent  celui  qui  leur 
semble  le  plus  beau ,  à  la  hauteur  de  trois  pieds. 
On  porte  plainte  de  ce  pillage  au  capitaine  de  Sa- 
quenville,  plainte  qui  ne  j*emédie  à  rien,  car  M.  de 
Villars,  ne  voyant  pas  arriver  d'argent,  fait  arrêt 
sur  les  deniers  de  Jehan  Guillebert,  niçûnier  du 
grand  moulin,  lesquels  sont  vei*sés  par  ce  dernier  à 
l'acquit  de  la  communauté. 

Il  était  rare  qu'un  événement  ne  fut  immédiate 
ment  suivi  d'un  autre,  sur  cette  terre  de  Norman- 
die, journellement  ravagée  par  les  partis.  Villars 
ne  se  fut  pas  plutôt  emparé  de  Fécamp ,  que  l'armée 
du  maréchal  de  Biron  apparaît  au  loin ,  menaçante , 
et  paraissant  se  diriger  vers  les  remparts  de  cette 
forteresse. 

M.  de  Coqueréaumont ,  qui  en  était  toujours 
lieutenant,  voyant  qu'il  n'avait  aucun  moyen  de 
tenir  tête  à  l'ennemi ,  fait  savoir  aux  moines  qu'il 
ne  peut  rester  plus  long-temps  auprès  d'eux  ;  ic  car 
a  il  pourrait  être  pris  par  ses  adversaires  et  subir 
«  une  mort  honteuse  ;  non  par  refus  du  service  qu'il 
a  doit  à  ces  messieurs  pour  leur  conservation  et  celle 
a  de  leur  maison ,  mais  d'autant  qu'il  voit  qu'il  n'y  a 
«  aucune  défense  pour  résister ,  et  que ,  pour  son  par^ 
«c  ticulier  ,  librement,  il  abandonnerait  sa  vie  sur  un 
«  rempart  s'il  était  assisté ,  sans  considérer  la  perte 
<c  qui  pourrait  en  advenir.  Il  les  advertissait  afin  d'y 


(  355  ) 

«  pourYoir  et  d'y  donner  des  ordres.»  Les  religieux ^ 
surpris  ^t  effrayés,  envoyèrent  un  messager  à  M.  de 
Saquenville,  qui  était  au  fort  Baudouin ,  pour  lui 
demander  ce  qu^ils  devaient  faire. 

Ce  capitaine ,  occupé  de  la  défense  de  sa  propre 
forteresse,  i^t  dire  à  ces  messieurs  de  tenir  toujours 
leurs  portes  fermées ,  et  de  ne  pas  les  ouvrir  à  cause 
des  coureurs  qui  pourraient  venir;  il  en  excepte  ce- 
pendant ceux  de  M.  le  gouverneur  de  Chattes , 
a  et  il  recommande  aux  moines  de  monter  la  garde 
a  avec  les  bourgeois,  et  de  bien  se  défendre  de  faire 
«  feu ,  s'ils  voient  arriver  quelque  chose.  »  Le  cha- 
pitre arrête  que  deux  ou  trois  religieux ,  un  ancien 
et  deux  jeunes,  monteront  chaque  jour  la  garde 
avec  les  gens  de  la  ville. 

Chacun  était  à  son  poste  ,  sur  les  murailles ,  lors- 
qu'on apprit  que  l'armée  du  maréchal  était  très 
proche.  M.  de  Coqueréaumont  jugea  prudent  d'éva- 
cuer la  place.  Le  prieur  écrivit ,  à  la  hâte,  à  M.  de 
Chattes ,  pour  recommander  la  maison ,  le  bourg  et 
ses  habitants  jd* autant  qu'Us  étaient  décides  à/aire 
résistance.  Il  crut  devoir  faire  part  de  sa  lettre  à 
M.  de  Saquenville,  pour  le  consulter  au  sujet  de 
ce  message,  d'autant  plus  utile  qu'on  apprit  que 
«  MM.  de  Yalmont  et  autres ,  voyant  qu'ils  ne  pou- 
tf  vaient  tenir,  étaient  allés  au-devant  de  l'armée ,  pour 
«  éviter  un  ravage.  » 

M.   de  Coqueréaumont  alla  conférer   lui-même 


(  356  ) 

avec  M.  de  Saquenville  j  qui  approuva  la  dëmarclie 
des  religieux ,  et  leur  conseilla  de  faire  demander  à 
M.  de  Chattes  une  sauve-garde ,  «  tant  pour  le  bourg 
a  que  pour  les  fermes  des  Plantis ,  de  la  Roquette 
Tc  et  de  TEpinai ,  qui  en  sont  voisines.  » 

Le  grainetier  et  le  sacristain,  chargés  de  porter 
cette  lettre  à  Dieppe,  reviennent  dès  le  lendemain, 
^ns  avoir  pu  accomplir  leur  mission.  Ils  racontent , 
qu'étant  allés  coucher  le  premier  jour  au  château 
de  M.  de  Bailleul  ,  quelques  gentilshommes  les 
avaient  avertis  ;  que  c'en  était  fait  d'eux  s'ils  pas- 
saient outre  ,  car  ils  seraient  immanquablement 
arrêtés  par  les  troupes  qui  couvraient  le  pays. 

Il  paraît  que  le  chapitre  n'eut  pas  une  grande 
confiance  dans  la  bravoure  et  la  résolution  de  ses 
messagers,  car  il  désigna  d'autres  religieux  pour 
faire  le  voyage  de  Dieppe,  Ceux-ci  rapportèrent  des 
lettres  de  M.  de  Chattes ,  qui  mandait  à  la  commu- 
nauté ,  «  qu'il  n'avait  pas  su  qu'on  dût  envoyer  des 
«  garnisons  à  Fécamp ,  et  qu'il  lui  en  donnerait  avis 
a  s'il  venait  à  le  savoir  ;  du  reste  que  t événement  de 
«  Rouen  donnait  le  conseil  et  le  moyen  de  se  gou- 
«  verner  comme  le  temps  le  permettrait  ;  qu'il  était 
«  très  fâché  de  ne  pas  avoir  les  moyens  de  les  as- 
«  sister ,  mais  qu'il  profiterait  de  ceux  qui  se  prê- 
te senteraient,  pour  être  utile  à  la  communauté  et  aux 
«  habitants  de  Fécamp.  » 

Au  milieu  de  toutes  ces  anxiétés,  on  réparait,  à 


(  357  ) 

la  hâte^  la  brèclie  faite  à  la  muraille  y  par  les  troupes 
de  Villars ,  ainsi  que  les  portes  et  le  pont-levis  de 
la  rue  Arquaise,  lequel  était  rompu  à  plusieurs 
^idroits;  on  vendait  toutes  les  tasses  d'argent  du 
coffre ,  pour  pourvoir  à  la  subsistance  des  moines , 
et  éviter  (c  qu'elles  ne  soient  perdues  ou  dérobées 
<K  s'il  advenait  quelque  ravage  ;  le  surplus  de  Tar- 
«  gent,  provenant  de  cette  vente  ,  fut  flistribué  aux 
«(  religieux,  » 

L'armée  du  maréchal  de  Birou  parut  un  matin  1591. 
devant  les  forts  de  Fécamp  ;  depuis  plusieurs  jours 
on  était  préparé  à  la  recevoir  ;  et  y  malgré  les  vel- 
léités de  résistance ,  de  la  part  des  ligueurs  ^  on 
trouva  plus  prudent  de  lui  ouvrir  les  portes,  que 
d'engager  avec  elle  une  lutte  dont  l'issue  ne  pouvait 
être  douteuse.  La  majeure  partie  se  cantonna  dans 
la  vieille  forteresse  y  dans  l'abbaye ,  et  dans  l'en- 
ceinte du  marché  ;  le  Yal-aux-Clercs ,  les  villages 
deSenneville,  de  Saint-Léonard  et  d'Yport ,  reçurent 
la  cavalerie  et  tout  ce  qui  ne  put  trouver  à  se  loger 
dans  les  maisons  du  bourg. 

On  doit  se  rendre  compte  de  la  position  des  habi- 
tants j  obligés  d'héberger  et  nourrir  une  armée , 
composée  de  catholiques  royalistes,  de  huguenots  et 
d'étrangers ,  qui ,  comme  un  tourbillon ,  ravageaient 
tout^ur  leur  passage,  et  se  regardaient,  à  Fécamp', 
comme  en  pays  conquis.  ^  Heureusement  qu'ils  n'y  v 

firent  qu'un  séjour  de  courte  durée;  car  Dieu  sait  s'il 


(  358  ) 

fût  resté  pierre  sur  pierre  des  maisons  du  bourg 
que  ces  hommes  sans  discipline  prenaient  plaisir  à 
renverser.  La  génération  actuelle  ignorerait  cé^  cir- 
constances ^  si,  comme  toujours ,  les  réclamations 
auxquelles  elles  ont  donné  lieu  n'étaient  consignées 
sur  les  registres  de  l'abbaye.  Ainsi,  après  le  départ 
de  Biron,  les  plaintes  et  les  demandes  d'indemnités 
arrivent  de  toutes  parts ,  et  particulièrement  d'Yport, 
de  Saint-Léonard ,  de  Fécamp  et  de  Senneville*  Un 
propriétaire  de  maisons,  dans  lintérieur  du  marché, 
Jehan  Midiel,  fait  connaître  que  les  siennes  ont  été 
totalement  ruinées  par  les  soldats;  FrançcHS  Des- 
mares ,  receveur  des  dîmes ,  à  Saint-Léonard ,  dit 
que  tout  a  été  ravagé  dans  sa  commune,  .et  qu'il 
ne  peut  payer  ce  qui  revient  à' l'abbaye.  Les  fermiers 
de  Paluel  exposent  aussi  «  qu'ils  ont  été  pillés  et 
«  ravagés  dans  leurs  biens,  tant  bestiaux  que  grains, 
u  et  forcés  de  fiiyr  et  d'abandonner  leurs  maisons  et 
i(  leurs  familles.  » 

Enfin,  l'habitude  d'être  pillé  et  ravagé  faisait 
qu'on  ne  se  livrait  à  aucunes  réparations,  même  aux 
plus  urgentes.  Il  est  question  de  relever  les  han- 
gars d'Elétot  ;  on  remet  à  faire  ce  travail  après  le 
départ  des  garnisons  du  pays.  On  fut  cependant 
obligé  de  faire  déblayer  l'entrée  du  port ,  que  la 
chute  de  la  jetée  d'aval  avait  fait  encombrer  de  ga- 
lets. M.  de  Saquenville,  qui  était  rentré  à  san  poste, 
api*ès  le  départ  de  l'armée  ennemie ,  demanda  que 


C359) 

ce  travail  fût  à  la  charge  de  Tabbaye.  Le  prieur 
De  Gampion  lui  répondit  que  y  de  tout  temps ,  il 
avait  été  fait  par  les  bourgeois;  cependant,  que  la 
communauté  ne  refuserait  pas  de  venir  à  leur 
secours. 

Ce  déblai  était  d'autant  plus  nécessaire,  que 
Villars  venait  de  faire  armer  dans  le  port  de  Fécamp 
sept  gros  navires ,  et  d'autres  plus  petits ,  devant 
servir  au  transport,  pour  s'emparer  de  la  ville  de 
Brest ,  oùcammandait  René  de  Rieux ,  pour  Henri  lY  ; 
ce  capitaine^  expérimenté,  ayant  appris  que  l'esca- 
drille de  Fécamp  se  dirigeait  d'abord  sur  Camaret , 
pour  inquiéter  le  port  de  Brest,  fit  partir  en  dili- 
gence des  vaisseaux  à  sa  rencontre,  et  remporta ,  sur 
les  ligueurs  normands ,  une  victoire  qui  servit  beau- 
coup à  maintenir  la  Bretagne  sous  l'obéissance  du 
roi. 

Après  le  siège  de  Rouen,  par  Henri  lY ,  et  le 
passage  de  la  Seine  à  Caudebec ,  par  le  duc  de  Parme , 
apparaît  de  nouveau  le  capitaine  Bois-Rosé  ^  si  cé- 
lèbre par  l'escalade  du  fort  de  Notre-Dame-du- 
Bourg-Baudouin. 

Il  y  a  doute,  si,  au  moment  de  ce  fait  d'armes , 
ce  fort  était  occupé  par  des  soldats  de  Biron ,  ou 
par  une  garnison  appartenant  à  la  Ligue  ;  deux  au<^ 
teurs  contemporains  ne  sont  pas  <l'accord  à  ce  sujet. 
Sully  dit  positivement  :  «  que  ce  fort  fut  pris  par 
«  Biron  sur  la  Ligue,  et  qu'il  y  avait,  dans  la  garni- 


(  36o  ) 

«  son  qui  en  sortait,  un  gentilhomme ^inommé  Bois- 
•  Rosé,  quiremai*qua  (  pour  s'en  emparer)  ia  place 
«  d'où  on  le  chassait,  et,  prenant  ses  précautions  de 
«  loin,  fit  en  sorte  que  deux  soldats  qu'il  avait  ga- 
«  gnés  fussent  reçus  dans  la  nouvelle  garnison  que 
«  les  royalistes  établirent  dans  Fécamp  '.  » 

Palma  Cayet  dit,  au  contraire,  que  Bois-Rosé 
reprit  cette  place  sur  une  garnison  de  la  Ligue;  et 
quelques  auteurs  modernes  ontindifïéremipentadopté 
l'une  ou  l'autre  de  ces  versions ,  sans  rechercher 
laquelle  était  la  plus  vraie  ou  la  plus- probable. 

Quant  à  nous,  nous  croyons  que  Sully  se  trompe 
en  disant  que  Bois-Rosé  était  dans  le  fort  à  l'ar- 
rivée de  Biron;  car  il  n'aurait  pu  s'y  trouver  qu'en 
sa  qualité  de  capitaine ,  et  des  pièces  officielles  nous 
font  connaître  que  M.  de  Saquenville ,  seul ,  était 
pourvu  de  cette  charge  ;  nous  avons  ensuite  la  cer- 
titude que  Biron  ne  s'empara  pas  du  fort  du  Bourg- 
Bandouin,  car  la  garnison  calviniste,  qui  l'aurait 
occupé,  se  serait  opposée  au  départ  des  navires 
envoyés  sur  la  côte  de  Bretagne ,  et  parce  que  nous 
voyons  des  processions  qui  se  dirigent  à  Notre- 
Dame  ,  en  vertu  de  la  permisjsion  demandée  çl 
M.  de  Saqueni^ille.  Or ,  la  chapelle  de  Notre-Dame 
étant  placée  dans  le  fort  Baudouin,  il  est  clair  que 
si  les  calvinistes  en  eussent   été  maîtres,   ils,  n'y 

'  Sully  ,  Mémoires ,  année  lôOd. 


(  36.  ) 

auraient  pas  laissé  introduire  une  partie  de  la  popu- 
lation de  Fécamp^  à  la  suite  d'une  cérémonie  reli- 
gieuse :  nous  suivrons,  en  conséquence ,  pour  ce  qui 
regarde  Bois-Rosé ,  la  version  de  Palma  Cayet. 

Nous  avons  déjà  vu  ce  capitaine  jouer  un  rôle 
important  dans  la  prise  d'assaut  des  forts  de  Fécamp; 
depuis  cette  époque ,  il  n'avait  cessé  de  se  distinguer 
par  des  faits  d'armes  éclatants  y  sous  les  ordres  du 
marquis  de  Yillars. 

«  Pendant  le  siège  de  Rouen ,  dit  l'auteur  que 
«  nous  venons  de  citer ,  les  royaux  mirent  deux  ca- 
«  nous  sur  la  côte  de  Turinge  et  deux  à  la  plaine 
«  du  fort.  Le  capitaine  de  Bois-Rosé ,  qui  était  dans 
«  le  retranchement,  vint  avec  cinq  cents  hommes  pour 
•  déloger  les  royaux,  et  les  attaque  avec  audace.  Il 
»  reçoit  une  blessure ,  en  s'obstinant  à  enlever  le 
«  corps  d'un  soldat  mort  à  ses  côtés;  ce  corps  est 
«  pris  et  repris  cinq  fois.  Sa  blessure  lui  avait  frac- 
«  turé  les  os  de  la  jambe  gauche,  et  il  combattait 
«  toujours  en  battant  en  retraite  ,  appuyé  sur  deux 
«  des  siens  ;  il  fut  conduit  dans  la  ville  pour  se  soi- 
c«  gner  et  y  méditer  une  grande  sortie.  Bien  que 
(«n'étant  pas  encore  rétabli,  il  fait  reconnaître  la 
«  position  des  ennemis,  et  enlève  cinq  gros  canons  à 
«  l'armée  du  roi'.  » 

Certes ,  Bois-Rosé  était  un  homme  à   ménager; 

/>■'■■■'  ■  ■■  '         ,      ■     *i 

*  Palma Gay et,  édit.  Pctitot ,  vol.  41  ,  page  27. 


(  36a  ) 

■■y. 

mais  Yillars ,  d'un  caractère  très  altier ,  eut  la  mala- 
dresse de  se  fâcher  avec  lui.  «  A  cette  époque^  les 
«  ligueurs  s'entre-prenaient  les  places  les  uns  les 
«  autres.  »  Bois-Rosé  forme  le  projet  de  surprendre 
la  forteresse  de  Notre-Dame ,  située  sur  la  falaise 
de  Fécamp  ;  et  ce  projet ,  il  l'exécute  avec  soixante 
hommes  de  s.  compagnie ,  qui  désirèrent  prendre 
part  à  son  audacieuse  entreprise. 

Voici  la  narration  de  Sully,  sur  cet  incroyable 
événement. 

«  Le  côté  du  fort  qui  donne  sur  la  mer  est  un 
m  rocher  de  six  cents  pieds  de  haut ,  coupé  en  pré- 
«  cipice ,  et  dont  la   mer  lave  continuellemenjt  le 

a  pied Bois-Rosé,  à  qui  toute  autre  voie  était 

«  fermée  pour  surprendre  une  garnison  attentive  à 
«  la  garde  d'une  place  nouvellement  prise ,  ne  douta 
m  point  que ,  s'il  pouvait  aborder  par  cet  endroit,  re- 
c(  gardé  comme  inaccessible ,  il  ne  vînt  à  bout  de  son 
«  dessein  :  il  ne  s'agissait  plus  que  de  rendre  la  chose 
«  possible ,  et  voici  comment  il  s'y  prit. 

«  Il  était  convenu  d'un  signal  avec  les  deux  sol- 
«  dats  gagnés,  et  l'un  deux  l'attendait  continuelle- 
«  lement,  sur  le  haut  du  rocher,  où  il  se  tenait 
m  pendant  tout  le  temps  de  la  basse  marée.  Bois- 
ce  Rosé  ayant  pris  le  temps  d'une  nuit  fort  noire , 
«  vint,  avec  cinquante  soldats  déterminés,  et  choisis 
«  exprès  parmi  des  matelots,  et  aborda  avec  deux 
«  chaloupes  au  pied  du  rocher  :  il  s'était  encore 


(  363  ) 

c(  muni  d'un  gros  câble ,  égal  en  longueur  à  la  haU' 
cc  teur  de  la  falaise ^  et  il  y  sTvait  fait,  de  distance  en 
<c  distance,  des  nœuds  et  passé  de  courts  bâtons , 
a  pour  pouvoir  s'appuyer  des  mains  et  des  pieds. 
«  Le  soldat  qui  se  tenait  en  faction ,  attendant  le 
<c  signal  depuis  six  mois ,  ne  Teut  pas  plutôt  reçu  , 
a  qu'il  jeta  du  haut  du  précipice  un  cordeau  y  auquel 
«  ceux  d'en  bas  lièrent  le  gros  câble,  qui  fut  guindé 
«  au  haut  par  ce  moyen,  et  attaché  à  l'entre^deux 
«  d'une  embrasure,  avec  un  fort  levier  passé  par 
«  une  agraffe  de  fer,  faite  à  ce  dessein.  Bois-Rosé 
«  fit  prendre  les  devants  à  deux  sergents,  dont  il 
a  connaissait  la  résolution ,  et  ordonna  aux  cinquante 
«  soldats  de  s'attacher  de  même  à  cette  espèce 
<(  d'échelle ,  leurs  armes  liées  autour  de  leur  corps , 
c(  et  de  suivre  à  la  file  :  se  mettant  lui-même  le  deiv 
«  nier  de  tous ,  pour  ôter  aux  lâches  toute  espérance 
«  de  retour.  La  chose  devint  d'ailleurs  bientôt  im- 
a  possible;  car,  avant  qu'ils  fussent  seulement  à 
«  moitié  chemin ,  la  marée  qui  avait  monté  de  plus 
«  de  six  pieds,  avait  emporté  les  chaloupes  et  faisait 
«  flotter  le  câble.  Qu'on  se  représente  au  naturel 
«  ces  cinquante  hommes ,  suspendus  entre  le  ciel  et 
<c  la  terre  ,  au  milieu  des  ténèbres  ;  ne  tenant  qu^à 
«  une  machine  si  peu  sûre,  qu'un  léger  manque  de 
c(  précaution ,  la  trahison  d'un  soldat  mercenaire  , 
«  ou  la  moindre  peur,  pouvait  les  précipiter  dans  les 
«  abîmes  de  la  mer  ou  les  écraser  sur  les  rochers  : 


(  364  ) 

«  il  y  avait  dans  tout  cela  de  quoi  faire  tounier  la 
«  tête  au  plus  assuré  de  la  troupe  ;  comme  elle 
a  commença  en  effet  à  tourner  à  celui-là  même 
«  qui  la  conduisait.  Ce  sergent  dit  à  ceux  qui  le 
c(  suivaient  qu'il  ne  pouvait  plus  monter ,  et  que  le 
a  cœur  lui  défaillait.  Bois-Rosé ,  à  qui  ce  discours 
<(  était  passé  de  bouche  en  bouche ,  et  qui  s'en  apeN 
«  cevait  parce  qu'on  n'avançait  plus ,  prend  son  parti 
«  sans  balancer.  Il  passe  par-dessus  le  corps  de  tous 
a  les  cinquante  qui  le  précèdent,  en  les  avertissant 
«  de  se  tenir  ferme,  et  arrive  jusqu'au  premier, 
«  qu'il  essaye  d'abord  de  ranimer  :  voyant  que  par 
a  la  douceur  il  ne  peut  en  venir  à  bout,  il  l'oblige, 
a  le  poignard  dans  les  reins-,  de  monter,  et  sans 
«  doute  que ,  s'il  n'eût  obéi ,  il  l'aurait  poignardé  et 
«  précipité  dans  la  mer.  Avec  toute  la  peine  et  le  tra- 
ce vail  qu'on  s'imagine,  enfin  la  troupe  se  trouva  au 
c(  haut  de  la  falaise  un  peu  avant  la  pointe  du  jour, 
c(  et  fut  introduite  par  les  deux  soldats  dans  le  châ- 
c(  teau ,  où  elle  commença  par  massacrer,  sans  misé- 
«  ricorde ,  le  corps  de  garde  et  les  sentinelles  :  le 
«  sommeil  livra  presque  toute  la  garnison  à  la  merci 
c(  de  l'ennemi,  qui  fit  main  basse  sur  tout  ce  qui 
«  résista,  et  s'empara  du  fort.  y> 

Comme  Bois-Rosé  n'avait  pas  assez  d'hommes  pour 
garder  ses  prisoniiiers  ;  il  renvoya  ceux-ci  à  Fécamp , 
dès  le  matin  même ,  et  ils  annoncèrent  aux  habitants 
l'événement  de  la  nuit.    Quelques  pièces  de  canon, 


(  365  ) 

braquées  sur  Fécamp ,  apprirent  aux  bourgeois  qu'ils 
ne  devaient  pas  laisser  manquer  de  vivres  la  nou- 
velle garnison,  s'ils  tenaient  à  conserver  sur  pied 
leurs  maisons  et  leurs  églises. 

Bois-Rosé  réclama  presqu'aussitot  la  solde  et  les 
vivres  fournis  par  la  communauté  à  ses  prédéces-^ 
seurs,  et  il  prévint  le  prieur  qu'il  allait  faire  raser 
le  bois  du  Goulet,  ayant  besoin  de  fagots  pour  brûler 
et  de  palissades  pour  garnir  les  remparts  de  sa  for- 
teresse. Le  chapitre,  mécontent  de  ces  exigences, 
chargea  M.  de  Boismilon  ,  son  garde  général ,  d'aller 
trouver  le  nouveau  commandant ,  et  de  lui  repré- 
senter que  ces  bois  n'étaient  pas  encore  en  coupe. 
Boismilon  monte  au  fort ,  et  ne  trouve  pas  le  capi- 
taine Bois-Rosé ,  qui  était  déjà  aux  champs, 

Yillars  n'eut  pas  plutôt  appris  que  la  forteresse 
de  Notre-Dame  était  au  pouvoir  du  transfuge  Bois- 
Rosé,  qu'il  appela  de  tous  côtés  des  forces  pour  l'as- 
siéger et  la  reprendre.  Des  troupes  se  réunirent  au 
pied  de  la  forteresse ,'  du  côté  du  port  de  Fécamp  ; 
quelques  compagnies  se  retranchèrent  sur  le  plateau 
de  Senneville ,  dans  une  enceinte  fermée  par  un 
rampart  gazonné ,  garni  de  canons ,  qui  firent  un 
feu  terrible  contre  la  place. 

Ces  travaux  d'attaque  se  voient  encore  au-dessus 
de  la  côte  de  Fécamp  ,  au  haut  du  chemin  connu 
isous  le  nom  de  Sente  aux  Matelots, 

N'ayant  que  ses  soixante  hommes  pour  toute  res- 


(  366  ) 

source ,  Bois-Rosé  sut  tenir  tête  à  soi>  ennemi , 
p^adant  treize  mois  du  siège  le  pliis  rigoureux  j  où , 
chaque  jour,  on  faisait  passer  par  les  armes ^  comme 
des  rebelles ,  ses  soldats  qui  avaient  le  malheur  d'être 
faits  prisonniers.  Cependant,  comme  il  voyait  qu'il 
ne  pouvait  tenir  plus  long-temps  faute  de  vivres  ,  il 
prit  le  parti  de  remettre  le  fort  Baudouin  à  Henri  lY, 
dont  l'abjuration  paraissait  décidée. 

Il  se  déroba  à  cet  effet ,  de  nuit,  de  sa  forteresse, 
partit  pour  Saint-Denis ,  où.  il  offrit  au  roi  les  places 
<k  Fécamp  et  de  Lillebonne,  qui  étaient  sous  son 
commandement.  Ce  fut  le  premier  des  chefs  de 
l'Union  qui  fit  sa  soumission  à  Henri  lY'. 

Le  roi  reconnut  toute  l'importance  de  la  démarche 
de  Bois-Rosé ,  vu  qu'il  possédait  encore  peu  de  places 
en  Normandie,  par  l'obstination  de  Yillars.  Il  partit, 
avec  son  armée,  pour  Dieppe,  et  ensuite  pour  Saint- 
Yalery-en-Caux.  Voyant  là  que  le  duc  de  Mayenne 
cherchait  à  l'amuser  par  ses  temporisations  et  ses 
demandes  de  trêves ,  il  traversa ,  avec  une  partie  de 
ses  troupes,  le  bourg  de  Cany,  s'avança  droit  à  Fé- 
camp, obligea  les  troupes  de  Yillars  d'abandonner 
leur  retranchement,  et  pourvut  abondamment  la 
forteresse  Notre-Dame  de  tout  ce  qui  était  nécessaire 
pour  sa  sûreté. 

Yillars ,  après  le  départ  du  roi ,  désespérant  de 

»  Palma  Cayet ,  ëdit.  Petitot ,  ▼ol.  XLÎ. 


(  367  ) 

prendre  cette  place  ,  se  contenta  de  la  bloquer  par 
une  nombreuse  troupe  de  soldats,  cantonnes  à  Senne- 
ville  y  à  Fécamp  et  dans  les  environs. 

Ce  siège  fut  une  des  grandes  époques  de  calamités 

pour  la  ville  de  Fécamp  ;  elle  était  remplie  de  gens*- 

d'armes  de  tous  les  pays ,  qui  s'y  conduisaient  comme 

en  terre  étrangère.  Huit  cents  étaient  logés  dans  les 

maisons  des  bourgeois,  et  ceux-ci  devaient  les  nourrir 

et  pourvoir  à  toutes  leurs  exigences.  Ne  pouvant 

supporter  de  pareilles  charges  ,  cent  vingt  ménages, 

des  plus  aisés ,  quittèrent  la  ville  pour  aller  s'établir 

ailleurs.  Au  sujet  de  cette  émigration ,  Jehan  Guil- 

lebert ,  locataire  de  trois  moulins  appartenant  à  la 

communauté,  demande  une  remise  sur  ses  fermages, 

«  vu  les  guerres  et  les  troubles  régnants ,  et  que 

a  depuis    l'assiègement   du   fort    Notre-Dame-de- 

c(  Baudouin-du-Bourg ,   la  plus   grande  partie   des 

a  bourgeois  et  habitants  dudit  lieu ,   leurs  femmes 

«  et  familles  s'étaient  retirés  ailleurs ,  et  que  le  trafic 

«  de  la  marine  était  délaissé  par  le  rompement  des 

«  barres  et  du  port  du  Havre ,  lesquels  procuraient 

«  la  plus  grande  et  meilleure  partie  des  grains  des 

K  moulins.  x> 

Adam  Menessier ,  Baptiste  le  Doyen ,  Jehan  Assire , 
Jacques  Fontaine,  Nicolas  Dargeqt,  Nicolas  Lemetey, 
Guillaume  Leclerc,  Guillaume  Godefroy,  les  veuves 
Guillaume  Jacques  Forestier ,  Nicolas  Lemarichal  et 
Thibaut  Tinel ,  qui  possédaient  des  maisons  en  bois  ^ 


(  368  ) 

sur  la  chaussée,  entre  les  deux  barres,  remontrent 
que  ces  maisons  ont  été  totalement  ruinées  et  abattues 
par  les  soldats  et  gens  de  guerre ,  durant  le  siège  du 
fort  de  Notre-Dame ,  et  qu'//j  ne  peuvent  les 
réédifier  à  cause  de  leur  pauvreté. 

Le  monastère  n  était  pas  plus  respecté  que  ce 
qui  l'environnait;  les  chevaux  des  gens  d'armes 
occupaient  les  écuries,  et  jusqu'au  bâtiment  servant 
de  four  à  la  communauté,  et  les  soldats  qui  y  étaient 
casernes  ajoutaient  encore  au  désordre,  en  intro- 
duisant dans  leurs  chambres  tout  ce  qu'une  excessive 
licence  permet  de  supposer  ;  ils  jouaient  journelle- 
ment à  la  paume,  dans  le  réfectoire ,  où  ils  faisaient 
mille  dégâts  ;  on  fut  obligé  d'en  enlever  les  vitres  par 
panneaux ,  d'en  murer  les  portes  et  les  fenêtres ,  et  de 
ne  laisser  que  les  ouvertures  nécessaires  pour  rece- 
voir un  peu  de  jour  dans  l'intérieur. 

L'hôtellier  annonça  en  même  temps  au  chapitre , 
«  que  les  soldats  et  gens  de  guerre  ruinaient  et  abat- 
taient certaine  maison  dépendante  de  son  office , 
assise  dans  le  lieu  nommé  vulgairement  les  Galères  ^ 
laquelle  ils  avaient  commencé  à  démolir  et  à  en 
enlever  les  bois.  »    ■ 

Les  campagnes  voisines  étaient  à  peu  près  traitées 
de  la  même  manière  :  Jacques  Labbé,  de  Senne- 
ville,  fit  entendre  des  nouvelles  plaintes ,  «sur  les 
pertes,  voUeries  et  pilleries  qu'il  souffrait  chaque 
jour,  étant  proche  du  fort  Notre-Dame,  et  qu'enfin 


(369  ) 

il  avait  perdu  une  belle  pièce  d'avoine ,  prête  à  être 
récoltée ,  les  gens  d armes  ajrant  mis  leurs  chevaux 
dans  icelle  pièce ,  lorsqu'il  y  eut  quelques  soldats 
de  bos-Rosé  exécutés.  » 

A  Samt-Léonard ,  les  fourrages  étaient  enlevés  des 
granges  ;  au  Val-au-Clerc ,  Michel  Catelier ,  fermier 
de  la  côte  Bertrin  j  et  d'une  autre  propriété  assise 
au  camp  .  Christophe ,  annonçait  qu'il  avait  ense- 
mencé ses  terres  de  toutes  espèces  de  grains  j  en 
1 593  ^  a  et  qu'en  la  même  année ,  M.  l'amiral  étant 
«  venu  à  Fécamp ,  avec  de  grandes  troupes^  et  posé 
«  garnison  9  tant  de  cheval  que  de  pied^  pour  tenir 
a  ledit  fort  comme  assiégé ,  ladite  garnison ,  pour 
ce  nourriture  de  ses  che vaux ^  aurait  totalement  cou* 
a  pé,  ravagé,  pillé  et  emporté  tous  ses  grains ,  dont 
«  il  aurait  souffert  une  perte  de  plus  de  cent  cin- 
<x  quante  écus.  » 

Le  capitaine  De  Marseilles  avait  succédé  à  M.  de 
Saquenville,.  et  s'occupait  beaucoup  plus  de  faire 
payer  la  solde  de  ses  hommes  j  que  de  rétablir  parmi 
eux  la  discipline  ;  il  écrivit  aux  moines  pour  leur 
demander  cinq  cents  écus ,  faute  de  quoi  il  serait 
obligé  de  contraindre  leurs  fermiers;  la  réponse  fut 
qu'pnn'avait  pas  d'argent,  et  qu'il  fît  ce  qu'il  juge- 
rait à  propos.  Des  garnisaires  furent  envoyés  dans  les 
campagnes ,.  et  il  n'y  a  pas  de  doute  que  cette  contri- 
bution forcée  n'ait  été  le  prétexte  de  nouvelles  et 
rigoureuses  exactions. 


.4 


(  370  ) 

Ce  n'était  pas  encore  assez  de  tous  ces  maux; 
comme  si,  à  certaines  époques ,  l'espèce  humaine 
était  poursuivie  par  une  destinée  qu'elle  ne  peut 
éviter ,  la  peste  faisait  de  nouveaux  ravages  à  Fécamp. 
Le  chapitre  fut  assemblé  dans  le  but  de  prendre  des 
mesures  contre  ce  terrible  fléau  :  on  donna  l'ordre 
à  M.  de  Boismilon  de  faire  couper  des  perches,  pour 
construire  des  loges  daqs  la  forêt.  Les  pestiférés  y 
étaient  journellement  conduits,  livrés  aux  soins  de 
la  charité  chrétienne  et  des  membres  de  leurs  familles , 
qui  osaient  affronter  la  contagion. 

On  fit  éloigner,  de  l'intérieur  du  fort,  les  frères 
de  charité  de  Saint-Léger  et  de  Saint-Thomas ,  qui 
portaient  tous  les  jours  des  individus  morts  de  la 
peste  ;  et  on  renvoya  des  églises  les  pauvres  qui  s'y 
entassaient  comme  dans  des  refuges. 

Il  y  avait  aussi  des  malades  près  de  la  boulangerie 
du  couvent,  située  en  dehors  des  murs;  on^  craignit 
que  le  pain  ne  mçiit  le  mauvais  air  ^  et  on  ordonna 
de  faire  rentrer  le  boulanger  dans  l'intérieur;  mais, 
comme  la  maison  du  four  était  occupée  par  les 
chevaux  des  gendarmes,  on  fut  obligé  de  construire 
un  autre  bâtiment  et  un  autre  four. 

On  s'aperçut  aussi  que  des  soldats  et  des  gens 
de  la  ville  se  réunissaient  dans  le  cellier  et  dans  la 
cellule  de  Jean  Brébion,  clerc,  qui  y  tenait  taverne; 
et  que  Jacques  Docquet,  troisième cuisinier,^recevait 
beaucoup  d'étrangers  dans  sa  cuisine;  il  fut  défendu 


(37-  ) 

à  l'un  et  à  l'autre  d'introduire  personne  à  l'avenir , 
dans  le  monastère ,  sous  peine  de  perdre  leur  état. 

Le  capitaine  De  Marseilles  avait  été  remplacé  par 
M.  de  Vouliers,  et  celui-ci  ne  tarda  pas  à  l'être  par 
M.  de  Ghampiéron  ;  le  blocus  du  fort  Baudouin  con- 
tinua d'être  rigoureusement  observé ,  car  la  garnison 
royaliste  était  un  mauvais  voisinage  pour  la  ligue  aux 
abois.  Ghampiéron  montra  beaucoup  de  zèle  pour  la 
cau^e  de  l'union ,  et  défendit  aux  cultivateurs  de 
Senneville  de  mettre  leurs  bestiaux  à  pâturer  vers 
le  fort  Notre-Dame,  de  crainte  que  ces  animaux 
ne  devinssent  la  proie  de  l'ennemi.  Cette  défense 
porta  le  plus  grand  préjudice  aux  fermiers,  dont 
les  pâturages  furent  perdus  sur  cette  partie  de  la 
côte. 

La  surveillance  de   Ghampiéron   s'étendait   sur 

toutes  les  classes  d'individus  placés  dans  le  ressort 

de  son  commandement.   Un  jour,  il   fit  savoil*  au 

prieur  de  Gampion ,  «  ^u'il  avait  une  mauvaise  opi- 

«  nion   d'un  de  ses   moines  ^   qui  allait  souvent  à 

«(  Lillebonne  et  autres  endroits  du  parti  contraire, 

«  et  donnait  avertissement  au  sieur  de  Bos-rbsé  de  ce 

«  qui  se  passait.  » 

Ce  moine,  voyant  <jue  sa  conduite  était  surveillée, 
demanda  au  prieur  la  permission  de  se  retirer  du 
inonastèi^e,^^^^^'^  ce  que  les  compagnies  ayent  quit- 
té le  pays  ^  craignant  qui  il  lui  arrivât  quelque  tort. 
Cette  permission  ne  lui  fut  donnée  qu'à  la  condition 


V 


(37^  ) 

qu'il  ne  fréquenterait  aucun  lieu  contraire  au  parti , 
ni  autre  que  sous  l autorité  de  M.  de  Villars. 
iSq^.  Les  temps  n'étaient  pas  éloignés,  où  la  lassitude 

.  des  partis,  les  maux  de  la  patrie  déchirée  par  Tétran- 
ger,  devaient  amener  une  transaction  désirée  de 
tous.  Henri  IV  en  donna  lui-même  l'exemple,  en 
abjurant  les  doctrines  du  calvinisme.  La  ligue  n'ayant 
plus  de  prétexte  pour  s'éloigner  de  ce  prince,  tous  ses 
chefs  firent  successivement  leur  soumission,  etVillars 
lui-même,  ce  chaud  partisan  de  l'union  catholique, 
fît  son  accommodement  avec  le  roi ,  auquel  il  rendit 
la  ville  de  Rouen.  Toute  la  Normandie  suivit  l'exemple 
de  sa  capitale. 

Boisrosé  s'attendait  à  être  nommé  par  le  roi  ca- 
pitaine de  la  forteresse  de  Fécamp ,  qu'il  avait  si  bien 
défendue;  mais,  comme  cette  place  était  dans  les  at- 
tributions de  Biron ,  pourvu  de  la  charge  de  grand 
amiral  de  France,  il  fut  remplacé  par  Jean  de  Cauqui- 
gny ,  et  reçut  la  promesse  d'un  emploi  plus  avantageux. 
Ce  dédommagement  n'arrivant  pas  assez  tôt  selon 
son  désir,  Boisrosé  s'adressa  à  Sully,  qui  lui  fit  d'à- 
bord  obtenir  une  pension  de  douze  cents  livres,  une 
compagnie  avec  appointements ,  et  deux  mille  écus 
en  argent.  «  Mais,  nous  dit  son  puissant  protecteur, 
je  me  l'attachai  plus  étroitement  dans  la  suite, 
et  je  le  crus  digne  de  la  lieutenance  générale  d'ar- 
tillerie en  Normandie ,  lorsque  le  roi  m'en  eut  donné 
la  grande  maîtrise.  » 


(373  ) 

Ajoutons  inaintenaat,  pour  ne  plus  revenir  sur 
cet  homme  extraordinaire ,  qui  a  fourni  une  page  si 
pittoresque  à  l'histoire  de  Fécamp ,  que  nous  le  re- 
trouvons ,  à  quelques  années  de  là  ,  dans  sa  terre  de 
Limpiville,  demandant  aux  moines  l'autorisation  d'y 
construire  un  moulin  pour  le  soulagement  de  ses 
vassaux  y  qui  étaient  obligés  d'aller  faire  moudre  leur 
grain  à  plus  d'une  lieue  de  leurs  maisons. 

C'est  le  bouillant  chef  de  parti  qui  a  déposé  sa  vail- 
lante épée ,  et  qui ,  sur  la  fin  de  sa  carrière,  a  compris 
que  les  discordes  civiles  sont  le  fléau  des  populations , 
et  qu'il  est  plus  glorieux  d'être  utile  à  ses  concitoyens 
que  de  ravager  leurs  champs  et  leurs  demeures. 

M.  de  Chattes,  voyant  que  la  paix  devait  amener 
un. changement  dans  la  situation  des  affaires  reli- 
gieuses, consentit  à  un  arrangement  avec  son  con- 
current, Louis  de  Lorraine ,  élu  par  le  pape;  il  y  eut 
entre  eux  partage  des  revenus  attribués  à  l'abbé  de 
Fécamp. 

La  France  aurait  été  tranquille,  si  les  Espagnols,  is^^. 
premiers  fauteurs  de  la  ligue,  n'avaient  encore  intrigué 
avec  les  mécontents  de  tous  les  partis;  leur  armée 
s'empara  d'Amiens,  et  l'on  craignit,  à  Fécamp,  de 
revoir  l'ennemi  devant  les  portes.  Le  capitaine  Tu  ville, 
qui  était  alors  gouverneur  de  la  forteresse,  écrivit 
aux  religieux  :  «  qu'il  serait  bon  de  se  fortifier  et 
«  de  faire  des  barricades  en  cette  ville ,  oà  il  y 
«  en  aidait  eu  par  ci-devant^  et  de  réparer  les  ponts 


(374) 


«  et  les  portes,  pour  les  fermer  et  les  faire  couvrir  de 
a  gens ,  si  c'était  besoin  pour  la  sûreté  de  ces  M'*.  »  Ces 
précautions  devinrent  inutiles  :  le  roi  se  porta  devant 
Amiens  avec  ses  sujets  fidèles,  parmi  lesquels  se  distin- 
guait le  commandeur  de  Chattes;,  et  les  Espagnols 
furent  obligés  de  regagner  leurs  frontières.  De  là , 
Henri lY  se  rendit  à  Rouen,. où  il  confirma  les  pri- 
vilèges de  l'abbaye  de  Fécamp. 

Le  nouveau  gouverneur  de  Fécamp  ne  résida  plus 
dans  le  fort  Baudouin.  Cette  forteresse  fut  pres- 
qu'aussitôt  démolie  de  fond  en  comble,  à  la  grande 
satisfaction  des  habitants,  qui  la  regardaient  comme 
la  cause  de  tous  les  maux  qui  avaient  fondu  sur 
la  cité.  La  ville  fut  encore  quelque  temps  déserte, 
et  le  peu  de  bourgeois  restés  dans  leurs  foyers ,  circu- 
laient comme  des  ombres  autour  *  de  leurs  églises 
détruites,  et  parmi  les  ruines  de  cinq  cents  maisons 
dévastées  par  le  canon  et  les  incendies  '.  La  paix  vint 
insensiblement  effacer  quelques  vestiges  de  ces 
désastres;  car  il  est  dans  la  nature  humaine  d'oublier 
promptement  le  passé,  de  ne  songer  qu'au  présent, 
et  de  se  faire  illusion  sur  l'avenir. 


*  Tous  les  moalins  à  blé ,  à  huile  et  à  tan ,  de  la  vallée ,  furent 
aussi  renversés  par  les  soldats.   Ms.  de  1686. 


(375) 


FÉCAMP 

1 

DEPUIS    160I.    jusqu'à    nos    JOURS. 

François  de  Joyeuse,  trente-troisième  Abbé. 

Louis  de  Lorraine  mourut  en  1601,  et  François        »^««« 
de  Joyeuse.,  cardinal,    archevêque  de  Rouen,  lui 
succéda  en  qualité  d'abbé  du  monastère  de  Fécamp. 

M.  de  Chattes ,  qui  avait  été  pourvu  de  la  charge 
de  lieutenant  général  du  roi ,  dans  le  pays  de  Caux, 
prit  le  titre  de  procureur  général  de  l'abbé  de 
Joyeuse ,  et  le  prieur,  Charles  de  Campion ,  fut 
nommé  grand  vicaire  de  monseigneur,  et  dirigeait, 
sur  les  lieux,  les  affaires  de  la  communauté.  JaQiais 
supérieurs  n'eurent  à  traverserde  plus  mauvais  temps 
que  ceux  qui  signalèrent  le  cours  de  sa  longue  çt 
difficile  administration. 

Le  chapitre  dut  s'occuper  aussitôt  de  la  nomination 
d'un  nouveau  prieur.  M.  de  Chattes  avait  recommandé 
d'élire  le  chantre ,  et  cette  recommandation  était  un 
ordre;  aussi  trouvons-nous  presque  tous  les  votes 
ainsi  conçus  : 

Le  jardinier  nomme  M.  le  chantre,  pour  se  coq- 
former  au  bon  vouloir  de  monseigneur. 


(376) 

Le  sacristain  vote  pour  M.  le  chantre,  sur  l'avis 
de  monseigneur. 

Deux  voix  indépendantes  osèrent  seules  se  pro- 
noncer pour  M.  de  Pierrecourt ,  franchement  et  sans 
restriction  du  bon  vouloir  de  monseigneur. 

Une  grande  majorité  étant  acquise  au  chantre ,  le 
moment  était  venu  de  la  proclamer,  lorsque  le  quart 
prieur,  qui  présidait  l'assemblée ,  mécontent  du  ré- 
sultat des  votes ,  quitta  subitement  la  réunion.  Les 
anciens,  surpris  d'une  pareille  conduite,  etcraignant 
qu'elle  ne  devînt  le  prétexte  de  quelques  troubles, 
désignèrent  immédiatement  le  grainetier,  pour  faire 
reconnaître  le  nouveau  prieur,  et  le  conduire  au 
fauteuil. 

Les  ordres  donnés  par  le  vicaire  général ,  et  in- 
scrits aux  registres  capitulaires ,  prouvent  qu'il  voulait 
ramener  parmi  les  religieux  la  régularité  monacale , 
qui  était  encore  loin  d'être  parfaite  : 

Il  prescrit  de  faire  des  visites  dans  les  chambres, 
pour  voir  s'il  n'y  aurait  pas  d'armes  cachées ,"  et  in- 
terdit la  fréquentation  du  tripot  et  des  tavernes;  ces 
défenses  n'empêchèrent  pas  qu'à  la  procession  qui 
eut  lieu  au  sujet  de  la  paix  générale,  les  moines 
n'entrassent  dans  les  cabarets,  et  ne  tirassent  des 
coups  d'arquebuses  dans  les  rues  et  par  les  fenêtres. 

Il  défend  expressément  aux  religieux  de  se  pro- 
mener dans  l'église,  de  causer  avec  les  individus 
soupçonnés  d* appartenir  à  la  religion  réformée  y 


(  377) 

d^amener  des  serviteur  coucher  dans  leurs  dor- 
toirs ,  d avoir  des  chambres  hors  du  couvent ,  et  de 
passer  sous  la  porte  de  la  salle  ^  pour  aller  en  ville 
ou  aux  jardins. 

Il  interdit  aux  habitants  du  bourg  de  faire  paître 
leurs  animaux  dans  les  cours  de  l'abbaye  ^  et  d'y 
étendre  des  toiles ,  du  fil  et  du  linge. 

Il  fait  clorre  les  portes  Aes  galères  ^  de  ce  grand 
bâtiment  situé  près  de  la  route  actuelle  de  Rouen, 
oii  les  moines  allaient  en  récréation  ;  il  ordonne  de 
-bien  fermer  celles  de  l'église,  pour  empêcher  les 
novices  d'aller  dans  les  rues  de  la  ville,  au  lieu 
d'être  à  matines. 

Cette  réclusion  forcée  n'était  nullement  du  goût  des 
jeunes  religieux,  car  on  s'aperçut  qu'ils  avaient  fait 
une  ouverture  dans  la  muraille,  derrière  la  mai- 
son des  enfants  de  chœur.  Le  vicaire  général  la  fit 
fermer  aussitôt  qu'il  en  eut  connaissance,  et,  dès  le 
lendemain ,  la  Lrèche  était  de  nouveau  pratiquée. 
M.  de  Campion  crut  devoir,  à  ce  sujet ,  frapper 
un  coup  d'autorité,  et  défendre  aux  reHgieux  de 
célébrer  la  messe,  ni  d'approcher  de  la  sainte 
Communion  avant  d'avoir  averti  de  ce  qu'ils  sa" 
valent  sur  le  débouchement  du  trou.  Les  novices 
étaient  tellement  remuants ,  qu'on  ne  pouvait  en 
avoir  raison ,  et  qu'ils  s'enfuyaient  du  couvent  lors- 
qu'ils se  voyaient  sur  le  point  d'être  punis.  Cet  état 
de  choses  ne  surprendra  pas,   si  Ton   pense   qu'ils 


(  378  ) 

avaient  eu ,  jusqu'à  ce  jour^  uae  existence  plus  mili- 
taire que  religieuse  ^  et  que  la  régularité  à  laquelle 
on  voulait  les  contraindre  était  en  opposition  directe 
avec  l'activité  et  les  habitudes  mondaines  de  leur 
vie  passée. 

Le  goût  de  la  chasse  leur  était  aussi  revenu  ^  plus 
vif  et  plus  effréné  que  jamais  :  un  cultivateur  de  la  pa- 
roisse de  Saint-Léonard  vint  ^  un  jour,  se  plaindre 
qu'il  y  avait  un  religieux  dans  ses  grains,  avec  des 
chiens  et  une  tirasse,  et  qu'au  lieu  d'écouter  ses 
observations ,  ce  religieux  l'avait  poursuivi  et  menacé 
de  lui  donner  des  coups  de  bâton. 

L'indiscipline  d'un  moine,  nommé  Alexandre,  et 
l'espèce  d'approbation  qu'elle  reçut  de  la  majorité  du 
couvent ,  prouve  combien  il  était  difficile  de  diriger 
de  pareils  hommes. 

Ce  moine,  mécontent  qu'on  lui  eût  refusé  la  per- 
mission de  sortir ,  passa  tout  le  temps  des  vêpres  à 
se  promener  dans  la  nef  de  l'église,  et. quitta  ensuite 
la  communauté,  sans  autorisation  de  ses  supérieurs. 

Le  chapitre  décida  que  le  fugitif  serait  mis  au  pain 
et  à  l'eau,  pour  autant  de  temps  qu'il  en  passerait 
hors  du  monastère  ;  les  anciens  ajoutèrent  qu'il  serait 
fouetté  et  fait  prisonnier. 

A  sa  rentrée ,  on  lui  notifia  la  décision  des  supé- 
rieurs, en  l'engageant  de  se  rendre  en  prison;  sur  son 
refus,  le  prieur  ordonna  aux  moines  présents  de 
mettre   la  main  sur  le  coupable,    ce  que  ne  tjou- 


(379) 

/urent faire  aucuns  de  ceux  qui  en  étaient  requis,  La 
faute  de  ce  moine  insubordonné  resta  sans  punition. 

Cet  ^cte  n'était  qu'une  faute  contre  la  discipline , 
mais  en  voici  une  autre  plus  grave ,  qui  peut  don- 
ner une  idée  des  mœurs  monacales  de  l'époque. 

Jehan  de  Clercy,  écuyer  et  sous-diacre,  avait 
quitté  le  couvent  sans  permission ,  pour  aller  souper 
chez  Jacques  Leconte  y  son  médecin ,  en  compagnie 
du  gendre  dudit  Leconte,  et  de  M.  Pibois  de 
Grand-Mare;  il  était  sorti,  à  dix  heures  du  soir, 
avec  ce  dernier,  pour  rentrer  à  l'abbaye,  lorsque, 
passant  par  la  rue  Arquaise,  devant  la  maison  de 
Jacques  Castellier,  bourgeois  de  Fécamp,  celui-ci 
s'approcha  d'eux  en  disant  :  quHl  vl  était  pas  theure 
que  les  moines  fussent  par  les  rues.  Il  est  difficile 
de  savoir  au  juste  ce  qui  se  passa  à  la  suite  de  ce 
propos,  puisque  le  fait  principal  ne  nous  est  connu 
que  par  le  rapport  de  Jehan  de  Clercy,  qui  doit 
chercher  à  atténuer,  le  plus  possible,  la  gravité  de  sa 
faute. 

Il  raconte  que  le  sieur  Castellier  s'était  jeté  à  sa 
gorge ,  comme  s'il  eût  voulu  Tétrangler,  «  et  que  lui, 
«  se  sentant  irrité  et  ému,  il  se  serait  saisi  d'une 
«  petite  épée  que  portait  le  sieur  de  Grand-Mare , 
tf  et  de  laquelle,  sans  l'avoir  tirée  du  fourreau,  il 
«  aurait  donné  un  grand  coup  de  plat  sur  ledit  Cas- 
u  tellier,  et  que ,  ce  faiisant ,  ledit  fourreau  était  sorti 
^  d'icelle ,  de  sorte  que  le  sieur  Castellier  aurait 


(  38o  ) 

«  été  atteint  d'un  coup  dans  le  ventre ,  par  sa  faute , 
«  et  se  serait  exclamé  que  ledit  De  Clercy  Taurait 
«  tué.  »  En  effet,  Castellier  ne  survécut  que  peu 
d'instants  à  la  blessure  qu'il  avait  reçue'. 

Il  est  difficile  d'admettre  que  deux  hommes,  dont 
un  armé ,  aient  été  contraints  d'en  venir,  contre  un 
seul ,  à  une  pareille  extrémité;  néanmoins,  De  Clercy 
fît  agréer  ses  excuses  au  Parlement ,  et  obtint  grâce  et 
rémission  du  roi ,  après  avoir  transigé  avec  la  femme  et 
les  enfants  de  sa  victime.  Il  profita  ensuite  de  la  pu- 
blication du  jubilé,  pour  aller  à  I^ontoise,  oîi  il 
reçut  la  pénitence  de  son  père  confcsseMr ^  et  reprit 
sa  place  deux  ans  après ,  dans  le  monastère  de  Fé- 
camp. 

M.  de  Chattes  mourut  en  i6o3,  et  laissa  le  car- 
dinal de  Joyeuse  en  possession  de  tous  les  revenus 
de  l'abbaye  de  Fécamp. 

Le  grand  vicaire  fait  lancer  des  monitoires  *  contre 
ceux  qui  retenaient  les  papiers  du  chartrier,  et  les 
titres  qui  avaient  été  pillés  pendant  les  troubles;  il 
fait  rentrer  l'abbaye  dans  la  possession  des  terrains 
qu'elle  avait  concédés,  moyennant  certaines  rede- 
vances, pour  y  bâtir  des  maisons,  et  qui  se  trou- 
vaient vides  et  vagues  depuis  que  ces  édifices  avaient 
été  détruits  par  la  guerre;   il  aide  quelques  pro- 

*  Registres  capit.  de  Fécâmp. 

'  Il  en  existe  un  exemplaire  aux  Archives  de  la  Seine-Inférieure. 


(38,  ) 

priétaires  à  rétablir  leurs  habitations  en  fournissant 
les  bois  et  les  matériaux  nécessaires  ;  il  permet  à 
Nicolas  Guibout  de  réédifîer  ses  moulins  à  huile  et 
à  tan ,  détruits  et  démolis  pendant  le  ravage  des 
guerres;  on  reconstruit  les  maisons  qui  étaient  si- 
tuées depuis  la'  porte  de  la  Forteresse  jusqu'aux  pe- 
tites halles ,  et  celles  qui  avoisinaient  la  porte  du 
Bail  ;  on  relève  l'édifice  qui  servait  de  prétoire  et  de 
cohue  à  la  baronnie  d'Aizier;  on  refait  deux  arcs 
boutants  à  l'église  de  l'abbaye,  l'un  du  coté  du 
cloître,  l'autre  du  côté  de  la  forteresse;  on  em- 
prunte cinq  cents  écus  pour  acheter,  dans  l'intérieur 
du  fort,  la  maison  de  la  Fleur-de-lys,  devenue  depuis 
l'hôtel  du  Grand-Cerf;  enfin ,  on  fait  réparer  le  jeu 
de  paume  du  couvent ,  exercice  qu'on  jugeait  néces- 
saire à  la  santé  des  jeunes  religieux ,  et  on  offre  de 
le  donner  à  bail  à  qui  voudra  s'en  charger,  soit  reli- 
gieux ou  laïque;  on  arrête  que  celui  qui  le  tiendra 
devra  fournir  les  balles  et  les  raquettes ,  et  qu'il  lui 
sera  permis  de  citer  les  joueurs  devant  le  prieur  ou 
les  maîtres  d'ordre,  pour  se  faire  payer,  en  cas  de 
refus  de  la  part  de  ces  premiers. 

On  tire,  en  même  temps,  du  coffre,  pour  divers 
besoins,  et  pour  fournir  le  pain  des  lépreux^  «  qua- 
torze doubles  pistoles ,  une  double  pistole  de  quatre , 
deux  doubles  ducats  à  deux  têtes ,  deux  petites  pis- 
toles, et  trois  cents  écus,  dont  l'un  aux  alliances , 
le  tout  d'or.  » 


(  382  ) 

plusieurs  jeunes  gens,  appartenant  à  des  familles 
riches ,  se  présentent  au  monastère  pour  y  faire  leur 
noviciat  ;  tous ,  généralement ,  apportent  avec  eux 
une  dot  en  numéraire ,  et  quelques  pièces  d'argen- 
terie, comme écuelles  et  coupes,  souvent  garnies  de 
pierres  fines.  Avant  de  recevoir  ces  novices,  le 
chantre  est  obligé  de  faire  connaître  s'ils  ont  dte  la 
voix,  et  Nicolas  Leport,  apothicaire,  et  Pierre 
Auxjoyaux,  chirurgien  du  couvent,  qui  les  visitent, 
doivent  rechercher  s'ils  ont  quelques  maléfices  sur 
le  corps. 

M.  de  Montpensier,  qui  avait  été  nommé  gouver- 
neur général  de  la  Normandie,  vint  passer  quelques 
jours  à  Fécamp ,  et  sa  présence  y  fut  signalée  par 
certains  reproches  adressés  au  vicomte,  que  des  mal- 
veillants paraissent  avoir  calomnié.  Les  religieux 
écrivirent,  à  ce  sujet,  à  Monseigneur,  pour  faire 
l'éloge  du  vicomte,  et  lui  donner  l'assurance  de  son 
honnêteté  et  prucThommie. 

Après  avoir  remis  de  l'ordre  parmi  les  objets  pré- 
cieux du  trésor ,  il  fut  question  d'obtenir  des  indul- 
gences perpétuelles  pour  la  communauté;  on  en 
écrivit  à  Rome ,  à  M.  Le  Bossu,  docteur  en  théologie, 
lequel  répondit  qu'il  ne  pouvait  en  demander  que 
pour  trois  ou  quatre  ans ,  vu  qu'il  n'y  avait  que 
les  princes  et  les  cardinaux  qui  en  obtinssent  de  per- 
pétuelles, et  que  le  chapitre  devait,  dans  ce  cas, 
adresser  sa  demande  au  cardinal  de  Joyeuse. 


(  383  ) 

L*abbé  de  Fécamp  avait  été  envoyé  auprès  du  pv  '^e , 
pour  arranger  les  affaires  religieuses;  il  rendit  beau- 
coup de  services  au  roi,  pendant  son  ambassade,  et 
mourut  à  Avignon,  en  i6i5;  on  l'inhuma  chez  les 
pères  jésuites  de  Pontoise  ,  dont  il  était  le  fondateur. 

Henri  I  de  Lorraine,  trente-quatrième  Abbé. 

Aussitôt  la  mort  du  dernier  abbé ,  les  gens  du  i6i5. 
roi ,  à  Montivilliers,  reçurent  un  mandement  pour 
saisir  les  revenus  de  l'abbaye,  qui  tombaient  en  ré- 
gale. Les  moines  réclamèrent,  en  disant  que  ces 
fruits  devaient  leur  appartenir,  pour  leur  entretien 
et  leur  nourriture.  L'économat  n'en  fut  pas  moins 
signifié  au  monastère. 

Cet  état  de  choses  cessa  avec  la  nomination  de 
Henri  de  Lorraine,  qui,  âgé  seulement  de  trois  ans, 
fut  nommé,  presque  en  même  temps,  archevêque  de 
Rheims  et  abbé  de  Fécamp.  C'était  un  nom  malheu- 
reux pour  le  trésor  de  l'abbaye ,  qui  n'avait  pas  en- 
core réparé  les  pertes  essuyées  du  temps  de  la  Ligue; 
aussi  la  mère  de  Henri  s'empressa-t-elle  de  rendre  ce 
qu'elle  possédait  de  l'argenterie  et  des  pierres  pré- 
cieuses trouvées  à.  la  succession  de  Charles  de  Lor- 
raine; on  en  fit  un  ciboire,  un  calice  assez  simple, 
el  on  en  décora  la  couverture  d'un  livre  où  furent 
apposées  les  armes  de  Henri. 

Le  cardinal  de  BéruUe,  supérieur  de  l'oratoire, 


(  384  ) 

fut  désigné ,  par  le  pape ,  pour  administrer,  pendant 
la  minorité  de  l'abbé  de  Fécamp,  les  hauts  emplois 
ecclésiastiques  dont  ce  dernier  était  pourvu.  Mais  ce 
fut  presque  toujours  avec  la  duchesse  de  Guise ,  sa 
mère  y  que  se  traitaient  directement  toutes  les  affaires 
temporelles. 

Il  y  eut ,  entre  cette  dame  et  les  moines ,  un  accord 
qui  fut  soumis  à  la  sanction  du  Parlement  ;  parmi 
les  clauses  principales  qu'il  relate ,  on  trouve  que  le 
nombre  des  religieux  devra  être  porté  à  quarante- 
deux ,  et  que,  s'il  n'est  pas  atteint,  les  vacances  seront 
remplies  par  l'abbé.  Beaucoup  d'articles ,  concernant 
les.  intérêts  respectifs  des  parties ,  sont  remis  a  l'é- 
poque de  la  majorité  de  Henri  de  Lorraiûe. 

Nous  ne  savons  d'après  quelle  autorité  ceux  qui 
ont  écrit  avant  nous  ont  dit  et  répété  que  la  forte- 
resse de  Notre-Dame-de-Baudouin  avait  été  rasée 
en  iSgS,  par  les  bourgeois  de  Fécamp;  nous  décla- 
rons n'avoir  rien  trouvé  de  semblable  dans  toutes 
nos  recherches;  nous  voyons,  au  contraire,  que  les 
démolitions  dé  ce  fort  n'eurent  lieu  qu'en  i6i5,par 
ordre  de  l'autorité  militaire,  et  que  les  religieux 
voulurent  s'y  opposer,  de  crainte  que  cela  ne  tour^ 
ndt  à  leur  préjudice^, 
162a.  Ce  fut  en  1622  que  les  pères  capucins  obtinrent 


*  Registres  capitulaires  de  Fécamp. 


(  385  ) 

un  terrain  vague ,  pour  bâtir  une  maison  à  Fécamp  ; 
ils  annoncèrent  presqu'aussitôt  aux  religieux  qu'ils 
avaient  le  désir  d'y  planter  et  faire  bénir  leur  croix , 
et  les  prièrent  de  leur  donner  assistance ,  ajoutant 
«  que,  dans  tous  les  lieux  où  ils  avaient  planté  croix 
«  ils  avaient  été  assistés  du  clergé  et  du  peuple,  et 
«  qu'ils  espéraient  que  ces  messieurs  en  feraient 
«autant,  d'autant  que  M.  de  Villars,  gouverneur 
«  du  Havre,  et  plusieurs  nobles  gentilshommes,  de- 
«  vaient  les  honorer  de  leur  présence.  »  Cette  céré- 
monie eut  lieu,  en  effet ,  avec  beaucoup  de  pompe, 
et  fut  présidée  par  l'archevêque  de  Rouen ,  Fran- 
çois de  Harlay. 

L'assassinat  de  Henri  IV  avait  fait  ouvrir  les  yeux 
à  son  successeur,  sur  l'effervescence  qui  régnait 
encore  dans  les  esprits,  et  jusque  dans  les  cloîtres. 
Louis  XIII  exigea  impérativement  la  réforme  des 
établissements  religieux ,  et  le  retour  à  la  discipline , 
que  le  malheur  des  temps,  plus  que  la  volonté  des 
hommes ,  avait  fait  entièrement  abandonner.  La  con- 
grégation de  Saint-Maur,  qui  brillait  comme  un 
flambeau  sur  toute  la  France  catholique,  fournissait 
alors  des  sujets  qu'on  mettait  à  la  tête  des  commu- 
nautés. 

Beaucoup  de  maisons  religieuses  s'étaient  déjà 
placées  sous  la  direction  de  ces  pères ,  lorsqu'on  an- 
nonça que  les  commissaires  du  roi  devaient  arriver 
dans  le  monastère  de  Fécamp. 

a5 


(  386  ) 

Le  vicaire  général  De  Campion,  en  homme  qui 
connaissait  son  siècle ,  et  le  mal  qu'il  fallait  atteindre , 
avait  envoyé,  d'avance ,  beaucoup  déjeunes  novices 
de  Fécamp,  à  Cluni,  et  aux  jésuites  de  Pontoise, 
pour  y  faire  leurs  études,  et  ramener  l'amour  des 
lettres  et  du  travail  parmi  les  religieux  de  la  commu- 
nauté. 

Lorsqu'il  eut  avis  de  la  visite  qu'il  devait  recevoir, 
il  en  informa  les  moines ,  en  leur  indiquant  de  quelle 
manière  ils  devaient  se  conduire,  si  sa  Majesté  en- 
voyait parmi   eux  quelque  prélat,  afin  qiiils  ne 
soient  pas  surpris  j  et  qiCil  les  trouve  à  leur  devoir. 
Il  fit  défense  «  de  rompre  les  serriires  des  portes, 
«  et  invita  chacun  à  demeurer  dans  l'intérieur  de 
M  l'abbaye,  à  assister  régulièrement  au  service  divin, 
u  à  ne  pas  porter  d'habits  dissolus,  à  se  contenir  en 
««  amitié,  à  ne  pas  se  diviser  ni  se  blâmer  les  uns  les 
M  autres,  et  il  ordonna  à  ceux  qui  auraient  quelques 
«  portes  qui  pourraient  apporter  quelque  suspicion 
«  ou  scandale ,  qu'ils  aient  à  les  faire  fermer  dans 
il  le  plus  bref  délai.  » 

La  duchesse  de  Savoie ,  sœur  du  roi,  eut  le  désir 
d'avoir  des  reliques  de  Guillaume  de  Dijon,  pour  en 
enrichir  son  oratoire  ;  elle  le  fit  savoir  à  l'abbé  de 
Fécamp,  qui  pria  les  moines  de  faire  l'ouverture  du 
tombeau  de  ce  bienheureux;  on  trouva,  dans  un 
sarcophage  long  de  trois  pieds  et  large  de  neuf  pouces, 
quelques  ossements  réduits  en  poussière,  qui  firent 


(38;  ) 

juger  qu'ils  avaient  été  déjà  l'objet  d'une  translation , 
le  tombeau  étant  trop  petit  pour  avoir  reçu  un  corps 
de  taille  ordinaire. 

Voici  la  lettre  que  l'abbé  écrivit  aux  religieux 
pour  les  remercier  : 

«  Je  vous  sais  très  bon  gré ,  Messieurs ,  tant  de  la 
9  réception  que  vous  avez  faite  à  ce  même  porteur, 
«  lorsqu'il  vous  a  rendu  mes  premières ,  que  de  la 
«  délibération  que  vous  avez  prise  en  votre  assem- 
«  blée,  de  donner  votre  consentement  à  M.  le  comte 
«  Philippe,  marquis  d'Aglié,  si  particulièrement  re- 
<«  commandé  par  madame  la  duchesse  deSavoye,  de 
«  la  recherche  qu'il  fait  de  quelque  notable  relique 
«  du  bienheureux  saint  Guillaume,  premier  abbé  de 
«  Fécamp ,  pour  honorer  l'église  qu'il  fait  bâtir  en 
«  son  nom.  Vos  archives  vous  rendront  plus  cer- 
«  tains  que  tous  les  autres  mémoires ,  du  lieu  de  sa 
«  sépulture,  et  je  crois  qu'il  serait  à  propos  que  vous 
«  vous  y  réglassiez.  A  quoi  je  n'ajouterai  plus  que  la 
«  prière  que  je  dois  vous  faire  de  ne  rien  omettre  de 
«  tout  ce  qui  pourra  contribuer  à  la  satisfaction  de 
«  madame  de  Savoye,  et  de  mon  dit  seigneur  comte, 
«  avec  Tassurance  que  je  suis  votre  affectionné  ami' . 

«  Henri  de  Lorraine.  » 


»  Archîv.  dë|>art.  ;  cartons  de  Fe.eamp. 


(  388  ) 

Nous  trouvons,  à  la  même  époque,  un  arrêt  du 
Parlement  de  Normandie,  cassant  tous  les  actes  de 
rofficial  de  Rouen ,  qui  avait  entrepris  sur  la  juri- 
diction de  Fécamp,  dans  Saint-Gervais. 

Thomas  Dufour,  fils  de  Gédéon  Dufour,  vicomte 
de  Fécamp,  et  de  Anne  Vimars,  fille  du  contrôleur 
au  grenier  à  sel  du  Havre,  fait  profession  de  la  vie 
monastique,  à  JumiégeSé  On  lui  doit  une  grammaire 
hébraïque,  mise  dans  un  ordre  jusqu'alors  inconnu. 
Les  écrivains  de  Samt-Maur  ont  inséré ,  dans  leur 
Bibliothèque,  un  grand  nombre  d'autres  opuscules 
de  ce  savant. 

Dom  Benetot  commençait  à  se  faire  connaître  à 
Fécamp,  oii  il  devint  prédicateurde  l'abbaye. 

Il  paraît  que  cette  ville  était  alors  habitée  par 
un  nombre  assez  considérable  de  protestants  ;  qu'ils 
y  avaient  un  ministre,  des  lieux  d'assemblée  où  ils 
se  livraient  à  la  prière  et  à  la  prédication.  Leur  but 
étant  d'augmenter  le  nombre  de  leurs  ^rosélites, 
dom  Marc  Bastide,  prieur,  établit  dans  Tabbaye 
des  conférences  publiques  de  controverse ,  et  invita 
plusieurs  fois  le  ministre  de  Fécamp  d'entrer  en  ma- 
tière avec  lui.  Ce  dernier,  feignant  de  mépriser  son 
adversaire,  dit  qu'il  ne  voulait  disputer  qu'avec  le 
prédicateur  de  l'abbaye.  Dom  Benetot  s'offrit  alors, 
en  chaire,  en  présence  d'un  grand  nombre  de  spec- 
tateurs, mais   le  ministre  n'osant  se  mesurer  avec 


(  389  ) 

lui,  manqua  de  parole ,  et  ne  parut  pas  à  la  con- 
férence " . 

En  1639,  mourut  le  vicaire  général,  Charles  de 
Campion ,  après  une  longue  carrière  de  vertus  pra- 
tiquées au  milieu  des  guerres  civiles  et  de  l'oubli  de 
tout  devoir  religieux.  S'il  eût  eu  le  bonheur  de  vivre 
parmi  les  moines  illustres  que  le  siècle  suivant  verra 
surgir,  il  aurait  dû  sa  réputation  à  son  génie;  il  la 
doit  à  sou  caractère  et  à  ses  vertus. 

D'un  autre  côté,  Henri  de  Lorraine,  venant  à 
perdre  son  père ,  quitta  l'état  ecclésiastique ,  et  ré- 
silia ses  bénéfices  pour  rentrer  dans  le  monde ,  avec 
le  titre  de  duc  de  Guise. 

Henri  II  de  Bourbon  ,  duc  de  Verneuil  ,  trente- 
cinquième  Abbé. 

Henri  de  Bourbon,  fils  naturel  de  Henri  IV,  fut        1641, 
nommé  abbé  commendataire  de  Fécamp.  On  lui  doit 
la  fondation  du  couvent  des  Annonciades,  et  Tintro- 
duction ,  dans  tous  ses  monastères ,  des  Bénédictins 
réformés  de  la  congrégation  de  Saint-Maur. 

Le  préambule  du  concordat,  dressé  à  Fécamp, 
attribue  le  besoia  de  la  réforme  a  au  relâchement  de 
la  dîscipliae  monastique  et  religieuse,  occasionné 
par  la  succession  des  temps  et  les  malheurs  des 
guerres.  *> 

'  Histoire  littéraire  de  la  Congrégation  de  SaUtt^Maur, 


(  390) 

Pour  assurer  les  droits  de  tous  y  c'était  une  opé- 
ration assez  difficile  que  l'introduction  d'une  com- 
munauté étrangère  dans  une  abbaye;  il  fallait 
d'abord  qu'il  existât  un  concordat  entre  les  anciens 
et  les  nouveaux  religieux,  et  que  l'abbé  commenda- 
taire  garantît  la  position  des  uns  et  des  autres ,  c'est' 
à-dire  que  le  partage  des  revenus  de  l'abbaye  fût 
définitivement  fixé  entre  lui  et  sa  communauté; 
aussi,  par  un  acte  passé  en  16499  l'abbé  de  Yemeuil 
cède  à  ses  religieux  :  <c  les  terres ,  seigneuries  et  ba- 
il ronnies  d'Heudebouville,  Fontaine^le-Bourg,  Saint- 
«  Gervais-lès-Rouen ,  du  Jardin-sur-Dieppe,  d'Ar- 
«  gences ,  avec  les  seigneuries  de  Quétehou ,  d'Hen- 
«  nequeville  et  d'Aizier,  le  clos  de  Hardan ,  près 
«»  Vernon ,  et  la  pêche  des  rivières  de  Fécamp  et  de 
«  Paluel. 

«  Et  moyennant  lesdites  remises  et  délaissements 
"  que  mon  dit  seigneur  fait  desdites  terres ,  les  pères 
«  seront  tenus  d'acquitter  les  charges  de  la  commu- 
te nauté ,  à  la  réserve  des  appointements  du  capitaine 
«  de  la  forteresse  de  Fécamp,  du  lieutenant  et  du 
«  sénéchal,  de  l'avocat  de  la  seigneurie,  des  por- 
«  tiers  de  la  forteresse  et  de  la  geole ,  de  la  fourni- 
(•  ture  de  la  chandelle  au  concierge  du  logis  abba- 
X  tial,  des  appointements  du  bailli  de  Caux,  du 
«  procureur  du  roi ,  du  procureur  de  l'abbaye  à  Cau- 
(<  debec ,  du  maître  et  des  sergents  des  bois ,  du 
«  voiturier  de  Fécamp;   de  cinq  milliers  de  harangs 


(  391  ) 

«  saures  à  M.  le  duc  de  Longueville^  à  cause  de  son 
«  duché  d'Estouteville;  enBn ,  du  traitement  de  tous 
^  les  curés  de  Fécamp  et  de  plusieurs  des  environs  ^ 
<•  comme  ceux  de  Toussaint,  la  Trinité-du-Mon t,  Epre- 
-  ville,  Bordeaux,  Etrétat  et  Saint-Pierre-en-Port.  >r 

D'un  autre  côté,  la  mense  conventuelte  était 
obligée  de  pourvoir  à  toutes  les  dépenses  spécifiées  j. 
en  nature,  dans  le  même  acte.  Par  exemple  :  «  aux 
prêtres,  un  grand  pain  blanc  de  fleur  de  farine,  de 
même  blancheur  et  bonté  qu'iU  avait  été  livré  par 
ô-devant,  du  poids  de  vingt-huit  onces,  cuit,  et  un 
petit  pain  blanc  de  quatorze  onces. 

ce  Aux  novices,  deux  petits  pains  de  vingt-huit  onces 
les  deux. 

«  Au  grand  prieur,  autant  de  pain  qu'à  trois  auti*es 
prêtres. 

ce  Au  capitaine  dudit  lieu  de  Fécamp,  autant  de 
pain  qu'à  deux  prêtres. 

«  Au  lieutenant ,  autant  qu'à  un  religieux  prêtre. 

«  Au  jardinier,  chroniquier,  clercs  d'église,  du 
cloître,  du  cellier,  organiste,  apothicaire,  barbier  et 
portier,  deux  grands  pains  bisets ,  du  poids  de  vingt- 
huit  onces. 

ce  Aux  sonneurs,  à  celui  qui  fait  l'agneau  le  jour  de 
Saint-Jean-Baptiste,  aux  curés  des  dix  paroisses  de 
Fécamp,  à  celui  qui  donne  les  verges  blanches,  aux 
jours  des  processions ,  à  tous ,  une  quantité  de  pains 
déterminée  par  le  même  règlement.  ^) 


(  39^  ) 


Le  vin ,  la  bierre ,  le  poisson ,  la  viande ,  sont 
distribués  dans  les  mêmes  proportions. 

<K  II  est  accordé  un  pot  de  vin  par  jour  à  chaque 
religieux  prêtre ,  et  à  ceux  qui  communient  quinze 
fois  l'an,  chacun  desdits  jours ,  un  pot  de  supplé- 
ment. 

i(  Au  capitaine ,  deux  pots  par  jour.  ^ 
<x  A  celui  qui  chante  la  passion  j  un  pot. 
ce  A  chacune  fois  que  les  religieux  iront  jouer,  uapot. 
a  Pour  la  cène  des  lépreux^  quatre  pots, 
ce  Chaque  religieux ,  pendant  le  carême,  aura  trois 
harengs  saures,  des  œufs,  du  beurre,  des  pois  et 
autres  légumes. 

<c  Le  dessert  se  composera  d'une  douzaine  de  noix 
par  religieux ,  et  de  figues,  comme  il  est  accoutumé.» 
Le  total  des  rentes,  à  la  charge  de  la  mense  con- 
ventuelle, se  montait  à  3,966  livres  o3  deniers.  Cent- 
quatre  personnes  prenaient  part  à  la  distribution  de 
cette  somme.  Voici  quelques  articles  qui  donneront 
une  idée  des  traitements  de  l'époque. 

«  A  chacun  de^  dix  curés  de  Fécamp.     2 5 

«  Au  sergent  vicomtal 5 

'<  Au  cuisinier i  iio 

«  Au  capitaine  de  la  forteresse.  .  .  .  1 60 
c<  Au  sénéchal,  pour  ses  gages.  ...  3 
«  A  l'avocat  de  la  seigneurie.  ....     ao 

«  Au  procureiu'  fiscal 80 

i(  An  portier  de  la  forteresse  ....      \'x 


it 


n 


II 


(  393) 

Au  barbier  du  couvent,  pour  faire  la 

couronne  des  novices 1 6  ^    »  •^ 

Au  procureur  du  roi  de  Montivilliers.       6      1 8 

Au  juge  d'Harfleur, /7<?ari^a  quil  soit 

en  état 3       » 

A  huit  sergents  des  bois ,  à  raison  de 

ao  livres  pour  chacun i6o       » 

Les  droits  respectifs  des  deux  parties  ainsi  établis, 
restait  à  faire  le  concordat  entre  les  religieux  de  Fé- 
camp  et  ceux  de  Saint-Maur.  Les  conditions  en 
furent  dressées  et  acceptées  dans  un  acte  séparé, 
dont  voici  quelques-unes  des  principales  dispositions: 

a  i»  Les  anciens  religieux  de  l'abbaye  de  Fécamp 
vivront  dans  leur  particulier,  sous  la  conduite  de 
celui  d'entre  eux  dont  ils  feront  choix,  sans  que  les 
nouveaux  pères  puissent  prendre  aucune  juridiction 
sur  eux;  les  anciens  ne  pourront  être  contraints  d'en- 
trer dans  la  réforme,  ni  obligés  à  une  vie  plus 
étroite  que  celle  qu'ils  ont  professée. 

1^  Chaque  ancien  religieux  prêtre  aura,  pour  sa 
portion  de  pitancerie^  la  somme  de  8oo  Hvres,  qui 
lui  sera  payée  par  les  pères  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur. 

3®  Les  religieux  profès  auront  4oo  livres  par  an, 
et  les  novices  200  livres. 

4^  Si  les  anciens  venaient  à  se  faire  transférer 
dans  un  autre  monastère  de  Saint-Benoît ,  ils 
emporteraient    avec  eux   leur   traitement,    auquel 


(  394  ) 

» 

on  ne  pourrait  rien  diminuer  ;  il  en  serait  de  même 
pour  ceux  qui  se  feraient  séculariser  par  t  autorité 
du  pape. 

5®  Pendant  les  cérémonies  religieuses ,  les  anciens 
auront  les  premières  et  plus  honorables  chaires 
au  chœur,  et  le  rang  d^honneur  après  le  célébrant 
et  l'officiant.» 

Suivent  d'autres  articles  de  détail  d'un   intérêt 
plus  secondaire ,  que  nous  nous  dispensons  de  rap- 
porter. 
i65a.  Quand  tout  était  calme  dans  le  monastère ,    et 

que  les  esprits  n'étaient  occupés  que  d'innovations 
et  de  réformes,  un  vaisseau  entrait  dans  le  port 
de  Fécamp ,  portant  le  roi  d'Angleterre ,  Charles  II, 
qui  venait  d'être  chassé  de  ses  états.  La  fortune 
impitoyable,  après  avoir  conduit  le  père  de  ce 
prince  sur  l'échafaud ,  l'avait  poussé  lui-même  dans 
les  plaines  d'Ecosse ,  où  il  venait  d'être  défait  par 
Cromwel  ;  Charles,  après  la  disparition  de  son  pai*ti, 
la  mort  de  ses  amis  les  plus  dévoués,  venait  de 
traverser  l'Angleterre  en  fugitif,  pour  demander 
un  asile  au  roi  de  France.  Tout  en  déplorant  le 
sort  de  Charles  II,  les  Normands  ne  virent  pas 
avec  déplaisir  un  peuple  qui  leur  avait  fait  tant  de 
mal,  déchirer  ses  propres  entrailles,  et  se  livrer  à 
toutes  les  fureurs  qui  assuraient  l'avenir  et  la  tran- 
quilUté  de  ses  voisins. 

Le  port  de  Saint- Valerv-en-Caux  ayant   besoin 


^  (  395  ) 

de  réparations  urgentes,  M.  d'Herbigny,  inten- 
dant de  Rouen ,  donna  ordre  aux  religieux  de  Fé- 
camp  d'y  faire  exécuter  des  travaux  dont  le  devis 
s'élevait  à  la  somme  de  cinq  mille  livres,  et  leur 
permit  de  se  couvrir  de  leurs  avances ,  par  un  impôt 
sur  les  bourgeois  de  Saint- Valéry.  L'année  suivante, 
le  Havre-de-Grâce  fut  détaché  du  gouvernement 
militaire  de  la  Normandie,  et  forma  une  division 
indépendante:  Fécamp^  Montivilliers,  Harfleur,  et 
cent  cinquante  paroisses,  firent  partie  de  ce  nou- 
veau gouvernement. 

L'abbé  de  Verneuil  résilia  tous  ses  bénéfices  ec- 
clésiastiques,  peu  de  temps  après  y  avoir  introduit 
la  réforme  de  Saint-Maur.  Voici  en  quels  termes 
le  bénédictin  de  Fécamp,  auteur  du  Trésor  de  F  ab- 
baye^ nous  fait  part  de  cet  événement  :  «  Enfin, ce 
bon  abbé,  âgé  de  67  ans,  quitta  l'habit  ecclésias- 
tique pour  se  marier,  n'étant  pas  engagé  dans  les 
ordres  sacrés  ;  il  épousa  la  veuve  de  feu  le  duc  de 
Sully,  avec  laquelle  il  vécut  quatorze  ans,  ayant, 
par  dispense  de  Rome,  retenu  de  grosses  pensions 
sur  les  abbayes  qu'il  était  obligé  de  quitter;  il  jouit 
de  ces  pensions  jusqu'au  commencement  de  l'an- 
née i68a,  qu  il  alla  rerulre  compte  à  Dieu  de  F  ad- 
ministration des  biens  de  C église.  » 


(396) 

Jeait  Casimir,  roi  de  Pologne,  lrente*sixième abbé 

de  Fécamp. 

*^  Jean  Casimir,  roi  de  Pologne,  après  avoir  volon- 

tairement quitté  ses  états ,  se  retira  en  France ,  oîi  le 
roi  Louis  XIV le  reçut,  et  lui  fit  présent  des  abbayes 
que  le  duc  de  Verneuil  venait  de  quitter. 

De  son  temps,  le  monastère  donna  quarante  bois- 
seaux de  blé ,  pour  faire  du  pain  aux  pestiférés  de 
Dieppe ,  un  poinçon  de  vin  aux  pères  Capucins  de 
Fécamp,  qui  étaient  dans  le  besoin  ;  soixante  livres 
pour  les  pauvres  soldats  chrétiens  de  Tile  de  Candie, 
conformément  à  l'invitation  faite  par  le  pape ,  dans 
sa  bulle  pour  le  jubilé. 

On  prit  trois  cents  livres  dans  le  trésor,  pour  faire 
la  châsse  où  reposait  le  corps  de  saint  Benoit. 

On  fit  couvrir  en  ardoises  l'église  du  prieuré  de 
Notre-Dame  de  Baudouin. 

On  donna  une  chappe  de  damas  blanc  à  Téglise 
de  Pissy  ,  au  prix  de  dix  écusj  le  curé  promettant 
d*en  ai^oir  grand  soin  y  et  onze  livres  au  même  curé 
pour  avoir  fait  mettre  le  nom  de  monseigneur  sur 
une  cloche  que  sa  paroisse  avait  fait  fondre. 

Enfin ,  on  fit  un  bail  à  Pierre  Bourgaise ,  bourgeois 
de  Fécamp ,  pour  les  droits  de  la  posée  du  portât 
du  bassin ,  et  pour  la  maison  de  là  vicomte  ;  et  l'on 
donna ,  à  ferme  générale ,  les  propriétés  de  la  mense 


(  397  ) 

abbatiale ,  aux  sieurs  de  Louche ,  Babant  et  Canu , 
moyennant  soixante  et  un  mille  livres  par  an'. 

Jean  Casimir  étant  mort  à  Paris,  en  1674?  son 
corps  fut  porté  aux  pères  jésuites  de  Nevers,  et  son 
cœur  dans  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés. 

Louis -ANTomE  ,    prince    de    Neubourg  ;    trente- 
septième  Abbé  de  Fécamp. 

Louis-Antoine  de  Neubourg ,  fils   de  Philippe-        1674. 
Guillaume,  était  électeur  palatin,  et  grand-maitre 
de  l'ordre  teutonique ,  lorsqu'il  fut  placé  à  la  tête 
du  monastère  de  Fécamp. 

François  Bouxel  deMédavi ,  archevêque  de  Rouen, 
fonda,  en  i68îi,  le  couvent  des  sœurs  de  la  Provi- 
dence de  Fécamp. 

Une  ordonnance  du  roi,  de  la  même  année,  porte 
que  les  droits  de  neuf  livres  par  tonneau  seront  pré- 
levés à  raison  de  quatre  livres  neuf  deniers  par 
muid  de  cidre,  mesure  de  Paris,  dans  la  ville  de 
Fécamp  et  dans  plusieurs  autres  ports  de  Normandie, 
tels  que  Harfleur,  le  Hoc  et  Honfleur  '. 

En  i683,  les  commerçants  de  Fécamp,  désirant 
s'affranchir  des  impôts  que  le  collecteur  de  l'abbaye 
prélevait  sur  leurs  marchandises ,  pour  droit  de  vi- 


»  Archives  départ.  ;  cartons  de  Fécamp, 

»  Ordonnances  de  louis  XIF,  concernant  les  Aides. 


(  398  ) 

comté ,  refusèrent  cet  impôt ,  qui  se  percevait  de 
temps  immémorial. 

Élie  Beaux,  fermier  de  Tabbaye,  aux  droits  de 
la  vicomte  de  la  mer,  fit  citer  les  récalcitrants  devant 
le  siège  de  Tamirauté  de  Fécamp ,  lequel ,  par  sen« 
tence,  contraignit  les  sieurs  Jean-Baptiste  Delahaye, 
Charles  Gosselin ,  Simon  Feuilloley,  Jean  Lamoisse, 
et  les  bourgeois  de  la  même  ville ,  à  payer  le  droit 
de  vicomte  comme  par  le  passé. 

Il  paraît  que  les  habitants  ne  regardèrent  pas 
cette  sentence  comme  définitive,  car  nous  voyons 
les  moines  s'adresser  directement  à  l'intendant  de 
la  marine,  au  département  de  Normandie ,  pour  ob- 
tenir le  maintien  de  leurs  droits  de  perception  sur 
toutes  les  marcliandises  et  poissons  entrant  dans  le 
port;  se  fondant, 

i^  Sur  la  charte  du  duc  Bichard  ; 

îi*  Sur  les  édits  des  rois  de  France  Charles  IX , 
en  1 568,  et  de  Louis  XIV,  en  i653  ; 

3°  Sur  un  extrait  de  la  pancarte  faite  en  1 38o , 
indiquant  les  droits  dûs  à  la  vicomte  de  mer  de 
Fécamp  ; 

4®  Sur  un  bail  passé  à  Hector  Drouet ,  le  6  février 
1 588  ,  de  tous  les  droits  de  coutume  de  la  vicomte 
de  la  mer  de  Fécamp  ;  ^ 

Enfin ,  sur  la  sentence  rendue  en  l'amirauté  de 
Fécamp,  le  ao  mars  i683,  laquelle  rendait  exécu- 
tqire  la  pancarte  des  droits  de  la  vicomte. 


(  399  ) 

Pour  cette  fois ,  l'intendant  de  la  marine  donna 
gain  de  cause  aux  habitants  de  Fëcamp.  C'est 
le  premier  succès  obtenu  par  la  communauté  des 
bourgeois  contre  les  prétentions  fiscales  des  agents 
de  l'abbaye.  La  place  de  vicomte  de  la  mer  fut  sup- 
primée et  remplacée,  au  nom  du  roi ,  par  un  rece- 
veur des  droits  de  l'amirauté. 

Cette  décision ,  si  favorable  aux  habitants  de  Fé- 
camp,  fut  bientôt  suivie  d'une  réclamation  qui  pou- 
vait avoir  de  graves  conséquences  pour  l'abbaye ,  à 
raison  de  la  qualité  du  demandeur. 

L'archevêque  de  Rouen,  dans  un  mémoire  for- 
tement motivé  y  demandait  que  l'exemption  de  Fé- 
camp,  avec  toutes  ses  paroisses ,  rentrât  sous  le  pou- 
voir épiscopal  ;  ses  raisons  étaient  spécieuses  :  il 
prétendait  que  ce  qui  avait  été  bon  ou  tolérable 
autrefois,  était  maintenant  contraire  à  la  discipline 
qui  établissait  l'évêque  supérieur  spirituel  de  toutes 
les  paroisses  de  son  diocèse. 

Malheureusement  pour  l'abbaye ,  elle  avait,  disait- 
on,  depuis  longues  années,  dans  les  cures  de  sa  dé- 
pendance ,  des  ecclésiastiques  dont  la  vie  n'était  pas 
exemplaire  :  les  visiteurs  même  étaient  accusés  de 
boire  et  de  se  griser,  dans  les  paroisses,  d'autres 
menaient  des  vies  scandaleuses  ;  et  les  punitions  in- 
fligées par  le  prieur  n'étaient  pas  en  rapport  avec  les 
fautes  qui  avaient  été  commises. 

Un  sieur  Leblond ,  vicaire,  avait  été  condamné 


('  4oo  ) 

à  sentir  au  chœur  :  voilà  ,  disaient  les  adversaires 
de  Texemption ,  la  punition  infligée  à  uu  prêtre 
ivrogne,  et  qui  a  grièvement  outragé  son  curé  ! 

L'affaire  paraissait  assoupie,  lorsqu'un  autre  scan- 
dale vint  tout  remettre  en  question  :  un  curé,  de  la 
dépendance  de  l'abbaye ,  titulaire  d'une  chapelle 
dont  les  offrandes  des  pèlerins  composaient  le  revenu, 
supposa  un  faux  miracle ,  en  introduisant  un  sep  de 
vigne  dans  les  yeux  d'une  statue  de  la  vierge ,  pour 
faire  croire  qu'elle  versait  des  larmes. 

Il  fit  un  cantique  à  ce  sujet ,  et  un  missionnaire 
répandait  partout  l'histoire  de  ce  miracle.  Tels 
étaient ,  du  moins ,  les  griefs  articulés ,  et  peut-être 
un  peu  trop  légèrement  accueillis ,  dans  le  faciiun 
de  l'archevêque. 

L'abbaye  était  consternée  de  cette  nouvelle  accu- 
sation ,  lorsqu'un  moine  entreprit  de  monter  sur 
la  brèche  pour  défendre  sa  communauté.  Dans  un 
mémoire  fort  dialectique  de  méthode  et  d'érudition, 
il  fait  valoir  les  droits  imprescriptibles  du  monastère 
de  Fécamp ,  respectés  dans  tous  les  âges  ,  par  les 
princes  et  les  souverains  pontifes,  et  passe  en  revue 
les  faits  incriminés  avec  la  supériorité  d'un  homme 
de  talent  qui  combat  pour  la  vérité  ;  quant  au 
prodige  supposé,  il  n'a  pas  de  peine  à  prouver  la 
fausseté  de  l'imputation ,  puisqu'il  devait  avoir  eu 
lieu  en  juin,  époque  à  laquelle  les  vignes  ne  jettent 


(4oi  ) 

plus  de  sève  y  que  la  statue  de  la  vierge  n'était  pas 
Creuse,  et  n'avait  pu,  par^  conséquent ,  renfermer  de 
sep  de  vigne. 

Ce  moine ,  à  qui  le  monastère  dut  la  conservation 
de  ses  privilèges ,  était  dom  Fillastre  ' ,  né  dans  une 
cfaaumièredu  village  du  Tilleul,  vers  i634  ;  admis 
d'abord ,  dès  l'âge  le  plus  tendre ,  en  qualité  d'enfant 
de  chœur ,  il  ne  put  long-temps  occuper  ce  poste , 
faute  de  voix,  et  dom  Martial  Desforges,  chantre, 
proposa ,  en  1 65 1 ,  de  le  faire  remplacer  par  Jean 
Durand ,  fils  d'un  menuisier  de  Fécamp ,  regardé 
comme  plus  propre  et  ayant  de  meilleures  qualités. 
En  i65a,  dom  Fillastre  passa  à  l'abbaye  de  Saint- 
Faron-de-Meaux ,  et,  en  1687 ,  nous  le  retrouvons  à 
Fécamp  avec  le  titre  de  maître  de  la  musique ,  pre- 
nant part  à  toutes  les  décisions  capitulaires ,  avec  le 
prieur  Gabriel  Dudan  et  les  pères  Sacquepée,  Le  Coq , 
Trabouillet,  Filleul ,  Pollet  et  Duvivier,  presque  tous 
élèves  de  Saint-Maur ,  faisant  renaître ,  par  l'exemple 
de  leur  vie ,  le  goût  de  la  régularité  et  du  travail 
dans  le  monastère  de  Fécamp. 

C'était  aussi  l'époque  où  les  Mabillon ,  les  Ruinart , 
les  Martène ,  et  tant  d'autres  célèbres  Bénédictins 
entreprenaient ,  en  commun ,  les  immenseis  collec- 


■  Le  prieur  dom  Dudan  passait  pour  aToir  pris  part  au  traTail 
du  père  Fillastre. 


(  4<5a  ) 

lions  ^i  ont  jeté  un  si  brillant  éclat  sur  leur  siècle 
et  sur  leur  ordre. 

Fillastre  prenait  part  à  leurs  travaux ,  en  four« 
nissant  des  notes  et  des  mémoires  à  dbm  Mabillon , 
qui  faisait  une  estime  toute  particulière  de  son  savoir 
et  de  ses  vastes  connaissances;  il  est  auteur  de  plusieurs 
lettres  adressées  à  ce  dernier  pour  éclaircir  certaines 
difficultés  religieuses,  de  conjectures  sur  la  cat/eme 
du  dieu  Mithra ,  et  de  dissertations  latines  du  plus 
grand  intérêt;  il  avait  encore  composé  d'autres  écrits 
sur  différents  sujets  ;  mais ,  se  voyant  à  l'article  de  la 
mort  9  il  en  fit  le  sacrifice  avec  celui  de  sa  vie ,  en  fai- 
sant jeter  au  feU  toutes  ces  productions  de  son  esprit  < . 

Dom  Le  Marchand,  le  premier  prieur,  après  la 
réforme  ,  avait  fait  de  fréquentes  visites  dans  les 
paroisses  dépendantes  de  l'abbaye ,  en  redressant  les 
abus  qui  parvenaient  à  sa  connaissrnce.  Gabriel 
Dudan ,  son  élève  et  son  succe:sseur ,  marchait  sur 
ses  traces ,  donnait  l'essor  aux  heureuses  inclinations 
et  à  qui  montrait  du  zèle  et  de  la  capacité.  Ce  fut 
à  cette  époque  que  le  sacristain  du  monastère  lïiit  en 
ordre  son  Trésor  de  l'abbaye  de  Fécanip ,  ouvrage 
dont  la  partie  historique  ne  brille  assurément  pas 
parle  style  et  l'esprit  de  critique,  mais  qui  a  le  mé- 
rite de  nous  faire  connaître  le  matériel  de  la  commu- 


'   Histoire  littéraire  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur. 


(  4o3  ) 

nauté,  et  certains  fails  de  détail  que  nous  ignorerions 
sans  lui  t  par  exemple ,  l'envoi  j  à  Fécamp ,  par  les 
pèi^s  de  Saint-Maur^  de  religieux  de  leur  congréga- 
tion^ pour  faire  un  cours  de  philosophie  et  de  théo^ 
logie,  et  pour  y  enseigner  les  sciences  divines  et 
profanes;  ce  qui  fit  que  Fécamp  devint  une  des  écoles 
les  plus  renommées  de  France,  où  les  premiers  sujets 
venaient  se  livrer  à  l'étude  des  lettres. 

L'abbé  Louis-Antoine,  qui  ne  vint  jamais  à  Fécamp, 
fut  nommé  coadjuteur  de  l'évéque  de  Mayence  ,  en 
1691  ;  l'évêché  de  Liège  étant  devenu  vacant  trois 
ans  après,  il  se  mit  sur  les  rangs  pour  l'obtenir.  Son 
compétiteur  était  le  prince  Clément  de  Bavière,  qui 
eut  vingt-quatre  voix  ;  l'abbé  de  Fécamp  n^en  avait 
obtenu  que  vingt-deux. 

Lé  chagrin  de  sa  défaite  contribua,  dit-on,  à  sa 
mort ,  autant  que  le  grand  repas  qu'il  donna  à  ses 
partisans  ;  ayant  affecté  de  boire  long-temps  ,  afin 
de  montrer  au  parti  contraire  une  joie  qu'il  n'avait 
pas  ' ,  il  fut  attaqué  d'une  fièvre  maligne ,  dont  il 
mourut  le  4  mai  1694- 

Dans  la  même  année ,  les  Anglais ,  mécontents  des 
secours  que  Louis  XIV  prêtait  à  Jacques  II,  pour 
le  placer  sur  le  trône ,  vinrent  bombarder  le  Havre- 
d«*-Gràce  et  la  ville  de  Dieppe  qu'ils  brûlèrent  en 
partie.  Fécamp ,  qui  se  trouvait  entre  ces  deux  places , 

'  Mfi9.  de  la  Bibliothèque  «in  roi  ^  cartûHs  dé  Fécamp. 


(4o4  ) 

pouvait  avec  Raison  concevoir  quelques  craintes  :  on 
construisit  un  petit  fort  sous  la  montagne  de  Notre- 
Dame;  on  éleva  une  tour  ronde  en  briques  ^  au  centre 
de  la  vallée,  et  le  fort  Sanson,  nommé  depuis  le 
Batifaut ,  fut  construit  pour  commander  la  gauche  du 
port  ' .  Plusieurs  compagnies  bourgeoises,  jointes  aux 
gardes-côtes  9  attendirent  de  pied  ferme  les  Anglais , 
qui 9  ne  regardant,  sans  doute ,  pas  Fécamp  comme 
valant  la  peine  d'être  brûlé ,  ne  daignèrent  pas  s'ar- 
rêter devant  ses  murs. 

Paul  de  Neuville  de  Yilleroi,  trenterhuitième 

Abbé  de  Fécamp. 

,(^9,  Lorsque  le  précédent  abbé  fut  nommé  coadjuteur 

de  l'évêque  de  Mayence,  il  quitta  la  France,  et  les 
revenus  de  la  mense  abbatiale  furent  mis  aux  éco- 
nomats. Le  cardinal  d'Espagne  administra  le  mo- 
nastère jusqu'à  l'époque  où  Paul  de  Neuville  en  fut 
élu  abbé  ,  en  1698. 

Paul  de  Neuville  s'occupa  .de  constructions  et 
d'améliorations  assez  importantes,  pour  son  église. 
On  lui  doit  les  anciens  lambris  du  chœur,  qui  ornent 
maintenant  la  chapelle  de  la  Vierge ,  le  nouveau 
portail,  dans  le  goût  du  xviii*  siècle,  d'un  style  lourd 


'  Mémoires  de  Vauban.  —  La  Toar  ronde,  cl-des6U8 ,  n'a  •ntiè- 
Fement  disparu  que  depuis  peu  d'années. 


(  4o5  ) 

et  tourmente  j  et  nullement  en  rapport  avec  Tarchi- 
tecture  de  Tédifice. 

Ce  fut  vers  le  même  temps  qu'on  trouva  y  dans 
l'ancienne  chapelle  de  la  Vierge ,  un  tombeau  dont 
l'inscription  indique  la  sépulture  d'un  jeune  Robert, 
fils  du  duc  Richard;  le  centre  de  la  pierre  est  orné 
d^un  lion  sèulpté  en  relief,  dans  un  médaillon  por- 
tant ces  mots  pour  légende  :  Eccevicitleo  de  tribu 
juda  radix  David.  L'intérieur  du  sarcophage  renfer- 
mait la  dépouille  du  jeune  prince ,  que  l'abbé  de  Yil- 
leroi  fit  placer  sous  le  grand  autel  de  la  chapelle 
du  saint  Sauveur.  Sans  cette  découverte ,  nous  au- 
rions toujours  ignoré  l'existence  de  ce  fils  de  Tun  des 
deux  Richard. 

Le  logement  abbatial,  situé  contre  le  mur  de  la 
forteresse,  menaçant  de  tomber  en  ruine,  on  fit  un 
accord  avec  l'abbé  pour  transférer  son  habitation 
dans  les  bâtiments  qui  sont  en  face  du  portail  de 
l'église ,  et  servent  aujourd'hui  de  mairlb  et  de  maison 
presb'ytérale.  Et,  pour  indiquer  que  l'abbé  acceptait 
ce  changement ,  on  apposa  ses  armes  sur  le  fronton, 
de  la  grande  porte  de  ce  nouveau  logis. 

Il  fut  ensuite  question  de  tirer  parti  des  matériaux 
de  la  maison  supprimée.  Le  parlement  nomma  M.  Du- 
mesnil  Costé ,  doyen  des  conseillers,  pour  voir  ce  qu'il 
conviendrait  de  faire.  Ce  commissaire  vintàFécamp, 
fit  comparaître  des  témoins  des  trois  états  :  du 
clergé,  de  la  noblesse  et  des  bourgeois  ^  qui,  tous, 


(  4o6.) 

déclarèrent  que,  ce  bâtiment  menaçant  ruine ,  iU 
ne  s'opposaient  pas  à  ce  qu'il  fût  détruit ,  vu  que 
M.  de  Villeroi  était  entré  en  jouissance  du  logement 
échangé;  les  matériaux  qu'on  en  retira  furent  em- 
ployés à  construire  le  grand  édifice  dont  une  partie 
se  voit  encore  au  nord  de  l'église  abbatiale. 

Cette  réunion  de  trois  ordres ,  pour  délibérer  sur 
une  affaire  qui  concerne  l'abbaye ,  est  un  fait  tout 
nouveau  dans  l'histoire  de  Fécamp^  et  déhote  un 
changement  dans  l'organisation,  civile  et  poKtique  de 
la  cité. 

L'abbé  de  Villeroi  introduisit  dans  l'hôpital  de 
Fécamp  des  religieuses  bénédictines ,  et  rétablit  plu- 
sieurs confréries  qui  avaient  disparu  depuis  l'époque 
des  guerres  civiles.  Celle  de  Sainte  Jacques  se  réor- 
ganisa sous  le  patronage  de  M.  Lhôte,  major  de  la 
côte,  qui  en  fut  nommé  maire;  seséchevins,  Jacques 
Gobbé,  Jean  Feuilloley ,  Pierre  Avril ,  et  Pierre  Le- 
mire,  bourgedis  de  Fécamp ,  firent  peindre ,  au  sujet 
de  la  réorganisation  de  cette  confrérie ,  un  tableau 
qui  fut  déposé  dans  l'église  de  Saint-Jacques. 

Cette  curieuse  peinture,  que  nous  avons  vue ,  et 
dont  nous  ignorons  la  destinée ,  est  le  seul  monu- 
meiit  qui  nous  ait  fait  connaître  le  costume  des  bour- 
geois de  Fécamp,  au  commencement  du  xviii*  siècle, 
l'ancien  portail  de  l'abbaye,  les  restes  du  donjon  des 
ducs  normands,  encore  ornés  de  leqrs  escaliers  en 
^irale  et  de  leurs  tourelles  élancées.  Enfin,  si  lapein- 


(4o7  ) 

ture  est  fidèle ,  nous  voyons  que  les  fossés  du  châ- 
teau ,  au  pied  de  la  côte  Saint-Jacques ,  étaient  nus, 
couverts  d'arbrisseauxsauvagesy  et  n'offraient  à  la  vue 
que  deux  misérables  chaumières  y  au  lieu  des  beaux 
vergers  et  des  jardins  qui  en  font  Tornemeut  actuel. 

L'abbé  de  Villeroi,  archevêque  de  Lyon,  mourut         "7-'5i. 
dans  cette  ville  en  i  ^3 1 ,  et  l'abbaye  de  Fécamp  fut 
remise  aux  économats  jusqu'à  la  nomination  de  son 
successeur. 

Le  commerce  maritime  commençant  à  reparaître 
dans  nos  ports ,  le  comte  de  Toulouse ,  amiral  de 
France ,  nomma ,  au  siège  de  l'amirauté  de  Fécamp  j 
un  courtier  interprète  de  langue  anglaise,  pour 
translater,  dit  le  brevet,  les  connaissements,  chartes- 
parties,  et  autres  pièces ,  conformément  à  l'ordon- 
nance de  la  marine  de  1681.  Jean-Baptiste  Jouea 
fut  le  premier  titulaire  de  cet  emploi. 

Puisque  nous  avons  parlé  d'accroissement  com- 
mercial, c'est  ici  le  lieu  de  faire  connaître  certains  ren- 
seignements de  statistique  que  nous  avons  recueillis 
dans  une  notice  manuscrite  rédigée  par  un  habitant 
de  Fécamp  vers  le  commencement  du  xvin«  siècle. 
L'esprit  et  l'industrie  des  classes  bourgeoises  ont  pris 
un  tel  essor  depuis  cette  époque,  la  révolution  a  tel- 
lement effacé  les  traces  du  passé ,  qu'il  semble  que 
nous  en  soyons  séparés  par  des  siècles.  Nous  trou- 
vons donc  essentiel  de  fait*e  connaître  le  point  de 
départ,  les  institutions  et  les  personnages  qui  étaient 


(4o8) 

ea  scène;  car  les  hommes  de  science  et  de  jugement 
savent  que  les  sociétés  ne  se  sont  pas  formées  d'un 
jet,  et  que  y  pour  aller  en  avant,  il  a  fallu  à  nos  pères 
bien  des  luttes ,  du  temps  et  de  la  persévérance. 

a  Le  port  de  Fécamp ,  dit  ce  manuscrit ,  est  se* 
c<  paré  de  la  retenue  par  une  chaussée  et  quelques 
«  parties  de  quais;  il  y  a,  pour  soutenir  les  eaux  de 
«  la  retenue ,  deux  batardeaux ,  dans  chacun  des- 
«  quels  est  une  écluse  à  quatre  portes,  tournant  sur 
a  pivots,  et  un  pont  au-dessus  de  chaque  écluse; 
<c  celui  du  côté  du  sud-est  est  de  bois,  et  celui  de 
«  l'ouest,  de  maçonnerie. 

«  C'est  sur  la  chaussée  qui  sépare  le  port  de  la 
«  retenue ,  que  sont  les  chantiers  de  construction 
<c  pour  la  marine  ;  on  dépave  quelquefois  certaines 
«  parties  du  quai,  pour  lancer  à  Teau  les  navires;  il 
«  n'y  a  que  deux  maisons  sur  la  chaussée. 

«  L'entrée  du  port ,  qui  est  très  facile.,  n'étant 
«  interrompue  d'aucuns  courants,  est  dirigée  presque 
«  nord-ouest  et  sud- est ,  par  une  partie  de  quai  très 
«  faible  et  un  bout  de  maçonnerie  à  l'amont ,  dont 
«  on  est  obligé  de  conserver  la  tête  par  un  surtout 
«  de  charpenterie ,  n'y  ayant  rien  pour  retenir  le 
«  caillou  du  côté  de  l'ouest. 

«  Il  y  a  à  Fécamp  treize  cents  maisons ,  et  près 
«  de  quatre  à  cinq  cents  autres  qui  ont  été  ruinées 
«  du  temps  des  guerres  civiles,  tant  par  nécessité  que 


(  4o9  ) 

a  par  incendie.  Ce  nombre  forme  à  peu  près  le  tiers 
(c  des  maisons  de  la  ville. 

«  T^a  population  permanente  de  Fëcamp ,  y  com- 
«  pris  les  enfants,  se  monte  à  six  mille  âmes;  mais 
«  les  aumônes  faites  à  la  porte  de  l'abbaye  y  atti- 
«  rent  journellement  une  grande  quantité  de  pauvres 
«  et  de  mendiants  étrangers  y  ce  qui  augmente  le 
«  nombre  des  habitants. 

«  En  'outre  de  ses  dix  paroisses  et  de  son  abbaye 
«  royale,  Fécamp  possède  encore  :  un  couvent  de 
«  capucins,  un  de  religieuses  Annonciades,  ^n  ho- 
«  pital ,  une  chapelle  et  deux  prieurés  :  le  premier 
«  est  celui  de  Notre-Dame  du  Bourg-Baudouin,  le 
c<  second  celui  du  Sépulcre,  ancienne  Maladreriey 
«  dont  riiôpital  du  Havre  jouit  actuellement  du 
«  revenu 1 

«  La  justice  ordinaire  se  rend  dans  cette  ville  au 
«  nom  de  l'abbé,  qui  en  est  le  seigneur  :  elle  est  com- 
c<  posée  d'un  sénéchal ,  d'un  lieutenant,  d'un  avocat 
«  et  procureur  fiscal  ;  les  sentences  émanées  de  ce 
«  siège  ressortissent  par  appel  au  parlement  de  Nor- 
«  mandie. 

«  Il  y  a,  à  Fécamp ,  trois  tribunaux  qui  rendent  la 
«  justice  au  nom  du  roi ,  savoir  :  le  Grenier  à  sel , 
«  l'Amirauté  et  les  Traites. 

«  L'Amirauté  est  composée  d'un  lieutenant ,  d'un 
«  procureur  du  roi,  d'un  greffier,  de  deux  huissiers, 
«  et  de  deux  sergents.  ToiUes^  les  chargés  de  ce  siège 


(  4«o  ) 

^  sont  relevées  ;  monseigneur  Tamiral  y  a  an  receveur 
«  de  ses  droits ,  un  interprète  de  langue  anglaise  ; 
a  mais  il  n'y  a^  dans  ce  port,  ni  courtier,  ni  maître 
«  de  quai  en  titre  ;  ces  charges  ne  méritent  pas  d'être 
<x  relevées,  par  le  peu  de  commerce  de  ce  lieu;  les 
«  ofBciers  de  l'amirauté  y  ont  mis  un  courtier  d'of- 
«  fice;  il  n'y  a  paâ  non  plus  de  pilotes  la.^la^eurs  en 
((  titre  y  mais ,  lorsque  quelques  bâtiments  se  pré- 
«  sentent  pour  entrer  ou  veulent  sortir  ,  il  y  a  trois 
«  ou  quatre  chaloupes  qui  leur  servent ,  et  dans  les- 
«  quelles  s'embarquent  les  matelots  qui  se  trouvent 
«  à  ten'e.  Le  prix ,  pour  la  sortie  ou  l'entrée ,  n'est 
a  pas  fixé  j  et  ils  prennent ,  comme  à  Saint-Valery , 
«  depuis  trois  livres  jusqu'à  dix  livres,  selon  la. gran- 
<(  deur  du  bâtiment. 

«  Le  Grenier  à  sel ,  l'un  des  plus  anciens  de  la 
«  province,  est  composé  d'un  président,  d'un  gre- 
«  netier,  d'un  contrôleur,  d'un  procureur  du  roi, 
«  d'un  greffier  et  de  deux  huissiers. 

«  Les  Traites  n'ont  qu'un  juge,. qui  est  reçu  à  la 
«  cour  des  Aides,  et  qui  se  sert,  le  cas  échéant,  d'un 
«  avocat,  pour  faire  fonction  de  procureur  du  roi 
M  et  de  premier  greffier. 

«  Le  roi  ou  ses  fermiers  ont  un  receveur  à,  Fé- 
«  camp,  tant  pour  les  gabelles  que  pour  les  traites 
«ou  la  romaine;  sa  recette,  pour  l'une  et  pour 
«l'autre,  se  monte  annuellement  à  cent  mille 
«  livres. 


(  4fi  ) 

«  li  y  a  aussi  un  receveur  pour  les  aides  y  papier 
«  marque  9  sou  pour  livre  de  la  vente  des  mar- 
ie chandises  provenant  de  l'étranger,  et  de  celle  des 
«  huiles  et  pour  les  autres  droits  que  le  roi  retire  de 
«  ce  bourg.  On  ne  connaît  pas  le  montant  de  ces 
«  recettes. 

«  Les  saleurs  de  Fécamp  ont  le  privilège  d'avoir 
«  autant  de  sel  qu'ils  en  ont  besoin  pour  leurs  ha- 
«  rengSy  maquereaux  et  morues;  ils  peuvent  faire 
a  venir  leur  sel  des  marais  salants;  mais  il  y  a  eu  ac- 
«  cord  entre  les  fermiers  royaux  et  les  bourgeois  de 
c<  Fécamp,  par  lequel  les  premiers  sont  obligés  de 
c(  fournir  à  ceux-ci,  en  temps  de  paix ,  le  sel  dont 
<c  ils  ont  besoin  à  quatre-vingt-dix  livres  le  muid,  et 
«  lors  de  la  guerre,  à  deux  cent  dix  livres. 

«  A  cause  de  ce  privilège,  les  habitants  de  Fé- 
«  camp  se  sont  obligés  à  fournir  la  moitié  des  de- 
«  niers  qu'il  conviendra  employer  pour  réparations 
«  du  port  et  de  la  jetée. 

a  Ce  bourg  est  sous  la  direction  d'un  subdélégué 
«  de  nK)nsieur  le  commissaire  départi ,  et  de  deux 
«  écheifins ,  dont  C élection  se  fait ,  de  trois  ans  en 
«  trois  ans ,  par  la  communauté. 

«Outre  la  haute,  basse  e.t  moyenne  justice, 
«  l'abbé  de  Fécamp  a  encore  celle  des  Eaux  et 
c<  Forêts;  et,  pour  la  conservation  des  droits  de 
c<  chasse,  pêche,  et  la  garde  de  ses  bois,  il  a  un 


(  4i2  ) 

(K  capitaine  de  chasse,  un  lieutenant,  un  sous-lieu- 
«  tenant ,  et  cinq  gardés. 

c(  Monseigneur  l'abbé  a  aussi  la  nomination  des 
«  officiers  d'épée :  gouverneur  et  lieutenant  de  roi; 
«  il  vend  ces  deux  offices ,  et  la  finance  vertit  à  son 
«  profit ,  quoique ,  cependant ,  ces  officiers  aient  des 
«provisions  du  roi;  il  est  obligé  de  payer  sur  le 
«  revenu  de  la  mense  abbatiale,  seize  cents  livres 
«  par  an ,  au  gouverneur,  et  huit  cents  livres  au 
«  lieutenant  du  roi. 

«  Les  matelots  de  Fécamp  s'habillent  comme 
«  ceux  du  Havre  ;  le  vêtement  des  femmes  du  com- 
«  mun  approche  de  celui  des  Dieppoises ,  à  l'excep- 
<(  tion  de  ce  qu'elles  mettent  dessus  leur  corps, 
«qu'elles  appellent /i^j*^^,  qui  est  plus  long,  ainsi 
«  que  les  barbes  de  leur  coiffure  ou  loquets  j 
«  lesquelles  leur  viennent  jusqu'à  la  ceinture. 

«Il  y  a,  à  Fécamp,  plusieurs  manufactures  de 
«  gros  draps,  vulgairement  appelésy/'ocj,  et  quelques 
«  moulins  à  huile;  il  y  a  eu  aussi  une  manufacture 
«  royale  de  draps  fins,  mais  à  présent  elle  est  tom- 
«bée,  quoique  les  privilèges  qui  y  sont  attachés 
«  soient  assez  beaux.  » 

«  Il  se  trouve  en  la  paroisse  de  Gontre-moulins , 
«dans  un  vallon,  une  fontaine  d'eaux  minérales, 
f(  dont  les  habitants,  qui  sont  incommodés,  usent 
«  tons  les  ans,  par  ordonnance  des  médecins.» 


(4i3  ) 


Commerce  maritime  de  Fiêgamp. 

«  ji{^ec  {Angleterre.  —  On  n'envoie  de  Fécamp  1734. 
aucuns  bâtiments  en  Angleterre ,  mais  cette  nation 
y  apporte  du  blé ,  du  charbon  de  terre  et  des  meules; 
le  retour  s'en  fait  ordinairement  en  espèces , 
quelquefois^  cependant^  en  toiles  du  pays,  vins  et 
eaux-de-vie. 

«  Avec  la  Hollande.  —  Les  marchands  de  Fé- 
camp envoient ,  chaque  année ,  un  ou  deux  bâtiments 
en  Hollande 7  dont  ils  tirent  des  graines  de  lin,  des 
chanvres  et  antres  marchandises;  ces  bâtiments 
vont  sur  lest ,  et  le  maître  porte  ordinairement  l'ar- 
gent des  marchandises  avec  lui. 

«  Avec  la  Bretagne,  —  Oa  envoie  de  Fécamp  en 
Bretagne  des  rogues  de  maquereaux  salés ,  pour 
l'île  de  Bas,  où  elles  servent  à  la  pêche  de  la  sardine; 
on  y  expédie  aussi  des  huiles  de  rabette.  Le  retour 
s'en  fait  en  chanvres  et  toiles. 

«  Avec   la   Basse-Normandie.  —  Les  Fécannais 

envoient ,  à  Ronfleur,  Caen  et  autres  villes,  du  hareng 

salé,  des  maquereaux  et  des  huiles  de  rabette;  on 

-en  rapporte  du  cidre,  du  poiré,  du  beurre  et  des 

chanvres. 

«  Avec   Roaen.  —  Fécamp  envoie  à  Rouen  du 


(  4'4  ) 

hareng,  du  maquereau,  du  charbon  de  terre,  de  la 
morue  et  de  l'huile  de  rabette ,  el  en  tire  les  mar- 
chandises dont  on  a  besoin ,  et  principalement  du 
fer,  de  l'acier,  du  plâtre  et  de  l'épicerie. 

«  Aifec  Bordeaux.  —  L'on  envoie  à  Cordeaux  du 
hareng ,  et  le  retour  consiste  en  vins,  eaux-de-vie, 
prunes,  brai  et  goudron. 

«  Ai*ec  la  Rochelle.  —  Plusieurs  barques  vont, 
compie  celles  de  Saint- Valéry,  à  la  Rochelle,  chercher 
fret,  et  servent,  le  plus  souvent,  à  transporter  des 
sels  des  marais  du  roi.  On  trouve  rarement  d*autre 
fret. 

a  jéi^ec  Calais.  —  Les  marchands  de  Fécnmp 
tirent  de  Calais  des  lins,  de  la  graine  de  lin ,  du  brai 
et  du  goudron;  le  retour  s'en  fait  en  espèces. 

c(  /éifec  le  Havre  et  Dieppe.  — La  plus  grande 
partie  des  brais ,  goudrons,  planches,  toiles  à  voile 
pour  les  bateaux  pécheurs ,  sont  tirés  par  les  mar- 
chands de  Fécamp,  du  Havre  et  de  Dieppe. 

((  Pèches.  —  Les  pêches  qui  se  font  à  Fécamp 
consistent  :  en  morues  sur  le  banc  de  Terre-Neuve , 
en  harengs  à  Yarmouth,  en  maquereaux  à  l'île  de 
Bas,  en  Irlande  et  à  la  côte.  Les  marchands  envoient 
la  plus  grande  partie  du  produit  d^  ces  pèches  :  aux 
villes  de  Paris ,  Rouen ,  Orléans ,  Troyes  en  Cham- 
pagne, Auxerre  en  Bourgogne,    et   autres   villes, 


(4«5) 

même  jusqu'à  Lyon;  les  premiers  par  charroi,  tant 
pour  compte  d'ami  que  pour  eux,  et  dans  les  mois 
de  décembre  et  janvier,  par  mer,  à  Rouen.  Ils  tirent 
de  ces  villes  des  vins,  des  eaux-de-vie  et  du  chanvre, 
a  Outre  les  pêches  ci-dessus,  il  y  a,  à  Fécamp, 
deux  ou  trois  fortes  chaloupes  qui  vont  à  la  pêche 
des  luiîtres ,  sur  une  huîtrière  placée  à  une  lieue 
dans  la  mer,  vis-à-vis  la  chapelle  du  Bourg-Bau- 
douin.» 

Dans  le  temps  où  ces  notes  étaient  rédigées,  la  n^^- 

commune  faisait  confectionner  un  rôle  général  de 
toutes  les  occupations ,  jardins ,  fermes  et  terres 
labourables,  pour  établir  Timpot  proportionnel  de 
deux  sous  pour  livres  ,  ordonné  par  le  roi.  Ce  rôle 
divisait  les  habitants  de  Fécamp  en  treize  catégories, 
que  nous  ferons  connaître,  avec  les  noms  des  nota- 
bles qui  figuraient  en  tête  de  chaque  corporation. 

i*""  CORPS.  —  Officiers  de  judicature  et  antres 
particuliers  vii^ant  noblement  :  Biaise  Roussel,  pro- 
cureur fiscal ,  Nicolas  Feuilloley ,  Le  Mire  ,  Ricard , 
Goyer,  Elie  Clouet,  Barbey  et  Lanin. 

2^  Corps.  —  Notaires  ,  greffiers  et  musiciens  : 
Gilles  Michel ,  notaire;  Jean  LeTellier,  id.  ;  Jac- 
ques Lepinai ,  greffier  ;  Charles  Nanet ,  musicien  ; 
L^Ecossais ,  organiste. 

3e  Corps.  —  Huissiers ,  sergents ,  jaugeurs  , 
gardes  hois ,  concierges ,  arpenteurs ,  écrisxiins  et 


(4«6) 

coutumiers  de  la  porte  du  marché:  Nicolas  Daussy , 
Depinay  ,  Bellami. 

4*  Corps.  —  Commerçants  en  mer^  marchands 
épiciers ,  chandeliers ,  graissiers  et  apothicaires  : 
Tougart,  Abraham  Bérigny,  L'Alouette,  Perron, 
veuve  Combart. 

5*  Corps.  —  Drapiers  drapants  :  Thurin ,  Mar- 
cotte ,  Ferrand ,  Daniel ,  Jean  Bérigny. 

6*  Corps.  —  Chirurgiens  ^  barbiers  j  perruquiers 
et  sages-femmes  :  Charles  Magin,  Jouvel,  D'Arson, 
Boulenger>,  Benêt,  veuve  Lepicart,  femmes  Raby 
et  Avenard. 

7*  Corps.  —  Merciers ,  drapiers ,  clincailliers 
en  gros  et  en  détail  :  Savoye ,  Béquet ,  Mésaize , 
Courché,  Le  Borgne,  LeCacheux. 

8®  Corps.  —  Bouchers:  Marin  Gruchet  père, 
Jacques-Marin  Gruchet  fils,  Avray,  Fauvel,  Mullot. 

9*  Corps.  —  Boulangers  et  meuniers  :  Dubosq , 
LeTellier,  Ingent,  Avril,  Fiquet  et  Charles  Le  Vicq. 

io«  Corps.  —  Pâtissiers  et  rôtisseurs  :  Durand , 
Le  Gendre ,  Nicole ,  Bellenger. 

1 1®  Corps.  —  Potiers  iVétain  :  LeMettay,  Ros- 
signol ,  LeMaitre ,  Chardine  ,  Bidel. 

la*  Corps.  —  Tanneurs ,  corroyeurs  et  mégis- 
siers  :  Le  Gras ,  Couillard  ,  Dodard  ,  Drouet. 

13**  Corps.  — Serruriers  ^armuriers  j  maréchaux^ 


(4i7) 

horlogers ,  cloutiers ,  taillandiers  :  Jean  Acher ,  Jean 
Toussaint,  Pierre  LeVicq. 

Voici ,  pour  compléter  ce  tableau  ^  Paristocratie 
exempte  de  payer  la  taille ,  à  la  même  époque  :  elle 
se  composait  des  ecclésiastiques  des  dix  paroisses  de 
Fécamp  ,  de  certains  individus  vivant  noblement  ou 
exempts  à  cause  de  leurs  offices. 

S.-Etiewwe.    m.  le  curé. 

M.  Savoie,  vicaire. 

M.  Lecomte,  prêtre. 

M.  Lalouette,  prêtre.  . 

M.  Deschamps,  prêtre. 

M.  Thurin,  prêtre. 

M.  Perron,  prêtre. 

Total  :  y  ecclésiastiques  à  S.-£tienne. 

Nobles.  .    M"*  de  Blangues. 
M.  de  BriUy. 
M.  de  Vassouy. 
M.  de  la  Villette. 
M.  Dorey. 
M"»'  de  CoUeville. 
M"'  de  Vauchamp.- 
M"'  de  Vassouy. 
Total  :  8  maisons  nobles  sur  S.-Etieune. 

M.  Corbière,  ancien  lient,  de  l'amirauté. 
M.  de  Senneville,  lient,  de  dragons. 


^7 


(  4»8  ) 

M.  Yon  y  élu  à  Montivilliers. 

M""  Dorey,  fille. 

M.  Le  Cordier,  commis  du  trésorier  des  invalides. 

MM.  Magin,  ingénieurs. 

M.  Dé  la  Haye,  notable. 

M.  De  la  Roque,  receveur  de  M.  Tamiral. 

M.  Olivier,  administrateur  de  l'hôpital. 

S.-Fromond.  m.  le  curé. 

M.  le  vicaire. 
M.  Reaux,. prêtre. 
M.  Lemettay,  prêtre. 
M.  Aubry,  prêtre. 
M.  Majot,  prêtre. 
M.  Drouet,  clerc. 

7  ecclésiastiques  à  S.-Fromond. 

Nobles.    .    .M.  de  Vertot. 
M"*Daubœuf. 
M.  de  Vochamp. 
M"'  du  Parquet. 
M"*  du  Tournay. 
M"*  Dhénouville. 
M"*  de  Grainville. 
M"*^  D'Osseville. 
•    M™*DuRomois. 
Mme  de  Vitenval. 
jVIme  de  FroberviUe. 
M^^"  de  Gricnx. 


(  4«9  ) 

M'**  Hylaire  de  Mellcmont. 
M"«  de  Sanville. 
M*'*  du  Boulhart. 
Total  :  i5  maisons  nobles  sur  S.-Fromond. 

M"*  Roussel. 

M™«  Varoux. 

M.  Sellier. 

M.  Ricard 9  percepteur  du  roi,  pour  l'amirauté. 

M™«  Rebut. 

M.  Landrieu,  trompette  des  gardes  du  roi. 

M.  Ferrand,  vétéran. 

M.  Le  Grand. 

M.  de  Bérigny,  Faîne. 

M.  Dominique  Tougard,  échevin. 

M.  Nicolas  Ferrand,  écliévin. 

M.  F*  Ferey,  gardedeMonseig'leduc  deS.-Aignan. 

Les  Sœurs  de  la  Providence. 

M.  Le  Vacher,  notable. 

M.  Vincent,  huissier  delà  ville. 

Pierre  Resse,  clerc  de  ville. 

Bénard,  soldat  aux  gardes,  invalide. 

S**.-Croix.  .  M.  le  curé. 

M.  Gruchet,  maire. 
Nobles.   .    M.  de  Beaufort ,  officier  invalide. 
M"'  de  Creully. 
M.  de  Plancy. 
M.  de  Baudot* 
Total  :  4  maisons  noUes  sur  S*^-Croix. 


(  4^o  ) 

M.  Roussel  y  procureur  fiscal. 

M.  Collot ,!  receveur  de  ville. 

M.  Vincent  Mangin,  chirurgien- de  l'hôpital. 

M.  Jourel ,  ancien  échevin. 

S.-Légeh.  ...  m.  le  curé. 

M.  le  vicaire. 
Nobles,  .  .  M.  deBriquemont,  lieutenant  de  roi. 

M"*  de  Greaume. 

M.  de  Pestel. 

M"*  d'Oî^eville. 

M.  Fillault. 

Nicolas  Auger,  clerc  du  guet. 
Total  :  4  maisons  nobles'sur  la  paroisse  de  S. -Léger. 

S. -Thomas.  .  M.  le  curé. 
Nobles.  .  .  M.  du  Toyn. 

M*^  d'Hattentot. 
M.  Descalles. 
M.  de  Venois. 
M"»«  de  Bornambusc. 
M.  D'Epinai ,  greffier  de  l'amirauté. 
Total:  5  maisons  nobles  surla  paroisse  de  S.-Thomas. 

S.-OuEN M.  le  curé. 

S.-Valery.  . .  m.  le  cuxé. 

MM.  les  Religieux. 
Noble.  ...  M.  le  chevalier  de  Thiboutot. 
M.  Godefroy,  notable. 

S.-Bewoît..  .  .  m.  le  curé. 
Noble  .  ...  M.  de  Grieu. 


(  4'^ï  ) 

S.-NicoLAS.. .  M.  le  curé. 

Noble M.  d'Hattentot, 

Les  Daines  Religieuses. 

M.  Isaac  Le  Maître ,  notable. 

Ceux  qui  connaissent  maintenant  cette  ville , 
pourront  juger  de  l'ëtonnante  modification  apportée 
par  le  temps ,  dans  les  classes  diverses  dont  il  est 
ici  question. 

En  1745,  eut  lieu  à  Fécamp  la  création  d'un  pro-  i^^s. 
fesseur  d'hydrographie  pour  cause  cC utilité  publique 
et  d! extension  du  commerce  maritime.  François  de 
Boux  occupa  le  premier  cette  place ,  qui  était  à  la 
nomination  de  M.  de  Penthièvre ,  grand  amiral  de 
France. 

Les  habitants  qui  voulaient  saler  du  poisson  et 
recevoir  du  sel  en  franchise  ^  avaient  coutume  de  se 
rendre  à  la  salle  de  l'abbaye  pour  faire  inscrire  leura 
noms,  en  présence  du  prieur  dom  Romain  de  la 
Londe  et  des  officiers  du  grenier  à|sel.  Ceux  qui  se 
présentèrent  cette  année ,  furent  :  Jacques  Tougart 
père,  Jacques  le  Duey,  Michel  Mauconduit,  Abra- 
ham Bérigny,  Dominique  Tougart, Pierre Bellenger, 
Pierre  Maze,  Charles  Langlois,  François  Ferrey, 
Laine,  Louis  Boivin,  François  Boivin ,  Philippe Au- 
bourg,  Pierre  Mézaise,  la  veuve  LeteUier,  mercière; 
Jacques  Yévard ,  Jean-Jacques  Laroque,  lesquels,  au 


(  4-^2  ) 

nombre  de  seize ,  reçurent  l'autorisation  de  faire  des 
salaisons  à  Texclusiou  des  autres  bourgeois  '. 

Abraham  Bérigny  fut  nommé  contrôleur  du  gre- 
nier à  sel  en  remplacement  de  son  frère ,  qui  s*était 
démis  en  sa  faveur ,  et  dont  il  avait  payé  le  droit  de 
survivance;  et  Robert  Colos  fut  appelé ,  par  ses  con- 
citoyens y  au  poste  de  receveur  général  des  deniers  de 
la  commune. 

On  fit  aussi  une  nouvelle  assiette  de  la  taille  ^  et, 
pour  arriver  à  une  répartition  équitable,  le  maire 
convoqua ,  selon  la  coutume ,  tes  bourgeois  et  les 
habitants^  chacun  dans  sa  paroisse,  pour  élire  quatre 
d'entre  eux,  dans  les  grandes  paroisses,  et  deux 
dans  les  petites,  et  leur  donrier  plein  pouvoir  de 
s'assembler  en  leur  nom,  dans  la  salle  de  Tabbaye, 
en  présence  du  prieur,  pour  désigner  les  quatre  ré- 
partiteurs de  l'impôt. 

C'était,  comme  on  le  voit,  une  élection  à  deux 
degrés.  Ceux  qui  reçurent  cette  mission  de  leurs  con- 
citoyens, furent  Thomas  Cauquais,  de  la  paroisse 
deSaint-Léger;  Françoisle  Tanneur, de  Sainte-Croix; 
François  Boivin  et  Pierre  Ferrey ,  de  Saint-Etienne. 
Il  sufSt  de  se  reporter  au  mode  d'élection  pour  croire 
que  ces  noms  étaient  des  plus  honorables  de  la  cité. 
Un  homme  que  nous  avons  vu ,  il  y  a  quelques 
années,  faisant  partie  d'une  corporation  de  commep- 

'  Délibérations  de  1«  mairie  de  Fécainp. 


(  4î»3  ) 

çants  :  Jacques-Marin  Gruchet,  à  force  de  caractère,, 
de  travail  et  de  considération ,  avait  été  placé  à  là  tête 
des  affaires  de  la  commune;  respectueux  avec  le 
pouvoir  y  mais  incapable  de  céder  aux  cajoleries  de 
Tautorité,  c'était  un  de  ces  hommes  rappelant  le 
moyen-âge ,  croyant  à  l'obligation  de  remplir  les  de- 
voirs de  sa  charge  et  de  soutenir  les  intérêts  de  ceux 
qui  l'avaient  élu.  Les  événements  qui  survinrent  ne 
tardèrent  pas  à  mettre  en  évidence  son  patriotisme 
et  son  zèle  pour  le  bien  public. 

C*était  l'époque  des  guerres  qui  eurent  lieu  sous 
le  règne  de  Louis  XV.  Chaque  jour  amenait  les 
Anglais  devant  nos  côtes ,  et  l'on  vivait  sans  cesse  dans 
la  crainte  de  descentes  et  de  bombardements.  M.  Des* 
roches,  ingénieur  de  la  marine,  fut  chargé  de  mettre 
la  place  de  Fécamp  en  état  de  défense ,  et  on  y  en- 
voya trois  compagnies  de  cavaliers  pour  y  tenir  gar- 
nison ;  les  bourgeois ,  surchargés  de  logements  mili- 
taires, réclamèrent  auprès  de  l'intendant  de  Rouen, 
qui  leur  répondit:  qu'il  avait  plus  de  cinquante  com- 
pagnies à  loger  dans  son  département,  que  Montivil- 
1ers ,  Cany  et  Lillebonne,  étaient  remplis  de  soldats, 
et  que  Fécamp  ne  devait  pas  se  plaindre,  puisqu'il 
avait  reçu  antérieurement  jusqu'à  quatre  compagnies; 
il  ajoutait  que,  pour  alléger  la  charge  des  habitants  , 
tous  devaient  y  prendre  part ,  excepté  l'abbaye. 

Le  maire,  par  prévoyance  et  comme  on  avait 
rhabitude  de  le  faire  dans  ce  temps4à  ,  fit  prévenir, 


(4^4) 

au  son  du  tambour,  les  cabaretiers  et  les  bour- 
geois de  la  ville  de  ne  faire  aucun  crédit  aux  ca- 
valiers du  régiment  d'Orléans ,  ni  de  leur  donnera 
boire  passé  huit  heures  du  soir  ,  sous  peine  de  trois 
livres  d'amende,  et  de  dix  livres  en  cas  de  récidive  '. 

La  campagne  s'ouvrit  heureusement  par  la  prise 
d'Ypres  et  le  passage  des  Alpes;  le  marquis  d'Argen- 
son  ordonna  de  chanter  un  Te  Deuni ,  et  de  faire  4es 
feux  de  joie  dans  toutes  les  villes. 

Voici  le  cérémonial  qui  eut  Heu  à  Fécamp  à  l'occa- 
sion de  ces  fêtes  :  au  troisième  verset  du  Te  Deum^  un 
des  officiers  de  ville  alla  prendre  l'ordre  du  maire,  et 
ensuite  demander,  de  la  part  de  l'Hotel-dç- Ville,  au 
gouverneur  ou  à  son  représentant,  s'il  voulait  venir 
allumer  le  feu  de  joie.  Le  gouvertieur  répondit  qu'il 
était  prêt  ;  et  aussitôt,  le  maire,  précédé  d'un  ofBcier 
de  ville,  et  accompagné  du  second  échevin,  alla 
prendre  le  gouverneur  à  la  place  ;  ils  se  rendirent 
çnsemble  dans  le  lieu  où  était  le  bûcher.  Là  ,  deux 
valets  de  ville  remirent  des  flambeaux  à  un  échevin, 
qui  présenta  le  premier  au  gouverneur  et  le  second 
a^u  maire;  ces  deux  derniers  firent  ensuite  le  tour  du 
bûcher  au  son  des  tambours ,  trompettes  et  autres 
instruments,  allumèrent  ensemble  le  feu,  et  retour- 
nèrent au  chœiir,  dans  le  même  ordre  qu'ils  en  étaient 
sortis. 

*  Délibérations  de  la  mairie  de  Fécamp. 


(  4^5  ) 

Pareille  cérém'^nie  eut  lieu  quelques  mois  après, 
à  l'occasion  de  Theureux  rétablissement  de  la  santé 
du  roi  j  et  le  maii'a  ordon.ia  aux  boirgeois  de  mettre, 
à  huit  ïumi  es  du  soir ,  des  lanternes  sur  leurs  fenêt  res , 
sous  peine  de  dix-huit  livres  d'amende  contre  chacun 
des  contrevenants. 

Au  milieu  de  toutes  ces  fêtes  ,  la  nomination  d'un       l^^^' 
abbé  passait  inapei  çue. 

Claude-Fbatîçois  de  Montboister  de  Canillac, 
trente-neuvième  Abbé  de  Fécamp. 

La  paix  dura  peut-être  moins  long-temps  que  les 
réjouissances  auxquelles  elle  avait  donné  lieu ,  et  le 
roi,  (le  son  camp  de  Stéen,  nomma  M.  deRignac, 
ingénieuren  chef  pour  les  ports  de  Fécamp  et  d'Yport, 
sous  les  ordres  de  M.  de  Caligny ,  directeur  des  for- 
tifications. La  garnison  fut  en  même  temps  renforcée 
de  quatre  compagnies  de  cavalerie,  et  d'un  détache- 
ment de  gardes-du-corps.  Comme  c'était  une  charge 
excessive  pour  la  ville,  le  maire  obtint  de  l'inten- 
dant qu'une  partie  de  ces  militaires  logeraient  dans  les 
villages  de  Saint-Léonard  ,  Ganzeville,  Toussaint  et 
Senneville  :  Saint-Léonard  dut  fournir  douze  lits, 
Toussaint  six,  Ganzeville  et  Senneville  chacun  trois, 
avec  les  ustensiles  nécessaires  pour  les  chambrées. 
Les  habitants  de  Fécamp  reçurent  l'invitation  de 
fournir  des  logements  convenables  pour  les  gardes-» 
du-corps.  ' 


(  4^6  ) 

Les  côtes  de  la  Haute-Normandie  étaient  placées 
sous  le  commandement  de  M.  de  Verceuil ,  briga- 
dier des  armées  du  roi,  qui  enjoignit  aux  compagnies 
bourgeoises  de  Fécamp  de  monter  la  garde  aux  bat- 
teries ;  et  comme  le  nombre  des  canonniers  mili- 
taires n'était  pas  suffisant  pour  la  garde  des  pièces , 
on  fut  obligé  de  prendre ,  dans  les  compagnies  bour- 
geoises,  troi?  hommes  pour  le  service  de  chaque 
canon  ;  il  était  ordonné  à  ces  nouveaux  artilleurs  de 
se  rendre  à  leurs  postes  à  la  plus  petite  alerte ,  sous 
peine  de  punitions  rigoureuses  eiignominieuses . 

Voici  la  liste  des  aides-canonuiers  qui  se  distin- 
guèrent dans  ce.  nouveau  genre  de  service:  Marc 
Courché,  Vincent  le  BouUenger,  Robert  Lion ,  Fran- 
çois Hermel,  Pierre  Thierry  fils,  Pierre  Grindel, 
Pierre  Hermel ,  Nicolas  Barrey,  Jacques  la  Voipière , 
Charles  Joyeux,  François  Thurin,  Jean  Pimonty 
Jean  Feuilloley,  François  Mathieu ,  Christophe  Ro- 
main ,  Pierre  Aubin ,  Jean  Aubin,  Pierre  THommet, 
Jacques  Groult,  Nicolas  Hue,  Jean  Marraine  fils^ 
Pierre  de  Guerre  ,  Jean  Jouen  père,  Joseph  Metey, 
Théodore  Duboc,  Thomas  Robert,  Pierre-François 
Feuilloley,  Louis  Sai nt- Léger ,  Jean  Manoury, 
Jean  Jouen  fils ,  Michel  Durand,  François  Hermel, 
Louis  Viney, Georges  Roger,  Pierre- Antoine  Blondel^ 
Noël  Eudier,  Jacques  le  Carpentier,  Thomas  le  Vuez, 
Pierre  Bourdon ,  Jean  Groult,  Laurent  Jeanne,  Jean 
Romain,   Pierre  Delauney,  Jean  MuUot,  François 


(  4^7  ) 

Lambert  y  Jacques-Michel  Couillard ,  Nicolas  Pollet , 
Nicolas  le  Thuillier,  Jean  Aubin ,  Pierre  Thierry, 
Etienne  Courtiller. 

Ce  nombre  de  cinquante-un  aides  canonniers  fait 
connaître  que  les  forts  de  Fëcamp  avaient  alors  en 
batterie  dix-sept  pièces  de  gros  calibre. 

Cette  organisation  ne  fut  pas  plutôt  terminée, 
que  Marin  Gruchet  fit  réunir  la. milice  bourgeoise, 
et  la  passa  en  revue  sur  la  place  du  Vieux-Marché, 
qu'on  déblaya,  à  cet  effet,  de  tous  les  bois  dont 
elle  était  encombrée;  ces  compagnies  avaient  disparu 
depuis  l'époque  des  guerres  civiles,  où  elles  s'é- 
taient montrées  ardentes  et  passionnées  dans  leurs 
croyances  ;aujourd'hui,c'est  contre  l'étranger  qu'elles 
vont  employer  leur  énergie  et  diriger  leurs  efforts. . 

La  place  de  Fécamp  resta  sous  le  régime  militaire 
pendant  quelques  années,  et  ses  remparts  se  cou-* 
vrireut  plusieurs  fois  des  hommes  de  la  commune, 
lorsque  venaient  à  passer  quelques  vaisseaux  anglais. 
Enfin ,  le  premier  février  1 749»  '^  ï'^'  fi*^  savoir  au 
corps  de  ville  que  la  paix  venait  d'être  définitivement 
signée,  à  la  suite  des  conférences  d'Aix-la-Chapelle. 

Quelques  mois  après,  Louis  XV  vint  au  Havre. 
Marin  Gruchet ,  accompagné  de  ses  échevins ,  se 
rendit  dans  cette  ville,  pour  représenter  au  souve- 
rain les  doléances  des  habitants  de  Fécamp,  et  de- 
mander la  diminution  d'impôts  qui  devait  avoir  lieu 
après  la  guerre.   Ij'abbé  de  Canillac  se  reodit  aussi 


(  4^8  ) 

au  Havre,  mais  ce  fut  pour  solliciter  des  faveurs  pour 
sa  famille;  il  obtint  du  roi  la  nomibation  de  son 
parent  y  le  marquis  de  Canillac,  enseigne  de  la  se- 
condé compagnie  de  mousquetaires,  au  poste  de 
gouverneur  de  la  ville  et  des  forts  de  Fécamp,  en 
remplacement  de  Jacques  Defresné,  seigneur  de  la  - 
Verpillière ,  qui  venait  de  mourir. 

Marin  Gruchet  et  ses  échevins  revinrent  à  Fé- 
camp 9  après  avoir  obtenu  du  roi  un  don  gratuit , 
pour  indemniser  cette  ville  de  ses  pertes  ;  ils  convo- 
quèrent le  clergé ,  la  noblesse  et  les  bourgeois  dans 
la  salle  de  l'abbaye ,  pour  délibérer  sur  Temploi  de 
cette  somme;  il  fut  décidé  que  la  moitié  servirait  à 
acheter  des  pompes,  des  sceaux  et  une  romaine,  et 
que  l'autre  serait  acquise  à  la  ville,  et  non  à  Thôpi- 
tal,  dont  la  dotation  était  suffisante,  tandis  que  la 
ville  avait  été  surchargée, pendant  la  guerre,  de  dé- 
penses extraordinaii^s,  occasionnées  par  le  grand 
nombre  de  troupes  qu'elle  avait  eues  en  garnison. 

Il  y  eut,  à  cette  époque,  quelques  promotions  parmi 
lesquelles  on  remarque  celle  de  M.  de  Thiboutot, 
ancien  officier  de  mousquetaires,  à  l'emploi  de  lieu- 
tenant de  roi,  à  Fécamp,  et  celle  de  M.  de  Mar- 
tonne  de  la  Sauvagère ,  élu  procureur  du  roi  par  les 
bourgeois  réunis  dans  la  salle  de  l'abbaye ,  sous  la 
présidence  de  Charles  de  Camusat,  sous-prieur. 
1759.  Il  ne  se  passa  rien  à  Fécamp  jusqu'en    1759, 

époque  à  laquelle  le  bombardement  du  Havre  fît 


(  4t»9  ) 

prendre  de  nouvelles  mesures  militaires  j  et  remettre 
sur  pied  les  compagnies  bourgeoises. 

Deux  ans  après,  l'abbë  de  Canillac  mourut  et  fut 
inhumé  à  Paris;  il  était  auditeur  de  Rothe,  et  am- 
bassadeur du  roi  près  du  souverain  pontife. 

Claude-Antoiwe    de  la  Roche-Atmon,  pair  de 
France,  quarantième  Abbé  de  Fécamp. 

Nous  avons  déjà  parlé  des  religieux  de  Fécamp 
qui  s'étaient  distingués  dans  l'étude  des  lettres  de- 
puis la  réforme  de  la  congrégation  ;  les  pères  Le 
Marchand  9  Dudan,  Fillastre,  et  le  sacristain  ano- 
jnyme ,  avaient  clos  l'histoire  littéraire  de  l'abbaye , 
à  la  fin  du  xvii®  siècle. 

D'autres  religieux,  qu'on  pourrait  appeler  leurs 
élèves,  s'étaient  formés  aux  écoles  de  philosophie  et 
de  théologie  de  Fécamp  ;  on  y  avait  joint ,  pour  l'in- 
telligence des  saintes  écritures ,  un  cours  de  langue 
hébraïque  et  grecque ,  ce  qui  donna  naissance  aux 
hautes  études  dont  s'occupa  la  congrégation.  La  re- 
cherche des  pièces  ensevelies  dans  la  poussière  des 
archives  et  des  bibliothèques,  servit  à  répandre  la 
lumière  sur  tout  ce  qui  tenait  aux  arts ,  à  l'histoire , 
et  à  la  géographie  du  moyen-âge. 

Nous  croyons  devoir  donner  les  noms  >de  quelques 
savants  qui  florissaient  à  cette  époque,  dans  le  mp- 
nastère  de  Fécamp. 

Dom  Prévost  d'Exilés  e&t  connu  par  plusieurs 
opuscules  et  de  laborieuses  compilations. 


(  43o  ) 

Dom  Philippe  Le  Cerf  de  la  Vîéville,  qui  passa  les 
trente  dernières  années  de  sa  vie  à  Fécamp  ,  est 
l'auteur  du  livre  ayant  pour  titre  :  Bibliothèque  his- 
torique et  critique  des  auteurs  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur.  Ce  père  avait  envoyé  son  ouvrage  au 
général  de  Tordre ,  dom  Sainte-Marthe  j  qui  refusa 
de  le  faire  imprimer ,  à  cause  des  traits  satiriques 
qu'il  lançait  contre  quelques-uns  de  ses  confrères. 
Dom  Prévost  y  à  qui  ce  manuscrit  tomba  dans  les 
mains,  l'envoya  en  Hollande,  où  il  fut  imprimé. 

Dom  Bonnet  avait  enseigné  la  philosophie  et  la 
théologie  dans  le  monastère  de  Fécamp,  avant  d'être 
nommé  prieur  de  Josaphat  ;  on  lui  doit  l'ouvrage 
intitulé  ;  Biblia  maxima  pntrum. 

Dom  Bessin  avait  remplacé  dom' Bonnet  dans  le 
professorat ,  et  devint  ensuite  officiai  de  Fécamp  et 
syndic  des  monastères  de  Normandie  ;  il  publia  les 
Conciles  de  la  province  de  Rouen ,  et  corrigea ,  sur 
les  manuscrits ,  les  historiens  normands  recueillis 
par  Duchêne.  Le  pape  lui  fit  remettre  une  médaille 
d'or,  pour  la  part  qu'il  avait  prise  à  l'édition  des  ou- 
vrages  de  saint  Grégoire. 

Dom  Nicolas  Asselin  était  né  à  Fécamp,  et  y  avait 
fait  ses  études  ;  on  lui  doit  des  Commentaires  sur 
les  psaumes ,  qui  lui  valurent  d'être  appelé  à  la  tête 
du  monastère  de  Séez* 

Dom  Guérard  ,  accusé  d  avoir  composé  V/ibbé 
eommendataire ,  fut  relégué ,  par  ordre  du  roi ,  dans 


(43i  ) 

Tabbaye  de  Fécamp ,  où  il  i^\j\iX\2iX abrégé  de  la  Ste- 
bible  j  en  forme  de  questions  et  de  réponses  fami-' 
Itères  y  et  quelques  poésies  latines  fort  estimées. 

Dom  Pisant,  né  à  Sassetot,  avait  aussi  suivi  les 
cours  de  philosophie  et  de  théologie  de  Fécamp  ;  il 
est  auteur  d'un  Traité  historique  et  dogmatique  des 
privilèges  et  exemptions  ecclésiastiques. 

Dom  Charles  deToustain ,  élève  de  Fécamp  ^  con- 
naissait toutes  les  langues  de  l'Europe  et  de  l'Orient; 
il  fut  le  collaborateur  de  dom  Tassin  ,  pour  le  Nou" 
veau  Traité  de  diplomatique  ^  et  l'auteur  d'une 
quantité  prodigieuse  de  savants  mémoires  ^  de  re- 
cherches et  d'histoires  d'abbayes. 

Des  lettres  de  dom  Tassin  j  adressées  à  dom  Ma- 
heut ,  procureur  de  la  communauté  de  Fécamp^ 
nous  font  connaître  que ,  vers  l'année  1 766 ,  ce 
monastère  possédait  encore  une  infinité  de  savants 
religieux,  au  nombre  desquels  on  remarque  dom 
Le  Noir ,  dom  Teixier  de  Saint-Prix ,  dom  Patallier 
et  dom  Vannier;  mais  c'eçt  surtout  pour  dom  Maheut 
que  le)!>ère  Tassin  paraissait  avoir  une  estime  toute 
particulière.  Nous  en  jugerons  par  les  lettres  sui- 
vantes,  qu'il  lui  adressait,  et  qui  sont  restées  inédites 
jusqu'à  ce  jour. 

«  Mon  révérend  père  , 
«  Je  me  ferai  toujours  honneur  et  plaisir  de  vous        jnfis 
obliger  quand  vous  m'en  procurerez  l'occasion.  Tout 
prévenu  en  votre  faveur,  je  crois  que  vous  feriez 


(43a  ) 

honneur  dans  une  place  de  savant  à  Paris.  Vos  lettres 
et  la  description  de  votre  ancien  camp ,  m'ont  con- 
firmé dans  cette  pensée.  De  bons  connaisseurs  à  qui 
j'ai  fait  voir  cette  description  y  en  ont  été  très  salis- 
faits  j  et  M.  le  comtf.  de  Caylus  en  a  témoigné  toute 
sa  reconnaissance.  Je  vous  enverrai  le  résultat  de 
l'examen  qu'on  en  fera  à  l'Académie;  j'ai  dit  à  ces 
messieurs  que  votre  camp ,  appelé  aujourd'hui  Ca* 
neuiaSj  pourrait  bien  avoir  été  formé  par  l'armée 
danoise,  que  Richard  II,  duc  de  Normandie,  appela  à 
son  secours.  Camp  danois  et  Canadasout  du  rapport. 

«  Votre  charte  propitia  porte  deux  signatures  du 
même  prince;  il  n'y  a  rien  en  cela  d'extraordinaire: 
j'ai  vu,  dans  un  original  de  l'abbaye  de  Saint-Denis, 
deux  souscriptions  semblables  de  Guillaume-le-Con- 
quérant;  dans  la  cérémonie  d'offrir  à  Dieu  les  di- 
plômes sur  l'autel ,  les  princes  signaient,  quoiqu'ils 
l'eussent  fait  dans  la  confection  de  l'acte. 

«  Vous  ne  devez  pas  être  surpris  qu'Edouard-le- 
Confesseur  ait  sigoé  une  charte  de  Normandie  avant 
le  mois  de  juillet  io35.  Ce  prince,  légitime  héfttierde 
la  couronne  d'Angleterre ,  avait  été  obligé  de  se  retirer 
dans  cette  province,  où  il  était  regardé  comme  roi. 

«  Que  le  curé  de  Saint- Léger  ait  eu  une  femme, 
cela  est  conforme  aux  mœurs  du  onzième  siècle; 
l'histoire  nous  apprend  que  ce  sont  les  papes  de  l'ordre 
de  saint  Benoit ,  qui  ont  détruit  cet  abus  avec  beau- 
coup de  peine;  votre  pieux  abbé  Jean  souffrait  ce 


(433  ) 

qu'il  ne  pouvait  empêcher.  Je  vous  supplie  j  mon 
révérend  père  ,  d'assurer  de  mes  plus  humbles  civi- 
lités dom  Patallier,  dom  de  Saint-Prix,  dom  Vannier 
et  dom  Le  Noir.  On  va  commencer  l'impression  de 
notre  dernier  tome ,  qui  sera  terminé  par  une  table 
générale.  Accordez-moi  le  secours  de  vos  prières  et 
la  grâce  de  croire  que  je  suis,  avec  une  vraie  estime 
et  beaucoup  de  respect ,  etc. 

«  Fr.  Réné-Prosper  Tassiw  ,  M.  B.  » 

Il  est  évident,  par  cette  lettre,  que  la  description 
du  retranchement  nommé  Canadas  ^  qui  existe  dans 
le  grand  ouvrage  de  Cayius  sur  les  camps  de  la 
Gaule,  a  été  faite  d'après  le  mémoire  de  dom  Malieut , 
et  que  ce  savant  religieux  s'occupait,  en  même  temps, 
de  questions  historiques  les  plus  élevées. 

La  lettre  suivante,  toujours  de  dom  Tassin ,  prouve 
encore  que  le  père  Maheut  lui  a  fourni  les  rensei- 
gnements qui  étaient  à  sa  connaissance ,  pour  servir 
à  l'histoire  littéraire  de  la  congrégation  d^  Saint- 
Maur. 

«  Mon  révérend  père , 

«  Vous  m'avez  fait  un  vrai  plaisir  de  m'envoyer 
quatre  exemplaires  de  l'arrêt  de  Séez  ;  vous  l'avez 
fait  d'une  manière  si  gracieuse,  que  je  ne  puis  assez 
vous  en  témoigner  ma  vive  reconnaissance.  Les 
bontés  que  vous  voulez  bien  aVoir  pour  moi  m'au- 

a8 


(  434  ) 

torisent  à  vous  demander  quelques  Mémoires  sur 
la  vie  et  les  oui^rages  de  dont  Fillastre  et  des  autres 
sawmts  qui  ont  vécu  dans  7}Otre  communauté;  j'ai 
besoin  d'être  secouru  dans  le  dessein  que  j'ai  entre- 
pris de  donner  l'histoire  littéraire  de  notre  congré- 
gation. On  croit  que  notre  chapitre  finira  au  com- 
mencement de  la  semaine  prochaine  ;  je  crains  beau- 
coup que  la  fin  n'en  soit  pas  plus  heureuse  que  les 
commencements^  et  que  les  exclusions  que  la  cour  a 
données  h  plusieurs  capitulans^  n'entretiennent  la 
discorde  parmi  nous.  Dieu  par-dessus  tout.  J'ai 
l'honneur ,  etc. 

a  Fr.  Réné-Prosper  Tassiw  ,  M.  B.  » 

Une  partie  de  cette  lettre  a  trait  aux  disputes 
rehgieuses  qui  avaient  lieu  entre  les  ultràmontains 
et  les  gallicans  ;  entre  les  parlements ,  les  jésuites  et 
les  jansénistes.  Ces  divisions  ridicules  laissèrent  le 
champ  libre  à  la  secte  philosophique ,  qui  en  profita  et 
ne  tarda  pas  à  renverser  les  faibles  digues  qui  avaient 
résisté  aux  querelles  envenimées  des  deux  partis. 

L'abbé  de  Fécamp ,  Claude  de  Canillac  ,  avait 
lui-même  écrit  au  pape ,  pour  lui  proposer  de  ré- 
soudre certaines  difficultés  religieuses  ;  le  Saint-Père 
le  blâma  de  sa  démarche ,  en  lui  faisant  la  réponse 
sage  que  les  Français  étaient  aussi  bons  catholiques 
que  les  Romains ,  et  qu'on  devait  s'abstenir  de  ques- 
tions irritantes  qui  indisposaient  les  esprits  j  au  lieu 


(  435  ) 

de  les  ramener  à  runion,  qui  était  le  vœu  le  plus 
cher  de  son  cœur. 

Ces  querelles  avaient  tellement  pris  le  temps  des 
moines  y  qu'ils  avaient  déjà  abandonné  les  utiles  tra- 
vaux et  les  grands  exemples  de  religion  transmis 
par  leurs  prédécesseurs;  ce  qui  faisait  dire  à  dom 
Tassin ,  dans  sa  dernière  lettre  à  dom  Maheut  :  «  Les 
a  nouveaux  systèmes  ont  fait  de  trop  grands  progrès  y 
ce  et  la  piété  est  trop  négligée  dans  la  plupart  de  nos 
a  monastères ,  pour  que  nous  espérions  de  voir  la 
a  congrégation  dans  Tétat  florissant  où  nous  l'avons 
«  trouvée.»  En  effet ,  les  communautés  vont  décheoir 
insensiblement  jusqu'à  l'époque  de  leur  suppression , 
qui  devient  de  plus  en  plus  imminente. 

L'abbé  de  la  Roche-Aymon  ne  s'occupait  pas 
beaucoup  plus  de  l'administration  de  son  monastère 
que  ses  prédécesseurs  ;  il  avait  pour  receveur  Marin 
Gruchet ,  qui  lui  faisait  remettre  à  Paris  les  revenus 
de  la  mense  abbatiale,  et  de  nombreux  paniers  de 
gibier  et  de  poissons  qui  lui  parvenaient  par  le  coche 
de  Caux ,  la  seule  voiture  qu'il  y  eût  de  Fécamp  à 
Rouen ,  et  qui  faisait  ce  voyage  tous  les  huit  jours  '. 


'  Nous  avons  trouvé,  aux  Archives,  une  note  relatant  huit  envois 
de  gibier,  pendant  l'espace  de  cinquante  jours.  Vittefleur,  les 
Uogues,  Elétot,  Ipreville,  avaient  fourni  leur  contingent,  et  le  tout 
formait  quarante-jsix  lièvres ,  cinquante-deux  lapins,  quarante-huit 
perdrix  et  douze  bécassines. 

Les  truites  étaient  payées  à  raison  de  40  sols  la  Ii?re,  aux 
pécheurs  de  TÂbbaye. 


(  436  ) 

Cet  abbé  faisait  bien  quelques  aumônes  sur  ses 
revenus  conventuaux;  peut-être  désirerait-on  les  voir 
plus  considérables:  nous  trouvons,  par  exemple , 
une  note  ne  montant  qu'à  cinquante-quatre  livres 
dix-neuf  sols ,  pour  distributions  faites ,  pendant  un 
an  y  à  la  porte  du  monastère. 

Le  curé  de  Villainville  ayant  demandé  des  secours 
pour  les  pauvres ,  voici  ce  que  lui  répondit  M.  Gru- 
chet,  le  i3  juin  1769. 

«  Monsieur , 

a  On  m'a  mandé  que  vous  vous  êtes  donné  la 
peine  de  venir  pour  me  représenter  que  vous  aviez 
besoin  de  quelques  secours  pour  vous  aider  au  sou- 
lagement de  vos  pauvres;  j'aurais  pensé  que  la  somme 
qui  vous  a  été  délivrée  par  l'ordre  de  monseigneur 
l'abbé ,  au  mois  de  janvier  dernier ,  aurait  été  suffi- 
sante ,  iï  autant  qu^elle  ri  a  été  donnée  que  pour  les 
pauvres  nécessiteux  ^  ainsi  que  j'ai  eu  l'honneur  de 
vous  le  marquer  précédemment.  Au  surplus  ,  je 
m'en  rapporte  à  votre  représentation ,  et  je  prends 
sur  mon  compte  de  vous  faire  donner,  par  M.Duval, 
la  somme  de  trente-six  livres,  en  lui  envoyant  une 
quittance  conforme  au  modèle  de  l'autre  part ,  me 
persuadant  qu'elle  sera  agréée  de  monseigneur  l'abbé, 
connaissant  ses  bontés  et  ses  libéralités  pour  les  pau- 
vres. » 

Claude  de  la  Roche- Ay mon  mourut  en  1777,  à 
Paris ,  où  il  fut  inhumé. 


(437) 

Dominique  de  La  Rochefoucauld  ,  Cardinal , 
Archevêque  de  Rouen ,  quarante  et  unième  et 
dernier  Abbé  de  Fécamp. 

Le  cardinal  de  La  Rochefoucauld ,  personnage 
d'un  rare  mérite^  fut  élu  par  le  clergé  pour  présider 
ses  assemblées  de  1780  et  178a;  il  vint  ensuite  à 
Fécamp,  où  il  fut  reçu  avec  enthousiasme ,  par  la  po- 
pulation et  les  compagnies  bourgeoises  qui  s'étaient 
portées  à  sa  rencontre  j  au  bruit  des  cloches  de  la  ville 
et  de  l'artillerie  des  remparts. 

A  cette  époque ,  Remard  Cléri  était  maire  de  Fé* 
camp  ;  Joseph  Desportes ,  avocat  au  Parlement,  lieu- 
tenant maire;  le  chevalier  de  Duredent  et  Louis 
Fourray,  premier  et  deuxième  échevins;  MM.  Huard, 
procureur  du  roi  ;  Perron  et  Marcotte ,  assesseui^  ; 
Gruchet ,  Leport ,  Le  Rorgne ,  Roivin  et  Couillard , 
notables. 

Plusieurs  décisions  furent  successivement  prises 
en  assemblée  générale  par  les  officiers  municipaux  : 
on  reçut  d'abord  les  comptes  du  trésorier  des  de- 
niers delà  ville,  le  sieur  de  Roux,  dont  la  gestion 
paraissait  embarrassée,  et  l'on  s'occupa  du  pavage 
des  rues,  et  particulièrement  de  celle  qui  se  dirige 
du  Rail  au  Vieux-Marché  ;  le  pavé  qu'on  en  retira 
fut  accordé ,  partie  aux  habitans  du  Vieux-Marché, 
l'autre  à  ceux  des  rues  de  Mer  et  du  Rail  à  Notre- 
Dame-de-Grâce ,  qui  désiraient  faire  paver  le  devant 
de  leurs  maisons. 


(  438  ) 

Le  maire  exposa  ensuite  à  Tin  tendant  que  cinq 
paroisses  de  la  ville  :  Saint-Etienne ,  Sainte-Croix , 
Saint-Thomas ,  Saint-Fromond  et  Saint-Léger,  étaient 
occupées  à  clore  un  emplacement  vaste,  fieffé  qua- 
rante livres  par  le  cardinal  de  La  Rochefoucauld , 
pour  servir  de  cimetière ,  et  il  demanda  l'autorisa- 
tion de  faire  une  petite  clôture  dans  un  angle  de  ce 
cimetière,  pour  y  enterrer  les  non-cotholiques. 

Les  assemblées  provinciales  ayant  été  convoquées 
par  un  édit  du  roi,  une  lettre  fut  adressée  aux  auto- 
rités municipales  de  la  ville  de  Fécamp,  de  la  part 
de  dom  Lé  Maire ,  prieur  de  l'abbaye ,  et  de  MM.  de 
Taillemont,  Bégouen,  Faure  et  Eude,  composant  le 
bureau  intermédiaire  du  département  de  Monti- 
villiers ,  les  priant  de  s'entendre  pour  prévenir  les 
abus  de  là  mendicité. 

Le  conseil  réuni  déclara  qu'il  ne  pouvait  rien 
décider  de  positif  sur  ce  point ,  la  ville  étant  com- 
posée de  neuf  paroisses  dont  les  intérêts  différents 
devaient  occasionner  des  recherches  multipliées, 
tant  à  cause  des  aumônes  particulières  que  de  celles 
des  différentes  maisons  religieuses ,  et  il  crut  devoir 
nommer  quatre  commissaires  pour  étudier  cette 
question. 

L'imposition  de  la  corvée  se  monta,  pour  l'année 
1 787 ,  à  la  somme  de  deux  mille  neuf  cent  trente-deux 
livres,  qui  fut  remise  en  trois  paiements  égaux  au 
receveur  particulier  des  finances,  à  Montivilliers.  La 


'■•l 


(439) 

commune  décida ,  à  runanimité,  que  cet  impôt  serait 
prélevé  sur  les  dix  muids  de  sel  donnés  en  franchisjî,  j  ^ 
aux  habitants,  et  qu'il  servirait  au  pavage  de  Tinté- 
rieur  de  la  ville.  ^ 

De  grandes  questions  se  décidaient  alors  à  rassem- 
blée des  Etats  généraux;  questions  vitales,  palpi- 
tantes d'intérêt,  auxquelles  le  tiers-état  prenait  la 
part  la  plus  active  :  il  s'agissait  de  savoir  si  l'assem- 
blée voterait  par  ordre  ou  par  tête  ;  la  municipalité 
de  Fécamp  ne  resta  pas  en  arrière  dans  cette  grave 
discussion. 

Elle  représenta  que  :  «  les  habitants  de  cette  ville, 
«  animés  du  même  zèle  que  tous  les  fidèles  sujets 
«  de  Sa  Majesté ,  saisissaient  cette  occasion ,  peut- 
«  être  unique ,  de  lui  offrir  le  tribut  d'amour  et  de 
«  reconnaissance  que  ses  bienfaits  inspiraient  à  toute 
«  la  nation. 

«  Qu'elle  prendrait  la  liberté  de  faire  observer  à 
•  Sa  Majesté  que  la  faveur  que  le  tiers-état  soUici- 
«  tait,  deviendrait  vaine  et  illusoire ,  si  chaque  ordre 
«  délibérait  à  part  et  présentait  des  cahiers  particu- 
«  liers ,  puisque,  dans  ce  cas,  la  proportion  serait  tou- 
«  jours  de  deux  contre  un.  D'ailleurs,  ajoutait-elle, 
M  l'état ,  c'est  un  ;  tous  ses  membres  doivent  avoir 
«  un  but  unique,  le  bien  général.  Toute  division 
«  d'ordre  rompt  nécessairement  l'unité ,  et  détruit 
«  l'ensemble.  L'esprit  de  corps  vient  encore  ajouter 
i<  à  cet  inconvénient;  il  enchaîne  le  zèle  patriotique, 


(  44o  ) 

•  concentre  les  vues,  qui  devraient  être  générales, 
^âans  le  cercle  étroit  des  intérêts  particuliers ,  se- 

•  pare  les  individus  de  tous  ceux  des  autres  ordres, 
«  entraîne  dans  des  partis  toujours  contraires  au 
«  juste  et  au  vrai ,  et,  au  lieu  d'un  concours  unanime 

•  et  d'un  concert  général  pour  opérer  le  plus  grand 
«  bien ,  il  peut  en  résulter  une  nullité  d'action  et 
«  des  divisions  scandaleuses. 

«  En  vain  on  objecterait  l'uâage;  il  n'y  a  pas  d'u- 
«  sage  constant  pour  la  tenue  des  Etats  généraux. 
«  Ils  n'ont  peut-être  pas  été  tenus  deux  fois  de  la 
tf  même  façon.  Il  n'existe  non  plus  aucuQe  loi  sur 
«  cet  objet;  les  souverains  ont  toujours  été  en  pos- 
i<  session  de  régler  les  temps ,  la  forme  de  convocation 

•  et  la  représentation  relative  dé  chaque  ordre;  il 
«  n'y  a,  par  conséquent,  aucune  raison  de  préférer 
«  la  forme  de  ceux  de  i6i4>  ou  des  autres  anté- 
«  rieurs;  au  contraire,  les  mêmes'  motifs  qui  les  ont 
«  fait  changer  autrefois ,  à  cause  des  circonstances 
«  qui  n'étaient  plus  les  mêmes ,  doivent  opérer  le 
«f  même  effet  aujourd'hui.  D'ailleurs,  s'il  y  avait  un 
w  usage  et  une  forme  antiques ,  il  serait  de  la  justice 
«  et  de  la  sagesse  de  sa  Majesté  de  la  réformer  sur  les 
V  principes  de  l'équité  et  de  la  raison;  le  tiers-état, 
«'ne  pouvant  espérer  d'une  assemblée  qui  serait  mal 
«  composée  le  redressement  des  griefs  qu'elle  serait 
«  intéressée  à  perpétuer,  ne  peut  avoir  de  recours 
««  que  dans  le  cœur  du  plus  juste  des  rois.  » 


(  44i  ) 

Cette  délibération  est  signée  du  maire ,  du  cheva- 
lier deDuredent,  deMM.de  Cla ville,  Fourrey ,  Mar- 
cotte, Gruchet,  Dévaux,  Couillard ,  Desportes, 
Thomas  Boivin,  Etienne  Le  Duey,  et  Massif,  curé  de 
Saint-Etienne. 

Ainsi  :  fonctionnaires ,  gentilshommes ,  notables , 
bourgeois,  ecclésiastiques,  tous  se  sont  unis  de  sen- 
timents pour  porter,  sans  le  savoir,  le  coup  le  plus 
funeste  à  la  royauté  et  aux  vieilles  institutions  de  la 
monarchie. 

En  révolution,  les  événements  se  succèdent  avec 
une  raQJdité  qui  ne  peut  être  comparée  qu'à  la 
marche  tlu  temps;  déjà  l'on  ne  prend  plus  de  déci- 
sion importante  sans  consulter  le  peuple;  chaque 
jour  il  y  a  des  convocations  pour  écouter  ses  griefs , 
faire  droit  à  ses  demandes,  et  c'est  la  grande  nef  de 
l'abbaye  qui  sert  à  contenir  ces  assemblées  tumul- 
tueuses; on  s'y  réunit  du  consentement  de  M.  le 
prieur ,  qu'on  réclame  encore  pour  la  forme ,  et  dont 
on  ne  tardera  pas  à  s'affranchir  entièrement. 

Malheureusement,  à  Fécamp  comme  partout  ail- 
leurs, le  manque  de  subsistances  vient  aigrir  les  esprits 
de  la  foule  oisive ,  et  ajouter  à  l'embarras  des  affaires  : 
des  paroles  menaçantes  sont  proférées ,  et  la  muni- 
cipalité sent  le  besoin  de  composer  un  conseil  de 
sûreté,  et  d'organiser  trois  compagnies  de  milice 
bourgeoise. 

Les  membres  de  ce  conseil  sont  M.  Desportes, 


(  442  ) 

sénéchal  ;  MM.  de  Claville ,  Bérigny  l'aîné  y  Regnault, 
et  le  prieur  de  l'abbaye. 

La  milice  bourgeoise  choisit  M.  de  Paraageon 
pour  son  commandant ,  et  MM.  Desportes  l'aîné , 
d'Hattentot  et  Belleau ,  pour  major  et  aides-major. 
On  organisa,  en  même  temps ,  une  compagnie  de  ca- 
valerie pour  circuler  dans  les  campagnes,  protéger 
les  moissons  et  surveiller  la  vente  des  poudres.  Enfin, 
la  bénédiction  des  drapeaux  eut  lieu  dans  l'église 
abbatiale ,  d'où  les  compagnies  se  rendirent  sur  la 
place  publique  et  prêtèrent  serment  d'obéir  à  leui*s 
chefs  et  de  rester  fidèles  à  leur  drapeau ,  dont  les 
couleurs,  alors,  seulement  blanches  et  bleues,  pré- 
cédèrent le  glorieux  drapeau  tricolore  avec  lequel 
nos  pères  ont  conquis  tant  de  libertés ,  au  prix  de 
bien  des  sacrifices,  de  hauts  faits  et  de  crimes. 

L'organisation  d'une  force  armée,  dont  faisaient 
partie  les  principaux  habitants  de  la  cité ,  pouvait 
contenir  pour  un  moment  la  populace  turbulente  et 
inoccupée  ;  mais  tout  cet  appareil  de  répression  ne 
donnait  ni  subsistances  ni  moyens  de  s'en  procurer. 
Les  vivres  devenant  chaque  jour  plus  rares ,  les  ma- 
gistrats étaient  dans  l'inquiétude  et  rêvaient  aux 
expédients ,  lorsque  des  vents  contraires  amenèrent 
dans  le  port ,  le  bâtiment  la  Duchesse-^d Aifray  ^  al- 
lant de  Dunkerque  à  Rouen ,  avec  un  chargement 
de  blé. 

Cet  événement  ne  fut  pas  plutôt  connu  ,  que  le 


(443  ) 

peuple  courut  au  port  pour  s'emparer  de  la  cargai- 
son du  navire;  la  milice  prit  aussitôt  les  armes.  Mais 
comme,  de  fait,  la  municipalité  était  bien  aise  de  re- 
tenir ce  bâtiment  et  de  paraître  céder  à  une  impé- 
rieuse nécessité ,  elle  mit  de  Tordre  dans  le  pillage  , 
en  faisant  distribuer  les  grains  à  un  prix  fixé  arbi- 
trairement par  elle  ;  on  mit  dans  les  magasins  de  la 
ville  ceux  qui  ne  furent  pas  vendus ,  et  l'intendant 
approuva  la  conduite  des  autorités.  M.  Joly  de  la 
Tour ,  négociant  à  Rouen ,  et  consignataire  de  la 
Duchesse-cC jéifrajr  y  écrivit  à  l'agent  qu'il  avait  en- 
voyé à  Fécamp  la  lettre  suivante ,  qui  donne  une 
idée  de  la  difficulté  de  l'époque  : 

«  J'ai  reçu,  Monsieur,  en  même  temps,  vos  deux 
«  lettres  des  î8  et  19  courant.  Puisque  vous  ne 
«  pouviez ,  sans  danger^  faire  sortir  du  port  le  na- 
«r  cire  la  Dachesse-d As>ray^  vous  avez  très-bien  fait 
a  de  mettre  en  vente  sa  cargaison.  M.  de  Montereau, 
(c  qui  a  passé  à  Rouen  dimanche ,  et  qui  était  hier  au 
«  Havre ,  a  dû  demander  à  M.  Mistral  des  hommes 
«  pour  faire  venir  au  Havre  ce  bâtiment  ;  rtiais  il  riy 
«  aura  pas  eu  moyen  d après  ce  que  i^ous  me  mar- 
«  quez  ;']e  vous  recommande  surtout  de  faire  la  plus 
«  grande  attention  que  les  livraisons  se  fassent  avec 
«  ordre ,  et  que  vous  vous  assuriez  bien  du  recouvre- 
«  ment  de  la  vente.  Faites  aussi  que  votre  retour  ici 
«  soit  le  plus  prompt  possible.  La  livraison  finie, 
«  peut-être  vous  serait-il  possible  de  charger  quel- 


(  444  ) 

«  qu'un,  très  sûr ,  de  recevoir  le  montant  des  ventes. 

et  Je  fais  mes  remercîments  particuliers  à  M.  le 
tf  subdélégué  et  autres ,  des  secours  qu'ils  ont  bien 
a  voulu  vous  donner,  p 

Comme  il  était  question^  alors,  de  supprimer  les 
hautes  justices  seigneuriales,  la  municipalité  de  Fé- 
camp  adressa  une  pétition  à  rassemblée  nationale, 
pour  réclamer  un  bailliage  dans  ses  murs.  Nous  en 
donnerons  les  passages  les  plus  saillants ,  que  pour- 
ront consulter  ceux  qui  réclament ,  pour  cette  ville , 
rétablissement  d'une  sous*préfecture  et  d'un  tribunal 
civil. 

a  Sila  haute  justice,  disent  les  autorités  de  Fécamp, 
n'est  pas  remplacée  par  un  bailliage  royal ,  les  habi- 
tants de  cette  ville  recevront  le, plus  grand  préju- 
dice ,  parce  qu'ils  seront  obligés  d'aller  chercher  la 
justice,  soit  en  la  ville  de  Montivilliers ,  où  se  tient 
un  bailliage  royal ,  distante  de  six  lieues  de  Fécamp , 
soit  au  bourg  de  Cany,  où  il  existe  un  autre  bail- 
liage royal,  distant  de  Fécamp  de  cinq  lieues  f  ce 
dernier  bailliage  est  un  démembrement  de  celui  de 
Caudebec ,  et  n'a  pas  plus  de  justiciables  que  la 
haute  justice  de  Fécamp. 

«  La  ville    de  Montivilliers  n'est  composée  que 
d'environ    deux  mille  cinq  cents  habitants,   et  le 
bourg  de  Cany  d'environ  quinze  cents. 
,    «  Votre  intention,  nosseigneurs,   en  supprimant 
la  haute  justice,  a  été  de  rapprocher  les  justiciables 


(445  ) 

de  leurs  juges.  Cette  intention  n'aurait  pas  son  effet, 
si  Ton  n'établissait  un  bailliage  à  Fécamp  j  puisque 
les  habitants  seraient  forcés  de  faire  cinq  à  six  lieues 
pour  faire  juger  leurs  différends. 

c(  Sous  ce  point  de  vue  y  les  habitants  de  Fécamp 
osent  encore  se  flatter  de  l'établissement  d'un  bail- 
liage dans  leur  ville,  et  croient  que  l'arrondisse- 
ment du  bailliage  de  Caux  pourrait  se  faire  ainsi  : 

«  Le  bailliage  du  Havre  est  très  resserré  ;  il  n'est 
composé  que  de  la  ville  et  de  deux  ou  trois  paroisses 
de  campagne, 

«  Le  bailliage  deMontivilliers  n'est  qu'à  deux  lieues 
de  celui  du  Havre  ;  il  est  très  étendu ,  et  se  termine 
à  une  lieue  de  Fécamp,  et  a  des  extensions  dans  la 
ville  même. 

«  Ces  deux  bailliages  sont  certainement  trop 
proches  l'un  de  l'autre;  il  est  très  possible  et  même 
nécessaire  de  n'en  composer  qu'un,  dont  le  chef- 
lieu  serait  au  Havre,  ville  beaucoup  plus  considé- 
rable que  Montivilliers. 

(c  On  donnerait  à  ce  bailliage  quatre  à  cinq  lieues 
vers  Fécamp,  et  on  y  joindrait  les  hautes  justices 
supprimées  qui  se  trouvent  dans  cet  intervalle. 

(c  Le  bailliage  qui  serait  créé  à  Fécamp,  commen- 
cerait à  trois  ou  quatre  lieues  de  cette  ville ,  vers  le 
Havre,  et  se  terminerait  à  Saint-Valery-en-Caux, 
au-dessous  de  Cany,  dont  le  bailliage  serait  sup- 
primé. On  lui  donnerait  la  même  largeur,  de  manière 


(446  ; 

qu'il  aurait  les  hautes  justices  de  Yalmont  et  de 
Fauville. 

a  Le  surplus  des  paroisses  qui  composent  le  bail- 
liage de  Cany,  serait  donné  au  bailliage  d'Arqués^ 
séant  à  Dieppe,  et  partie  à  celui  de  Caudebc^c. 

«  Au  moyen  de  cet  arrondissement,  il  n'y  aurait 
que  quatre  bailliages  dans  le  pays  de  Caux,  au  lieu 
de  cinq,  et  les  justiciables  seraient  rapprochés  de 
leurs  juges,  puisque  les  plus  éloignés  ne  le  seraient 
que  d'environ  six  lieues. 

a  Si  la  suppression  de  l'abbaye  de  Bénédictins  de 
Fécamp  a  lieu,  cette  ville  verra  diminuer  infiniment 
ses  ressources.  Il  y  existe  beaucoup  de  pauvres  se* 
courus  par  l'aumône  journalière  et  publique  des  reli- 
gieux de  cette  abbaye  ;  dans  les  dernières  calamités , 
leur  chef  a  même  tellement  augmenté  les  aumônes 
en  pain  et  habillements^  et  employé  tant  de  soins 
au  soulagement  des  familles  malheureuses ,  que 
la  ville  de  Fécamp  ne  s'est  point  heureusement  res- 
sentie des  troubles  qui  ont  affligé  les  autres  en- 
droits. D 

Malgré  ces  remontrances,  la  suppression  de  la 
cour  ecclésiastique  de  Fécamp  ne  tarda  pas  à  être 
décrétée ,  et  à  rendre  inutile  le  pilori  qui  était  encore 
dressé  dans  l'intérieur  du  Marché-Weuf  ;  le  dernier 
acte  de  justice  criminelle,  exercé  par  ce  tribunal, 
fut  la  condamnation  au  carcan  et  à  quelques  heures 
d'exposition,    de»  nommés  Tocque  et  Savari,  qui 


(447) 

avaient  fait  un  vol  de  cidre  chez  le  fermier  de  la 
côte  de  Saint-Jacques  * . 

On  prévoyait  déjà,  comme  on  a  pu  le  remarquer, 
la  suppression  des  monastères  ;  mais ,  avant  qu'on  prît 
la  résolution  d'en  venir  à  ce  moyen  extrême ,  chacun 
formait  des  plans  pour  faire  cesser  le  malaise  que 
les  immunités  religieuses  apportaient  quelquefois  au 
développement  commercial  dans  certaines  localités  : 
ainsi ,  les  archevêques  de  Rouen ,  qui  prélevaient  de 
forts  droits  sur  les  marchandises  importées  dans  le 
port  de  Dieppe,  en  éloignaient  tout-à-fait  la  naviga- 
tion, les  Dieppois^  pour  sortir  de  cet  état  de  gêne, 
avaient  déjà  proposé  de  faire  rentrer  leur  port  sous 
l'autorité  du  roi,  et  de  donner  en  échange  aux  arche- 
vêques, les  revenus  de  l'abbaye  de  Fécamp.  C'était 
un  moyen  tout  comme  un  autre  de  sortir  d'embar- 
ras; mais  on  n'en  était  pas  encore  venu  au  point  de 
lever  aussi  légèrement  les  difficultés  qui  provenaient 
de  l'église. 

Dans  la  même  année,  un  chevalier  de  Malte, 
M.  le  comte  de  Rome  du  Bec ,  appartenant  à  une  des 
familles  nobles  les  plus  distinguées  du  pays  de  Caux, 
et  un  avocat  au  bailliage  d'Yvetot ,  M.  Ebran ,  se  pré- 
sentent à  l'assemblée  populaire  de  Fécamp,  tenue 
dansla  nef  del'égUse  abbatiale;  et  là,  en  présence 
de  la  foule  assemblée,  M.  le  comte  de  Rome  déclare 

^  m  —i^—  .  ■■■.■»  ■»     ■■■■■■■     I      i.^-    .^.     .—Il  III  ■■,       I         ■       I  1.— I     ■%—— —— — ■— ^   ^m^^ 

■  Archives  de  Tofficialité  de  Fécamp. 


(448) 

qu'il  renonce  aux  privilèges  de  sa  caste,  demande- 
Tabolition  de  la  coutume  de  Caux,  en  matière  d'hé- 
ritage y  et  le  partage  égal  de  la  succession  dans  la 
famille.  Cette  proposition  est  accueillie  par  des  .ap- 
plaudissements unanimes  :  une  pétition  est  rédigée , 
séance  tenante,  pour  l'assemblée  nationale,  et  cou- 
verte de  la  signature  des  principaux  habitants  de 
Fécamp,  qui  ont  soin  d'ajouter  à  leur  nom,  la  qua- 
lité de  père  de  famille. 

Il  est  remarquable  que  ce  soit  de  l'abbaye  de  Fé- 
camp  que  sortit,  dans  le  pays  de  Caux^  le  premier 
cri  de  réprobation  contre  le  droit  d'aînesse,  et  qu'il 
ait  été  proféré  par  un  gentilhomme  dont  les  privi- 
lèges et  les  intérêts  de  caste  ne  pouvaient  pourtant 
exister  sans  les  errements  et  l'organisation  politique 
de  l'ancien  régime. 

En  rappelant  les  bienfaits  du  cardinal  de  La  Roche- 
foucauld envers  la  population  indigente  de  Fccamp , 
nous  avons  oublié  de  dire  qu'il  venait  d'être  nommé 
président  de  l'assemblée  du  clergé,  aux  États  gêné- 

« 

raux. 

Nous  ne  voyons,  dans  le  reste  de  l'année,  qu'un 
temps  de  rudes  épreuves  pour  les  autorités  et  pour 
les  chefs  de  la  force  armée. 

MM.  Cléri,  Claville,  Desportes,  Regnauld,  Béri- 
gny,  Parnageon ,  siègent  tous  les  jours  à  l'hôtel  de 
ville ,  prêts  à  donner  les  ordres  qui  seraient  néces- 
saires ,  et  le  commandant  de  la  milice  se  rend  au 


(  449) 

Havre ,  pour  demander  des  armes  ;  il  en  revient  avec 
deux  cents  fusils  et  six  cents  cartouches. 

D'un  autre  côté,  des  commissaires  sont  envoyés 
dans  les  campagnes ,  pour  faire  approvisionner  les 
halles,  et  prier  les  cultivateurs,  de  la  part  de  la  mu- 
nicipalité de  Paris,  de  battre  leurs  blés,  sitôt  la 
récolte  faite ,  pour  secourir  leurs  frères  de  la  capi- 
tale ,  qui  ont  autant  de  besoins  que  ceux  de  la  pro- 
vince. On  s'adresse  à  M.  Oursel ,  subdélégué  de  l'in- 
tendant au  Havre;  il  ne  peut  venir  au  secours  de  la 
population  de  Fécamp.  On  en  était  une  secondé  fois 
aux  expédients,  lorqu'un  navire  de  Dunkerque, 
le  Jeune-Corneille  j  entre  en  relâche  forcée  dans  le 
port ,  avec  une  cargaison  de  blé  et  de  farine,  encore 
adresisé  à  M.  loly  de  la  Tour. 

La  municipalité  décide  aussitôt  que  les  farines  de 
ce  navire  seront  déchargées  et  vendues ,  et  les  fonds 
de  la  vente  déposés  dans  les  mains  de  M.  Bérigny, 
qui  en  tiendra  compte  au  consigna  taire.  Les  sub- 
sistances se  trouvèrent  assurées  de  nouveau  pour 
quelques  jours ,  ce  qui  n'était  pas  peu  de  chose  à  une 
époque  où  rien  n'était  incertain  comme  l'avenir. 

La  défiance  est  partout  à  son  comble,  et  l'on  re- 
çoit une  lettre  de  la  municipalité  de  Paris ,  concernant 
les  passeports  qui  devront  être  interdits  à  compter 
du  20  septembre.  Fécamp  adhère  à  cette  invitation, 
et  décide  qu'il  n'en  sera  délivré  aucun  à  l'avenir. 
Enfin,  les  arrestations  ont  lieu  sur  tous  les  points: 


(  45o  ) 

des  habitans  de  Fécamp  sont  retenus  à  Ypreville ,  à 
Yvetot,  et  la  municipalité  est  obligée  de  les  récla- 
mer; on  arrête  aussi  des  voyageurs  à  Fécamp: 
un  jeune  homme ,  nommé  Yarin  ,  pensa  être  l'objet 
d'une  émeute  dans  laquelle  son  rôle  n'aurait  pas  été 
sans  danger  :  c'était  un  ouvrier  briquetier  de  Bolbec, 
sur  lequel  on  avait  découvert,  disait-on,  des  armes 
prohibées  ;  on  écrivit  à  son  maître ,  qui  certifia  que 
ce  jeune  homme  était  bon  patriote,  et  que  le  fer  de 
lance  dont  il  était  muni ,  avait  été  trouvé ,  par  hasard , 
dans  de  la  vieille  ferraille  ;  il  ne  fut  relâclié  qu'après 
les  investigations  les  plus  scrupuleuses. 

Enfin ,  la  première  série  du  registre  des  délibé- 
rations de  la  mairie  de  Fécamp  finit  par  la  procla- 
mation du  roi  au  sujet  de  la  loi  martiale ,  et  par  ua 
ordre  de  la  municipalité  concernant  les  subsistances: 
c'était  bien  le  résumé  des  misères  qui  venaient  em- 
barrasser la  marche  des  gouvernants,  débordés  de 
toutes  parts  par  les  récriminations ,  les  haines  et  les 
mauvaises  passions  des  hommes  ambitieux  de  tous 
les  partis. 

Que  faisaient  alors  les  religieux  du  monastère  de 
Fécamp  ?  Quelques-uns  soupiraient  en  secret  après 
le  jour  qui  devait  rompre  leur  chaîne  ;.  d'autres ,  ré- 
signés et  craintifs  comme  les  gens  de  leur  profesion, 
attendaient' tout  du  temps  et  de  la  Providence.  Le 
prieur  dom  Le  Maire ,  homme  adroit  et  intelligent , 
usait  de  tous  les  moyens  pour  conjurer  l'orage  :  il 


(  45.  ) 

avait  mis  la  nef  de  son  église  à  la  disposition  de  la 
commune  ;  il  assistait  aux  réunions  populaires ,  et 
prenait  part  à  toutes  les  délibérations  de  la  munici- 
palité. L'abbaye  avait  fait  de  fréquentes  distributions 
de  pain  et  de  vêtements  ;  elle  avait  réellement  épuisé 
toutes  ses  ressources,  pour  venir  au  secours  de  la 
classe  nécessiteuse  de  la  population. 

Sa  position  financière  était  d'autant  plus  embar- 
rassée, que,  dans  les  derniers  temps,  elle  avait  été 
contrainte  de  faire  face  à  d'autres  dépenses  extraor- 
dinaires :  quatorze  mille  livres  avaient  été  payées  aux 
héritiers  d'un  fond ,  situé  à  Argences ,  dont  les  reli- 
gieux s'étaient  fait  envoyer  en  possession  par  déshé- 
rence. Huit  mille  livres  venaient  d'être  employées  à 
refaire  le  chœur  de  l'église  de  Sainte-Paix  de  Caen , 
et  six  mille  livres  pour  couvrir,  en  tuiles ,  les  halles 
du  marché  d' Argences. 

Sur  ces  entrefaites,  l'assemblée  nationale  demanda 
l'état  général  des  revenus  du  clergé.  Dom  Le  Maire 
rédigea  celui  des  biens  appartenant  à  la  mense  con- 
ventuelle, et  ce  curieux  travail  est,  à  lui  seul,  un 
petit  monument  historique. 

Leur  produit  se  montait  à  la  somme  de  cent  cin- 
quante-huit mille  neuf  cent  soixante-dix-huit  livres, 
sur  laquelle  jAk  avait  à  déduire  celle  de  vingt-neuf 
mille  sept  cent  cinquante-huit  livres ,  pour  différentes 
charges  consistant  en  aumônes,  entretien  de  musique, 
appointements  de  gardes ,  pensions  aux  curés  et  à 


(  45a  ) 

quelques  anciens  serviteurs  de  Tabbaye  ;  au  nombre 
de  ces  traitements,  on  trouve  celui  de  neuf  cents  livres 
à  M.  l'abbé  de  Lotz ,  pour  résiliation  de  son  prieuré 
de  Saint-Martin-du-Bosc  ;  douze  cents  livres  à  un 
prêtre  chargé  de  montrer  gratis  le  latin  aux  enfants 
du  lieu;  et  cent  cinquante  livres  à  M. Heaume,  ancien 
chef  de  cuisine,  pour  récompense  de  ses  longs  ser- 
vices. 

Les  religieux  faisaient  encore  six  mille  cent 
trente-neuf  livres  de  rentes, au  capital  décent  vingt- 
deux  mille  sept  cent  quatre-vingt-seize  livres,  qui 
leur  avaient  été  prêtées;  mais  il  leur  était  dû  des 
sommes  équivalentes,  sinon  plus  considérables. 

Nous  n'avons  pu  découvrir ,  avec  la  même  préci- 
sion ,  h  combien  se  montaient  les  revenus  de  l'abbé; 
nous  savons  seulement  qu'ils  atteignaient,  au  moins, 
le  chiffre  de  cent  mill^  livres,  provenant  de  grandes 
fermes ,  et  du  produit  de  plus  de  deux  mille  arpents 
de  bois,  situés  à  Vittefleur,  à  Elétot  et  aux  environs 
de  Fécamp. 

L'assemblée  nationale,  qui  avait  aboli  les  titres 
nobiliaires  et  les  redevances  féodales,  ne  pouvait  se 
dispenser  de  prendre  une  mesure  envers  les  biens  du 
clergé:  elle  les  déclara  tous  acquis  à  la  nation  ,  rendit 
la  liberté  aux  cloîtrés  ,  en  laissant,  ^|itefois,  à  ceux 
qui  le  voudraient,  la  faculté  de  continuer  la  vie  mo- 
nastique, et  suppléant ,  par  des  pensions,  à  la  confis- 
cation de  leurs  biens.   Tel  fut  l'objet  de  la  loi  du  *i 


(  453  ) 

novembre ,  qui,  sur  la  proposition  de  l'évêque  d'Autun, 
détruisait  l'œuvre  religieuse  et  politique  de  tant  de 
siècles. 

Aussitôt  que  cette  loi  fut  mise  à  exécution ,  qua- 
rante religieux  et  un  grand  nombre  de  novices  quit- 
tèrent le  monastère  de  Fécamp  :  la  plupart  de  ces 
hommes,  aux  têtes  blanchies  dans  l'étude  et  la  prière, 
et  bien  décidés  à  continuer  la  vie  monastique ,  sor- 
taient de  Tabbaye  les  larmes  aux  yeux ,  comme  ou 
s'en  va  de  la  maison  paternelle  ;  quelques-uns  avaient 
embrassé  les  nouvelles  idées  et  furent  placés  à  la 
tête  des  paroisses;  d'autres,  en  petit  nombre,  se 
mêlèrent  aux  acclamations  de  la  foule  et  disparurent 
dans  le  monde;  il  y  en  eut  même  qui  se  jetèrent 
dans  les  armées  :  dom  Gobart  y  devint  commissaire 
des  guerres  pendant  les  mémorables  campagnes  de  la 
république. 

On  mit  immédiatement  le  scellé  sur  les  portes  de  »79*- 
l'abbaye  et  des  églises  supprimées;  huit  paroisses 
furent  annexées  à  Saint-Etienne,  et  les  autres  à  l'an- 
cienne église  abbatiale,  dont  l'abbé  LeTellier,  ex- 
bénédictin, fût  nommé  curé.  L'abbé  Hermel  le  fut, 
à  la  même  époque ,  de  la  paroisse  de  Saint-Etienne. 
On  installa  ces  nouveaux  pasteurs  en  présence  de  la 
garde  nationale  et  des  autorités  constituées,  et  Ton 
renvoya  tous  les  anciens  curés  de  leurs  presbytères 
qui  furent  confisqués  et  vendus  comme  propriétés 
naticmales. 


(  454  ) 

L'acceptation  de  la  constitution ,  par  ie  roi,  donna 
lieu  à  un  Te  Deumet  à  des  réjouissances  populaires. 
Cet  événement  fut  publié  dans  les  rues ,  à  Thôtel  de 
ville,  sur  la  place  du  Vieux-Marché  et  sur  le  port  ; 
le  soir ,  il  y  eut  illumination  générale,  sous  peine  de 
dix  livres  d'amende. 

Après  la  suppression  des  églises,  il  était  utile  de 
mettre  ordre  aux  richesses  de  tout  genre  qu'elles 
renfermaient  :  les  administrateurs  du  directoire  du 
département  envoyèrent  MM.  Gourdin  et  Carpentier 
dans  tous  les  établissements  religieux  supprimés , 
pour  procéder  à  l'inventaire  raisonné  des  bibliothè- 
ques ,  tableaux  et  manuscrits  de  ces  maisons. 

Ils  avaient  ordre  de  décrire  tous  les  dessins,  ta- 
bleaux et  statues,  d'en  indiquer  les  auteui*Sy  con- 
formément aux  instructions  de  l'assemblée  nationale , 
de  compter  les  livres  en  présence  des  officiers  mu- 
nicipaux, de  mettre  en  paquet  les  plus  précieux,  de 
les  faire  placer  dans  des  sacs  cachetés ,  et  de  s'en- 
tendre avec  l'autorité  locale  sur  les  moyens  les  plus 
économiques  de  faire  parvenir  le  tout  au  chef-lieu 
du  département. 

On  pense  bien  que  de  pareilles  fonctions  étaient 
au-dessus  des  forces  de  deux  hommes ,  quelque  zèle, 
d'ailleurs,  qu'ils  y  apportassent  :  aussi,  les  richesses 
littéraires  de  Fécamp,  auxquelles  chacun  puisait  à 
volonté,  furent-elles  jetées  pêle-mêle  dans  des  char- 
rettes ,  transportées  à  Montivilliers,  et  de  là  à  Rouen , 
où  elles  ont  été  long-temps  oubliées. 


(  455  ) 

La  bibliothèque  de  cette  ville  s^est  enrichie  de 
quatre-vingt-neuf  manuscrits;  celle  du  Havre ,  de  beau- 
coup de  livres;  et  les  archives  dëpartementales,  d'une 
foule  de  documents  et  de  chartes  originales  du  plus 
grand  intérêt  ;  le  tout  provenant  de  l'abbaye  de 
Fécamp. 

I^es  actes  de  la^  haute  justice  abbatiale  furent 
transportés,  à  la  même  époque  ,  au  greffe  du  tribu- 
nal civil  du  Havre. 

Jamais  ville  ne  changea  plus  subitement  d'aspect 
que  la  ville  de  Fécamp,  après  la  suppression  de  son 
abbaye  et  de  ses  églises  :  au  lieu  d'ecclésiastiques  par- 
courant ses  rues,  ce  n'était  partout  que  transport  de 
tableaux ,  de  meubles,  d'ornements  sacerdotaux  et  de 
cloches  brisées  et  descendues  de  leurs  clochers.  M.  de 
Parnageon,  vice-président  du  district  de  Montivilliers, 
avait  mission  de  recevoir  ces  riches  dépouilles,  et 
d'en  donner  décharge  à  la  municipalité. 

L'enlèvement  avait  été  si  général ,  que  le  curé  de 
la  Trinité  se  trouva  dans  l'obligation  de  réclamer 
plusieurs  fois,  au  district ,  deux  chandeliers  d'argent 
et  d'autres  petits  objets  indispensables  pour  les  cé- 
rémonies religieuses. 

La  vente  des  monastères  et  des  églises  fut  la  con- 
séquence immédiate  de  leur  suppression  :  des  compa- 
gnies se  formèrent  pour  faire  ces  acquisitions,  et 
M.  de  Vismes ,  l'agent  d'une  de  ces  sociétés,  se  rendit 
à  Fécamp  pour  acheter   l'abbaye  avec  ses  dépen- 


(  456  ) 

dances.  Ce  spéculateur ,  contrarié  d'apprendre  que 
la  grande  église  avait  été  réservée  pour  le  culte,  fit 
des  instances  auprès  de  la  municipalité  pour  obte- 
nir seulement  la  chapelle  de  la  Vierge.  Des  membres 
du  département  appuyaient  sa  demande  auprès  des 
autorités  constituées  de  Fécamp. 

Le  conseil  municipal ,  réuni  pour  délibérer  sur 
la  proposition  de  M.  de  Vismes ,  avrèis^iqu^il  ne  s  op- 
posait pas  à  la  vente  de  la  chapelle  de  la  Vierge^  à 
condition  que  l'acquéreur  ne  pourrait  la  démolir ,  et 
qu'il  serait  tenu  de  faire  faire  à  ses  frais,  pour  sépa- 
rer cette  chapelle  de  l'église ,  un  bon  et  solide  mur , 
construit  de  manière  que  les  deux  premiers  piliers 
soient  entièrement  placés  dans  l'intérieur  du  principal 
édifice. 

Le  procureur  de  la  commune,  Barbey  Duquil, 
pensant  que  la  vente  de  cette  chapelle  devait  tôt  ou 
tard  en  amener  la  destruction ,  protesta  contre  la  dé- 
cision du  conseil ,  ajoutant  qu'il  serait  prudent  d'agir 
de  concert  avec  les  propriétaires  et  habitants  de  la 
paroisse  de  la  Sainte-Trinité ,  convoqués  à  cet  effet. 

Le  maire  ,  M.  Bérigny,  refusa  de  signer  la  même 
délibération,  c<  vu  que  la  chapelle  faisait  partie  de  l'en- 
semble de  ladite  église,  ajoutait  à  sa  beauté  ,  à  sa 
solidité,  et  ne  pouvait,  par  conséquent,  en  être 
distraite.  » 

La  protestation  de  ces  deux  honorables  citoyens 
nous  a  valu  la  conservation  de  cet  élégant  chef-d'œuvre 
d'architecture  de  la  fin  du  xv®  siècle. 


(457) 

Tandis  que  tout  se  vendait  au  profit  de  la  nation , 
le  département,  pressé  par  de  nouveaux  spéculateurs, 
fit  un  arrêté  pour  vendre  le  marché  de  Fécamp. 

La  réclamation  fut  unanime  de  la  part  des  habi- 
tants, qui  représentèrent  que  cet  établissement,  com- 
posant le  seul  revenu  de  la  ville ,  ne  pouvait  être 
aliéné  sans  porter  le  plus  grand  préjudice  à  la  corn- 
mune. 

Il  y  eut ,  le  1 4  novembre  1 79 1 ,  renouvellement 
du  conseil  municipal,  et  M.  Guillaume,  négociant, 
fut  nommé  maire  de  la  ville  de  Fécamp.  Son  pre- 
mier acte  d'administration  fut  un  règlement  de  po- 
lice, défendant  à  tous  les  aubergistes,  cabaretiers, 
billardiers,  de  dotaner  à  boire  ou  à  jouer  pendant 
l'office  divin*. 

Dans  le  même  temps ,  Fécamp  reçut  dans  ses 
murs  le  célèbre  Bailly  ,  ancien  maire  de  la  capitale. 
Cet  homme  remarquable,  que  la  science  avait  élevé 
aux  plus  hautes  fonctions  depuis  les  premiers  trou- 
bles civils,  était  passé  par  toutes  les  phases  eni- 
vrantes de  le  faveur  populaire  pour  arriver  à  l'im- 
popularité la  plus  complète  ;  il  venait  de  donner  sa 
démission  de  maire  de  Paris ,  pour  se  retirer  en  pro- 
vince et  se  livrer  à  l'étude  des  sciences.  C'était  une 
circonstance  remarquable  que  la  présence  d'un  pareil 
personnage  à  Fécamp  ;  aussi  reçut-il  une  députation 
de  la  commune,  au  milieu  de  laquelle  il  se  rendit ,  et 
prononça  le  discours  suivant,  dernier  acte  politique 


(  458  ) 

de  la  vie  de  Bailly,  qui  ne  tarda  pas  à  périr  delà  ma- 
nière la  plus  atroce  sur  réchafaild  révolutionnaire. 

Messieurs  , 

Drf  embr  *  ^^  viens  remercier  la  municipalité  et  la  garde 

,^^i,        nationale  de  Fécamp  de  l'honneur  qu'elles  m'ont  fait 

et  des  marques  de  bonté  qu'elles  m'ont  données. 

Je  suis  comblé  de  ces  distinctions ,  que  je  n'ai  point 

méritées. 

Vous  daignez  me  faire  partager ,  comme  un-  des 
représentants  de  la  nation,  la  reconnaissance  que 
nous  devons  tous  à  l'assemblée  nationale  constituante; 
et  moi ,  Messieurs ,  je  vous  dois  le  charme  que  j'é- 
prouve ici;  long-temps  le  premier  magistrat  d'une 
ville  continuellement  agitée ,  d'une   ville  que  le  pa- 
triotisme et  le  bon  esprit  de  ses  habitants  ont  con- 
servée malgré  les  manœuvres  des  ennemis  de  la  patrie, 
j'ai  vécu  près  de  trois  ans  au  milieu  des  orages,  et, 
lorsque  je  cherche  le  repos ,  je  trouve  ici  le  plus  doux 
pour  mon  cœur,  le  spectacle  de  la  paix;  c'est  l'effet 
de  l'union  du  pouvoir  civil  et  de  la  force  publique; 
c'est  surtout  l'effet  de  l'amour  de  la  constitution.  Je 
sais  que  son  espoir  règne  à  Fécamp  ;  la  municipalité 
et  la  garde  nationale  font  respecter  la  loi  ;   la  cir- 
culation des  grains,  si  nécessaire  à  la  subsistance  du 
royaume,  est  sévèrement  maintenue.  Je  n'ignore  pas 
que  vous  êtes  aussi  sages  que  patriotes ,  et  c'est  de 
cet  accord  de  la  fermeté  des  principes  et  de  la  sa- 


(459) 

gesse  des  mesures ,  que  dépend  la  destinée  de  l'em- 
pire. 

«  Heureux  magistrats ,  qui  faites  le  bonheur  des 
peuples ,  heureuse  garde  nationale  qui ,  déjà  si  guer- 
rière, fait  partout  l'espoir  de  la  France  ,  la  consti- 
tution vivra  pour  vous. 

«  La  ville  de  Paris  a  quelquefois  été  un  exemple  ; 
je  vais  lui  porter  celui  que  vous  donnez  ;  je  soutien- 
drai son  patriotisme  par  le  récit  du  vôtre,  et  je  lui 
en  donnerai  la  preuve  en  lui  disant  comment  vous 
accueillez  les  bons  citoyens  et  les  plus  faibles  dé- 
fenseurs de  la  liberlé.  » 

On  reconnaît,  dans  cette  allocution,  le  tribun  mé- 
content du  rôle  de  silence  qu'il  s'est  imposé  et  sai- 
sissant avec  empressement  l'occasion  d'occuper  en- 
core le  monde  et  de  faire  entendre  d'éloquentes, 
paroles  à  ce  peuple  qui  a  méconnu  sa  voix. 

On  plantait  alors  des  arbres  de  la  liberlé ,  et  Fé-  Juillet 
camp  suivit  l'exemple  de  toutes  les  communes  de  *79*- 
France  :  cette  cérémonie ,  dit  le  rapport  des  fêtes ,  a 
été  d'autant  plus  belle  et  auguste,  que  toutes  les 
dames  citoyennes  de  la  ville ,  habillées  de  blanc ,  et 
ornées  de  guirlandes  et  de  rubans  tricolores ,  s'y 
étaient  rendues  en  corps. 

Le  cortège ,  tambours  et  musique  en  tête ,  partit 
de  l'hôtel  de  ville  à  deux  heures  après  midi. 

Un  vieillard  était  au  centre,  portant  le  livre  de  la 
loi  ;  à  ses  côtés  on  remarquait  deux  vétérans ,   dont 


(46o  ) 

l'un  portait  le  bonnet  de  la  liberté,  et  l'autre  la 
pique;  des  drapeaux  étaient  tenus  par  des  dames, 
au  moyen  de  longs  rubans. 

Le  premier  ordre  de  marche  se  composait  de 
deux  haies  de  femmes  citoyennes ,  et  des  compagnies 
de  grenadiers  du  i'^''  bataillon;  ensuite  venaient  les 
autorités. 

Lorsque  le  cortège  fut  arrivé  sur  la  place ,  la  garde 
nationale  forma  le  carré,  et  l'arbre  de  la  liberté  fut 
élevé,  après  avoir  été  décoré  du  bonnet  et  de  la 
pique ,  par  le  maire ,  et  de  drapeaux ,  de  guirlandes 
et  de  rubans,  par  les  dames  ;  chacun  vint ,  en  défilaat , 
jeter  de  la  terre  sur  ses  racines,  au  doux  air^  «ip: 
Ca  ira. 

Le  citoyen  Guillaume,  maire ,  prononça,  au  sujet 
de  cette  fête,  un  long  discours  empreint  de  tous 
les  lieux  communs  de  l'époque  ;  après  quoi  le  cortège 
retourna  à  la  maison  de  ville. 

Le  soir,  il  y  eut  des  réjouissances  et  des  danses 
autour  de  l'arbre,  sur  lequel  on  avait  placé  cette 
inscription  : 

Planté  par  des  gens  libres ,    - 
Pour  l'effroi  des  tyrans  ; 
Je  dis  à  tous  Empires  : 
Plantez-moi  dans  vos  champs  ? 

Ces  fêtes  furent  le  prélude  de  la  plus  grande 
catastrophe  que  puisse  essuyer  un  État ,  de  la  chute  du 


(  46.  ) 

trône  à  la  journée  du  lo  août.  On  sait  la  résistance 
qu'opposèrent  quelques  gardes  nationaux  et  les 
troupes  suisses  aux  hordes  marseillaises  qui  assié- 
geaient le  palais  du  roi.  Les  Suisses ,  vaincus  et  cou- 
verts de  blessures  ,  furent  dispersés ,  après  l'action', 
dans  différentes  villes  de  France  ;  un  détachement  de 
cinquante  hommes  de  ces  étrangers  fut  envoyé  à 
Fécamp.  La  société  populaire  demanda  qu'on  leur 
retirât  leurs  fusils ,  et  qu'on  laissât  seulement  le  sabre 
à  ceux  qui  voudraient  prendre  parti  dans  les  troupes 
françaises. 

Le  pouvoir  étant  passé  entre  les  mains  des  révo- 
lutionnaires les  plus  exaltés,  tous  les  jours,  de  nou- 
veaux décrets  de  l'assemblée  législative  sont  pro- 
clamés dans  Fécamp. 

On  exécute  la  loi  contre  les  prêtres  insermentés, 
et  beaucoup  d'anciens  religieux  sont  obligés  de  quitter 
cette  ville ,  et  de  demander  des  refuges  à  la  charité 
chrétienne. 

On  détruit  les  armoiries  de  l'intérieur  des  églises, 
les  statues,  reliefs  et  monuments  féodaux  qui  sont 
à  l'extérieur  des  maisons  particulières;  des  ouvriers 
s'offrent,  à  la  société  populaire ,  pour  faire  ce  travail 
gratis. 

Les  représentants  Sahtex  et  Dufourni,  envoyés 
dans  la  Seine-Inférieure,  pour  travailler  l'esprit 
public,  vinrent  à  Fécamp  dès  le  mois  de  septembre, 
avec  le  titre  de  commissaires  du  pouvoir  exécutif  : 


(46a  ) 

ils  proclamèrent  la  patrie  en  danger,  et  engagèrent 
les  citoyens  à  voler  à  son  secours,  en  se  rendant  sans 
retard  au  camp  de  Meaux. 

Quelques  individus  se  présentèrent;  et  Ton  fit 
mention  honorable  des  officiei*s  et  grenadiei^  de  la 
garde  nationale  qui,  sans  subir  la  voie  du  sort,  s'é- 
taient enrôlés  pour  partir  volontairement  à  la  pre- 
mière réquisition.  Ces  citoyens  étaient  :  Dominique 
ieDuey,  capitaine;  Charles  Maze,  sous-lieutenant; 
Charles-Michel  Martin,  François  Levillain,  Jean 
Follet  et  François  Caumont ,  grenadiers. 

La  milice  citoyenne  de  Fécamp  se  composait  alors 
de  deux  bataillons ,  à  chacun  desquels  on  adjoignit 
une  compagnie  de  canonniers. 

Moïse  Maze  était  capitaine  des  canonniers  de 
Saint-Etienne. 

Vincent,  lieutenant. 

Thomas  Soudet,  sous-heutenant. 

La  compagnie  de  la  Trinité  était  commandée  par 
Adrien-Charles  Bérigny. 

Le  citoyen  Cauchois  en  était  lieutenant,  et  Drouet, 
sous-lieutenant. 

On  organisa  la  compagnie  des  piques ,  placée  sous 
le  commandement  du  citoyen  Tourneville;  et  la  four- 
niture de  ces  armes,  au  nombre  de  quatre  cents, 
fut  adjugée  à  Pierre  Romain. 

Le  citoyen  Fourrey  venait  de  succéder  au  sieur 
Guillaume,  en  qualité  de  maire  detécamp. 


(463  ) 

C'était  l'époque  où  la  révolution  allait  atteindre  »79^ 
son  paroxisme  d'exaltation  et  de  fureurs  :  on  organisa, 
à  Fécamp,  un  comité  révolutionnaire ,  chargé  d'exer- 
cer la  surveillance  la  plus  étendue  sur  toutes  les 
classes  de  la  société.  La  conséquence  immédiate  de 
l'avènement  de  ce  nouveau  pouvoir,  fut  la  cessation 
de  tout  culte  religieux ,  et  les  citoyens  Régimbard 
et  Tatemain  furent  chargés ,  par  la  société  populaire, 
de  faire  fermer  les  portes  des  églises. 

La  raunicipaUté  réclama,  en  échange^   l'honneur 
de  contribuer  à  la  garde  de  l'assemblée  législative. 

La  création  de  l'armée  révolutionnaire ,  destinée  à 
couvrir  la  France  d'échafauds,  ne  tarda  pas  à  avoir 
lieu  ;  un  bataillon  de  ces  brigands ,  appartenant  à  la 
légion  de  Beauvais,  fut  envoyé  à  Fécamp,  et  logé 
dans  l'église  de  Saint-Etienne  et  dans  le  grand  bâti- 
ment de  l'abbaye ,  où  coule  l'eau  de  la  voûte.  Des 
commissaires  furent  délégués  pour  faire  garnir  ces 
édifices  avec  le  mobilier  pris  dans  les  maisons  des 
suspects  et  des  aristocrates.  Ces  soldats,  une  fois 
installés,  brisèrent  les  sculptures  de  l'abbaye,  les 
tombeaux'  et  les  images   des  saints ,  aidés  par  les 


'  De  tous  les  sarcophages  qui  ornaient  Péglise  abbatiale  de 
Fécamp,  il  ne  reste  plus  que  celui  de  Richard ,  7™®  abbé,  placé 
dans  la  chapelle  de  Saint-Nicolas  ;  ceux  de  Guillaume  IV  et  Robert  F% 
11*' et  13™®  abbés,  dans  la  chapelle  de  Saint- André;  et  celui  de 
Thomas  P'',  12™*^  abbé ,  placé  dans  la  chapelle  du  Saint-Sacrement  ; 
et  tous  ces  monuments  portent  les  traces  bien  visibles  de  nom- 
breuses et  imbéciles  mutilations.  - 


(464  ) 

soi-disant  patriotes  du  pays,  qui  partageaient  leur 
exaltation.  Les  cloches,  encore  intactes ,  éprouvèrent 
le  même  sort  :  celle  qui  portait  lé  nom  de  Georges- 
d'Amboise  succomba  sous  les  efforts  d'une  multi- 
tude d'assaillants  armés  de  lourds  marteaux  ;  et , 
lorsqu'elle  fut  entamée  ,  disent  les  habitants  des 
campagnes,  le  bruit  qu'elle  projetait  au  milieu 
d'eux  ressemblait  aux  cris  plaintifs  d'un  animal  qui 
mugit.  . 

Les  clubistes,  renforcés  de  pareils  auxiliaires, 
restent  en  permanence  dans  la  chapelle  du  calvaire 
de  l'église  de  la  Trinité,  où  ils  ont  élevé  leur  tri- 
bune. Les  motions  provocatives  se  succèdent  :  un 
volontaire  du  bataillon  de  Beauvais  demande  l'expul- 
sion du  club  de  tous  les  anciens  nobles ,  ajoutant  qu'il 
ne  s'en  trouvait  qu'un  qui  avait  donné  des  gages  à  la 
révolution.  Un  autre  jour,  c'est  une  députation 
d'artilleurs,  composée  des  citoyens  Maze,  Charles 
Bérigny,  Fautrel  et  Félix  Rouget,  capitaines  et  ca- 
nonniers  qui ,  pressés  par  le  comité  de  salut  public, 
demandent  à  la  municipalité  «  de  n'inscrire  dans  leur 
corps  aucun  individu ,  à  moins  que  l'opinion  publique 
ne  se  soit  bien  prononcée  sur  son  compte ,  atteadu  que 
la  défense  de  la  république  est  une  et  indivisible  ; 
et  de  n'y  admettre,  surtout,  aucuns  de  ces  hommes 
qui  n'étaient  devenus  patriotes  que  depuis  le  i  o  août  ». 

La  fermentation  était  à  son  comble  parmi  le 
peuple,  et  Ion  cherchait  encore  à  l'augmenter  par 


(  465  ) 

des  terreurs  chimériques;  ainsi ,  le  bruit  courut,  un 
jour,  qu'on  voyait  des  feux  dans  les  carrières  qui  sont 
sous  la  ville,  et  qu'on  voulait  la  faire  sauter  au 
moyen  de  poudres  qu'on  y  avait  introduites;  le 
peuple  ne  reprit  un  instant  de  calme  qu'après  avoir 
appris,  des  commissaires  délégués  pour  visiter  ces 
excavations,  qu'ils  n'y  avaient  rien  remarqué  d'ex- 
traordinaire. 

Ce  fut  dans  ces  entrefaites  que  M.  de  Chaumontel 
et  sa  famille,  vinrent  se  réfugier  à  Fécamp  ;  ils  y 
furent  bientôt  découverts  par  le  comité  révolution- 
naire ,  qui  les  constitua  prisonniers  dans  l'hôtel  oii 
ils  étaient  descendus ,  et  les  Ht  partir  presqu'aussitôt 
pour  le  département j  afin  d'empêcher  une  émeute 
populaire. 

Les  événements  du  3i  mai  venaient  d'amener  de 
nouvelles  proscriptions  :  les  modérés  de  la  Conven- 
tion ,  qui  avaient  pris  le  nom  de  Girondins ,  s'étaient 
aperçus  depuis  long-temps  qu'il  était  nécessaire ,  pour 
leur  propre  conservation ,  de  secouer  le  joug  de  la 
Montagne  y  c'est-à-dire  de  leurs  collègues  anarchistes 
qui  siégeaient  sur  les  banquettes  les  plus  élevées  de 
la  chambre;  ils  étaient,  en  conséquence,  parvenus  à 
faire  soulever  en  leur  faveur  plusieurs  contrées  de  la 
Normandie  ;  la  mauvaise  issue  de  cette  insurrection 
les  conduisit  presque  tous  i\  l'échafaud.  Ceux  qui  ne  . 
périrent  pas  de  cette  manière  furent  trouvés  morts  de 
besoin  et  ^'inanition  dansles  champs  où  ils  étaient  allés 

3o 


(  466  ) 

chercher  des  refuges.  Pétion,  l'ancien  maire  de  Paris, 
se  trouvait  au  nombre  de  ces  derniers. 

Les  femmes  mêmes  des  proscrits  n'échappèrent 
point  au  danger  :  on  ne  pouvait  leur  imputer  le  des- 
sein d'usurper  le  gouvernement  de  la  république; 
on  accusa  leurs  larmes;  la  femme  de  Pétion  et  son 
jeune  fils ,  pour  sauver  leurs  propres  têtes ,  vinrent 
se  cacher  à  Fécamp,  et  leur  retraite  ne  resta  pas 
plus  long-temps  ignorée  que  celle  de  la  famille  de 
Chaumontel. 

La  municipalité  les  mit  d'abord  en  état  d'arresta- 
tion; et,  comme  le  nom  qu'ils  portaient  était  alors 
fort  compromettant ,  elle  décida  que  cette  malheu- 
reuse femme  et  son  fils  seraient  conduits  au  comité 
de  sûreté  générale  de  Paris  :  c'était  les  livrer  à  leurs 
bourreaux  ! 

Les  citoyens  Charles  Bérigny ,  Aubry  et  Touffaire 
eurent  la  pénible  mission  de  remettre  eux-mêmes  ces 
prisonniers  au  comité  de  surveillance  de  là  Conven- 
tion ,  dirigé  par  les  citoyens  Amar  et  Julien.  Ils  en 
obtinrent  décharge ,  avec  un  arrêté  des  représentants 
du  peuple,  qui  leur  allouait  une  certaine  somme 
pour  leurs  frais  de  poste  ^ 

Cet  acte  d'hostilité  barbare  exercé  contre  les  Gi- 
rondins ,  ne  suffit  pas  au  comité  révolutionnaire  de 
Fécamp  ;  il  contraignit  encore  la  municipalité  d'en- 

»  Reg.  des  délib.  de  la  com.  deFécarap,  an.  1793 ,  p.  96. 


(467) 

voyer  une  adresse  de  félicitations  à  leurs  fougueux 
adversaires  :  c'est  une  pièce  historique ,  curieuse  par 
le  style ,  qui  ne  serait  que  ridicule ,  si  elle  ne  rappe- 
lait une  époque  de  sang  y  de  larmes  et  de  patriotisme 
mensonger.  Nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  la 
faire  connaître  à  nos  lecteurs. 

a  Le  Maire  et  Officiers  municipaux j  aux  Citoyens 
Représentants  du  peuple^  à  Paris. 

a  Représentants , 

a  Gloire  à  toi ,  montagne  trois  fois  sainte  ;  gloire 
te  soit  rendue  pour  nous  avoir  encore  une  fois  sauvés  ! 

ce  Des  scélérats  couverts  de  crimes  ont  osé  sur- 
prendre la  confiance  du  peuple  pour  le  conduire  à 
sa  perte,  et  creuser  ainsi ,  à  la  faveur  d'une  brillante 
popularité,  l'abyme  où  ils  voulaient  traîtreusement 
le  précipiter. 

«  Qu'ils  périssent ,  ces  infâmes  conspirateurs ,  et 
que  leur  mémoire  soit  à  jamais  en  exécration  à  tous 
les  républicains;  que  la  liberté,  le  palladium  de 
notre  bonheur,  reste  toujours  sur  cette  montagne 
sacrée j  qu'elle  rend  si  fertile  en  miracles;  et  si  quel- 
ques intrigants,  couverts  du  manteau  du  patriotisme, 
veulent  de  nouveau  la  faire  écrouler,  hâtez-vous, 
montagnards  intrépides ,  de  les  foudroyer  ;  nous  le 
répétons ,  restez  à  votre  poste.  Salut  et  fraternité  ' .  » 

»  Reg.  des  délib.  municip.,  an.  1793,  pag.  110.  —  Fouray ,  maire  ; 
Deyaux ,  agent-national  ;  P.-C.  Clouet  ;  Persac ,  secrétaire. 


(468  ) 

Les  insignes  de  la  monarchie  étant  proscrits  par 
la  loi  du  8  juillet  1793,  MM.  d'A vannes,  de  la  For- 
telle  et  de  Claville ,  tous  officiers  qui  avaient  servi 
avec  distinction  jusqu'en  179^9  furent  contraints 
de  venir  déposer  eux-mêmes  leurs  croix  de  S.-Louis 
à  la  municipalité. 

On  exigea  aussi  la  remise  des  titres  de  noblesse , 
pour  les  brûler  sur  les  places  publiques,  et  l'on 
manda  à  la  mairie  les  personnes  qu'oii  supposait 
devoir  en  posséder. 

Les  citoyennes  Yattemare,  laFrapînière,  et  Bonne 
d'Escales,  déclarèrent  que  leurs  maris  étant  cadets 
de  Caux,  ne  possédaient  pas  les  titres  de  leur  famille. 

Les  citoyens  Mahiel  et  LaFortelle  n'avaient  pas 
de  titres,  étant  aussi  cadets  de  Caux. 

Le  citoyen  Béquet ,  dit  Longuemare ,  déclara  que 
ses  titres  avaient  été  brûlés  dans  sa  commune. 

Le  citoyen  Le  Maître,  dit  de  Claville,  annonça 
que  ses  papiers  de  famille  étaient  entre  les  mains  de 
Chérin ,  vérificateur  des  titres  de  la  noblesse  ,  à  Paris , 
où  ils  avaient  subi  le  sort  de  ceux  qui  y  étaient  déposés. 

La  citoyenne  Duval ,  épouse  du  citoyen  d'Harnois, 
déclara  que ,  n'étant  pas  née  noble ,  elle  n'avait  aucun 
titre,  et  que  son  mari,  émigré ,  ne  pouvait  en  avoir, 
étant  né  cadet. 

Les  citoyens  d'Avannes ,  de  Giverville ,  Lescailles, 
n'avaient  aucun  titre  de  noblesse  en  leur  possession. 

Le  sieur  Devenois,  ditd'Hattentot,  seul,  remit  six 


(469) 

pièces  en  parchemin  et  deux  en  papier ,  contenant  des 
lettres  de  garde-noble  et  de  preuves  de  noblesse;  ces 
pièces  furent  brûlées ,  et  les  cendres  jetées  au  vent. 

Tous  ces  sacrifices  ne  satisfaisant  pas  encore  assez 
l'ainour-propre  des  révolutionnaires  exaltés ,  chaque 
jour  on  emprisonnait  les  meilleurs  citoyens,  sous  les 
prétextes  les  plus  frivoles;  et  comme  la  maison  d'ar- 
rêt ne  pouvait  suffire  à  ces  nouvelles  nécessités ,  on 
changea  en  prisons  des  maisons  particulières  :  celle  de 
M.  de  Giver ville ,  alors  émigré,  fut  remplie  àe suspects 
de  toutes  les  classes  de  la  société. 

Le  maximum ,  cette  plaie  du  commerce ,  née  du 
manque  de  subsistances  et  de  la  misère  du  peuple,  eut 
aussi  le  privilège  de  créer  bien  des  suspects ,  et  ce 
mot  seul  vous  envoyait  à  Téchafaud.  Le  commer- 
çant était  suspect  s'il  vendait  sa  marchandise  à  un 
prix  plus  élevé  que  la  taxe  :  on  lui  faisait  payer  de 
grosses  amendes  pour  la  première  fois ,  et  pour  des 
objets  dont  l'importance  était  souvent  bien  minime; 
ainsi,  le  sieur  David,  épicier,  ayant  vendu  à  une 
femme  deux  chandelles  au-dessus  de  la  taxe ,  un  offi- 
cier de  canonniers,  qui  passait  devant  sa  boutique, 
vérifia  le  fait,  et  ce  marchand  fut  condamné  à  payer 
cinquante  livres  d'amende  et  à  être  inscrit  sur  le  re- 
gistre des  suspects. 

Ces  faits  ne  paraîtront  peut-être  pas  dignes  de 
l'histoire;  mais  la  génération  actuelle  qui  les  ignore 
en  pourra  tirer  l'utile  enseignement  que  les  commo- 


(470) 

tioDS  politiques,  qui  profitent  à  peu  d'individus,  sont, 
en  général ,  pour  toutes  les  classes ,  une  source  de 
vexations  et  de  calamités. 

Il  y  avait  à  la  mairie  un  tribunal  permanent  pour 
juger  les  contraventions  à  la  loi  du  maximum.  Des 
gens  de  tous  les  états ,  et  surtout  des  épiciers  et  des 
bouchers,  y  étaient  journellement  condamnés. 

La  halle  de  Fécamp  cessant  d'être  convenablement 
approvisionnée  y  on  envoya  des  garuisaires  dans  les 
campagnes  :  les  cultivateurs  de  Grainville  reçurent 
deux  cents  hommes  du  bataillon  de  Beauvais;  il  en 
fut  aussi  envoyé  dans  toutes  les  communes  qui  avoi- 
sinent  la  ville  de  Fécamp. 

Ces  soldats,  indisciplinés,  n'étaient  pas  seuls  à  ex- 
torquer des  vivres  chez  les  cultivateurs;  des  bour- 
geois,  aussi,  cherchaient  à  s'en  procurer  par  les  mêmes 
moyens:  le  sieur  Vasse,  demeurant  au  hameau  de 
La  Roquette  9  porta  plainte,  un  jour,  à  la  commune 
de  Fécamp ,  contre  plusieurs  citoyens  de  cette  ville , 
qni  s'étaient  présentés  à  son  domicile  pour  avoir 
du  blé ,  et  l'avaient  menacé  de  revenir  le  lendemain 
avec  leurs  armes ,  s'il  ne  leur  en  donnait  immédia- 
tement. 

Ce  trait  fait  juger  de  la  misère  qui  régnait  alors  : 
tout  le  monde ,  à  Fécamp ,  était  à  la  ration  comme 
dans  une  place  assiégée;  il  n'était  pas  permis  de 
mettre  du  lait  dans  son  café ,  de  jouer  le  soir  au  bil- 
lard, ni  de  veiller  au-delà  d'une  certaine  heure,  pour 
ne  pas  user  de  chandelles. 


(47«  ) 

Il  était  aussi  défendu  de  s'approvisionner  ailleurs 
que  dans  sa  commune  ^  et  y  néanmoins ,  le  besoin  for- 
çait souvent  de  quitter  la  ville  pour  aller  chercher 
quelques  vivres  dans  les  campagnes;  les  volontaires 
de  Beauvais  en  donnaient  eux-mêmes  l'exemple,  et 
ne  permettaient  à  aucuns  citoyens  de  le  suivre  : 
ainsi ,  le  nommé  La  Giberne  de  Grainval  y  rencontré 
dans  les  champs,  porteur  de  quatre  livres  de  viande, 
fut  sévèrement  puni  pour  cette  contravention  aux 
ordonnances  municipales. 

La  prise  de  Lyon ,  ou  commune  affranchie ,  comme 
on  l'appelait  alors,  fut  le  prétexte  de  rigoureuses 
mesures  contre  tout  ce  qui  paraissait  contraire  au 
nouvel  ordre  de  choses  :  Jean  Le  Borgne  et  Amand 
Boulanger,  de  Fécamp ,  furent  nommés  commissaires 
pour  séquestrer,  dans  l'étendue  du  canton,  tous  les 
effets  ayant  appartenu  aux  émigrés  et  déportés,  et 
les  faire  vendre  au  profit  de  la  république. 

Au  milieu  de  ces  misères,  les  fêtes  nationales  se 
succédaient  de  jour  en  jour  :  on  en  avait  établi  en 
l'honneur  de  l'agriculture  et  de  tous  les  grands  évé- 
nements politiques  qui  avaient  marqué  le  cours  de 
nos  troubles  civils  ;  l'église  de  l'abbaye  était  devenue 
le  temple  de  la  raison;  c'était  de  là  que  sortaient  ces 
longs  cortèges  dans  lesquels  des  femmes  portant  le 
nom  de  déesses  ou  de  vertus ,  étaient  exposées  dans 
des  chars  aux  regards  de  la  foule.  Comme  le  peuple 
ne  pouvait  s'habituer  adonner  ces  noms  à  des  femmes 


(  47^  ) 

qui  n'étaient  ^  à  ses  yeux ,  rien  moins  que  des  déesses  ou 
des  vertus ,  toutes  ces  pompes  n'étaient  pour  Iih  que 
vaines  et  ridicules  parades.  La  fête  de  l'Agriculture 
se  célébrait  sur  un  terrain  situé  aux  environs  de  la 
route  de  Rouen,  ou  aux  corderies.  Le  cérémonial 
consistait  à  faire  de  longs  discours  et  à  tracer  quelques 
sillons  dans  la  terre  avec  la  charrue  :  spectacle  bien 
froid  pour  une  population  habituée  aux  pompes  re- 
ligieuses qui  lui  avaient  si  souvent  impressionné  le 
cœur  y  dès  son  enfance  la  plus  tendre. 

La  bizarrerie  de  ces  fêtes  aurait  pu  distraire  un 
moment  des  maux  domestiques ,  si  elles  n'avaient  été 
le  prétexte  de  nouvelles  vexations;  tout  le  monde 
était  obligé  d'y  prendre  part ,  sous  peine  de  punitions 
rigoureuses.  Le  citoyen  Lefebvre,  commandant  du 
bataillon  de  Beauvais,  dénonça  plusieurs  personnes 
qu'il  avait  vues ,  un  jour  de  décade ,  se  livrer  aux  oc- 
cupations de  leur  état.  Une  femme  Guerrand ,  entre 
autres,  ayant  répondu  à  ses  juges  qu'elle  avait  été 
obligée  de  travailler  pour  avoir  du  pain,  fut  con- 
damnée à  huit  jours  de  prison. 

Une  autre  folie  de  l'époque  fut  de  donner  des 
noms  révolutionnaires  à  la  plupart  de  nos  villes  : 
ainsi ,  le  nom  de  Grâce  joint  à  celui  du  Hai^re  parais- 
sant trop  gothique  ou  religieux  aux  novateurs ,  cette 
ville  devint  le  Havre-Marat  ;  par  la  même  raison, 
MontiviUiers,  s'appela  Brutus- Villers ,  et  Grain  val , 
ajouta  à  son  nom  celui  de  la   Montagne.    On    fut 


(473) 

embarrasse  pour  le  nom  de  Fécamp,  et  robscurité  qui 
régnait  sur  son  étymologie  le  sauva  de  cet  ignoble 
travestissement. 

A  la  même  époque,  la  guerre  maritime  menaçant 
incessamment  nos  ports,  la  compagnie  de  canonniers 
Bérigny  fut  envoyée  pour  renforcer  la  garnison  du 
Havre -Marat,  et  Tadjudant  général  La  Morlière 
nomma  le  citoyen  La  Converserie  commandant  des 
troupes  cantonnées  à  Fécamp. 

On  était  dans  cette  période  de  découragement,  oîi 
les  cruautés  devenues  si  communes  ne  paraissaient 
plus  atroces,  ^adsuetudine  malorum^  utatrox^  ad- 
vcrtebatur^  »  ,  lorsqu'arriva  la  chute  de  Robespierre 
et  la  réaction  thermidorienne.  Depuis  long-temps  les 
clubistes  de  Fécamp  avaient  vu  avec  peine  que  le 
peuple  prenait  peu  de  part  à  leurs  actes ,  qu'il  s'était 
même  ameuté  pour  empêcher  un  enlèvement  de  ta- 
bleaux d'église  ;  et  le  sieur  Jazé ,  officier  municipal , 
avait  été  décrété  d'ajournement  devant  le  tribunal  du 
Havre  pour  avoir  secondé  ce  mouvement  populaire. 

On  savait  que  des  pétitions  circulaient  dans  la  ville, 
et  qu'elles  avaient  obtenu  beaucoup  de  signatures  en 
faveur  des  détenus. 

On  avait  aussi  connaissance  qu'un  habitant  de  la 
campagne ,  le  sieur  Quesnot ,  voulant  entrer  dans  la 
chapelle  du  Bourg-Beaudouin ,  malgré  la  défense  du 

'  Tacit.,  Hon. ,  lib.  6. 


(  474  ) 

factionnaire ,  avait  dit  :  qu'une  centaine  de  paysans 
comme  lui ,  armés  de  triques  ^  chasseraient  au  pre- 
mier jour  le  bataillon  de  Beauvais. 

Toutes  ces  démonstrations  n'avaient  pas  été  sans 
donner  de  sérieuses  inquiétudes  au  comité  révolu- 
tionnaire de  Fécamp ,  et  surtout  aux  étrangers  qui 
influençaient  ses  actes. 

La  chute.de  Robespierre  trouva  donc  la  popu- 
lation de  cette  ville  préparée  à  un  cliangement  quel- 
conque j  et  chez  elle  la  réaction  ne  se  fit  pas  attendre  : 
le  premier  mouvement  de  la  foule  fut  de  se  porter 
dans  les  églises ,  dont  elle  força  les  portes  ;  elle  monta 
jusque  sur  les  toits  et  les  clochers,  malgré  les  dé- 
fenses des  officiers  municipaux  et  les  réquisitions 
du  procureur  de  la  commune,  Clouet,  qui  ordonnait 
«  de  prendre  des  informations  sur  ceux  qui  s'étaient 
permis  d'ouvrir  les  temples.  » 

Les  autorités  furent  presque  toutes  changées  dans 
la  plupart  des  communes  de  France,  et  la  Convention 
établit  un  nouveau  comité  de  sûreté  générale,  pour 
faire  droit  aux  réclamations  des  détenus  qui  gémis- 
saient dans  les  prisons. 

L'agent  national  du  district  de  Montivilliers  ne 
tarda  pas  à  recevoir  les  ordres  de  ce  comité ,  et  les 
transmit  en  ces  termes  à  la  municipalité  de  Fécamp  : 


(475) 

«  Mort  aux  tyrans.  —  Brutus-Fillers  ^  le  i6  fri- 
maire Tan  III  de  la  république  une  et  indivisible. 

M  Citoyens! 

«  Je  vous  fais  passer  copie  d'un  arrêté  du  comité 
de  sûreté  générale ,  qui  prononce  la  mise  en  liberté 
définitive  de  plusieurs  citoyens,  et  ordonne  que  le 
scellé  sera  levé  de  dessus  leurs  propres  meubles  et 
effets. 

«  Salut  et  fraternité.  » 

Cette  décision  rendit  la  liberté  à  beaucoup  depri-  ■704* 
sonniers,  parmi  lesquels  on  remarquait  les  citoyens 
d' A  vannes,  Claville,  la  Frapinière,  Dubois,  Auger, 
Gaspard  T>evlq,  Noël* et  Guillaume  Deschamps, 
Baspray,  Lacorne,  et  les  citoyennes  La  Falaise ,  Gi- 
verville ,  veuve  Liot  et  leurs  filles ,  veuves  Bailleul , 
Barthelemi  et  Loisel.  Ajoutons  à  cette  liste  le  béné- 
dictin Le  Tellier,  cet  ancien  curé  constitutionnel  de 
Fécamp ,  qui ,  malgré  les  gages  donnés  par  lui  à  la 
révolution ,  ne  fut  pas  plus  épargné  que  les  autres , 
étant  accusé  d'avoir  enlevé  la  relique  du  précieux 
Sang,  lors  du  renvoi  des  religieux  de  labbaye.  Samise 
en  liberté  fut  motivée  sur  ce  que  l'objet  dont  l'en- 
lèvement lui  était  imputé  à  crime ,  n'était  ni  bien 
national  ni  bien  particulier. 

La  faction  qui  avait  pris  le  pouvoir  ne  put  s'en 
tenir  à  la  réparation  des  injustices  qui  avaient  été 


(476) 

commises;  il  fallut  qu'elle  tombât  aussi  dans  des  excès 
réactionnaires  à  Tusage  des  gouvernements  faibles  et 
sans  avenir.  La  loi  du  2 1  germinal  avait  ordonné  des 
poursuites  contre   les  terroristes,  et  Uii  arrêté  du 
directoire  de  Montivilliers  demanda  rexécution  de 
cette  mesure  contre  les  citoyens  Richard ,  Simon 
Deneuve  et  Holley,  membres  du  comité  révolution- 
naire de  Fécamp ,  Devenois  dit  d'Hattentot ,  Massé , 
Pierre  Deshayes  fils,  et  Régimbart,  comme   ayant 
participé   aux  horreurs  commises  sous  la  tyrannie 
qui  avait  précédé  le  9  thermidor ,  et  ordonna ,   en 
même  temps,  qu'il  serait  procédé  à  leur  désarmement 
dans  les  vingt-quatre  heures. 

Comme  on  ne  pouvait  rester  dans  le  vrai,  et  qu'on 
voulait  compromettre  ces  hotnmes  avec  une  certaine 
classe  de  patriotes  ,  on  les  accusait  d'avoir  provoqué 
Tavilissenient  de  la  représentation  nationale  et  le 
retour  de  la  royauté. 

Utile  leçon  pour  les  dévoûments  irréfléchis  qui 
seraient  tentés  de  se  mettre  à  la  suite  des  factions. 
Certes ,  la  vie  politique  de  tous  ces  hommes  n'est 
entachée  d'aucun  acte  sanguinaire;  jamais,  quand  ils 
étaient  tout  puissants ,  aucun  habitant  de  la  cité  n'a 
payé  de  sa  vie  son  opposition  à  des  principes  qui 
n'étaient  pas  les  siens.  Quelques-uns  ont  montré  de 
l'exaltation ,  il  est  vrai;  mais,  dans  ce  chaos  où  se  ca- 
chait la  vérité ,  ils  ont  agi  en  hommes  qui  parais- 
saient convaincus;  d'autres,  moins  excusables  sans 


(477  ) 

doute  y  et,  pour  sauver  leurs  têtes,  affichaient  des  sen- 
timents qu'ils  n'avaient  pas  ;  il  y  en  avait  même  dans 
le  nombre  qui  étaient  royalistes  :  Dévenois  ne  s'en 
cachait  nullement ,  chansonnait  le  zèle  des  membres 
du  comité ,  et  faisait  des  libelles  contre  la  révolution. 
Remarquons  que  tous  ces  hommes  ont  pu  vivre  en- 
semble sans  haines ,  sans  vengeance ,  quand  la  Con- 
vention elle-même  donnait  le  funeste  exemple  d'en- 
voyer ses  membres  dissidents  à  l'échafaud. 

Le  citoyen  Guillaume  avait  été  de  nouveau  placé 
à  la  tête  de  la  commune  de  Fécamp,  et  MM.  Des- 
portes, Massif  et  Tougart  rentrèrent  au  conseil  mu- 
nicipal. La  plupart  de  ces  noms  eurent  le  mérite  de 
rétablir  la  confiance  et  de  rassurer  l'opinion  publique. 
Durant  le  cours  de  ces  événements,  la  démolition 
des  églises  de  Fécamp  passait  inaperçue ,  l'emplace- 
ment de  l'abbaye  changeait  d'aspect ,  et  presque  tous 
ses  bâtiments  claustraux  disparaissaient  du  sol  ;  les 
citoyens  Bidel  et   Sandret ,  officiers  municipaux  de 
Fécamp ,  en  avaient  été  les  premiers  adjudicataires. 
Comme  on  réunissait  sur  le  port  les  bois  prove- 
nant des  biens  des  émigrés ,  pour  les  transporter  au 
Havre ,  où  ils  servaient  aux  constructions  de  la  ma- 
rine ,  les  rues  de  Fécamp  étant  trop  étroites ,  il  eu 
résultait  de  graves  inconvénients  pour  les  maisons 
situées  sur  la  place  du  Bail.  Le  conseil  municipal, 
considérant  .qù!il  n^ était  pas  possible  d! élargir  les 
rues  qui  conduisent  au  port^  en  fit  ouvrir  une  nou- 
velle sur  le  terrain  des  Capucins. 


(  478  ) 

L'opinion  publique  se  prononçant  avec  force  pour 
le  rétablissement  de  la  religion  catholique ,  les  prêtres 
sortirent  de  leurs  retraites ,  après  avoir ,  eux.  aussi , 
éprouvé  les  rigoui^uses  vicissitudes  de  tout  ce  qui 
tenait  à  l'ancienne  organisation  sociale. 

Les  ecclésiastiques  y  Charles-Louis  Delauney ,  Jo- 
seph Lambert  et  Louis  Ingoult;  le  premier,  curé  de 
Saint-Léonard  ;  le  second ,  de  Colleville ,  et  le  der- 
nier, ex-capucin,  curé  du  Bec-de-Mortagne ,  de- 
mandèrent l'autorisation  d'e&ercer  à  Fécamp  ,  sur 
la  demande  de  plusieurs  citoyens. 

L'abbé  Le  Tellier  était  rentré  à  la  tête  de  la  pa- 
roisse de  la  Trinité ,  et  les  habitants  de  St-Ëtienne 
obtinrent  la  réouverture  de  leur  église;  le  vénérable 
abbé  Blandin ,  ex-religieux,  que  nous  avons  vu, 
jusque  dans  l'âge  le  plus  avancé  ,  donnant  l'exemple 
de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  obtint  l'autorisation 
d'exercer  ses  fonctions  dans  cette  dernière  paroisse. 

Après  tant  de  grandes  scènes  passées  à  Fécamp  , 
il  nous  reste  peu  de  chose  à  dire  pour  arriver  au  but 
de  nos  efforts  :  le  Directoire  n'apporta  aucune  amé- 
lioration au  sort  matériel  de  cette  ville  ,  et  les  que- 
relles des  partis  s'envenimant  de  nouveau ,  on  ne 
savait  si  la  Providence  réservait  un  dernier  châti- 
ment à  la  patrie ,  en  la  refaisant  passer  par  les 
cruelles  épreuves  dont  elle  sortait  à  peine;  les  ima- 
ginations s'effrayaient  de  nouveau ,  lorsque  vint  le 
i8  brumaire,  ou  la  chute  de  ce  gouvernement,  sur 
les  débris  duquel  on  vit  s'élever  le  Consulat. 


(479) 

Le  20  brumaire  de  Tan  XI  de  la  république 
(  1 802) ,  le  premier  consul ,  allant  du  Havre  à  Dieppe , 
vint  à  Fëcamp ,  où  il  déjeuna. 

Le  clergé  de  la  ville  alla  processionnellement  à 
sa  rencontre ,  jusque  dans  les  champs ,  suivi  d'une 
population  immense ,  qui  chantait  un  Te  Deum. 
Les  flatteurs  du  nouveau  pouvoir  ont  consigné  dans 
le  Moniteur  que  les  habitants  de  Fécamp  célé- 
braient l'anniversaire  de  la  révolution  du  18  bru- 
maire. On  dit  que  le  premier  consul  fut  ému  au 
spectacle  imposant  de  ce  peuple  qui  adressait  ^  sous 
la  voûte  des  cieux ,  des  prières  à  Dieu  ,  pour  la  pros- 
périté de  la  France  et  du  chef  de  ce  nouveau  gou- 
vernement ,  qui  devait  la  rendre  grande  et  puissante 
parmi  les  nations. 

M.  Desportes  était  maire  de  Fécamp  depuis  dix- 
huit  mois ,  et  ce  fut  lui  qui  fit  les  honneurs  de  la 
ville  au  premier  consul. 

La  guerre  avec  l'Angleterre  ayant  interrompu 
tout  commerce  maritime ,  le  port  de  Fécamp  ser- 
vait de  refuge  aux  petits  navires  de  l'État  et  aux 
barques  de  pêche  qui  fréquentaient  les  côtes  de  la 
Manche. 

Au  commencement  de  l'année  1800,  deux  de 
ces  derniers  bateaux  firent  naufrage  dans  le  quar- 
tier de  Fécamp  :  le  premier ,  nommé  \ Espérance , 
échoua  près  de  la  jetée  du  port  ;  les  vingt  hommes 
de  son  équipage   furent  sauvés  par  les  marins  de 


(  48o  ) 

trois  bâliments  de  guerre ,  placés  sous  les  ordres  du 
citoyen  Vallée ,  lieutenant  de  vaisseau ,  qui  com- 
mandait VÉclatante. 

Le  citoyen  Q^éance,  second  maître  à  bord  de 
cette  canonnière  j  s'étant  attaché  une  corde  autour 
du  corps  y  s'élança  sur  les  débris  du  navire  naufragé , 
et  en  retira  plusieurs  marins  auquel  le  froid  avait  fait 
perdre  Fusage  des  sens. 

Le  nommé  Hélouin,  de  Gran ville ,  chargé  de  la 
comptabilité  à  bord  de  la  flûte  la  Baleine^  périt 
victime  de  son  humanité  :  comme  il  se  précipitait 
pour  sauver  un  malheureux  qui  se  débattait  contre 
les  flots  9  il  eut  la  tête  écrasée  par  la  chute  d'un  mât 
du  navire  naufragé. 

Le  second  de  ces  bateaux ,  qui  se  nommait  aussi 
V Espérance ,  ne  put  sauver  que  cinq  hommes ,  sur 
les  douze  qui  composaient  son  équipage. 

Quelques  années  après,  le  corsaire  V Espoir  faisait 
naufrage  dans  les  mêmes  parages  :  le  sieur  Cauquais , 
préposé  aux  douanes,  sauva ,  au  péril  de  sa  vie ,  sept 
individus  qui  faisaient  partie  de  son  équipage.  Le 
ministre  de  l'intérieur  décida  qu'il  serait  donné  une 
médaille  à  cet  employé;  et,  le  3  avril  1808,  le 
maire  lui  en  fît  remise ,  en  présence  des  autorités 
militaires ,  des  canonniers  et  des  douaniers  réunis 
sur  la  place ,  et  aux  cris  de  vwe  l Empereur  ! 

A  la  même  époque ,  les  écluses  de  chasse  de  la  re- 
tenue  tombaient   en  ruine,  et  le  port  se   trouvait 


(  48.  ) 

encombré  de  galet ,  malgré  les  travaux  exécutés  aux 
frais  (lu  gouvernement;  les  armateurs  concevaient 
des  craintes  pour  la  rentrée  de  leurs  navires ,  et  pré- 
voyaient déjà  l'abandon  du  port  de  Fécamp.  Le  maire 
fît  part  aux  habitants  de  cet  état  de  choses,  qui  pou- 
vait compromettre  la  prospérité  de  la  ville ,  et  tous 
se  portèrent  sur  le  perrey,  armés  de  pioches,  et 
jetèrent  le  galet  dans  le  courant. 

Cette  mesure  étant  insuffisante,  le  Génie  consentit 
à  ouvrir  les  écluses,  si  on  lui  garantissait  le  paie- 
ment des  avaries  qui  pourraient  en  résulter. 

On  se  remit  de  nouveau  à  l'ouvrage  :  femmes , 
enfants, furent  encouragés  par  la  présence  du  maire, 
et  l'eau,  emporta  le  galet  comme  un  torrent.  Ce  ré- 
sultat fut  d'autant  plus  heureux,  que  l'on  attendait 
des  corsaires  qui  pouvaient,  d'un  moment  à  l'autre, 
amener  de  riches  captures  dans  le  port. 

La  restauration  vint  donner  à  toutes  les  villes  ma- 
ritimes de  France  un  essor  jusqu'alors  inconnu  :  le 
poi  t  de  Fécamp  reçut  quelques  réparations  ;  de  nom- 
breux navires  de  pêche  y  furent  construits ,  et  ce 
nouvel  état  de  choses  n'a  fait  que  progresser ,  d'an- 
née en  année,  jusqu'à  nos  jours. 

Le  maire,  M.  Desportes,  décédé  en  1816,  fut 
remplacé  par  M.  Le  Métayer,  et  celui-ci  par  M.  Le 
Clerc ,  en  1 82 1 ,  époque  du  renouvellement  des 
officiers  municipaux.  Ce  dernier  a  été ,  en  même 
temps,  membre  de  la  Chambre  des  députés ,  mais  il 


3i 


(  48a  ) 

n'y  est  resté  que  peu  d'années,  voulant  exercer  ex- 
clusivement ses  fonctions ,  plus  modestes,  de  maire, 
et  consacrer  tout  son  temps  aux  affaires  de  la  com- 
mune. 

Il  a  été  remplacé  à  la  Chambre  des  députés  par 
M.  Ludovic  Vitet ,  membre  de  l'Institut  et  conseiller 
d'État,  qui ,  de  la  position  élevée  qu'il  occupait  dans 
la  république  des  lettres ,  s'est  livré  à  la  carrière  de 
l'administration  et  aux  hautes  études  de  l'économie 
politique. 

La  ville  de  Fécamp  doit  à  son  maire  et  à  Tinter- 
vention  puissante  et  dévouée  de  son  député  ' ,  des 
travaux  publics  sans  nombre ,  étonnants  même , 
quand  on  songe  avec  quelle  vitesse  ils  ont  été  exé- 
cutés ;  on  en  jugera  par  le  détail  suivant  : 

Trois  routes  départementales  :  la  première,  de 
Fécamp  à  Bolbec ,  achevée  ;  la  seconde ,  de  Fécamp 
à  Valmont ,  en  cours  d'exécution  ;  et  la  troisième  , 
de  Fécamp  à  Ëtrétat,  dont  le  travail  doit  commencer 
immédiatement. 

Un  bassin  construit  et  livré  au  commerce  en 
1837  ,  et  les  quais  élargis. 

Une  jetée  en  pierre,  pour  remplacer  celle  en  bois, 
qui  avait  été  rompue  par  les  flots.  Un  phare  à  feu 
fixe  ,  sur  la  côte  du  Bourg-Baudouin. 

Une  estacade  à  l'entrée    du   port ,  une   levée  à 


1  M.  Bérigny,  inspecteur  général  des  ponts  et  chaussées,  a  aussi 
contribué  de  tout  son  pouvoir  à  Texécution  de  ces  travaux. 


(  483  ) 

travers  la  retenue,  et  un  canal  qui  préserve  une 
partie  de  la  ville  des  inondations  causées  par  la  fonte 
des  neiges. 

Élargissement  de  la  rue  du  Vieux-Marché. 

L'ouverture  de  la  rue  des  Forts ,  qui  dépend  éga- 
lement de  la  route  royale  ,  aura  lieu  avant  la  fin  de 
Tannée  9  ou  au  plus  tard  au  printemps  prochain. 

L'établissement  de  fontaines  publiques  est  à  la 
veille  de  s'effectuer,  les  fonds  destinés  à  ces  travaux 
étant  déposés  à  la  caisse  de  service. 

L'abbaye  réparée  et  le  portail  latéral  reconstruit 
d'après  les  anciens  plans. 

Après  avoir  parlé  des  travaux  exécutés  aux  frais 
de  l'État,  nous  devons  faire  mention  d'une  entre- 
prise particulière,  qui  fait  le  plus  grand  honneur  au 
sieur  Bigot,  comme  œuvre  de  génie,  au-dessus  de 
la  portée  ordinaire  d'un  simple  ouvrier. 

La  partie  de  la  ville,  située  du  coté  du  port  , 
manquant  d'eau ,  le  sieur  Bigot  a  eu  l'ingénieuse 
pensée  de  faire  arriver  sur  ce  point,  au  moyen  d'un 
aqueduc  long  de  trois  kilomètres  ^  et  creusé  dans 
l'intérieur  de  la  falaise,  les  eaux  des  fontaines  de 
Grainval ,  qui  se  perdaient  dans  la  mer ,  et  de  les 
faire  servir  à  l'usage  des  habitants  de  ce  quartier , 
qui  en  étaient  entièrement  dépourvus. 

Au  lieu  de  huit  mille  habitants  que  Ton  comptait 
à  Fécamp  ,  au  commencement  du  dernier   siècle  , 
il  y  en  a  maintenant  neuf  mille  deux  cents  ,  et  cette 
augmentation  ne  paraîtra  pas  considérable,  à  raison 


(484  ) 

du  progrès  de  l'industrie  et  du  grand  nombre  de 
marins  que  la  navigation ,  plus  active  qu'autrefois , 
a  dû  attirer  dans  le  port  de  Fécamp. 

On  compte  dans  cette  ville  dix.  filatures  de  coton , 
qui  occupent  cinq  cents  personnes  :  les  plus  consi- 
dérables appartiennent  à  MM.  Dupray  et  Huet,  dont 
les  maisons  de  commerce  sont  établies  à  Fécamp 
et  à  Bolbec. 

Il  y  a  en  outre,  dans  la  vallée ,  sept  moulins  à  huile , 
deux  moulins  à  tan  ,  sept  moulins  à  blé ,  et  deux 
scieries  mécaniques. 

Pour  le  voyageur ,  préoccupé  de  commerce  et  de 
travaux  publics,  il  trouvera,  sans  doute,  que  Fé- 
camp a  beaucoup  gagné  depuis  le  dernier  siècle. 
Pour  l'artiste,  le  poète  et  le  philosophe,  au  con- 
traire ,  qui  viendront  dans  cette  ville  rechercher  son 
abbaye,  son  cloître,  ses  forts  crénelés,  ses  douze 
églises  aux  flèches  élancées ,  ses  écoles  ,  ses  savants 
et  ses  pieux  cénobites,  pour  lui,  le  désenchantement 
sera  réel;  car  on  ne  fera  jamais  que  quelques  navires 
de  plus  dans  un  port ,  des  fabriques  arrosées  de 
sueur  d'homme,  de  petites  maisons  bien  neuves, 
des  rues  alignées  aux  dépens  des  remparts  histo- 
riques de  la  cité ,  puissent  lui  donner  le  prestige  et 
la  vie  qu'elle  tirait  des  hautes  études ,  des  grands 
hommes  et  des  monuments  religieux  qui  feront 
éterneHcnient  sou  orgueil  et  sa  gloire. 


FJN. 


NOTES   FINALES. 


NO  I. 


Celle  cluirte  latine ,  par  nous  découtferte  aux  ArchLves  dépar- 
tementales ,  ayant  été  publiée  pendant  l'impression  de  ce 
volume  ,  nous  en  donnons  une  traduction  j  qui  a  le  mérite 
d'être  inédite  ,  accessible  à  un  plus  grand  nombre  de 
personnes  ,  et  défaire  connaître  l'état  de  la  langue  fran 
çaise  au  commencement  du  14°*  siècle, 

A  TOUS  les  filx  de  saincte  mère  église  asquieulx  cest  présent 
cscript  vendra  je  Raal  humble  abbé  de  Saincte  Trinité  de 
Fescamp  salut,  en  vrai  salu  de  tout  le  monde  à  desservir 
la  grâce  de  la  divine  pitié  notre  Seigneur  nulle  chose  tant 
ne  lui  plest  comme  aemplir  la  lay  et  les  commandemens 
faire  et  que  nous  soions  aussi  courchies  et  dolens  des  pe«- 
chies  et  des   mésaventures  de   nos  frer.es  comme  de  nos 
meismes  ne  autrement  nous  ne  pourrions  aler  lassus  amont 
en  paradis  pour  le  pechie  de  la  char  qui  tant  est  pesans  se 
grant  carite  de  fraternité  de  devocion  doresons  de  omosnes 
ne  nous  alege  le  pechie  et  que  nous  entendons  que  est  de- 
vocion de  oreson  et  omosne  nous  avons  recheu  ovec  nous 
une  manière  de  gens  séculiers  lesquieulx  len  appelle  Jon- 
gleurs jasoit  (quoique)  cen  que  la  vie  dicëulx  soit  abandonnée 
a  jouer  et  que  elle  soit  escoulouriable  nequedent  le  fonde- 
ment de  foy  qui  est  funde  en  Jehu  Crist  fait  divers  membres 
aerdre  (attacher)  a  un  bon  chief  laquelle  chose  n'est  pas 
nouvele   ne  nouveaument  trouvée  ains  fu  commenchie  en 
temps  de  bonne  mémoire  Ricart  premier  duc  de  Normendie 

3i* 


(  486  ) 

et  dura tout  k  temps  o.segont  duc  Biçart  et  empres  mons. 
Willeme  abbe  aicellui  temps  défailli  iceste  fraarie  mes  par 
mauvestie  et  par  avarice  qui  tousiours  croist  et  abunde  et 
largeche  et    courtoisie   qui   tousiours    refrede   et  amenise 
(diminue)  fut  delessie  iceste  frarie  après   la  mort  du  pre- 
mier froy  Henry  adechertes  (alors)  mons  Henri  de  bon 
mémoire  abbe   a  icellui  temps  renouvela  iceste  fraarie  et 
1^$  rechut  et  coveuilli  en  fraternité  par  le  consentement  de 
tout  le .  chapistre  adechertes  (alors)  Jen  Raal  abbe  ne  vuil 
pas  que  je  nen  sieusse  les  escrases  (actions  d'éclat)  et  les 
fais  de  si  grans  gens  et  de  si  nobles  mestabli  frère  diceulx 
frères  Jongeurs   et  leur  octroyons  plaine  parchemierie  de 
tous  nos  bienfais  qui  seront  fais  en  notre  abbeie  sil  est 
assavoir  en  messes  en  vegilles  en  jeunes  en  aumosnes  en 
oresons  et  en  toutes  choses  plaisantes  a  Dieu  que  par  carite 
ardante  puissent  ovec  nous    et  nous  ovec  eux  aparestre 
devant  la  fâche  Jehu  x  pit  en  leeche  (joie)  en  exultation  o 
(avec)  simphognies  o  timbres  o  vicies  o  psalterions  o  oi^ues 
o  harpes  o  fieùles  plaines  de  bonnes  odours  tenantes   en 
leux  mains  especiaumsent  pour  iceulx  et  pour  nos  frères 
en  tout  temps  et  chascun  jour  nous  celebron  trois  messes 
Tune  du  Sainct  Esprit  que  il  nous  commant  au  filx  lautre  de 
Notre  Dame  quelle  deprie  pour  nous  son  filx  la  tierche  pour 
les  trespasses  que  eulx  aient  repos  pardurable  et  chascune 
fois  que  il  en  yara  un  trespasse  des  frères  et  len  le  nous  lerra 
assavoir  il  sera  asous  premièrement  en  chappitre  et  en  fesmes 
le  servise  auxi   hautement  comme  de  uns   de   nos   frères 
moignes  et  chascun  an  pour  icheux  frères  nous  faison  deux 
trentieulx  (trente  messes  à  célébrer)  lun  après  Noël  lautre 
empres  Penthecoustes  ceste  fraarie  doit  estre  en   ceste  ma- 
nière tenue  que  chascun  an  au  jour  de  la  Saint  Martin  en 
este  sasembleront  les   frères  iongleurs  et   tous  ceulx  que 


(  487  ) 

nous  avons  receus  ovec  nous  et  feron  tous  ensemble  une 
sollempnite  ef;  sollempnelle  prochession  et  de  chascun  diceulx 
len  cuidra  cinq  deniers  lesqueulx  seront  en  tel  manière  de 
partis  que  les  deux  pars  seront  a  meseaux  (malades,  lépreux) 
de  Fescamp  la  tierche  partie  sera  donnée  as  povres  la 
quarte  partie  sera,  au  luminaire  de  nostre  église  la  quinte 
partie  sera  a  leuvre  dicelle  église  ovec  les  lais  dés  mors  et 
en  lobbit  diceulx  frères  larra  chascun  qui  pourra  trois  soubx 
les  povres  deux  soubx  les  très  povres  douse  deniers  tous 
ceux  qui  tendront  cete  fraarie  soient  iongleurs  ou  che- 
valliers ou  autres  lerront  du  leur  a  leuvre  de  la  dite  église 
adechertes  de  cette  fraarie  nous  establimes  mestre  et  rec- 
teur Henry  de  Gravenchon  a  tous  ceulx  qui  ces  te  fraarie 
tendront  et  garderont  soit  pais  et  joye  in  secula  seculorum 
Amen. 


Henri  par  la  grâce  de  Dieu  roi  d'Angleterre  héritier  et 
régent  du  royaume  de  France  et  seigneur  d'Irlande ,  à  tous 
ceux  qui  ces  pi*ésentes  lettres  verront  salut  :  comme  despieca 
voulant  pourvoir  au  bien  commub  et  gouvernement  de 
l'église  et  abbaye  de  Fécamp  gouvernée  sous  notre  main  et 
autorité ,  parce  que  l'abbé  (ViceUe  église  ne  nous  a  fait  le 
serment  de  féaulé  et  autre  petit  gouvernement  du  lieu  , 
nous  eussions  commis  et  député  Jehan  le  Cuillerier  receveur 
général  de  tous  et  singuliers  deniers  ,  revenus  ,  profits ,  et 
émoluments  quelconques  des  terres  et  baronnies  apparte- 
nant et  (ippendant  à  icelle  Abbaye.  C'est  à  savoir  es  baron- 
nies de  Fécamp  ,  Vitefleu ,  Gardin  sur  Dieppe  ,  Estoute- 
vilie ,  Aesy  ,  Heudreville  ,  Argences  et  leurs  dépendances  y 
lequel  Cuillerier  se  soit  de  ce  entremis  par  certain  temps 


(  488  ) 

passé  et  de  ce  n*a  encore  rendu  aucun  compte  ,  ainsi  que 
tenu  y  est  par  raison  et  selon  sa  commission  sur  ce  faire  , 
mais  nagaires  lui  ait  été  mis  et  assigné  certain  jour  pour 
rendre  compte  et  reliqua  de  sa  recette  et  mise  ainsi  qu'il 
appartient  par  raison  savoir  faisons  que  nous  confians  es 
sens  preudomie  et  bonne  diligence  de  nos  amés  maître  Nicole 
Caval  licencyé  en  loys  Tun  des  clercs  de  notre  grand 
conseil ,  Roger  Mutel  notre  vicomte  de  l'eaue  à  Rouen  et 
Jacques  d'Orléans  écuyer.  Tceulx  avons  commis  et  députés , 
commettons  et  députons  par  ces  présentes  auditeurs  des 
comptes  dudit  receveur ,  présents  ou  appelés  à  ce  des  re- 
ligieux de  la  dite  abbaye  en  tel  nombre  que  voudront  être 
expédiés  pour  le  bien  de  la  chose  se  être  y  veulent  lesquels 
voulons  être  élus  par  le  prieur  et  couvent  dudit  lieu  et  avons 
donné  pouvoir  et  autorité  aux  susdits  auditeurs  de  ouyr , 
examiner  conclure  et  clorre  iceux  comptes  y  de  ce  qui  par 
eux  sera  fait ,  donner  et  bailler  lettres  convenables  et  néces- 
saires en  cette  matière  et  généralement  et  singulièrement 
de  faire  besoigner  et  procéder  en  ce  circonstance  et  dépen- 
dance y  comme  bons  et  loyaux  auditeurs  duement  établis 
pour  faire  selon  raison  et  le  cas.  Mandons  à  tous  nos  justi- 
ciers ,  officiers  et  subjets  que  a  eux  obéissent  et  entendent 
diligemment  et  leur  prêtent  conseil  confort ,  aide  et  protec- 
tion si  besoin  est  et  requis  en  sont.  Donne  à  Rouen  le  i 
jour  de  juillet ,  Tan  de  grâce  mil  iiii  xxii  et  de  notre  règne 
le   io™«. 


(489) 


N«  3. 


Noms  des  individus  qui  obtiennent  des  compositions  sur  les 
arrérages  qùils  doivent  à  l'égUse^  en  1422. 


PaÉVÔTÉ  DE  FÉGAMP. 

Pierre  Viard. 
Pierre  Fouquier. 
Guillaume  Roussel. 
Jehan  Quennas. 
Robin  Beusebost. 
Colin  Bosquet. 
Joseph  Phîfellote. 
Guillaume  Le  Carpentier. 
Jehan  Le  Bouesquc. 
Jehan  Le  Caron ,  tenant  hôtel 
à  Fécamp. 


S4INT-PlEaaE-EN-POET . 

Guillaume  de  Houdetot. 

Colin  Godefroy. 
Guillaume  LeFebvre. 


Jehan  TAbbé. 
Thomas  Robinot. 
Pierre  Le  Blond. 
Raoul  Le  Sesne. 
Pierre  De  la  Planche. 
Jehan  Martel  dit  Pol. 
Jehan  Barbe  dit  Vassot. 
Raoul  Graimbou. 
Jehan  Dufay. 


Veulbttes. 

Guieffroy  Le  Payeur. 
Guillaume  Le  Mercher. 
Guieffroy  Joly. 
Guillaume  Le  Villain. 
Jehan  Escombart. 


PaivÔTÉ  D  Elétot. 


Thomassin  Durand. 

Prévôté    de  Senneville.        Robin  Sigard. 

Guieffroy  Gomen. 
Jehan  Karc  sme.  Jehan  Hébert. 


(  490  ) 


Colin  Le  Sueur. 
Rogier  Blanquet. 
Raoul  GoiseL 
Jehan  Happcl. 
Régnant  Maçon. 
Simon  Varin. 
Guillaume  La  Planque. 


Simon  Pellerin. 
Colin  Cavelier. 
Jehan  Forthomnic. 
Jehan  Corcenout. 
Guillebcrt  Soubraagc 
Estiennot  Engien. 
Ricard  Halle. 


■  ■>■• 


TABLE  DES  MATIERES. 


AVANT-PROPOS. 

Ëpoqiie  gauloise  et  gallo-romaine Page      1 

Fécamp  sous  les  comtes  francs  et  la  dynastie  kariowingienne.    ^47 
Fécamp  sous  les  ducs  de  Normandie ,  de  915  à  1204.     .     .    58 

Abrégé  de  la  Légende  du  précieux  Sang 74 

Guillaume  de  Dijon ,  1"  Abbé 91 

Fécamp  sous  le  gouvernement  des  ducs  normands  y  devenus 

rois  d'Angleterre 154 

Fécamp  sous  la  domination  française  ,  jusqu'à  la  reprise  de 

la  Normandie  par  les  Anglais ,  en  1419 190 

Fécamp  sous  la  domination  anglaise ,  de  1419  à  1450.     .     .  252 
Fécamp  depuis  1450  jusqu'aux  premiers  troubles  pour  la 

Religion 292 

Fécamp  pendant  les  guerres  de  Religion  ,  de  1560  à  1601  .  521 

Fécamp  depuis  ICOl  jusqu'à  nos  jours 575 

Réforme  de  Saînt-Maur ,  introduite  dans  le  monastère  de 

Fécamp 590 

Statistique  de  la  ville  de  Fécamp ,  en  1751 408 

Histoire    littéraire    du    monastère   de    Fécamp ,    401  et  429 
Cardinal  de  La  Rochefoucauld ,  dernier  Abbé  de  Fécamp.     .  457 
Le  monastère  de  Fécamp  devient  propriété  nationale.     .     .  452 
Travaux  publics  exécutés ,  de  nos  jours ,  à  Fécamp    .     .     .  482 
Notes  finales  (Pièces  justificatives) 485 


FIN  DE  LA  TABLE. 


^